Saint-Benoît-sur-Loire
Les origines du plan bénédictin
Le site
A l’époque gauloise Orléans est une cité florissante où les commerçants romains présents font collecter les céréales de Beauce afin de les expédier vers la Méditerranée. Ce sont des barges de 12 à 15m de long tirées par des paires de bœufs qui les transportent en remontant la Loire. Le chemin de halage se trouve sur la rive nord du fleuve et passe au village de Fleury. La location des bêtes de joug est d’un bon rapport pour les petits agriculteurs du lieu.
Au temps de la Pax Romana, les terres des bords de Loire situées autour du village qui doit répondre au nom de Floriacum sont aptes à la grande culture et seront remembrées pour la production céréalière. Ces exploitations, appelées villas, se développent et finissent par priver le village de ses meilleures terres, cependant le transit économique empruntant la voie sur berge ne cesse de croître et ce sont les commerçants et artisans qui dominent l’économie de Floriacum. Tout cela part en fumée sur la période tragique de 250 à 280 et la brève renaissance constantinienne est de nouveau ruinée par les invasions de 406 mais ces dernières ont un tout autre caractère : elles sont menées par des peuples conquérants dont l’objectif est de prendre et non de ruiner ce qui va leur appartenir.
Cependant, les généraux (romains) venus de Byzance restaurent un semblant de pouvoir avec une soldatesque qui n’est pas d’une meilleure tenue. A la fin du siècle, tous seront balayés par les Francs avides de grands domaines. A cette époque que devient Floriacum qui prend le nom de Fleury sur Loire? Nous l’ignorons mais il revit chrétiennement. Orléans toute proche s’est repliée derrière une puissante muraille du Bas Empire et va devenir une métropole ecclésiastique. La population qui s’accroît étouffe derrière l’enceinte et profite du calme revenu pour s’installer hors les murs. Là, une forte implantation chrétienne vit à l’ombre d’une abbaye florissante, Saint Aignan, et c’est elle qui assure l’œuvre de mission à Fleury.
Le 27 juin 651, sous le règne de Clovis II, son épouse, la reine Baltide, patronne la fondation d’un monastère installé à Fleury et dédié à Saint Pierre. L’abbatiale sera construite dans les années qui suivent et nous pouvons admettre qu’il s’agit d’un édifice basilical à trois nefs, avec élévation sur colonnes monolithiques de récupération qui sont nombreuses à Orléans dans les ruines de la ville ouverte. L’aménagement du monastère doit demander une vingtaine d’années; nous sommes alors en 670 et la discipline est mixte. Une partie des moines est d’obédience bénédictine, une autre partie d’obédience irlandaise.
En Occident, les monastères sont maintenant fort nombreux et les règles appliquées sont diverses mais deux se distinguent particulièrement: d’une part celle que nous appelons d’obédience irlandaise amenée sur le continent par Saint Colomban (550/615) qui refuse toute organisation centralisée dont les adeptes choisissent une vie de grande austérité souvent pratiquée en cellule indépendante, d‘autre part, nous avons la règle bénédictine imposée par Grégoire le Grand (540/604) avec une obédience à Rome et qui revendique pour origine les écrits de Saint Benoît mort dans son monastère du Mont Cassin en 547. Ce dernier sera détruit par une bande lombarde en 589 et les herbes folles ont envahi le site.
La cohabitation entre les Bénédictins, selon Grégoire le Grand, était dévouée aux chrétiens de ce bas monde; ils ne craignaient pas la fréquentation du sexe faible et se vouaient au travail comme à la prière. D’autre part, les adeptes de Colomban et autres irlandais, toujours confits en prières ne comptaient que sur la charité pour vivre et fuyaient les femmes objets de tentation et de péché. Pour abriter ces communautés antinomiques il fallait réglementer la fréquentation de l’église, instituer des heures pour chacun et réserver un temps pour les paroissiens du voisinage. Enfin, pour les adeptes de la prière perpétuelle, il suffit de réserver un bas côté de l’abbatiale, de l’isoler et d’y installer des autels particuliers, mieux encore construire un second bas-côté comme à l’abbatiale de Saint Gall. Dans cette illustre maison dont nous avons conservé un plan relativement précis nous trouvons à la fois le cadre bénédictin voulu par l’Empire avec ses trois corps de bâtiment flanquant le sud de l’abbatiale mais également de petits bâtiments qui sont conformes à l’orthodoxie bénédictine, soit les douze petits monastères de douze moines décrits par Saint Benoît. La vie y est moins rigide que dans le cadre bénédictin et cela peut satisfaire les tenants de la discipline irlandaise.
Quelques temps après leur installation, vers 676, les moines de Fleury appartenant à la branche bénédictine apprennent l’état lamentable dans lequel se trouve la tombe de leur Saint Patron. Ils décident de partir pour le sud de la péninsule italique et, au sommet du Mont Cassin, découvrent l’état des lieux qui les afflige. Afin de retrouver les reliques du Saint homme ainsi que celles de sa sœur jumelle Sainte Scolastique ils entreprennent des recherches à proximité du maître autel, et nos bons moines, bien inspirés, retrouvent les deux châsses et leurs reliques. Ensuite, et à l’encontre de tous les usages ils décident de les emmener sur les bords de Loire afin de leur accorder la ferveur qui leur est due.
En 690, ils arrivent au monastère de Fleury qui répondra dorénavant au vocable de Saint Benoît. Les reliques du Saint Patron seront installées à l’intérieur d’une vaste crypte 11m x 7,50m construite sur le flanc de l’abbatiale et coiffée de douze petites voûtes d’arêtes selon le programme coutumier de l’époque. Les reliques de Sainte Scolastique seront confiées à la communauté chrétienne du Mans. L’évènement vite colporté dans les communautés chrétiennes du Val de Loire, amène des pèlerins. En grand nombre. L’âge d’or de l’abbaye se profile à l’horizon.
L’épisode carolingien
La période faste de Saint Benoît sur Loire commence avec l’abbé Théodulphe. Il est né en Espagne vers 750/755. En 790 il devient évêque d’Orléans mais l’atmosphère de la métropole lui pèse et il revient souvent à Fleury où il se fait construire une villa et un oratoire dans une propriété voisine : ce sera Germiny. Cet oratoire subsiste. C’est un édifice de plan centré et de caractère byzantin recouvert de riches mosaïques. L’homme est brillant et sera remarqué par Charlemagne qui le charge de fonder au monastère de Saint Benoît une école destinée aux fils des leudes. Ces grands propriétaires ont bien servi la monarchie et notamment son père, Pépin le Bref. Se souvient-il des manières de soudard manifestées par ces guerriers au retour des campagnes d’Aquitaine dans le palais de Clichy? Pour l’abbaye, cette charge est conséquente; plusieurs centaines de jeunes étudiants seront accueillis dans le monastère, il faut donc construire des salles de classe, des dortoirs et surtout agrandir l’église.
Leurs pères étaient de valeureux guerriers, frustes mais toujours prêts à répondre à l’appel du roi. Les fils seront pétris de savoir et de bonnes manières mais dépourvus de l’esprit combattant qui avait fait la force de la nouvelle dynastie. Faut-il voir là une des raisons de la déchéance de l’armée carolingienne quand viendront les invasions normandes?
La nouvelle église sera de vastes proportions et nous présentons un dessin qui développe les contingences architecturales à respecter, mais, à tout programme, il y a des choix préliminaires et, dans toute abbaye, il est impératif de préserver un lieu de culte pour la vie spirituelle de la communauté. La méthode la plus rationnelle et que nous allons suggérer, consiste à décomposer les travaux en deux phases. Réaliser une nef nouvelle tandis que les offices se maintiendront dans l’ouvrage ancien, ensuite la permutation se fera au niveau du transept mais nous avons admis que ce vaisseau perpendiculaire n’existait pas dans l’œuvre primitive, il fallait donc en construire un en pratiquant de la manière suivante : démonter plusieurs travées de l’ancienne construction jusqu’au niveau de la crypte où se situent les reliques. L’espace consacré au culte est réduit mais suffisant. Il faut ensuite, établir un grand vaisseau perpendiculaire jouxtant la crypte et réaliser une nouvelle nef.
Ces travaux achevés, le sanctuaire sera déplacé et installé à la croisée ce qui permet de démolir et reconstruire les parties orientales sur les mêmes bases afin de préserver les espaces consacrés. Ce nouveau chevet construit avec soin sera naturellement aligné sur la nouvelle nef . Ceci nous semble la meilleure manière de répondre aux impératifs du programme.
Le maître de fabrique, Théodulphe, ne condamne pas expressément le rite irlandais mais fera tout pour le contraindre. La décision radicale viendra de Louis le Pieux, fils de Charlemagne; qui l’interdira purement et simplement mais ce fut plus facile à dire qu’à imposer.
Avec cette nouvelle abbatiale de grande taille, il faut également d’importants bâtiments: des dortoirs, des réfectoires, des salles de classe et également de quoi abriter l’intendance. Tout cela en surcroît de ce qui est nécessaire à la communauté monastique. Si l’abbaye abrite de 200 à 300 écoliers, la population atteindra 400 à 500 personnes, ce qui représente avec 10m² par individu, 5.000 m² et autant pour l’intendance. C’est beaucoup plus que la surface utile représentée par les bâtiments entourant le cloître qui ne fait que 2.000m² sur deux niveaux, d‘où l‘existence de nombreux bâtiments annexes.
A une période indéterminée, probablement vers 850, les moines de Saint Gall afin de répondre aux édits de Louis le Pieux, décident de construire dans l’embarras des petits monastères antérieurs une grande abbatiale. L’ ouvrage semble s’inspirer de l’abbatiale de Saint Benoît sur Loire et comporte absides en hémicycles, chevets avec partie droite longue de deux travées et transept faiblement débordant. Après ces travaux, il subsistera sept petits monastères bientôt désaffectés.
Les siècles sombres
Cet épisode carolingien sera, semble-t-il, ruiné par l’action des pirates normands et c’est bien surprenant. Les soldats de métier qui composent alors l’armée impériale sont trop nombreux et mal payés; la faiblesse du pouvoir central les incite à se fixer en des lieux favorables pour tirer subsides de la population et du commerce. Ils sont devenus des protecteurs comme le seront les féodaux et refusent de s’engager en rase campagne.
Les drakkars vont remonter la Loire à trois reprises, d’abord en 865 et c’est une surprise, puis en 876 et enfin en 897. C’est déjà le temps des réactions de défense. En 882, Paris a vaillamment résisté à l’assaut des Normands et l’abbaye Saint Germain des Prés, transformée en refuge pour de nombreux Parisiens de la rive sud, semble avoir fait de même. A Saint Benoît sur Loire, la première attaque de 865 se déroule au temps de Robert le Fort chargé de la défense des terres situées entre Seine et Loire qui sera tué l’année suivante dans l’un de ces nombreux engagements.
La grande école carolingienne de Saint Benoît est nécessairement cernée de murs et servira de refuge aux habitants de la bourgade voisine qui, elle, sera pillée et brûlée. Quel est le périmètre de cette défense nous l’ignorons mais le nombre de réfugiés doit dépasser le millier et le chiffre de combattant au linéaire doit être suffisant. Quant au mur, qui était naturellement modeste, les défenseurs avertis par le passage des drakkars à Orléans avaient sans aucun doute plusieurs jours pour le renforcer de levées de terre et de palissades. D’autre part, les Vikings ne s’attardaient guère sur une position qui se défendait, inquiets d’une réaction possible de la cavalerie locale. La grande abbaye sera-elle brûlée? Nous pouvons en douter. En tout état de cause, l’abbatiale qui sera ruinée de fond en comble, en 1029, était toujours un ouvrage léger couvert sur charpente, comme au temps de Charlemagne.
Dans le siècle qui suit les invasions normandes, l’abbaye qui a perdu sa fonction la plus lucrative est affectée par un certain relâchement. A l’aube de la renaissance romane, ce sont les Clunisiens qui vont redresser la maison. Saint Odon, abbé de Cluny de 927 à 942, nomme à la responsabilité de Saint Benoît sur Loire, Saint Abbon, originaire de Grande Bretagne. C’est un personnage cultivé et empreint de diplomatie qui va restaurer sans heurt la discipline dans le monastère des bords de Loire, tout en conservant d’excellentes relations avec ses frères d’Outre Manche. Il voyage également en Germanie où l’ordre Bénédictin qui a reçu des dotations considérables de Charlemagne est à même de soutenir la nouvelle dynastie Othonienne. Cette dernière intervient militairement en Italie et à Rome. La vie de Saint Abbon sera longue. Sur ses dernières années il intervient auprès du pouvoir ducal de Normandie où les fondations Bénédictines vont se multiplier. Il meurt en 1004 dans le monastère de La Réole poignardé par un moine insoumis .
Son successeur, l’abbé Gozlin, est, lui aussi un personnage illustre et demi frère du roi de France. Il entreprend, dès 1010, à l’ouest de la grande abbatiale carolingienne la construction d’un énorme clocher qui doit être sans pareil dans le royaume de France; il fait aussi construire une crypte sous l’abside carolingienne afin d’y abriter la châsse de Saint Benoît. Sur la période 1000/1020, bon nombre de nouvelles abbayes de Normandie entreprennent la construction d’une grande abbatiale et c’est le plan bénédictin des bords de Loire qui sera choisi comme modèle avec, à l’est, un chevet profond long de deux travées clôturées par une abside et deux absidioles. Cette disposition est favorable à la liturgie cependant trop d’ouvrages légers ont été détruits par le feu, il importe donc de construire robuste et voûté comme l’ont fait les Clunisiens dans leur abbatiale Cluny II où le plan au sol respecte les proportions orientales de Saint Benoît sur Loire.
Le chevet du Mont Saint Michel est entrepris en 1017 et les parties orientales de Bernay vers 1010 mais, dans cet ouvrage, il ne subsiste que l’abside, les absidioles et les chapelles rayonnantes. C’est Guillaume de Volpiano, venu lui aussi de Cluny après un passage par Saint Benoît, qui reprendra le chantier de Bernay en 1020, mais par la nef, et c’est vers 1040 que les deux travées droites du chevet seront reprises en puissance.
Ce plan bénédictin va se diffuser dans toute la Normandie et franchira la Manche avec Guillaume le Conquérant. La création romane déborde d’innovation. En 1021, l’évêque Fulbert fera construire à Chartres la plus grande cathédrale de son temps dont le chevet comporte un déambulatoire et trois chapelles rayonnantes. Enfin, le modèle des œuvres bénédictines, l’abbaye de Saint Benoît sur Loire disparaît dans les flammes en 1026; les promoteurs du chevet voûté avaient raison de faire ce choix.
Douze petits monastères
En Europe septentrionale, les Irlandais dans leur monastère tentent inconsciemment de reconstituer le cadre du hameau idéal et chrétien avec des habitations (cella) disposées autour d’une cour commune où se trouvent également l’église et les cuisines. Parfois de petits troupeaux de chèvres ou de moutons sont parqués dans des enclos de pierres sèches limitrophes. En Italie, Saint Benoît qui connaît bien les dérives auxquelles sont exposés les moines mendiants aimerait faire vivre les siens dans douze petits monastères constitués de bâtiments rectangulaires abritant douze moines en cellule avec un supérieur. L’ensemble comportera une cuisine et un réfectoire; l’église sera commune aux 144 moines. Mais, l’une ou l’autre de ces formules a souvent recours à la charité populaire et c’est un grand risque. Grégoire le Grand veut que les abbayes soient organisées comme de grands domaines agricoles avec des bâtiments spécifiques disposés autour d’une cour carrée et cette formule sera le cadre de la réussite sous la bannière bénédictine. Nous avons donc pour cette dernière deux formules : les Bénédictins orthodoxes avec leurs petits monastères et l’option rationnelle conçue comme un grand domaine rural. Voyons le cadre orthodoxe. Initialement les moines construiront des cellules (A) avec galerie de desserte (1) et couchage sur lit de corde (2) Elles sont réalisées tout bois (3) ou partiellement en pierres (4). Vue de face (5,6). Ensuite le même ouvrage s’intégrera dans un petit monastère avec cheminée (7), foyer pour la cuisine (8). L’ensemble sera totalement ou partiellement couvert (9,10) avec réfectoire (11).
Monte Cassino
A l’époque où Saint Benoît et ses compagnons arrivent au Mont Cassin, le sommet avait déjà été aménagé par les Romains pour édifier un temple (A) entouré d’une galerie à péristyle (B). L’ensemble est ruiné mais la galerie périphérique qui sert d’abri aux bergers subsiste en partie et les matériaux de qualité sont nombreux. Les moines vont transformer la galerie périphérique en cellules et la campagne suivante verra l’édification d’une église ( C) hors le volume du temple dont la base est très importante. Viendra ensuite l’aménagement de l’atrium (D), puis la base du temple sera démolie ce qui permettra la réalisation du cloître ( E). Enfin, les constructions annexes seront réalisés par le Pape Victor III au XI° siècle (F,G,H). Aujourd’hui, le monastère a été reconstruit dans son état des XVI° et XVII°S.
Saint-Benoit-sur-Loire – L'abbatiale : vue d'ensemble
Saint-Benoit-sur-Loire – L'abbatiale : le chevet, élévation sud (caractères archaïques de la partie droite)
Saint-Benoit-sur-Loire – L'abbatiale : chevet et chapelles rayonnantes
Saint-Benoit-sur-Loire – L'abbatiale : croisillon sud et tour de croisée
Saint-Benoit-sur-Loire – L'abbatiale : le chevet en interne
Saint-Benoit-sur-Loire – L'abbatiale : les grandes voûtes du chevet
Saint-Benoit-sur-Loire – L'abbatiale : le chevet, bas côté nord
Saint-Benoit-sur-Loire – L'abbatiale : les voûtes du narthex de Gozlin (vers 1015)
Saint-Benoit-sur-Loire – L'abbatiale : les chapiteaux du narthex