La basse Seine

A l’époque gauloise, le cours de la Seine est exploité par des bateliers et les embarcations sont appropriées aux usages; il y a là les traditionnelles barques de rivière longues de 8 à 15m à fond plat et avec un avant relevé pour faciliter les accostages, elles comportent des plats bords pour les manœuvres à la perche sur les hauts fonds mais disposent aussi d’une voile afin de profiter des bons vents. Nous les retrouverons au Moyen Age sous le nom de gabarres ou de besognes. Cependant, ces embarcations ne peuvent affronter la mer et même les moindres vagues qui s’engouffrent sous le fond plat et le cabotage est assuré par des embarcations quillées, de taille fort semblables, utilisant la voile et les rames.

Ces bateaux quillés sont plus polyvalents et peuvent remonter les fleuves sur des parcours importants mais leur capacité de charge est moindre que celle des bateaux de rivière. Tous iront chercher leur fret au plus près de la source et la notion de grand port de commerce n’existe pas, par contre, certains lieux de mouillage où les marins relâchent durant la mauvaise saison et où certains ont installé leur famille, constituent des ports d’attache très fréquentés. Tout va changer avec la mise en place de l’infrastructure romaine.

Les voies romaines

Les premières grandes voies programmées selon le plan d’Agrippa sont de caractère stratégique, ensuite viendront les voies économiques. Sur les fleuves à méandres, comme la  Seine où le cheminement sur berges est très long, l’ordre romain ouvre un itinéraire de « délestage » qui file en droite ligne sur le plateau, ne touchant que les sites importants. Sur la  Basse Seine, ce tracé joint Paris à Harfleur. A la même époque, une autre voie de l’arrière pays littoral longe la côte de la Manche à 60/70km en retrait et le franchissement de la Seine se fera en un point favorable à l’établissement d’un pont de bois, là ou se trouvent les derniers grands bancs de sable et de marne laissés par le courant. En aval, c’est le régime des marées où règnent les alluvions légères qui ne permettent pas l’implantation de pieux. Ce point optimum sera le site de Rouen, ainsi que le lieu de croisement avec la voie de plateau qui longe le fleuve. Un pont, un carrefour routier les facteurs de développement se mettent en place.

Sur le siècle qui suit la conquête, la marine romaine conçue pour le Bassin Méditerranéen, ne dispose pas de navires susceptibles d’affronter l’Atlantique et les bateaux de commerce les plus courants, sont de grosses coques à couple constant afin d’obtenir le meilleur volume de charge, la proue et la poupe étant traitées au minimum. Ils font entre 25 et 35 m de long, naviguent à la voile et à la rame mais leur activité se limite à la bonne saison. Les ports à quai de la Méditerranée leur conviennent très bien mais les premiers qui s’aventurent sur l’Atlantique sont mis en difficulté par la moindre houle. Par sécurité, leur navigation se limite au cabotage et ils chercheront un abri au premier coup de vent. Pour l’affrètement, ils choisiront les grèves situées à l’embouchure des grands fleuves mais il faut aménager à leur usage des digues en bois assurant au minium 2m d’eau à marée basse. Sur l’embouchure de la Seine, ces deux ports d’origine gauloise aménagés pour les navires de Méditerranée sont: Caracoticum (Harfleur) et Juliobona (Lillebonne), ce dernier se doublera d’une cité importante avec un amphithéâtre. Ce sont ces deux sites qui constituent l’aboutissement de la voie de plateau longeant la Seine.

Les cargos

Sur ces bateaux de charge méditerranéens à couple constant, mis en difficulté aux premiers coups de vent, les marins voient avec dépit de petites coques gauloises affronter la mer avec des   houles de moyenne importance. La solution semble simple, il faut construire des cargos selon le modèle gaulois, mais de grandes tailles. Cependant, ces bateaux gaulois qui font de 40 à 60 tonnes métriques, sont laissés à grève avec la marée, manière de faire toujours en vigueur au XIX° s., ce qui n’est pas concevable avec un cargo de 2.000 amphores déplaçant 180 à 200 tonnes métriques. Pour exploiter en bonne condition des bâtiments de ce type, il faut des quais en dur sur une hauteur d’eau constante et avec une profondeur supérieure à 2m 50. Les lieux où courants et marées s’équilibrent sur les fleuves comme à Rouen, Nantes, Bordeaux et Londres offrent ces conditions. Le phénomène des marées (le mascaret) facilitera la remontée de ces gros bateaux qui prennent la mer avec un équipage réduit et trouvent des hommes de manœuvre à proximité des estuaires. Cependant  ils ne pourront aller au delà de Rouen à cause du pont et la batellerie de Seine trouvera ses attaches en amont, autour de l’île La Croix et sur le confluent de l’Aubette. Un franchissement, un carrefour avec l’itinéraire de plateau, des conditions de rupture de charge entre navigation fluviale et maritime, Rotomagus a tous les facteurs d’une riche destinée.

L'agglomération portuaire

Ces facteurs économiques vont se mettre en place progressivement et le développement urbain de Rouen en portera la marque avec trois grandes étapes. Le site fût choisi par les pontonniers qui devaient établir là un ouvrage de franchissement dans le cadre du plan d’Agrippa. Au temps d’Auguste, ce programme répond à la grande inquiétude des Romains qui ont vu leur approvisionnement en blé d’Égypte se tarir au temps où ces provinces orientales faisaient sécession  sous l’emprise d’Antoine et de Cléopâtre. La victoire d’Actium va les soulager mais il faut parer à ce risque et diversifier les sources d’approvisionnement. Les capacités céréalières des terres de Gaule, nouvellement conquises, paraissent considérables. Il suffit de favoriser fiscalement le remembrement des terres entre les mains de grands propriétaires acquis à la cause d’empire et de développer un réseau routier permettant la collecte qui favorisera également l’essor économique du pays. Le travail est énorme et il faut faire vite. Les voies majeures seront dotées d’une piste de roulement unique mais avec de larges accotements qui préservent l’avenir et les ponts seront réalisés comme des ouvrages militaires.

Celui de Rouen bénéficie d’excellentes conditions, c’est le point d’équilibre entre courants et marées et le fleuve étale, là, ses derniers bancs marneux. Ces caractères permettront un franchissement multiple avec, en appui, l’île La Croix et sans doute d’autres émergences aujourd’hui absorbées par le rétrécissement des berges, ce qui offre au courant une grande largeur et peu de profondeur, soit les conditions idéales pour un ouvrage sur pieux. Les piles sont formées de quatre ou six pieux, simplement équarris aux endroits des assemblages et le tablier est en bois. Pour éviter l’érosion les bases des piles seront garnies de dépôt de pierres « tout venant », l’intérieur fermé de bardeaux sera rempli de pierres en guise de lest. C’est un ouvrage facile à réaliser et satisfaisant à l’usage.

La voie de plateau descend dans la dépression et croise celle du franchissement en un point situé à proximité de la future abbaye Saint-Ouen et, rapidement, une petite agglomération marchande s’installe à cet endroit, tandis que les artisans qui ont besoin d’eau courante se rapprochent du cours de l’Aubette. Enfin, les mariniers de Seine qui voient là un point d’affrètement vont se fixer sur l’île La Croix. Cette première agglomération qui prend son essor sur les dernières décennies avant notre ère atteint son développement optimum avec 10 à 12.000 habitants dans le dernier tiers du premier siècle (60/90 après J.C).

Cette ville champignon s’est développée dans le plus grand désordre et cela gêne les aménagements ultérieurs. Le Sénat de la ville, récemment mis en place, décide de créer un nouveau quartier avec rues maillées, induction d’eau et assainissement, mais il ne faut pas saccager un ensemble urbain en pleine activité. D’autre part, le pont, maintenant surchargé, donne des signes de fatigue. La solution déjà adoptée en bien d’autres cités consiste à créer un nouvel ouvrage à 300m en aval de l’ancien et un quartier neuf dans l‘axe de ce franchissement.

Le lit de la Seine n’est pas favorable à un pont de pierres, l’ouvrage sera donc en bois comme le précédent, mais beaucoup plus puissant. Les piles sont basées sur une série de pieux, douze ou seize, enfoncés jusqu’au refus avec de lourdes «sonnettes». Le volume intérieur est toujours rempli de pierres, mais compactées. Ensuite, cette assise est entourée d’une ceinture de protection en pieux plus modestes mais presque jointifs et l’espace ainsi formé également garni de pierres. Puis l’arche est réalisé en poutres de bois ajustées et chevillées et le tablier, toujours en bois, garni de dalles de pierres posées sur un lit de sable et d’argile.

Le volume de ces piles réduit le passage du courant et augmente d’autant sa vitesse, le phénomène engendre toujours une érosion c’est le problème récurrent des ouvrages en bois sur fond marneux, alors les espaces intermédiaires sont, là encore, garnis de pierres, mais elles s’enfoncent avec le temps et cette semelle souvent rechargée deviendra importante jusqu’à former une petite chute en aval. Pareille disposition fait que les emplacements des ponts romains offrent un avantage pour tous les ouvrages futurs et c’est une condition qui va se répercuter sur l’urbanisme de la cité. Enfin, cette base artificielle offerte par les dépôts de pierre permet, en phase finale, de protéger la pile avec un mur de pierres appareillées.

Ce nouveau franchissement va favoriser le quartier neuf et ces îlots seront acquis par de riches familles gallo romaines qui vont installer, là, commerces et immeubles de rapport pour citadins aisés. Cet espace « bourgeois » qui sera cerné par le quadrilatère défensif du bas empire, est toujours le centre de la ville de Rouen. La  nouvelle urbanisation couvre environ 40 ha, l’accroissement de la population est de 12 à 15.000 personnes et atteindra son état optimum vers 120/140 après J.C.

Entre temps, et comme nous l’avons vu, la taille des cargos s’est considérablement accrue et le port de Lillebonne qui s’envase constamment, sera progressivement désaffecté. D‘autre part, la plate forme économique de Rouen est devenue un lieu d‘affrètement privilégié. Les bateaux de commerce, gros ou petits, vont remonter la Seine et le quartier en aval du pont devient un espace portuaire qu’il faut aménager et développer. Ce programme correspond à un besoin mais aussi à la volonté de l’aristocratie marchande de la ville. Conçu vers 100 de notre ère, il se met en place sur la première moitié du second siècle, les travaux porteront d’abord sur des quais avec pieux de bois mais les dépôts de limon réduisent la profondeur disponible, il faut donc créer un bassin artificiel, creusé, garni de quais puis mis en eaux. Il sera réalisé en retrait de la berge et offrira sur sa périphérie un terrain stable permettant la construction d’entrepôts qui faciliteront les affrètements rapides. Un bassin artificiel de même nature est connu au port de Bordeaux.

Ce quartier portuaire est celui des meilleurs investissements et des plus sûrs profits, il est lui aussi urbanisé et maillé mais la présence d’une main d’œuvre importante l’empêche de devenir quartier résidentiel, celui du centre préservera ses caractères et bénéficiera des acquis obtenus sur les quartiers amont et aval. Il deviendra très riche, d’où la muraille bas empire.

Si la population recensée intra:muros ne doit pas dépasser 40.000 personnes sur les trois ensembles, les individus dépendant de la communauté urbaine seront beaucoup plus nombreux, 100.000 en fin de cycle, vers 200 après J.C.

Le Bas Empire

Les côtes de la Manche ne seront pas touchées par les invasions venues d’Outre Rhin mais les populations en difficulté qui se transforment en bandes de pillards et les mercenaires de l’armée romaine débandée qui vivent en rançonnant les populations, suffisent amplement à ruiner la région. Les morts par violence ou par famine seront innombrables et les troubles vont s’arrêter faute de moyens d’existence pour ces bandes armées. Rouen a payé un lourd tribut et, vers 275/280, une entente s’organise entre les divers ports de la Manche aux premiers rangs desquels nous trouvons Rouen, Boulogne et Londres. Il s’agit de restaurer les échanges trans-Manche et de se défendre contre les pirates qui écument les côtes. Parmi eux, nous trouvons déjà des scandinaves qui, faute de pouvoir commercer, se transforment en pilleurs.

Cette entente porte ses fruits et Rome n’y voit que des avantages mais des bandes armées ressurgissent et s’instaurent protecteurs. En 282, un chef nommé Carausius, se proclame empereur de la mer et cela, Rome, ne peut l’admettre. En 292, Constance Chlore qui a déjà débarrassé la région parisienne des Bagaudes met le siège devant Rouen et Boulogne. Quel peut être l’état de la métropole de Basse Seine à cette époque? Difficile à dire. La grande ville ouverte est saccagée et les populations qui s’y sont réinstallées sont clairsemées. La plus grosse densité se trouve sur les berges, à cheval sur la voie de franchissement repliée derrière une défense en quadrilatère. S’agit-il de la muraille du Bas Empire comme beaucoup le pensent ou bien d’une protection hâtivement constituée où pierres, terre et bois se marient au mieux? Nous opterons pour cette seconde hypothèse.

Les troupes de Constance Chlore emporteront Rouen, comme Boulogne, en quelques mois et de nombreux fugitifs vont gagner Londres où ils seront bien accueillis, mais le grand port de la Tamise sera assiégé à son tour en 294 et tombera rapidement. L’ordre romain a surmonté la crise, mais l’Occident est dans un état pitoyable. A Rouen le quadrilatère de repli de 420 x 550m, soit 23 ha, est préservé et cerné d’une puissante défense de caractère bas empire. Ce castrum est flanqué d’un château comtal (burgui) situé face à la berge et d’une surface d’un hectare. Il abrite 200 à 500 soldats servis par du personnel auxiliaire et cette protection sans doute nécessaire va lourdement peser sur la pauvre économie renaissante. C’est le temps de la restauration constantinienne, une brève période de rémission, dans un déclin inexorable.

Les chrétiens

Les missionnaires venus d’Orient via Rome, ont sans doute touché toutes les grandes agglomérations d’Occident au cours du III°s., mais sans grand succès. Leur message est mal perçu cependant, les plus adroits vont entraîner dans leur sillage une poignée de fidèles. Ces premières églises embryonnaires ont trouvé leurs adeptes dans les faubourgs plébéiens et leurs rituels se déroulent très discrètement dans des demeures privées. S’il est connu, le phénomène est considéré comme marginal par la société gallo-romaine traditionaliste.

Après la crise des années 250/275, l‘ordre romain qui a failli est mis en cause et sa religion également. Les communautés chrétiennes se multiplient et s’affichent ouvertement. La bonne société s’inquiète, condamne et la rupture va culminer avec les grandes persécutions de Dioclétien où les chrétiens sont alors accusés de tous les torts. Ce n’est pas encore vrai mais cela le deviendra. En 300, et malgré les menaces qui pèsent sur elle, la communauté chrétienne de Rouen a pris une certaine importance et nous connaissons le nom de son premier évêque, Saint-Mellon. Avec ces édits qui accordent à la nouvelle religion le libre exercice du culte, Constantin restaure une certaine paix intérieure mais les animosités demeurent et les lieux de culte chrétiens n’ont pas droit de cité. Ils s’installent dans les faubourgs. La communauté chrétienne de Rotomagus figure aux actes du concile de Nicée en 325, au même titre que celles d’autres grandes métropoles comme Reims et Trêves. Les adeptes de la nouvelle foi étaient donc nombreux dans les faubourgs de la ville, un millier peut être.

Avec cette liberté d’action, les chrétiens entreprennent de saper systématiquement les fondements de l’Empire déjà fortement ébranlés et cela pour instaurer la société fraternelle et bienheureuse dont ils affirment avoir la formule. Ils vont infiltrer tous les rouages de l’état, l’armée, l’administration et la cour impériale. A la fin du siècle ils ont gagné et Théodose, empereur chrétien, leur accorde l’exclusivité du culte vers 390. Les cités doivent fermer les derniers temples pour accueillir cette caste tant redoutée, mais ces derniers n’auront guère le temps de savourer leur victoire. En 406, un nouveau déferlement venu de l’Est submerge les terres d’Occident et les structures impériales totalement décomposées n’offriront aucune résistance. Une fois encore, ce sont les faubourgs qui vont payer le plus lourd tribut tandis que les cités fortes résistent et préservent quelques bribes de l’héritage de Rome.

Dans ce nouveau saccage, les côtes de la Manche semblent relativement épargnées et Rouen qui vit du commerce et de la navigation fluviale se rétablit rapidement mais sur un bien modeste niveau. Maintenant que l’Empire a vécu, les notables des villes fortes se disent que l’église peut être un bon moyen de gouverner et d’en imposer à ces utopistes qui ont saccagé la romanité. Ils deviennent donc les meilleurs chrétiens, construisent une cathédrale intra muros et la confient à un clergé issu de la bourgeoisie. Il y a de nouveau une église des pauvres et une pour les riches, le rêve chrétien a vécu mais tous les textes, maintenant rédigés par des religieux, chantent les louanges du Seigneur. Ainsi s’écrit l’histoire (selon les textes).

La première cathédrale

La société rouennaise qui demeure dans la cité ne va pas perdre de temps. Dès les premiers édits impériaux, en 389, elle installe Saint-Victrice septième évêque de la communauté et lui construit une cathédrale (écclésiam civitatis). L’ouvrage est de taille modeste, la densité urbaine l’impose, mais sur une place de choix, au centre de la cité, et selon les anciennes coordonnées urbaines léguées par le plan maillé de la grande époque. La façade jouxte la voie principale qui  mène au pont, sa structure est basilicale avec une nef à collatéraux et une élévation sur colonne antique de récupération. Il y a sans doute un transept débordant et une abside simple, c’est un plan classique en son temps. La façade donne sur un atrium et l’ensemble peut représenter 20 à 24m de large sur 70m de long. L’abside correspond au mur occidental du transept actuel dont le carré demeure un point constant dans les ouvrages successifs. Une esplanade de 30 à 40m sépare l’atrium de la grande voie menant vers le pont. Là se tiendront des marchés dont les revenus iront au Chapitre, c’est bien la société bourgeoise qui gère l’Église.

Les temps mérovingiens

A cette époque, et contrairement à ce que pourrait laisser croire la ridicule légende des Rois Fainéants, l’aristocratie franque gère bien les régions septentrionales et l’époque est relativement paisible, cependant Rouen est défavorisé par le contexte du temps. La Grande Bretagne est occupée par les Scandinaves et le commerce trans-Manche est devenu très difficile, les roitelets qui se partagent la grande île ne contrôlent pas les navigateurs qui sont marchands en titre mais pillards à chaque bonnes occasions, même le cabotage sur les côtes de la Manche est soumis aux risques de leurs incursions. Rouen a donc perdu la quasi totalité de son potentiel maritime et il ne lui reste que le commerce fluvial soumis aux ententes locales des bateliers et aux taxes imposées par la multitude des petits pouvoirs en place. L’agglomération doit vivre de son état de métropole ecclésiastique, de son assiette rurale et du transit sur le pont sommairement réparé, c’est peu et la ville survit avec une population réduite.

La cité peut accueillir 10 à 12.000 habitants mais les tracasseries des gardes et les péages sur le franchissement ont réduit la fréquentation, piétons et animaux de bâts utilisent maintenant des passeurs établis au niveau de l’île La Croix et la population intra muros est tombée à 6.000/7.000 personnes. Ce phénomène favorise le faubourg amont tandis que les installations portuaires désaffectées disparaissent du paysage aval, ce quartier n’abrite plus que 1.000 à 1.5000 personnes contre 10.000 à 12.000 pour celui de l’amont. Cette agglomération qui compte encore 20.000 personnes conserve sa place parmi les dix ou quinze premières villes d’Occident   ce qui lui vaudra les attentions royales. En 640, la ville reçoit un évêque imposé par la cour mérovingienne, c’est Saint-Ouen; elle rejoint ainsi le cercle des cités liées à la couronne et en tirera avantages.

Saint Ouen et son temps

L’illustre personnage naît vers 600 dans une famille aisée et reçoit une bonne formation; Très tôt il prend la robe mais sa culture et son sens des relations publiques lui donnent accès à la cour de Clotaire II où il se lie d’amitié avec Saint Éloi. Dagobert Ier fait de lui son chancelier et favorise les diverses fondations qu’il a établies ou prises en mains. Bientôt ses obligations de cour lui pèsent, il demande un évêché à son roi qui lui accorde le siège épiscopal de Rouen où il arrive en 640. Les bourgeois n’apprécient guère cette intrusion mais, réflexion faite, pensent qu’un homme de cour peut servir la cité. En 641, il est officiellement sacré évêque de Rouen. Les nombreux prélats qui l’avaient précédé depuis Saint-Victrice avaient convenablement rempli leur tâche mais, issus de la bourgeoisie, aucun n’avait acquis l’aura populaire qui distingue les hommes d’Église.

Dès son installation, Saint-Ouen se veut le pasteur de tous les Rouennais. Il porte ses attentions sur le faubourg amont actif mais qui se distingue et se sépare de la cité chaque décennie davantage. Sa population est décomposée en petites paroisses desservies par des prêtres élus et mal formés, parfois soumis à quelques dérives. Pour imposer ses vues, le nouvel évêque choisit un lieu éminemment stratégique, le carrefour où se croisent la voie romaine de plateau qui traverse le site hors l’enceinte et le nouveau franchissement également hors les murs qui mène à l’embarcadère des passeurs. Là, il fait construire une abbaye destinée à servir la population, à former des prêtres plus orthodoxes, à enseigner les jeunes et à secourir les déshérités. Enfin, la fondation se double d’une grande place de marché où les transactions sont sous contrôle. En quelques années, c’est une totale réussite et le faubourg portera désormais le nom de quartier Saint-Ouen.

Sa charge épiscopale ne l’empêche pas de rester actif dans le monde. Il participe au Concile de Chalon sur Saône en 647, fait un pèlerinage à Rome en 675 et sur ses vieux jours il assure, pour le Leude Ebroin maître de la cour et son ami Saint-Léger, une ambassade auprès de Pépin d’Héristal afin de lui proposer la couronne. Au retour, il rend compte de sa mission auprès de ses amis qui résident au palais de Clipiacum (Clichy) mais il se sent très fatigué et se retire dans un ermitage tout proche où il meurt dans l’année. Ce village portera désormais son nom. En 687, Pépin d’Héristal qui a accepté la charge écrase le dernier Mérovingien, Thierry III, à la bataille de Tertry. En ultime action d’une vie bien remplie, Saint-Ouen a ouvert la voie à la nouvelle dynastie des Carolingiens.

Les Normands

Si Saint-Ouen a remodelé la ville de Rouen, il n’a guère amélioré sa situation économique et l’agglomération se maintient dans son état antérieur. Ensuite, la période faste du Carolingien va servir de nombreuses cités mais l’empire des cavaliers ne prête aucune attention à la navigation fluviale ou maritime et la Basse-Seine ne tire aucun profit de cette brève renaissance, bien au contraire, elle sera en première ligne face aux incursions Vikings. Ces peuples scandinaves dont l‘économie vient d’être sinistrée par les conquêtes germaniques de l’Empereur lancent quelques raids vengeurs en mer du Nord et sur la Pas de Calais. Ensuite, Saxons et Danois qui font cause commune sur mer entreprennent de sonder les côtes de la Manche où la résistance est faible. Certes ils y rencontrent des garde côtes qui protègent les estuaires et les ports mais aucune flotte de combat susceptible d’intervenir en haute mer. Ils ont l’initiative et vont l’exploiter d’excellente manière.

Après avoir établi des bases sur les îles et basses terres du sud de l’estuaire de la Seine, ils aborderont Rouen en 841. La ville est pillée et brûlée nous disent les chroniques, mais seul le faubourg Saint-Ouen semble concerné par ce saccage, la cité résisté. Cependant comme Rouen, pas plus que les autres villes du Nord ne voit poindre une armée royale qui pourrait la dégager d’un siège énergiquement tenu, elle va, comme tant d’autres cités directement menacées entamer des négociations. De leur côté, les Scandinaves qui demeurent toujours surpris de leur succès acceptent. Malgré les ravages qu’ils ont engendrés le long des fleuves, ils n’osent toujours pas s’aventurer loin dans les terres, sachant qu’ils n‘ont guère de chance de succès face aux cavaliers francs. La ville peut leur servir de place de marché et leur rendre de nombreux services, l’option des Rouennais que l’on peut à la fois qualifier de lâche et de judicieuse va servir la cité.

Rouen ville ducale

En 900, arrive à Rouen une nouvelle bande scandinave venant d’Angleterre. Plus importante et plus disciplinée que les précédentes, elle est dirigée par un certain Rolf (Rollon). Il prend contact avec les notables de la cité et les garanties qu’il concède paraissent satisfaisantes. Un accord est conclu. Il est considéré comme le protecteur et occupe le burgui qui fait face à la rive. Dix années se passent où Rouen ne peut que se féliciter de son option. En 903 Rollon épouse Popa, une chrétienne de Bayeux et en 905 elle lui donne un fils prénommé Guillaume. Le chef de guerre s’intègre bien, mais, en 911, de nouveaux arrivants déstabilisent la société viking et Rollon prend la tête d’une expédition qui va remonter l’Eure et assiéger Chartres. Les Robertiens qui ont eu vent de la chose rassemblent une force importante, gagnent Chartres et les Vikings subissent une cuisante défaite. Rollon rentre à Rouen déshonoré face aux siens. L’évêque vient à son secours, s’entremet avec le roi Charles le Simple qui promet au chef viking un duché s’il se fait baptiser et renonce à toute incursion vers l’intérieur. Ce seront les clauses du traité de Saint-Clair sur Epte. Rollon s’installe à Rouen, comme vassal du roi, et la ville, une fois encore, se félicite de ses options politiques.

Rollon tient ses promesses. Il rassemble les scandinaves de la Basse-Seine et les lance contre ses compatriotes installés au-delà de la Risle. En 924, il a soumis toutes les terres situées à l’est de la Vire. A Rouen, il a fait construire un quai de bois en avant de la grève qui s’étendait sous la muraille de la cité et cet espace stabilisé, de 3 ha environ, devient un port maritime où les Scandinaves viennent relâcher et commercer sous le contrôle des forces ducales qui occupent le burgui voisin. Ce débouché maritime retrouvé permet à la ville de renouer avec son assiette économique bien desservie par la voie de franchissement et avec les bateliers qui commercent sur la Seine, en amont. Ces transactions vont servir la cité et combler le déséquilibre qui s’était instauré avec le faubourg.

Rollon meurt en 933 et c’est sont fils, Guillaume, qui lui succède. C’est un jeune homme rond et trapu et sa rapière lui arrive au menton. Comme il serait inconvenant de faire remarquer que le duc est petit, ses proches diront qu’il a une longue épée et ce qualificatif va rentrer dans l’Histoire. Le nouveau duc poursuit la politique de son père, ne mène aucune action contre la région parisienne et étend ses domaines vers l’ouest. Il achève de soumettre le Cotentin où son père avait déjà obtenu une reddition partielle, en 932.

Ces opérations ont marqué la naissance de l’armée normande. Les guerriers de la Basse-Seine dont les mères sont majoritairement chrétiennes, et cela depuis deux, voire trois générations, ont accepté l’idée d’un état homogène dont ils vont constituer l’aristocratie héréditaire, statut inconnu dans les coutumes et l’esprit scandinave. Les vainqueurs vont se partager les terres conquises mais les liens de vassalité imposés aux vaincus vont laisser de profondes rancœurs,  et au sein du duché, cette ascension de la famille ducale et de ses proches suscite bien des convoitises. Un duc, certes, mais lequel? Et pourquoi pas moi se disent bien des grands personnages de la province, et la monarchie, comme l‘Église, doit subtilement attiser quelques ambitions afin de maintenir le tenant de la couronne ducale en bonnes intentions à son égard. Guillaume Longue Épée doit donner des gages à l’évêque de Rouen, parmi eux, figure la reconstruction de l’église Saint-Pierre de Jumièges.

A l’époque de Rollon et de Guillaume Ier, ce qu’il est convenu d’appeler la cour ducale comprend les familiers et les gardes composées d’une trentaine de cavaliers et de 50 à 80 fantassins, plus les serviteurs. Cette troupe occupe souvent le burgui de Rouen mais cela ne fait pas de la ville une capitale au sens où nous l’entendons. Le duc doit se montrer, s’imposer et c’est une cour qui se déplace souvent.  Elle séjourne dans de vastes ensembles entourés de palissades et de terre avec, au centre, de nombreux bâtiments pour les 200 à 250 personnes attachées au duc. Ce sont souvent de vastes enclos déjà acquis à l’époque de la conquête et la butte qui domine le confluent de l’Orne et de l’Odon, occupe une bonne place parmi ces positions ducales; ce sera la future ville de Caen. L’éperon qui domine la ville de Falaise et qui servit de repli au Bas Empire est également un site privilégié par cette cour itinérante. Ainsi Guillaume Longue Épée vit comme avait vécu son père et conforte la couronne mais sa vie sera brève, il meurt en 942, à l’âge de 37 ans. Un de ses fils lui succède sous le titre de Richard Ier et ce sera un personnage marquant de la dynastie; c’est lui qui fera de Rouen sa capitale.

Richard 1er

Quand il coiffe la couronne, le jeune Richard est encore mineur. Les barons francs profitent de cette condition pour venir guerroyer sur les terres au nord de la Seine et dont l’attribution au Duché  leur paraît discutable. Pour défendre sa province, le jeune duc doit faire appel à des contingents danois et saxons, ce qui donne lieu à des immigrations importantes. Parmi ces nouveaux arrivants nous trouvons une importante tribu danoise,  les « Varinguer » devenus les Bérangers sous la plume des scribes latinistes, qui vont s’illustrer en de nombreux lieux d’Europe. L‘un d’eux, parti à la tête de quelques centaines de cavaliers, se proclamera roi d’Italie, d’autres vont s’introduire à la cour de Toulouse et participer à la première reconquête d’Espagne en s’illustrant notamment sous les murs de Barcelone. Ils deviennent les Berenguer pour les Espagnols. Sur la côte normande, Varangeville préserve leur souvenir. Cependant, les cavaliers francs vont interrompre leurs actions en Normandie pour s’engager dans les divers conflits qui marquent l’affrontement entre la lignée carolingienne représentée par  Louis  d’Outre Mer et la lignée des Robertiens avec l’illustre Hugues le Grand.

Dans le duché, les Scandinaves continuent de débarquer chaque saison sur les côtes. Tous désirent s’installer mais ils doivent maintenant s’inféoder à un compatriote en place et se contenter des terres concédées. Les querelles sont innombrables et pour éviter qu’elles ne dégénèrent, les plus ambitieux parmi les nouveaux venus sont fermement invités à poursuivre leur route vers de nouvelles terres à conquérir. Ils se dirigent majoritairement vers la Bretagne ou le Val de Loire.  Pour l’Histoire ce ne sont plus des pillards normands mais des féodaux en querelle, comme il y en eut de tout temps. Face à cette menace, les Bretons arment leurs navires et les Angevins créent un système de défense à base d’enclos fortifiés et de petites unités de cavalerie et d’infanterie très mobiles et sans garnison affectée. Cette puissance angevine est en état d’inquiéter les Normands et Richard Ier comprend que le duc chef de guerre doit se doubler d’un chef d’état. Il lui faut renforcer ses liens avec l’Église, restaurer les communications et favoriser le commerce sans privilégier les Scandinaves. Dans cette stratégie, Rouen a un rôle primordial, la ville contrôle le trafic routier entre les rives droite et gauche de la Seine, ainsi que la navigation sur le grand fleuve et le siège épiscopal peut devenir un archevêché.

La dynastie ducale

Sur les 45 années que dura la construction de la cathédrale de Rouen, la Normandie et la Grande Bretagne connurent une évolution mouvementée. Richard Ier, à qui l’histoire accordera le qualificatif de Sans Peur, meurt en 996 et son fils, Richard II, dit le Beau,  reçoit la couronne. Il a une sœur, Emma, qui devient en l001 l’épouse d’Ethelred roi d’Angleterre et cette union sera lourde de conséquences pour l’avenir. De son époux, Emma a plusieurs enfants dont un seul atteindra l’âge adulte, Édouard, qui deviendra roi d’Angleterre.

Ethelred était de la dynastie saxonne qui se trouvait alors en conflit avec les prétendants danois. En 1016, ces derniers entreprennent l’investissement de Londres sous le commandement de Canut dit le Danois. L’affrontement à peine commencé, Ethelred meurt. Son premier fils lui succède et reprend le combat mais il doit abandonner une bonne part de la Grande Bretagne à ses adversaires. Malgré sa vaillance, il subit une cuisante défaite à Ashingdon, dans l’Essex, et meurt à la fin de l’année. Canut est reconnu roi par l’ensemble des barons de Grande Bretagne et son règne sera brillant. Le jeune fils d’Emma, Édouard,  se réfugie alors en Normandie chez son oncle Richard II. Canut règne mais l’animosité des Saxons à son égard demeure et  pour tenter de pacifier définitivement les terres de l’ouest il répudie son épouse danoise, Aelfgyfu, pour épouser Emma qui n’a d’autre choix que d’accepter. Canut sera un grand roi et rassemblera sous son sceptre la Grande Bretagne, le Danemark et une partie de la Norvège.

En Normandie, Richard II meurt en 1026 et son règne sera marqué par une profonde mutation du système féodal normand. Aux premières petites implantations rurales dont les maîtres étaient redevables à la couronne et qui formaient volontiers des contingents pour toute expédition, ont succédé de puissantes structures féodales, peu disciplinées, et qui annoncent leur prétention à chaque succession ducale. Certains de ces systèmes satellites sont basés sur des sites qui deviendront des agglomérations tel Saint-Lô, Argentan, Falaise et Caen. Malgré ces difficultés, le nouveau duc, Richard III, préserve sa couronne mais il est de santé fragile, son règne sera court, il meurt en 1028 et c’est son frère, le fantasque Robert, dit le Diable ou le Magnifique, selon les jugements, qui reçoit la couronne. Son comportement va mettre la monarchie en péril.

En 1027, année qui précède son couronnement, il n’a que 17 ans et séjourne au château de Falaise. Là, il voit au lavoir situé au pied du donjon, une jeune beauté nommée Arlette, fille d’un bourgeois de la ville basse. La jeunette a du caractère elle sait garder ses distances tout en attisant la convoitise de son prétendant « elle se fait robe fraîche tailler » si bien que le jeune duc n’y tenant plus la demande en mariage à son père. La belle demande quelque temps de réflexion, se fait prier pour la forme et finalement donne son consentement . Elle fera son entrée dans le château par la grande porte. Une fois le temps requis écoulé, elle donne un héritier à la province, ce sera Guillaume II, d’abord le Bâtard, puis le Conquérant. La vie du Magnifique sera brève. En 1034, ayant quelques inquiétudes pour le salut de son âme, il part en pèlerinage à Jérusalem et meurt sur le chemin du retour, à Nicée, en 1035. Son petit bâtard n‘a que sept ans et si l‘Église le reconnaît par le sang, la noblesse lui refuse le droit de régner, une période trouble commence.

Guillaume

La régence du duché est alors prise en mains par trois personnages fidèles à la dynastie : Alain de Bretagne, le Sénéchal Osbern, et Gilbert d‘Eu, mais la société des grands féodaux s’agite, intrigue et la situation devient particulièrement trouble dans la province. La minorité du jeune duc sera profondément marquée par l’assassinat successif de ses trois tuteurs et le climat d’insécurité qui l’entoure. En 1040, il n’a que douze ans et ses rares fidèles doivent se battre pour lui conserver la place de Falaise qui s’est révoltée. En 1047, âgé de vingt ans il doit fuir son duché devant une puissante coalition de nobles révoltés menés par Guy de Brionne. Il demande asile au roi de France son suzerain et garant de sa couronne, Henri Ier. Celui-ci le reçoit et l’aide à reconquérir ses terres mais c’est une condition assez humiliante pour le jeune prince qui se transforme vite en homme de guerre implacable.

Dès lors, c’est la reprise en mains. Guillaume forme une troupe permanente, affronte les grands féodaux , les bat successivement, démantèle leur patrimoine ne laissant subsister que la petite cellule féodale (le fief du chevalier). Cette politique va lui assurer une autorité réelle et stable. D’autre part, pour occuper ses sujets trop turbulents, il les emmène guerroyer sur les terres du comte d’Anjou, Geoffroy Martel, mais l’organisation militaire du Val de Loire s’est considérablement renforcée. La tactique repose toujours sur de petites places fortes avec des garnisons très mobiles mais le donjon de bois et de pisé trop facile à réduire par le feu dans la journée est maintenant remplacé par un ouvrage de pierres. La petite troupe surprise ou bousculée en rase campagne peut s’y réfugier et tenir plusieurs jours ce qui laisse le temps au système féodal de fonctionner. Les lances arrivent en nombre et chassent l’adversaire. L’affrontement s’enlise et les actions normandes vers le Val de Loire ne sont plus payantes, c’est l’une des raisons qui vont pousser Guillaume à tenter l’aventure en Grande Bretagne.

Vers 1060, son œuvre militaire est achevée sur le continent, il peut réorganiser l’administration provinciale et les Bénédictins qui l’ont toujours soutenu reçoivent d’importants patrimoines fonciers qui vont leur permettre de construire les grandes abbayes du demi-siècle à venir. En douze années, le duché de Normandie est devenu un état centralisé et fort, il a acquis une réelle avance sur les autres provinces d’Occident.

Edouard le Confesseur

En 1035, année où le très jeune Guillaume coiffe la couronne ducale de Normandie meurt Canut le Danois, roi de Grande Bretagne depuis 1016. Durant son règne, il a soigneusement tenu à l’écart le jeune Édouard fils d’Emma sa seconde épouse et prétendant potentiel au nom de la dynastie saxonne. Ainsi exilé, le garçon a passé ses jeunes années en Normandie et fait de longs séjours à Rouen chez son oncle l’archevêque Robert, frère d’Emma. Il a vu la nef de la nouvelle cathédrale s’élever et son tempérament pieux de nature s’est affermi, la mort de Canut lui offre quelques espérances mais il serait pour lui prématuré de gagner la Grande Bretagne.

Le premier fils de Canut,  Harthacanut, héritier légitime, est au Danemark  où il défend le pays contre les invasions norvégiennes et c’est son demi-frère, Harold, dit Pied de Lièvre, qui occupe le trône en son absence, mais il meurt en 1040. Harthacanut revient précipitamment en Grande Bretagne pour préserver ses droits, mais ses mœurs dissolues l’ont épuisé, il meurt à son tour en 1042 des suites d’une beuverie. La noblesse du pays déçue par les descendants de Canut fait appel à Édouard qui s’assied sur le trône en 1042 et sera solennellement couronné en 1043, à Westminster Abbaye. 

Sur les sept années qui viennent de s’écouler, Édouard a suivi les efforts courageux de son cousin Guillaume le Bâtard pour se maintenir au pouvoir. Il apprécie sa force de caractère mais surtout son engagement à l’égard de l’Église et des Bénédictins qu’il associe à ses actes de gouvernement. Une fois en son royaume, il fait venir de nombreux compagnons normands et ceux-ci vont l’aider à se débarrasser de son ambitieux beau-père, en 1051. Quelques années plus tard, il invite Guillaume en Angleterre et, comme il n’a pas d’héritier  légitime, il propose à son cousin de lui léguer sa couronne à l’heure de sa mort. La noblesse du pays qui voit là un bon moyen d’en finir avec les querelles dynastiques qui épuisent la nation est favorable. Pour Guillaume, il suffit désormais de veiller et d’attendre, son heure viendra mais ce sont là les prémices de l’histoire anglo-normande.