LES CARACTERES EUROPEENS
Les affrontements et les guerres ne sont ni le fruit du hasard ni le fait de la méchanceté des hommes mais la conséquence d'un déséquilibre engendré par des négligences répétées. La rigueur est toujours payante. "Si vis pacem para bellum" appliqué dans une économie florissante constitue une politique qui a fait ses preuves tout au long de l'histoire. Cela est un état d'esprit, non une question de moyens puisque les moyens sont le fruit de la volonté. Ainsi, chaque peuple a l'histoire qu'il mérite.
Cependant, pour engendrer les déséquilibres qui précèdent les affrontements, quels sont les comportements coutumiers, les modes d'organisation traditionnels ?. Enfin, comment se dessinent les limites entre les peuples, où se situe la ligne qui détermine le "chez-eux" du "chez-nous" et quels sont les critères de jugement qui fait dire que l'autre est d'ailleurs. C'est un vaste sujet, celui des caractères Européens.
Les analystes se font une image des sociétés qu'ils étudient selon les critères du temps et, aujourd'hui, nous vivons et nous jugeons dans le cadre d'un état fort, géré par des structures centralisées. Ainsi nous avons tendance à expliquer la ruine des empires par l'incapacité des systèmes, cependant, le Moyen Age Français, la Renaissance Italienne et la brillante période Hanséatique, sont là pour nous prouver qu'une économie peut être très prospère sans le secours d'une emprise étatique. L'Europe occidentale ne vient-elle pas, sur les trente dernières années, de connaître le sommet de sa prospérité sous de nombreuses bannières, sans monnaie commune, sans administration commune. Il faut également faire abstraction du point de vue coutumier, né de notre éducation. Depuis deux siècles, nous avons traité l'histoire d'Occident dans le cadre des nationalités; c'est un carcan bien pratique pour apprendre mais défavorable pour comprendre.
LE CADRE DES NATIONALITES
Après la tourmente révolutionnaire, le Congrès de Vienne tente de restaurer un ordre monarchique en Europe, mais le cadre semble dépassé par l'Histoire. Alors, pour venger Waterloo, Napoléon III lance le concept des nationalités qui doit bousculer de l'intérieur les monarchies subsistantes. Mais l'idée est quelque peu démagogique. Ou commence, ou finit le cadre d'une nation ? Bien difficile à dire. Ensuite vient le temps où il faut faire comprendre au citoyen d'Alsace que son cousin établi sur l'autre rive du Rhin est un ennemi héréditaire tandis que le Corse et le Basque sont ses frères de race.
Pour cela il fallait faire oeuvre de propagande et l'histoire sera naturellement asservie à cet usage. Chacun rédige ses textes selon le découpage du siècle. Charlemagne devient un empereur français de ce côté-ci du Rhin et un empereur germanique pour les petits écoliers allemands. Personne n'ose suggérer qu'il était Belge. L'histoire de France doit se confondre avec celle de la monarchie capétienne, avec celle du peuple franc, ces conquérants qui n'ont jamais représenté plus de 20% de la population de l'hexagone et dont tous nous portons le nom. Il en est de même de l'autre côté du Rhin. L'Allemagne qui fut longtemps un pays divisé va s'enflammer pour l'idée Pangermanique et le concept des nationalités imaginé par la France pour se dégager du poids du Congrès de Vienne se retournera contre elle : après Sadova, ce sera Sedan.
Vers la fin du XIX° siècle, la puissance Germanique commence à effrayer l'Europe et nous allons trouver dans l'analyse historique une dérisoire revanche. Ces Germains, ces barbares, qui n'ont pas eu le bon sens de se faire battre par les Romains ont ainsi perdu mille ans de leur histoire. Ceci va engendrer chez nous une notion particulière de l'Europe: d'une part le monde occidental latin, berceau de la civilisation, et de l'autre, les barbares.
Cependant, cette vision idéologique et culturelle semble bien anachronique en ce début du XX° siècle; c'est le temps du chemin de fer et les voyageurs et industriels imaginent, eux, une Europe à l'échelle de leurs ambitions, de l'Atlantique à la Volga. Toutefois certains voient les choses d'une autre manière. Pour eux, l'Europe du XIX° siècle est celle de la démarche scientifique et de la technologie industrielle dans ses applications et ce progrès s'est mis en place dans un rayon de 600 à 800 km centré sur Strasbourg pour faire plaisir à la Lombardie ou bien sur Bruxelles pour ne pas vexer les Anglais. Strasbourg et Bruxelles seront ensuite les deux villes choisies comme capitales économiques de l'Europe au temps de la communauté charbon-acier. Et c'est bien dans cette petite Europe industrielle et technologique, que vont naître les moyens et les motivations du monde moderne.
LES FRONTIERES NATURELLES
Les nationalités sont engendrées par des systèmes politiques qui naissent et se justifient en périodes de fracture, mais les divergences qui s'expriment ainsi ont des origines plus profondes, d'ordre économique. Cependant, l'économie n'est que le fruit de la gestion, et richesse et pauvreté sont dépendantes des caractères de société. Essayons de placer tout cela dans un ordre de cause à effet.
Ceux qui ont longtemps refusé les disciplines et accumulé les négligences doivent un jour en payer le prix et, lorsque l'échéance apparaît, ils s'abandonnent à des réactions inconsidérées et s'enlisent dans le désordre. C'est alors que naissent les emprises politiques fortes. L'ordre imposé, parfois sans grand ménagement, est d'abord le bienvenu, mais une fois la situation rétablie, le poids du système est jugé exagéré pour le service rendu. On assiste alors à la renaissance des caractères locaux puis aux velléités d'indépendance.
Les frontières ne constituent pas une limite de peuple ni un cadre optimum, elles ne sont que l'emprise d'un système né d'une conjoncture. Cependant, le royaume ou l'état, ont imposé avec la langue enseignée et l'infrastructure développée, quelques facteurs de cohésion à l'ensemble ainsi formé. Toutefois, les zones limitrophes seront toujours d'obédience incertaine. Alors, le pouvoir politique choisit pour limite de souveraineté un grand fleuve facile à garder, c'est la frontière dite naturelle. Mais la population qui vit sur ce fleuve et gère l'agriculture de ses rives comprend mal. Pour elle, le cours d'eau n'est pas une barrière mais une voie de communication et la frontière ainsi créée coupe systématiquement un peuple en deux.
En 1870, l'Alsace est une province rhénane de dialecte germanique; elle paraît donc allemande sur l'échiquier politique mais la botte prussienne lui semble bien pesante. Ces nouveaux maîtres qui viennent des rives lointaines de la Baltique n'ont guère de point commun avec eux. Les Alsaciens rêvent alors d'un rattachement à la France; ce sera chose faite en 1919, Strasbourg pavoise en tricolore. Mais la langue est un obstacle de taille et les autres provinces rhénanes, voisines de cœur et partenaires dans les échanges, sont restées allemandes. En 1940, la population qui s'est trouvée contre son gré entraînée dans la guerre hitlérienne est heureuse de rejoindre le clan des vainqueurs. Mais aujourd'hui, les relations économiques privilégiées qu'ils ont avec le domaine rhénan (allemand) les font douter.
LES DOMAINES ECONOMIQUES
Les chroniqueurs qui fournissent la plus grande part des informations développées dans notre histoire selon les textes, sont généralement plus préoccupés des intrigues de cour et des actions politiques et militaires que des facteurs économiques. Ainsi, sur la période historique nul ne traite véritablement du monde rural, de sa vie, de son organisation. Pourtant, là, résident les moyens de toute activité. Pour mieux comprendre, il nous faut donc analyser les phénomènes moteurs plutôt que les comptes-rendus évènementiels.
Le fleuve parcourt, de sa source à l'estuaire, divers paysages conditionnés par la géologie. D'abord les zones de montagne et les terres de moyennes collines, domaine de l'élevage et des troupeaux de bovidés. Ici, viande et laitage abondent mais les céréales font parfois défaut. Ensuite, viennent les plateaux calcaires, terres céréalières par excellence où les agriculteurs se spécialisent parfois et négligent les bovidés au point d'en manquer. Enfin, les basses terres du littoral aux caractères particuliers. Ici les exploitants vont se livrer aux petites cultures vertes et à l'élevage des moutons dont la laine à longtemps tenu une grande place dans l'économie. Ces trois domaines sont donc différents mais complémentaires et le fleuve constitue la voie d'échange nécessaire à l'équilibre économique.
En un temps où les systèmes politiques étaient pratiquement inexistants, le cours de la Meuse et du Rhin connurent des périodes brillantes que les historiens ont désignées sous les vocables de civilisation rhénane et mossane, pour les distinguer des phénomènes politiques que sont l'Empire Carolingien et le Saint Empire Romain Germanique. Le bassin de la Garonne a, lui aussi, connu au Moyen-Age un développement homogène qui se distingue des clivages politiques traités par l'histoire. Enfin, la vallée du Pô, (la Gaule Cisalpine) constitue également une excellente illustration d'unité socio-économique. La région est formée de grandes plaines alluviales très fertiles, isolées dans un environnement montagneux et desservies par le cours d'un grand fleuve débouchant sur une mer fermée, l'Adriatique. Ces conditions lui ont permis de développer une économie autonome et de manifester des caractères propres.
Mais tous les fleuves ne sont pas facteur d'unité. La Loire qui s'écoule dans un environnement géographique trop divers, et débouche sur le "vide" atlantique n'est pas favorable aux phénomènes économiques, mais les peuples qui habitent ses rives manifesteront, en certaines périodes historiques, une réelle unité culturelle.
Ces "cohésions" qui prennent corps dans le bassin des grands fleuves, au temps où les emprises politiques se sont relâchées, sont de nature économique et ne peuvent être considérées comme la marque d'un peuple. Si peuple il y a il faut le chercher sous un éclairage différent et voir l'Europe selon ses caractères.
L'EUROPE DES CARACTERES
Si l'historien qui justifie son ouvrage en se faisant l'écho des phénomènes politiques et militaires traite le sujet en se plaçant au sommet de la pyramide, l'analyste, lui, tente de pénétrer toujours plus profondément dans les relations de cause à effet, et son ambition est de saisir les toutes premières manifestations du phénomène. Selon cette démarche, nous pouvons admettre la classification déjà proposée avec, à la base, une économie rurale selon les aptitudes du sol, puis une emprise économique selon les intérêts en place et enfin une coiffe politico militaire selon les humeurs et les ambitions de ceux que l'on nomme les grands. C'est donc bien l'articulation rurale qui portera ou supportera tous les phénomènes de société, même et surtout si les maîtres installés au sommet de la pyramide négligent cette règle.
Si race il y a s'agit-il de caractères génétiques stables ou se stabilisant par option majoritaire comme le pensait Mendel, ce qui ne contrarie pas les travaux du professeur Dausset puisqu'ils témoignent du catalogue génétique où se fera l'option des caractères dominants. Nous avons là un vaste et bien délicat sujet que nous n'approfondirons pas. Cependant, le témoignage de l'archéologie n'est pas sans intérêt. Longtemps l'histoire sera exclusivement tirée des textes et le décor est absent de l'analyse. Fouilles et observations vont nous offrir un cadre précis et les phénomènes historiques retrouvent leur juste importance mais les conditions socio-économiques qui ont fourni matière aux affrontements sont toujours négligées. A la fin du XIX° siècle, les travaux de Metzen fixent une opposition dans les implantations rurales septentrionales et c'est le témoignage de caractères. Ce mode d'analyse confronté à la trame politique nous donne de l'Occident une image de base qui explique bien des choses.
Le chaînon Centre Europe où le relief domine fut de tout temps propice au pastoral et ses exploitants ont dominé la période préhistorique en imposant les bovidés, d'abord en stabulation libre puis en enclos dès que l'agriculture l'imposera. En Europe, c'est l'unité (ethnique) la plus importante. Ses caractères sont stables à travers les siècles et nous les dirons celtiques pour simplifier. Au Nord, les plateaux calcaires vont favoriser la spécification céréalière. C'est apparemment le domaine d'un peuple différent que nous dirons Franc pour éviter une fastidieuse énumération. Plus au Nord, les Scandinaves se distinguent en deux branches, les Vikings côté mer du Nord et les Goths dans la Baltique. Cette unité Balte inclut une importante frange continentale du rivage Sud. Côté Méditerranée, le problème est plus complexe. La péninsule italienne, le Sud de la France et l'Espagne méditerranéenne, sont peuplés de gens aux mêmes affinités mais les pénétrations septentrionales y furent nombreuses. L'Ouest de la péninsule Ibérique sera très tôt peuplé de Celtes, d'où la définition latine de Celtes Ibères. Le phénomène des pré-Celtiques est particulier. En un temps pas si lointain, nos manuels de géographie distinguaient quatre races: les Blancs, les Noirs, les Jaunes et les Rouges. Certains chercheurs ont naturellement vu parmi les Blancs des subdivisions allant du blond Scandinave au brun méditerranéen et la morphologie de certains montagnards du chaînon Centre-Europe a frappé les analystes. Il fut admis que c'étaient là des autochtones refoulés dans les montagnes par la nouvelle civilisation expansive menant ses troupeaux de bovidés, ces refoulés étant, eux, adeptes de la chèvre et du mouton. L'explication était séduisante mais elle fut bientôt jugée "politiquement incorrecte" et tomba dans l'oubli.
Pour comprendre, il faut se pencher sur les us et coutumes du monde rural, son organisation socio-économique, voir de quelle manière l'agriculteur implante sa demeure, organise son exploitation et gère ses rapports avec l'artisanat et le commerce d'environnement. Il faut également analyser la situation et la forme des hameaux, des villages et des bourgs ainsi que les échanges économiques qui vont naître au sein de ce système. Dans un ouvrage publié à Berlin, en 1895, l'historien allemand, Meitzen, fut le premier à considérer le mode d'implantation rural et ses implications sur l'organisation économique et politique de la société, mais les travaux de ce précurseur n'eurent que peu d'écho. Les dogmes universitaires de l'époque ne s'y prêtaient pas, d'autant que pour répondre à leur état d'esprit, Meitzen tenta d'intégrer ses analyses dans la doctrine des grandes invasions. Il vit en cela un phénomène celtique, ce qui devait limiter l'impact de ses travaux. Le sujet sera repris, vers 1930, par Henri Hubert dans son ouvrage sur les Celtes.
Cette démarche pleine d'intérêt, n'eut pas d'écho dans un monde où l'histoire selon les textes pèse trop lourd. Par contre, elle est sous-jacente dans une approche qui fait aujourd'hui des adeptes: L'archéologie du Paysage. C'est un sujet que R. Chevallier a souvent traité.
Vue de cette manière, la physionomie de l'Europe occidentale doit se juger selon des bandes est ou ouest correspondant à la nature des sols. Chaque société ou peuple étant défini par son comportement social dominant, par le mode d'articulation rural recherché et la sélection des terres à laquelle il s'astreint.
LES TROIS ZONES DE L'EUROPE SEPTENTRIONALE
Sur un long chaînon Centre Europe qui va des monts Tatra à la province de Galice, l'exploitation sera à prédominance pastorale et le paysage de moyennes collines s'y prête fort bien. Mais l'installation de chacun se fera au centre des terres qu'il exploite, ce qui donne un habitat disséminé. Dans ces conditions, l'artisanat ne trouve pas de concentration suffisante pour former sa clientèle. Il va se replier sur un site qui lui est propre : le bourg. Les métropoles seront rares, généralement justifiées par des lieux d'emprise politique et des sites stratégiques. Ce sont les régions dites Celtiques mais il faut se garder de ce vocable comme de tout autre, l'analyse doit précéder le choix de la définition et non se faire encadrer par lui.
Plus au Nord, à mi-cours des grands fleuves qui se dirigent vers la mer du Nord et la Baltique, nous trouvons une série de plateaux calcaires favorables à la culture céréalière. Ceux qui vont exploiter ces terres ont une naturelle tendance à se rassembler en gros villages avec chemins rayonnants pour l'accès aux champs. Cette agglomération de 5 à 800 personnes peut donc fixer un artisanat intégré, ce qui supprime l'échelon du bourg. Cependant le grand commerce traitant des produits spécifiques, ou d'origine lointaine, va justifier de nombreuses métropoles régionales qui deviendront ensuite siège de structures politiques. Ce sont les terres où l'on trouve traditionnellement la population dite Franque. Ce sont également les caractères des terres qu'ils choisiront lors de leur expansion historique que nous traiterons ultérieurement. Mais ce système d'agriculture étant plus évolué, il peut naturellement servir de modèle à des populations dont le caractère est différent.
Au-delà des plateaux calcaires, vers le nord, s'étend le plat pays. Les parties ouest correspondent au littoral de la mer du Nord, tandis que les parties est s'articulent autour de la mer Baltique. Ce domaine comprend, sur le littoral sud notamment, des plaines très fertiles, mais leur mise en culture diffère de la manière franque. Ici, point de gros villages favorisant l'implantation d'un artisanat. Les fermes sont centrées sur leur terroir mais l'exploitation est rationnelle et les propriétés peuvent atteindre le niveau optimum de 20 à 30 hectares, soit le seuil de la troisième génération (implantation franque). Le petit commerce et l'artisanat doivent alors s'installer dans le bourg.
Les terres fertiles sont souvent imbriquées dans des chaînes de montagnes, comme en Scandinavie, ou bien parsemées de zones sablonneuses comme sur le littoral sud de la Baltique et l'espace concédé à la forêt reste très important. Ici, les voies d'eau ont acquis une importance considérable. Les échanges et les liaisons se font avec de grandes barques de rivière à fond plat que l'archéologie découvre actuellement, tandis que les liaisons maritimes se font à l'aide de grands navires souples et légers faciles à tirer à grève après chaque abordage et dont le drakkar sera l'exemple achevé. Ce sont ces liaisons fluviales qui assurent les concentrations économiques et donnent vie aux cités installées sur les grands fleuves. Afin de pouvoir construire des quais où le niveau d'eau sera constant, le choix se porte sur le point d'équilibre entre courants et marées. Ces cités peuvent devenir d'une extrême opulence et, au Moyen-Age, elles se rassembleront sous la règle Hanséatique.
Voyons enfin l'Europe sèche qui s'étend sur le pourtour du bassin occidental de la Méditerranée. Ici la grande agriculture restera exceptionnelle et la population gère ses troupeaux de chèvres et de moutons à flanc de colline. L'agriculture se pratique dans les rares zones de dépôts sédimentaires et les surfaces sont méticuleusement travaillées, le plus souvent à la main. L'âne est un auxiliaire précieux généralement utilisé en bête de bât pour déplacer les charges. Le village, lui, s'accroche sur une colline dominant une résurgence méthodiquement exploitée.
Ici, la nature du paysage rend difficiles les déplacements de marchandises. Les échanges qui suivent les vallées vont aboutir au littoral et favoriser la formation de grandes cités portuaires et ces métropoles deviendront par la suite plus ouvertes aux échanges maritimes que préoccupées de leur arrière pays. L'unité régionale s'impose difficilement. Par contre, les lieux où convergent les cheminements naturels de l'arrière pays passent souvent sous le contrôle d'une cité bien campée en un lieu stratégique. Ainsi, l'économie prend le pas sur le politique et les états ont du mal à s'imposer et plus encore à se maintenir.
L'emprise de Rome va, pour un temps, modifier ces conditions. Les routes d'Empire aideront momentanément à désenclaver ces cités mercantiles. L'impact du système ainsi mis en place va se prolonger sur cinq à huit siècles mais, dès le Moyen-Age, l'esprit des "principautés" s'imposera de nouveau. Toute l'Histoire de l'Italie sera conditionnée par ce découpage politique.
LA SOCIETE CENTRE EUROPE
En Europe Septentrionale, les peuples dits Celtiques sont les plus nombreux, mais des tendances naturelles ou coutumières, vont gêner leur expression politique et faire d'eux des victimes. Sur la période historique, ils seront bousculés par la pénétration franque qui suit la défaite de Syagrius, ensuite, leurs terres seront ravagées par les invasions Vikings puis soumises à une nouvelle pénétration franque, à l'époque carolingienne d'abord, capétienne ensuite. Dès 1300, ils ont perdu toute chance de figurer dans l'histoire politique du monde occidental. Souvent, leur domaine servira de champ de batailles pour régler les différends des autres, comme lors de la Guerre de Cent Ans de ce côté-ci du Rhin, ou bien de la Guerre de Trente Ans en pays germanique. A cette époque, les forces du Nord pour une fois rassemblées sous la bannière protestante, vont ravager, une génération durant, les terres celtiques situées du royaume de Crakovie à la plaine d'Alsace. La dernière confrontation Nord-Sud, sur la rive orientale du Rhin, se fera au siècle dernier, à Sadova.
Pourtant, le potentiel de ce peuple dit Celtique est considérable et s'il ne fut jamais capable de se distinguer, encore moins de s'imposer, cela peut être attribué à son organisation sociale elle-même conditionnée par son implantation rurale.
A ce sujet, posons nous une question: Est-ce que les impératifs du terroir forgent le caractère ou bien ce caractère choisit-il un terroir et un mode de vie selon ses guises ? Difficile question. L'état de force ou de faiblesse, de richesse ou de pauvreté est-il lié au territoire, ou bien au caractère de l'individu ? La sagesse populaire ne dit-elle pas: "Rien ne sert de se lamenter, aide-toi, le ciel t'aidera".
Fortement disséminés sur leurs terres, gérant un modeste patrimoine en perpétuel éclatement et privilégiant la polyculture à l'encontre d'une gestion rationnelle du sol, les Celtiques manquent de moyens d'une manière chronique. Incapables de se procurer les trois à quatre kilos de fer pour équiper un combattant à pied et les six kilos nécessaires au cavalier et à sa monture, ils sont peu aptes au combat. En outre, privés de structures politiques, ils ne pourront pratiquement jamais former de troupes capables de mener une défense active en rase campagne. Toujours surpris par l'envahisseur ils s'engagent en ordre dispersé et perdent ainsi la maîtrise du terrain. Après s'être battus non sans courage, il leur faudra se réfugier dans un réduit défensif capable d'assurer leur sauvegarde. Mais ce faisant, ils s'interdisent toute maîtrise de la situation. C'est donc l'articulation socio-économique qui conduit à cette faiblesse, et le caractère est bien à la base de toute condition humaine.
Chez ces gens, l'unité politique nécessaire au développement semble avoir les pires difficultés à se mettre en place. La première structure établie sera le bourg mais les artisans et commerçants qui l'ont fondé sont naturellement plus soucieux de leur intérêt économique que des grands desseins politiques. En période de troubles ils vont ceinturer leur cité de murailles afin de défendre leur potentiel puis négocier ensuite leur éventuelle participation à quelque montage politique. Bien entendu, ils changeront de camp si l'intérêt du moment le commande. Ce comportement des bourgs fut de règle tout au long du Bas Moyen-Age.
Les rares métropoles qui s'installent sur ces terres Celtiques sont naturellement dépendantes des bourgades et leur comportement politique en sera marqué. Si la cité apparaît comme un pion de quelque importance sur l'échiquier, la gestion de ses affaires restera inféodée au système bourgeois sans grand pouvoir, mais ceci est un juste retour des choses.
Cette cité qui n'a rien offert à son environnement rural ne peut compter sur un engagement provincial en cas de conflit. Ce phénomène est particulièrement évident en Occident de l'an 1000 à 1600. Les villes du chaînon Centre Europe font piètre figure en politique et leur action basée sur un fragile et permanent compromis apparaît sans grand caractère. Les puissants de la cité doivent d'abord dégager une ligne d'action dans un faisceau d'intérêts contradictoires avant de traiter avec les bourgades voisines. Celles-ci sont jalouses de leurs prérogatives mais démunies de moyens puisque régnant sur leur environnement rural avec avidité et désinvolture. Ainsi ces clivages à de multiples niveaux interdisent toute politique provinciale homogène, toute organisation défensive en rase campagne. Les hameaux ne comptent que sur leur lieu de refuge, les bourgs renforcent leurs murailles et organisent leur milice quant à la métropole, à l'ombre de sa citadelle, elle engage des troupes de mercenaires qui viennent appuyer la milice bourgeoise. Mais parfois la méfiance est grande entre ces diverses composantes armées.
Tout cela représente beaucoup de force potentielle mais bien peu de capacité d'action face aux dangers venus de l'extérieur. Et ces provinces, incapables de mettre sur pied une force commune et une défense dynamique, seront souvent la proie des conquérants venus du Nord.
LA SOCIETE FRANQUE
Le bon système doit naître à la base, au sein de la cellule familiale qui va se plier aux règles collectives et découvrir le civisme au niveau local. A son tour, cette petite collectivité peut promouvoir et contrôler un système provincial et ainsi de suite jusqu'à un niveau optimum, mais quelle est l'enveloppe politique idéale ? L'histoire semble nous montrer qu'elle n'est pas définissable dans son volume mais varie selon le contexte économique.
La société Franque est naturellement portée au remembrement des terres, à la sauvegarde du patrimoine garantie par le droit de l'aîné qui devient maître de ferme à la disparition de son père. Position à ne pas confondre avec la situation du patriarche à qui l'on a recours pour gérer les problèmes nés des individualités. Cet ordre familial, propre aux Francs, permet de rassembler 20 à 30 hectares par famille, puis d'installer la ferme dans un village situé au centre du terroir afin d'assurer une meilleure répartition des terres pour chacun. Le rayon du terroir sera donné par le trajet optimum que peuvent parcourir les équipages, soit 1200 à 1500 m.
A ce village, il faut une infrastructure, un réseau de voies menant vers les champs, une collecte des eaux qui alimentent les mares pour le bétail. La gestion de ces aménagements réclame une organisation qui sera naturellement confiée à un collège constitué de maîtres de ferme. Ces dix notables vont élire non un maître mais un chargé de fonction, un responsable, ce sera la première cellule démocratique. Ainsi le système peut se défendre de toute emprise seigneuriale ou héréditaire.
Chaque maître de ferme est un Cavalier. Avec ses frères et ses fils, également Cavaliers, et quelques hommes d'armes à pied, il va former une troupe: c'est la Lance. Le village de 600 à 800 habitants peut donc engager une troupe de 20 à 30 Cavaliers et de 50 à 80 combattants à pied, pour assurer si nécessaire, une défense dynamique. Dans cette action, les Lances rassemblés sous la conduite d'un chef hissé sur le pavois, se porteront à la rencontre de l'envahisseur et l'engageront en rase campagne avant qu'il ne saccage récoltes et villages.
Mais cette capacité défensive n'est pas le seul intérêt. Chaque village ainsi formé peut fixer un artisanat correspondant à ses besoins et l'échelon bourgade disparaît. La société rurale peut alors promouvoir un centre d'échange économique à sa convenance. Certes ce lieu devient une métropole politique mais c'est un titre qui lui est concédé. La province a les capacités de lui contester ses prérogatives si, d'aventure, un système plus oppressant qu'utile venait à s'y installer.
A l'époque de César, déjà, la métropole des Bellovaques qui n'était sans doute qu'une grosse bourgade sans monument fastueux pouvait mobiliser 100.000 guerriers, les articuler dans un ordre tactique et les engager selon sa volonté stratégique. Cette force était donc profondément différente des 2 à 300.000 guerriers rassemblés en terre celtique par Vercingétorix et menés avec enthousiasme mais grand désordre, vers Alésia.
La société franque est naturellement expansive, donc conquérante. Puisque le patrimoine revient à l'aîné, les cadets sans avoir doivent se soumettre, selon la coutume, ou chercher une héritière. Mais si la poussée démographique est grande, il leur faut, dès l'âge adulte, aller sous d'autres cieux, à la recherche d'autres terres, et ces hommes partiront à cheval, l'épée au côté. Si des lieux favorables ont été reconnus l'émigration se fera de manière plus organisée, en troupe, avec femmes et enfants, quelques chevaux, un chariot, une charrue et du grain pour les futures semailles. Ce sont ces grandes migrations, bien menées, qui donneront les implantations les plus stables.
Cependant, pas question d'aborder les terres déjà acquises par les prédécesseurs. Les Francs sont de rudes combattants, tous armés et prompts à l'engagement. Ainsi ces grandes marches collectives seront dirigées vers les régions de moindre résistance.
L'expansion historique des Francs se fera vers l'ouest, vers l'Anjou, le Poitou et la Saintonge qui sont parmi les plus favorables dans le domaine traditionnellement celtique. Ils se dirigeront également vers l'Est par la route des Franconiens, par Prague, l'ancienne Fraga, (la Franque), par Crakovie et par Lemberg vers les vastes plaines d'Ukraine. Le domaine Centre Europe offre également des plaines fertiles, favorables à l'agriculture Franque, qui seront l'objet de convoitises et de conquêtes, tel le Berri.
LA MARCHE VERS L'OUEST
Cette installation des Francs sur de nouvelles terres bouscule souvent les us et coutumes des autochtones mais n'est pas fondamentalement violente, d'autre part, à l'ouest, elle ne concerne pas les vieilles cités gallo-romaines où réside un semblant de pouvoir et où se trouvent les chroniqueurs qui font l'évènement.
Les choses vont changer à la fin du V° siècle. Clovis, un jeune cavalier Franc vit ses jeunes années dans la ville de Tournai et prend conscience des capacités d'un système à la romaine. En effet, dans leurs conquêtes, les Francs ont acquis des propriétés, contrôlé des territoires, géré leurs différends avec des lois ancestrales mais n'ont pu mettre sur pied une organisation centralisée avec institution. Ce sera l'objet de sa vie. Face à lui, dans le nord de la Gaule, un personnage de culture latine, Syagrius, maintient un semblant d'organisation politique avec l'aide des cités épiscopales.
Clovis, qui ne s'embarrasse pas de préjugés prend le pouvoir sur la vallée de l'Escaut en se débarrassant par l'intrigue et par le fer de nombreux prétendants, y compris au sein de sa propre famille. Une fois le pouvoir acquis, il rassemble une troupe et part en campagne contre Syagrius. Le heurt se produit sous les murs de Soissons et les cavaliers Francs sont vainqueurs. Là, apparaît le véritable caractère du jeune roi de Tournai. Plutôt que de partager les terres et les objets conquis, il fait de sa troupe un instrument de pouvoir, convertit les hommes au catholicisme et les mandate en son nom. Désormais, les Francs n'agissent plus en pillards mais expriment un pouvoir avec, de surcroît, des références chrétiennes.
Ce royaume Mérovingien est né de la complicité de deux hommes: le jeune conquérant et l'évêque de Reims, Saint Rémi. Ce dernier propose "au fier Cicambre" de se convertir avec sa troupe pour avoir accès au cercle fermé des grandes cités gallo-romaines. Le pouvoir des Cavaliers a désormais le soutien des villes du Nord de la Gaule, de Tournai à Sens et de Reims à Beauvais. De leur côté, les petits agriculteurs Francs peuvent désormais commercer avec les cités ou s'y installer à condition de se plier aux rites et coutumes religieuses. Parallèlement les évêques ont acquis un droit de regard sur ces batailleurs régnant dans les campagnes. Cependant, bourgeois des villes et cavaliers Francs, ne sont pas mûrs pour la discipline politique. Ce premier royaume ne survivra pas à son créateur.
Deux siècles et demi plus tard, lorsque les Arabes franchissent les Pyrénées, bousculent les derniers rois Wisigoths, et se présentent sur les terres des Francs en Poitou, une grande chevauchée menée par Charles Martel les en chasse promptement. L'homme de la victoire fait partie d'une famille originaire du Hainaut (Landen), et en trois générations, ses descendants créent un grand royaume, fondent une dynastie qui prendra le nom de l'une de leurs propriétés située sur la Meuse, Héristal. Ce domaine devint l'Empire d'Occident, dès que l'église de Rome eut compris qu'il serait vain, pour l'épiscopat des cités, de s'opposer à ce nouveau pouvoir des Cavaliers.
A cette époque, cela fait déjà cinq siècles que les Francs ont entamé leur longue pénétration en Occident, d'abord en éclaireurs, puis en émigrés, et enfin en conquérants. Le résultat de leurs implantations est très variable.
Les Celtiques n'ont guère les moyens de s'opposer aux hommes du Nord, si ce n'est dans quelques combats sporadiques. Ils vont donc subir les nouveaux venus et parfois profiter de leur isolement relatif pour les absorber par le jeu des mariages. Ainsi, dès la quatrième ou sixième génération, ces familles dont l'ancêtre était du Nord ont perdu leur caractère originel. Il ne subsiste que l'orgueil des Maîtres et les relations avec l'environnement s'en trouvent profondément affectées. Aux querelles de succession qui opposent chacun avec ses voisins, s'ajoutent les haines et les ressentiments nés chez leurs propres gens; il faut alors se méfier de tous et de toute part, fortifier la demeure, et même construire une tour, un donjon pour la sauvegarde des Maîtres au sein de leur propre domaine. Un bien méchant caractère fait d'avidité et d'oppression sous une étiquette de chevalerie.
Dans les provinces de l'Ouest, cette immigration se développe de meilleure manière et n'aura pas d'implication sur le contexte politique. Ces agriculteurs viennent pour occuper des terres favorables et les populations en place ne sont pas chassées mais simplement soumises, intégrées au nouveau mode d'exploitation. Ainsi passent-ils d'une indépendance vécue dans la pauvreté à l'aisance au sein d'un système mieux organisé, plus rigoureux et le phénomène semble avoir été bien vécu. Dès l'an 1000, de Poitiers à Saintes, les églises romanes qui s'élèvent dans des villages de 400 à 600 âmes déjà bien centrés sur le domaine d'exploitation, témoignent que l'articulation caractéristique des Francs s'est imposée. Ce terroir est parfois spécifiquement céréalier, ou bien de nature polyvalente si l'environnement l'impose. Cependant, dès que le terrain ne permet plus une exploitation céréalière suffisante, nous retrouvons la petite église du parti primitif rural signe d'un habitat disséminé selon les caractères celtiques.
Ces observations faites sur les provinces de l'Ouest amènent une hypothèse: les Francs ont peut être fait là un retour sur des terres précédemment occupées par eux à l'époque de la Tène, par exemple, ce qui expliquerait cette bonne intégration.
LA COUPURE DU RHIN
Le retour des Francs est une hypothèse logique et très satisfaisante. L'ordre romain, première structure étatique de vaste développement établie sur l'Europe, va fixer sa frontière sur le Rhin, gênant la circulation naturelle des peuples septentrionaux avant de la couper définitivement. Ainsi, le retour en masse des Francs, dès 260-400, ne serait que la reprise en mains d'un territoire naguère occupé par eux mais profondément bouleversé par trois siècles de gestion romaine. Les riches propriétaires des grandes villas couvrant plusieurs centaines d'hectares, avaient peu à peu exproprié et réduit à l'état de domestiques les agriculteurs précédemment maîtres de petites fermes, de 20 à 40 hectares. Toute l'articulation des villages et des terroirs était à refaire.
C'est un phénomène que l'archéologie semble confirmer mais faut-il encore établir l'hypothèse avant d'en chercher la confirmation dans les découvertes, et ne pas mettre ces dernières au service des textes exclusivement.
L'Empire Romain nous apparaît d'une grande unité, mais derrière cette image de convenance, la réalité est toute autre. Certains, plus avertis, préfèrent traiter d'une civilisation gréco-latine et sous entendent que l'empire était bilingue, mais seule une petite élite occidentale pratiquait couramment le grec, et le latin n'avait pénétré que les hautes couches du monde oriental. Ce système unifié provenait de l'union forcée de deux empires, celui d'Alexandre et celui de Rome et l'emprise de chacun d'eux sur les territoires acquis était très variable. Cependant, pour des raisons aux racines profondes, l'Occident n'oubliera jamais qu'il fut Romain, tandis que Byzance l'Orientale va très rapidement dénaturer la pensée hellénistique. Pour maintenir son contrôle sur des régions qui lui échappent, la capitale d'Orient doit s'abandonner à de profondes compromissions et cultive les antagonismes qui divisent son domaine. Dès le IIIème siècle, nous pouvons déceler les lignes de partage que les avantages socio-économiques introduits par l'Empire ont eu bien du mal à masquer. Au IVème siècle, elles deviendront ligne de fracture. Quinze siècles plus tard, l'Europe des Chemins de Fer crut, un instant, qu'elle pouvait "gommer" les différences mais en cette fin du XXème siècle bien des peuples tentent de retrouver leur caractère. Le matraquage politique appliqué à la cuvette Balkanique depuis 40 ans fut sans effet, les événements récents le démontrent.
En Occident, tout commence par l'implantation des agriculteurs latins en Italie Centrale et, peu à peu, Rome en fera l'unité à l'encontre des pouvoirs locaux installés de longue date (A). Parallèlement, les Grecs d'origine (B) avaient fondé leur colonie en Italie et en Sicile (C) tandis que leurs frères d'Asie Mineure (D) contrôlaient peu à peu le commerce portuaire des rivages de la Mer Noire (E). Les Sémites, eux, partis de leur base orientale (F) contrôlent les côtes d'Afrique (G,H,J) puis s'installent en Espagne du Sud. Avec Alexandre, les Macédoniens et de nombreux Grecs que rassemblent l'intérêt et la langue vont conquérir l'Orient, ce qui pousse les Sémites à se rassembler sous la bannière de Carthage (H). Cette puissance devient considérable et Rome mettra plus d'un siècle à s'assurer le contrôle du Bassin Oriental de la Méditerranée. Sa puissance lui permet de reprendre également une partie du trop vaste empire d'Alexandre. Les Maîtres du Capitole dominent désormais l'ensemble de la Méditerranée, mais les terres gauloises et germaniques demeurent une grave menace. Après la conquête de la Cisalpine (K) et de la Provence (L), Rome s'assure de la Gaule où César distingue la Lyonnaise (M), la Belgique (N) et les Celtes Ibères (P). Sur la péninsule Ibérique, Rome achève son oeuvre avec la conquête de la Lusitame (Q), mais les légions échouent face à la Germanie (R) et l'Empire doit se limiter aux Limes (S) Rhin-Danube, ce qui englobe la moitié de la péninsule Balkanique (T,U). Là de nombreux peuples qui partageaient les rives du fleuve se trouvent coupés en deux et c'est un phénomène qui va peser lourd sur l'avenir. L'empire apparaît unifié mais deux lignes de fracture masquées, oubliées, ne tarderont pas à se manifester de nouveau. La première sépare l'Europe de l'Asie (V) et la seconde (W) sépare plus généralement les Européens des Afro-Asiatiques.
Cette coupure du Rhin sera lourde de conséquences historiques. Malgré le substrat rural favorable, la nouvelle donne des terres ne se fera pas sans quelques heurts, puis la situation se stabilisera dès l'époque mérovingienne. Par contre, les provinces rhénanes vont s'articuler dès 960 dans le cadre du Saint-Empire Romain Germanique et les Francs de l'Ouest verront là une menace à leur égard. Ils formeront une organisation distincte et, en 987, réunis au château de Senlis, procédant à l'élection d'un chef, ce sera l'amorce de la monarchie Française. Cette scission fut tramée par l'évêque de Reims, plus soucieux de l'intérêt des vieilles cités de culture latine que de la destinée politique du domaine Franc. La rupture au sein de la société Septentrionale durera 1000 ans et engendrera des affrontements nombreux et sanglants. Parfois lassés de s'entretuer pour un même domaine, les deux unités Franques partiront, l'une vers l'Est, l'autre vers l'Ouest et cette double marche va modeler l'Europe septentrionale.
Le royaume Franc se développera rapidement et, dès 1200, sous Philippe Auguste, il entreprend une marche conquérante pour dominer l'hexagone tout entier. Ce n'est plus une pénétration économique mais une véritable guerre de conquête à caractère politique. Cette entreprise durera six siècles et s'achèvera sous Louis XV. La France avait alors acquis sa forme contemporaine, mais les Francs ne représentaient guère plus que 20% de la population.
Sur l'autre rive du Rhin, les choses se passent dans le même esprit mais sous d'autres formes. Ici, la caste des Cavaliers, les Franconiens, ne sont pas seuls. Leurs voisins du Nord, regroupés autour du petit peuple Saxon, vont parfois les seconder et la marche historique vers l'Est se fera sur deux axes. Les Franconiens sur les terres qui leur sont favorables, par Prague, Crakovie, Lemberg, les Saxons sur les rives de la Baltique avec, en fer de lance, l'ordre des chevaliers Teutoniques, puis en exploitation les commerçants et artisans de la Ligue Hanséatique.
Les chevaliers à la croix noire furent engagés à l'Est, à la suite des menaces qui semblaient peser sur Sainte Marie des Allemands (Marienburg). Ensuite ils vont progresser en Ermeland puis en Courland, avant d'arriver sur les rives du lac Peïpous, dernier rempart du petit royaume de Novgorode. Ils sont là sur les terres des Baltes, peuple venu de Gotland et peu disposé à se soumettre. En 1410, ce sera la défaite de Tannenberg, un tournant dans l'histoire à l'Est.
Cette complicité des Francs et des Saxons dans la marche de conquête cessera avec la Réforme. L'Allemagne du Nord et du Sud se séparent avant de s'affronter dans la sinistre guerre de Trente Ans. Ce conflit brise toute chance d'unité pour trois siècles, d'où la fièvre nationaliste qui saisit le pays, dès le début du XIX° siècle. C'est une aspiration légitime que le Royaume de Prusse va exploiter à son profit.
Dès 400, les généraux envoyés sur les terres du septentrion vont traiter le pays comme une colonie turbulente. De 429 à 486, Actius, Aegidius et Syagrius les pro-consuls de Bizance, tentent de régner sur ce qui fut l'Empire d'Occident mais, dénués de moyens, ils doivent se contenter de jouer sur les antagonismes qui se révèlent entre Germains. Ces derniers, encouragés par la sollicitude qui leur est accordée à tour de rôle, finiront par absorber peu à peu les terrres sous contrôle impérial et la bataille de Soissons, en 486, met fin au Bas-Empire.
LES VIKINGS
Les peuples de Scandinavie seront également marqués tout au long de leur histoire par la configuration de leur territoire; la mer du Nord d'un côté, la mer Baltique de l'autre. A l'Ouest, les habitants des fjords Norvégiens, privés d'arrière pays susceptible d'être mis en culture, se vouent presque exclusivement à la pêche et à la chasse. A chaque poussée démographique, ils vont se tourner vers la mer et partir à la recherche de nouveaux abordages plus propices : ce sont les Vikings. "Un pied sur terre, l'autre dans la barque", telle pourrait être leur devise.
Vers d'autres terres, certes, mais où aller ? Sur le littoral sud, les Iles de la Frise sont occupées par un peuple frère qui connaît souvent les mêmes problèmes de saturation démographique. Vers l'intérieur des terres, par les grands fleuves, le Rhin, l'Elbe, c'est pénétrer chez les Saxons, un autre peuple, très proche, mais plus engagé dans l'agriculture, fort jaloux de son intégrité territoriale et, de surcroît, militairement bien organisé. Plus au sud, au delà du Pas-de-Calais, les terres sont occupées par les Francs tout aussi attachés à leur indépendance et également bons guerriers. Ainsi, toute expansion de proximité est interdite aux Vikings. Charlemagne verra leurs longues barques sillonner les rivages de son Empire et faire escale sur les îles et les basses-terres, hors d'atteinte de sa cavalerie. Il doit voir cela en toute impuissance, ne possédant pas de marine ni chantier ni technologie pour en construire.
Pour ces navigateurs intrépides, restaient les Iles Britanniques où les conditions étaient plus favorables. Au temps de ces brèves incursions, César voit le Sud du pays occupé par des peuples de caractère belge, donc probablement des Francs. Ensuite, comme sur le Continent, l'occupation Romaine va profondément bousculer l'ordre des choses. A la fin de l'Empire le monde rural d'Outre Manche connaît une crise profonde. Le vieux fond Celtique, toujours majoritaire dans l'Ile, a repris possession du Bassin de la Tamise avec, naturellement, une organisation sociale et politique à sa manière ce qui est peu favorable aux actions militaires de grande envergure. La Table Ronde montre à quel point il était difficile de mettre en place, chez ces gens, une hiérarchie militaire, un commandement unifié. Dès le VI° siècle, les Vikings sont nombreux à s'installer sur les rivages britanniques de la mer du Nord, où ils côtoient leurs alliés Saxons agriculteurs de tradition.
L'occupation romaine s'était limitée au Rhin, mais la civilisation ainsi mise en place, avait grandement rayonné sur l'Europe du Nord, favorisant des transferts de technologie dont les peuples des rives de la Weser et de l'Elbe (les Saxons) semblent avoir grandement bénéficié. Ils vont développer une agriculture à la manière Franque et acclimater le blé venu de Méditerranée qui supplante alors les traditionnelles cultures d'orge et de seigle. Bientôt, la poussée démographique les incite à rechercher de nouvelles terres et ils se souviennent que le littoral de Grande-Bretagne, (naguère occupé par les Belges), leur est favorable.
Angles et Saxons débarqués sur les Iles Britanniques ne sont pas nombreux. Les premiers se fixent sur le littoral tandis que les seconds, arrivés en famille, avec du cheptel, de l'outillage et des semences pratiquent une implantation méthodique où les fermes sont flanquées d'une tour-refuge, le ring germanique. Bousculées dans leur domaine, parfois asservies par les nouveaux venus, les populations en place vont tenter de se défendre, d'où un long affrontement de plusieurs siècles. Mais ces peuples Celtiques n'étaient pas de nature à résister aux envahisseurs. Ils vont rêver de victoires sans jamais se plier aux disciplines requises pour le combat. Leur refus de toute préséance au sein d'un système est à l'origine de leurs défaites successives. Enfin, et faute d'avoir accepté un encadrement à l'heure du combat, ces gens vont se vouer au culte d'un roi mort, Arthur.
Dans cette longue conquête, les Vikings, qui ont souvent assisté les Saxons seront peu à peu évincés de l'échiquier politique. Ils doivent se soumettre ou reprendre la mer et nombreux sont ceux qui feront ce dernier choix.
La Basse-Seine, que les Francs ont négligée, va se révéler une proie facile. Dès l'éclatement de l'Empire Carolingien, les hommes du Nord débarquent en nombre sur les rives de la Seine et fondent quelques colonies. Venus, selon leur coutume, sans famille, sans moyens et sans programme, ces conquérants seront assez vite absorbés par la population locale. Deux siècles plus tard, le fils de Robert le Diable, qui n'est encore que Guillaume le Bâtard, fera venir un grand nombre de Saxons qui vont l'aider à coiffer sa couronne. Puis, tous se transportent vers la Grande Bretagne.
Les Vikings une fois encore débordés par leurs alliés Saxons vont se lancer dans une nouvelle aventure qui les mène à la conquête de la Sicile, enfin ils débarqueront en Terre-Sainte sous la bannière des Croisés. Derrière Bohémond de Tarente, les voilà revenus dans le bassin oriental de la Méditerranée là où leurs ancêtres, les peuples de la mer, s'étaient déjà illustrés.
Ceux qui sont restés sur les côtes Norvégiennes se révèlent d'excellents navigateurs. Aux navires archaïques faits de membrures ligaturées et garnies de peaux, très performants puisque Saint Brandan visite le Spitzberg avec une embarcation de ce type, succèdent les drakkars classiques. C'est un navire de même conception mais avec un carénage de planches où le calfat ne joue qu'un rôle secondaire. Cette mutation fut sans doute rendue possible par l'outillage de fer élaboré que les marchands rhénans diffusaient en mer du Nord.
Dans leur navigation au long cours, ils sont servis par une mythologie favorable. A l'encontre des Celtiques d'Armorique et d'Ibérie qui font confiance à la géographie de Strabon et s'imaginent être les habitants du bout du monde, ils sont persuadés que la mer est un ensemble fermé, qu'il suffit d'en faire le tour. Les rivages de l'Atlantique nord peuvent aisément confirmer cette vision du monde. Ainsi, la première découverte du continent Américain n'est certainement pas due à Christophe Colomb. L'exploitation des glaces dérivantes pour eux signe de terre ferme et qui fournit l'eau potable est sans doute à l'origine de cette perception du monde propre aux Scandinaves.
LA MER BALTIQUE
Établis à l'origine sur les terres du Sud de la Suède, les Goths, peuplade dominante de la Scandinavie vont étendre leur emprise sur le littoral sud de la Baltique. Pour cela ils vont refouler les Mongoloïdes du golfe de Botnie, puis repousser les Slaves installés sur le moyen cours de la Vistule. Avec de nombreux peuples autochtones qu'ils dominent, ils formeront une unité de caractère nord-germanique qui finira par contrôler la totalité du domaine Balte.
Dès, le deuxième millénaire de notre ère, avec de grandes barques archaïques à membrures ligaturées et garnies de peaux, très proches des embarcations utilisées à l'époque historique par les indiens d'Amérique du Nord, les Baltes pénètrent le continent Européen. Ils remontent le fleuve Oder et la Vistule puis descendent le Dniestr et Dniepr, avant de pénétrer en Méditerranée par la mer Noire; ce sont les peuples de la mer qui vont semer la terreur chez les Égyptiens. Mais ces conquêtes n'aboutiront pas à des implantations de densité suffisantes pour assurer une emprise politique durable.
Tout phénomène de civilisation fixe ses limites d'intérêt qui deviendront frontières avec la coiffe politique. Cependant les échanges menés avec l'environnement modifient les caractères socio-économiques de ces derniers et sur les cinq siècles qui précédent notre ère» les phénomènes du Bassin Oriental de la Méditerranée ont eu des conséquences sur l'Europe de l'Est. Ce sont les Grecs qui ont assuré la majorité des échanges, comme ils nous fournissent l'essentiel des informations sur le sujet. Les rivages de la Mer Egée connaissent alors une poussée démographique importante et les navires grecs sillonnent la Mer Noire puis remontent les grands fleuves à la recherche de produits spécifiques, céréales, fer, bois de charpente, bovidés et chevaux. Dès 400 avant J-C, ils ont installé des comptoirs sur des rivages d'Europe de l'Est (A,B,C,D) et prennent contact avec les populations de l'intérieur qui sont données pour des Scythes. Mais si l'on en croit Hérodote, cette qualification recouvre des Etats et sans doute des ethnies très diverses venant du bas cours du Don et de la Volga. Les uns nous sont donnés comme Cavaliers (E) et du côté du Dniestr (F), ils sont considérés comme agriculteurs. Il s'agit là sans doute d'un peuple autochtone mais ces gens ont du abandonner les rivages des grands fleuves, ainsi que de nombreuses cités portuaires, aux Goths qui ont déjà plusieurs fois débouché en Méditerranée. Entre ces peuples des plaines orientales et les occupants de la cuvette balkanique (G) de nombreux échanges ont eu lieu (H) mais nous ignorons quel fut le courant dominant et cette incertitude se répercute sur l'origine des Doriens. D'autre part, depuis que les peuples de la mer (les Baltes) ont saccagé le commerce maritime en Méditerranée à l'époque du Bronze Final, les échanges est/ouest se sont concentrés sur une voie terrestre où alternent chariots et barques fluviales. Les Sigynnes (J), un peuple sans doute oriental mais aux grandes facultés d'adaptation, gère ce commerce qui relie le Caucase à la Gaule. Ce sont eux qui véhiculent les termes et expressions qui donneront la coloration Indo-Européenne de notre langage.
Sur cette période de 5 à 8 siècles, nous n'avons aucune information sur les peuples germaniques et Scandinaves ou baltes mais nous pouvons logiquement penser qu'ils mettent en place, dès cette époque, les caractères qui vont se révéler au Bas-Empire, deux qui deviendront les Francs ont entrepris leur marche traditionnelle vers l'Est (K), les Saxons (L) ne se distinguent pas encore sur le plan politique. Enfin, les plus envahissants, les Baltes (M), ont confirmé leur accès à la Mer Noire (N ) tout en bousculant les peuples de la moyenne et haute vallée de la Vistule, les Vandales. Ces navigateurs Scandinaves se sont également assuré des rives du Dniepr (P). Tous se battent régulièrement pour le contrôle des points stratégiques mais se donnent la main pour repousser les Mongoloïdes (Q). Le problème des Slaves est lui très incertain. Ont-ils été repoussés par les Baltes (R) ou bien se sont-ils alliés à eux (S)?. En tout état de cause, au Bas-Empire, leur situation politique semble négligeable. Par contre, si leur origine se confond avec celle des Vandales, leur ethnie est déjà présente dans les Balkans.
Au début du premier millénaire de notre ère, les installations Goths sur les rives des grands fleuves de Russie semblent contrariées par le développement des peuples de la Russie méridionale: les Scythes et l'histoire les oublie. Ensuite, à l'époque romaine, on les retrouve renforcés et bien organisés sur les rives occidentales du Dniestr et cette fois sous le nom de Visigoths et d'Ostrogoths. C'est sous cette étiquette qu'ils vont ravager l'Europe Occidentale, dès la chute de l'Empire, puis s'installer en diverses zones, comme l'Italie du Nord, l'Aquitaine et l'Espagne. Trop peu nombreux pour marquer le paysage politique, ils vont disparaître de la scène européenne durant plusieurs siècles. En 1410, après leur victoire de Tannenberg, ils vont repartir en conquête et fonder la grande Pologne sous la dynastie des Jagellons, puis des Vasas. En Germanie, leur puissance militaire sera déterminante lors de la Guerre de Trente Ans, enfin, ils s'effacent devant le royaume de Prusse. Leur rôle historique est donc considérable.
LES BALKANS
Si les peuples de caractère qui ont modelé l'Occident se situent tous au nord du chaînon alpin, le continent Européen doit se traiter en entier avec la péninsule balkanique. Ces terres danubiennes n'ont jamais figuré parmi les grands rôles de notre histoire, mais elles furent cependant la cause de bien des tourments. "Mosaïque d'état ingouvernables, ventre mou de l'Europe" disaient les politiques du début du siècle qui voyaient là un dangereux et persistant foyer de conflit. Inquiétudes bientôt confirmées par les coups de pistolet de Sarajevo qui déclenchent le premier conflit mondial.
Une fois la tourmente passée, les diplomates réunis pour le traité de Versailles vont tenter de remodeler ces territoires mais les accords de Trianon et de Saint-Germain, menés sous l'égide des passions et des rancœurs n'arrangent pas les choses, bien au contraire. Les faveurs faites aux Serbes et aux Roumains, qui furent nos alliés contre l'Empire Austro-Hongrois, vont "casser" les marches d'Occident péniblement mises en place par l'Empire depuis la prise de Bude, en 1686, par Charles de Lorraine. La guerre civile qui reprend aujourd'hui dans la cuvette Danubienne a sans doute pour conséquence cette rupture entre les caractères et les frontières. Pour tenter de comprendre voyons le pays dans sa physionomie.
Au début du XXème siècle, à l'heure du Traité de Versailles, les diplomates ont tenté de comprendre la population balkanique et, comme aucune des règles communément admises n'était applicable à ce pays, une expression désabusée se fait jour : c'est le ventre mou de l'Europe. Mais l'erreur était sans doute d'avoir englobé ces régions fort complexes dans un cadre européen empreint de la règle des nationalités. Voyons la géomorphologie de l'ensemble. Le Danube qui peut être, selon l'heure, grande voie économique ou frontière dite naturelle entre dans les Balkans par une porte (A) située entre les Monts Bacony (B) et les derniers contreforts des Monts Métalliques (C). Le contrôle de la navigation se fait de l'oppidum d'Obuda-Buda et ensuite Budapest lorsque la ville aura absorbé le faubourg de l'autre rive. A ce niveau se situe sans doute la vraie porte de l'Europe Occidentale* Ensuite le fleuve serpente dans une vaste dépression, la cuvette danubienne, et c'est la zone d expansion agricole de tous les peuples des montagnes environnantes, autant dire que toute frontière tracée sera bien vite déconsidérée. Ensuite le grand fleuve rencontre un nouveau défilé, plus caractérisé, les Portes de Fer (D) considérées en un temps comme la limite de la chrétienté. Puis il serpente environ 1.000km dans une autre vaste dépression (E) située entre les Carpathes (F) et les Rhodopes (G). Pour la distinguer de la première cuvette, certains la nomment "dépression danubienne". Par la rive du Prut (H), elle donne sur les vastes plaines de l'Europe Orientale (J).
Les Grecs avaient utilisé le Danube comme voie de pénétration et leurs comptoirs vont justifier des emprises économiques et des coiffes politiques sur les populations environnantes. Ensuite, la première réaction de Rome qui entend fixer une limite administrative à sons Empire choisit le cours du fleuve comme frontière, coupant ainsi des unités de marché. Bientôt les affaires reprennent entre les deux rives et le Danube se double d'une voie économique (K,L) qui justifie de très nombreuses localités sur la rive Sud. Ensuite des divergences de politique locale gênent les commerçants romains qui travaillent avec l'autre rive et Trajan avance la frontière (M,N) qui engloble l'ensemble des Carpathes (P). Vers l'Est, la ligne (Q) suit le Prut pour assurer le contrôle des peuples orientaux. Cette emprise politique romaine justifie la formation de villes, apporte la langue latine mais ne modifie aucunement les caractères de la mosaïque ethnique. Le seul effet durable se situe, semble—t—il, sur les rives de la mer Noire dans la boucle du Danube (R). Là une importante colonie fixée par la voie économique préservera la langue latine en terre grecque: c'est la Roménic ou Roumanie avec, pour grand port Tom= Constanza.
Après son parcours en pays Souabe, le grand fleuve atteint Vienne et pénètre dans une petite dépression qui constitue la première marche de l'Europe. Ensuite, après Bude, c'est la vaste cuvette Danubienne sujet de tant de conflits. Enfin, après les Portes de Fer, le fleuve serpente dans la plaine qui débouche sur l'Est et la mer Noire. Alors, où est la frontière de l'Europe Occidentale ? A Vienne, à Bude ou aux Portes de Fer ? Cette notion varie selon les vicissitudes de l'Histoire.
Les Romains, garants des empires Grec et Latin, avaient porté leur frontière sur le cours du Danube, mais son rôle de voie de communication l'emporte vite sur sa fonction de limite administrative. Marchands et produits d'Europe vont, par cette voie, gagner la mer Noire puis les terres de culture grecque, l'ancien empire d'Alexandre qui ne fut jamais véritablement absorbé par les Romains. Des Occidentaux, des Latins formeront une importante colonie située entre le delta du grand fleuve et les premiers contreforts des monts Rhodope. Ce sera la terre des Romains, la Roménie aujourd'hui Roumanie.
A la fin de l'Empire, Wisigoths et Ostrogoths retrouvent leur traditionnelle voie de pénétration fluviale et sont les premiers à se présenter dans la cuvette Danubienne puis à franchir le Limes en 260/270. Dès 330 ils forment un royaume au nord du grand fleuve. Enfin, de nouvelles vagues arrivent vers 400 mais la fourberie de Byzance détermine l'engagement des Huns venus du fond des steppes. Ces actions violentes ne laisseront que peu de traces. Finalement, seuls les Vandales ou Slaves, venus de la Vistule ainsi que les Bulgares venus d'Ukraine, constitueront des apports stables.
De 1000 à 1400, le Danube redevient une grande voie de communication: c'est la route des Croisades et le Saint-Empire Romain Germanique porte son siège à Vienne puis entreprend une longue et patiente reconquête des terres danubiennes qui doit le mener aux Portes de Fer, au voisinage de l'Empire Byzantin. Il y parviendra en partie. Mais, à la chute de Constantinople, les Ottomans vont occuper la totalité des terres de l'Empire d'Orient et franchissent les Portes de Fer vers 1500. En 1529 et 1683 ils sont aux portes de Vienne qui doit soutenir deux longs sièges. Vers 1700 les Habsbourg entreprennent une longue reconquête mais une minorité d'origine slave maintenant solidement installée va se distinguer: ce sont les Serbes. Dès 1800, puissamment aidés par l'Empire de Russie, ils négocient leur autonomie interne avec la Sublime Porte. Désormais, la cuvette danubienne devient objet de litige entre l'Empire Austro-Hongrois et celui des Tsars.
Si l'on en juge par les relations historiques, l'histoire du monde commence en Méditerranée et l'Orient semble être à l'origine de bon nombre d'innovations déterminantes. Une conclusion simple s'impose alors: c'est l'Orientalisme mais, brusquement, de 250 à 275, puis vers 406, tout bascule et la brillante civilisation greco-latine se trouve submergée par les peuples d'Europe septentrionale dont la puissance paraît effrayante. Faisons la part du psychologique. Dans l'opulence, l'Occident a perdu ses structures traditionnelles, ses mécanismes de défense et même sa volonté et c'est une grande frayeur qui inspire les chroniqueurs. Ces peuples germaniques et baltes ont, sans aucune doute, évolué au contact de la civilisation romaine et le phénomène s'est développé sur plusieurs siècles sans que la société méditerranéenne y prenne garde. L'histoire (événementielle) ne traite que l'écume de la vague et les peuples ne figurent sur la scène historique qu'à l'heure de leurs débordements. Sous le titre "Apocalypse Annoncée" nous avons traité les malheurs de l'Occident sous l'action des Germaniques mais, parallèlement, les Goths et autres Baltes avaient ravagé les Balkans ainsi que la Grèce et si la Renaissance Constantinienne semble mettre un terme aux phénomènes violents, ces peuples ont pris pied dans les Balkans et les relations régulières entre Rome et Byzance sont devenues difficiles. Ces mouvements vont accroître le désordre ethnique des Balkans mais peu d'envahisseurs laisseront des traces tangibles.
Dès 390, les Vandales franchissent les Monts Métalliques (A) et par la vallée de la Tiza viennent s'installer sur la rive orientrale du Danube (B). Certains se présentent aux Portes de Fer (C) et se heurtent aux Ostrogoths installés là depuis 280/300. Au Nord de la dépression danubienne (D) ils forment un Etat depuis 330 environ. Vers 400, les Vandales se glissent sur la rive sud du Danube (E) tandis que d'autres Goths arrivent du Nord (F). Les Byzantins qui veulent se maintenir sur le Danube (G) subissent là une pression considérable et tentent un expédient. Ils incitent les Cavaliers Huns (Mongoloïdes) à intervenir sur la voie de pénétration des Goths et, vers 420, de fortes hordes pénètrent dans le domaine Balkanique. Vers 435/440 ils franchissent les Portes de Fer (H) et s'installent en Pannonie (J) avec l'aval de Byzance. En 443, Aetius, qui a la charge de l'Occident utilise ses cavaliers Mongols pour déloger les Burgondes de la vallée du Rhin puis le fléau de Dieu, ou la main du Diable, lui échappe totalement. Dès 480, les Goths reprennent le contrôle des Balkans mais de nombreux cavaliers des steppes (non Mongoloïdes) subsistent en Dacie (K), ce sont les Avares et les Gépides, peut être sont-ils les ancêtres des Magyars? Ensuite, les troupes de Justinicn (L) ne feront que passer. Enfin, vers 550/600, de très importantes populations Bulgares (M) commencent à descendre des plaines d'Ukraine, s'installent à demeure et deviennent orthodoxes. Bulgares et Slaves (Vandales?) seront les seuls apports stables dans les Balkans.
Que dire des peuples montagnards qui entourent la cuvette ? Ceux des Carpates d'origine celtique seront liés aux actions menées par les Impériaux, ceux des Rhodopes se découvriront Bulgares et se révéleront dominants sur le cours Oriental du fleuve. Enfin, les Illyriens qui peuplent les Alpes dites Dinariques tenteront de préserver une indépendance ombrageuse mais, si il y a menace, ceux du Nord porteront leur regard vers l'Europe, par contre, ceux du Sud seront fortement marqués par quatre siècles de présence Ottomane.
En résumé si le cours du Danube n'a jamais fait partie de l'Europe Occidentale, sa position stratégique sur notre flanc sud et sa condition de "marche" entre l'Occident et l'Orient en ont fait une terre d'affrontement à toutes les périodes troubles de notre Histoire.
CONCLUSION
Ainsi, juger l'Europe selon ses caractères révélés par vingt siècles d'histoire apparaît comme une tâche bien complexe. Les frontières de nation ou d'empire acquises par les conquêtes ou dessinées par les politiques constituent des cadres bien arbitraires. Les états ainsi mis en place assurent une gestion parfois bénéfique sur une courte période mais l'emprise devient pesante à terme, voire insupportables en période de tension. Le noyau occidental auquel nous allons nous référer en cas de crise constitue une Europe bien modeste mais suffisante en opposition à celle des chemins de fer et des ambitions économiques dont les limites se situent sur la Volga et le Bosphore. Cependant, pour sa sécurité, et face aux sociétés Afro-Asiatiques, l'Europe Occidentale entend préserver ses marches. Telle fut sa règle de conduite au cours de dix sept siècles d'histoire.
Sur cette longue période, ce sont les régions septentrionales qui créent les évènements politiques et ceci tranche radicalement avec l'époque antique où les civilisations méditerranéennes dominaient le Monde Occidental. Ceci est un argument pour suggérer que les hégémonies greco-latines, phénomènes exceptionnels en Méditerranée, étaient l'œuvre de gens venus d'ailleurs, des régions septentrionales. Pourquoi pas ?