Saint Rémi de Reims

L’histoire Rémoise de l’époque Gauloise, au temps carolingien, se trouve traitée dans les fascicules des époques correspondantes et nous allons simplement résumer le sujet afin de mieux aborder le cadre et le contexte de l’An Mille.

La grande enceinte de terre levée qui cernait la métropole des Rèmes, représentait un développement de 10km et une surface de 7 ha. Ce vaste ensemble comportait deux espaces distincts: l'agglomération proprement dite établie sur la légère éminence qui formera la colline Saint Rémi et un vaste enclos d'hiver réservé au bétail avec des étables et des granges. Cette articulation établie en un temps où la richesse se mesurait en têtes de bétail perd de son intérêt avec la mise en culture. Chacun doit alors s'installer sur la surface qu'il exploite afin de la travailler et de la surveiller face aux troupeaux vagabonds qui subsistent encore. Dès lors, l'ancien site ne gardera qu'une fonction politique et religieuse. Là se tiennent les grandes foires saisonnières où l'on traite surtout des bovidés, des chevaux,  mais la majorité des activités artisanales et commerçantes s’est déplacée en milieu rural, dans les gros villages établis sur les terroirs.      

La guerre des Gaules sera l'occasion de redonner une fonction, un rôle à ce haut lieu. Dès que l'ordre romain s'impose, la société des Rèmes, qui a grandement servi César par sa neutralité et ses engagements, se trouve inscrite en bonne place dans le plan d'aménagement augustéen.  La grande voie d'Agrippa qui suit le sillon rhodanien et joint Boulogne en traversant la province aborde le site par la hauteur Saint Rémi puis s’engage dans le grand enclos et bifurque vers Soissons, et le carrefour à partir duquel d’autres voies vont rayonner se trouve tout indiqué pour recevoir la ville ouverte qui constituera la nouvelle métropole des Rèmes. La hauteur Saint Rémi n'est plus que le faubourg sud de la vaste agglomération. Dans cette cité, de larges avenues et de fastueux monuments illustrent la part prise par les Rèmes dans la civilisation en marche.

Dans le faubourg sud, la Chaussée d'Agrippa, avec sa bande de roulement à quatre voies et ses larges accotements, double un ancien itinéraire gaulois et les siècles à venir exploiteront les deux voies distantes de 150m l'une de l'autre. Elles sont toujours présentes dans le tissu urbain. A l'époque des Antonins, la vieille agglomération gauloise s'est entièrement restructurée. Sur les deux voies bordées de boutiques et d'auberges se sont installés les prestataires de service qui vivent du transit empruntant ce grand itinéraire traversant la Gaule et menant vers les Iles Britanniques: c'est la route de l'étain. Enfin, une importante main d'œuvre, indispensable à toutes les activités de ce temps, réside dans de médiocres bâtisses ou demeures collectives établies en retrait des deux axes. De là, part également un itinéraire perpendiculaire menant vers la vallée de la Vesle, toute proche, où sont les artisans dont les activités demandent de l'eau courante: tanneurs, rouisseurs et bien d'autres.

La nouvelle cité d'une superficie de 400ha environ, avec une urbanisation très large et des immeubles à niveaux multiples, doit compter 150 à 200.000 habitants tandis que le faubourg sud qui se développe sur une centaine d'hectares peut compter sur 20 à 25.000 occupants permanents. C'est dans ce faubourg que se développeront les premières communautés chrétiennes.

Avec la période tragique des années 250/275, ces adeptes d'un ordre fraternel qui sont également les prêcheurs de l'Apocalypse trouvent un regain d’audience et les pasteurs qui guident alors ce petit peuple doivent être nombreux. L'un d'entre eux semble se distinguer, c'est un dénommé Sixte. Il doit mourir en odeur de sainteté, vers 260, et ses adeptes vont l'inhumer à proximité d'un lieu de culte situé entre les deux voies, à la hauteur de la perpendiculaire menant vers la Vesle. A cette époque, le faubourg est en ruines et la population sérieusement malmenée par les misères du temps. L'ordre social connaît un certain flottement et la règle des nécropoles hors les murs n'est plus respectée. La légende dorée fera de Sixte le premier évêque de Reims mais la plus grande part de la population résidant dans la cité ignorait sans doute son existence.

Avec la Renaissance Constantinienne et la Paix de l'Église, les chrétiens de la colline des Rèmes peuvent pratiquer librement leur culte. La tombe de Sixte devient objet de vénération et une église est construite sur son emplacement. Ce fut sans doute la première mais les chrétiens dont l'influence est toujours jugée néfaste par les notables sont encore privés du droit de cité. Le règne de Constantin et le calme retrouvé, permettent la réinstallation de la ville sur son maillage augustéen mais le nombre des habitants et le volume des transactions économiques ne permettent plus d'occuper convenablement toute la surface naguère urbanisée. La population envisage alors de se replier derrière le périmètre central déjà mis en défense aux heures les plus critiques du III°s. Ainsi la muraille du Bas-Empire formera une ellipse appuyée sur les quatre arcs monumentaux qui marquaient le noyau urbain.

La Renaissance Constantinienne a fait rêver et la société occidentale a mis un certain temps pour admettre la fin définitive d'une civilisation si brillante, dominatrice même. Construire une muraille représente pour une métropole un aveu de faiblesse. Elle reconnaît ainsi ne plus pouvoir mobiliser la province face aux menaces extérieures et ne plus assurer son rôle de police sur son environnement, sur son assiette économique. Au début du IV°s., c'était plonger dans un contexte dont nul n'avait souvenance et dont on pouvait redouter le pire. Cette mutation ne s'imposera que face aux désordres en cascade qui marqueront le IV°s.

Nicaise

En 400, à la veille de nouvelles invasions, la cité des Rèmes est déjà repliée derrière l'enceinte du Bas-Empire que nous connaissons, mais l'esprit de résistance et la capacité défensive font défaut. Le pouvoir impérial s'est "effiloché". Les chrétiens sont dans la cité et selon les édits de Dioclétien, le nouvel évêque, Nicaise, vient de faire construire une cathédrale dans le centre ville. L'homme est un chrétien fervent mais totalement inconscient des difficultés du temps. En 406 il prêche la fraternité, affirme que tous les hommes sont frères et doivent se comporter comme tel. Face aux vandales qui approchent, il déconsidère toute velléité de défense et lorsque les envahisseurs se présentent sous les murs de la cité, il fait ouvrir une porte et les accueille chaleureusement sur le parvis de sa cathédrale. Mais le message ne passe pas et le pasteur trop naïf attaché sur une roue de charrette est martyrisé à mort. A cet instant, les Rèmes comprennent sans doute le bien-fondé de l'illustre maxime romaine: si vis pacem para bellum. Les bons apôtres seront sans doute priés de regagner au plus vite le faubourg sud d'où ils étaient venus et toute référence à Nicaise disparaît dans la ville. Il faudra attendre l'époque carolingienne et l'agrandissement de la cathédrale pour que le parvis de la précédente, le lieu du martyr, soit marqué d'un petit édifice circulaire qui deviendra la rouelle Saint Nicaise dans la cathédrale du XVI°s.

C'est le faubourg sud qui récupère, pour un temps, la dépouille de l'évêque et la piété populaire vénère son tombeau bientôt recouvert par une église: l'abbatiale Saint Nicaise. Certains auteurs pensent que l'homme avait déjà créé cette fondation vers 365 avant d'être appelé dans la cité. Dans ce cas, il aurait réintégré sa fondation après sa mort. Les Rèmes préserveront leur foi mais confieront désormais leur cathédrale et les destinées de la communauté à des hommes issus de la société urbaine et conscients de leur charge. Bientôt l'un d'entre eux, Rémi, allait se montrer digne de ses responsabilités.

Dès le début du Mérovingien, Reims a acquis son caractère bicéphale : d’une part la cité avec sa cathédrale, ses puissantes murailles et ses relations privilégiées avec la monarchie franque qui lui permettent de gérer sa politique et ses relations économiques et d’en tirer profit; de l’autre, le bourg de la colline Saint Rémi qui s’est organisé avec ses ensembles religieux. Ici la part belle est faite à Nicaise, le martyr, et les chrétiens ont bien vite oublié qu’il avait mis la cité à feu et à sang.

Clovis et Rémi

Dès 450, les Francs qui se sont installés nombreux dans la vallée de l’Escaut ont pris Tournai pour métropole et choisi des rois, ce fut Mérovée puis Childéric Ier qui lui succéda en 458. En 481, son jeune fils, Clovis, alors âgé de 15 ans, accède à la dignité royale après de sanglantes querelles de famille. En 486, il a 20 ans et  part à la tête d'une troupe franque, vers le sud. et pénètre dans le domaine de Syagrius, le dernier des Romains. L'engagement eut lieu dans le méandre de l’Aisne, au nord de Soissons, et les Francs vainqueurs sont désormais les maîtres incontestés au nord de la Loire. Le chef Franc qui fait maintenant figure de roi va bientôt lier de bonnes relations avec le personnage ecclésiastique le plus important de l'époque: Rémi, (le Rème) évêque de Reims. Les deux compères se partagent les rôles d'excellente manière. Le Franc mène ses turbulents cavaliers sous d'autres cieux, agrandit et défend son domaine, tandis que l'évêque suggère et gère les affaires politiques du royaume où les villes sont impliquées. Chacun y trouve son intérêt. En 493, Clovis a 26 ans et Rémi le marie judicieusement à Clotilde, une princesse Burgonde mais catholique. Cependant, le fier Sicambre, en fin politique, veut tirer profit de ses bonnes relations avec le clergé sans en être dépendant et ce n'est qu'après la bataille de Tolbiac, en 496, qu'il acceptera le baptême.

La cérémonie eut lieu une nuit de Noël, à Reims, mais la date n'est pas certaine, 496 est la plus couramment avancée mais certains auteurs proposent 498, 499 et même 506. Grégoire de Tours nous dit que 3.000 guerriers accompagneront le roi dans sa conversion. C'est peut-être beaucoup pour un édifice relativement modeste comme la cathédrale de Nicaise dont la surface utile était inférieure à 1000 m2. Les bourgeois de Reims pouvaient être satisfaits de leur évêque. La ville venait d’acquérir le privilège du sacre et comme Rémi venait de placer bon nombre de ses parents et amis dans les évêchés voisins, les relations politiques et économiques de la cité avec son environnement s'en trouvaient grandement facilitées. Rémi avait fait oublier le triste Nicaise et sa personnalité donne le profil type des évêques pour les siècles à venir. Clovis meurt en 511, à l'âge de 45 ans et Rémi quitte ce bas monde, bien plus tard, vers 530. Est-ce une volonté personnelle ou celle des bourgeois qui n'apprécient guère le culte des reliques mais l'évêque sera inhumé dans une petite église dédiée à Saint Christophe et située sur la colline qui porte aujourd'hui son nom.

Un siècle plus tard, en 633, une nouvelle église, beaucoup plus vaste est construite sur un axe parallèle, mais plus au sud et les reliques de Saint Rémi sont transférées dans la crypte de la nouvelle oeuvre. Rapidement l'abbaye se développe et son domaine couvre l'ensemble des terrains définis par les trois voies, soit 4 ha environ. Désormais, Saint Nicaise et Saint Rémi se font face, à 300 m l'un de l'autre, et les deux abbayes couvrent une bonne part du faubourg. Cette situation se maintiendra sur les 13 siècles à venir, jusqu'à la Révolution. A une époque indéterminée, probablement au début du VI°s, une part des reliques de Saint Nicaise sera transférée à Tournai, la ville du roi, mais le départ de son Saint Patron ne semble pas avoir affecté outre mesure les destinées de la fondation.

La basilique Saint Rémi

La Renaissance Romane est conditionnée par une profonde mutation de l’esprit chrétien. L’Église qui représentait  une espérance pour l’au-delà et un recours pour les pauvres et les mendiants est devenue le cadre des hommes d’action et la fierté de tout un peuple cependant, cet esprit nouveau a su conserver son caractère populaire. Les offices ne sont plus une occasion de prier pour soi et les siens mais une cérémonie où l’on exalte la foi et la gloire de la chrétienté occidentale. Pour cela il faut des édifices très vastes mais les moyens techniques ne sont guère appropriés. Puisqu’il est devenu très difficile de construire de grandes basiliques, (Strasbourg et Limburg sont des exceptions), les maîtres d’œuvre choisissent de multiplier de petits modules, c’est ce que vont faire les constructeurs de Saint Bénigne de Dijon et de Saint Martin de Tours. A Saint Rémi de Reims, l’abbé Airard, adopte également ce parti. De cette campagne commencée en 1005 nous avons conservé les bas-côtés des croisillons et ces maigres témoignages nous permettent d'imaginer le plan initial abandonné ensuite.

Le développement du transept d’Airard était considérable. Le vaisseau central et les doubles bas côtés orientaux et occidentaux représentaient 30m de largeur et l’envergure était de 52m. Un dallage établi sur extrados des berceaux perpendiculaires donnait des tribunes accessibles mais couvertes sur charpente. Le programme était de trop grande importance et les travaux progressaient lentement. A la mort de l'abbé Airard, survenue vers 1012/1015, les croisillons nord et sud sont implantés mais probablement pas achevés et la nef qui respecte le même parti se trouve également amorcée. L'abbé Thierry qui reprend la charge décide de réduire le développement du transept. Il fait démolir toutes les parties orientales et ne conserve que la moitié des bas-côtés occidentaux. La reconstruction se fera sur le même principe, le transept gardera la même envergure mais les bas-côtés seront simples et la largeur interne des trois vaisseaux se trouve réduite à 17, 50m, ce qui permet une reprise du chevet sans changer l‘emplacement de l‘abside. Cependant, le principe du double bas-côté sera conservé pour la nef dont la largeur interne fera 28m.

Lorsque l'abbé Airard choisit d'exploiter les berceaux perpendiculaires dans un ensemble de structure basilicale, les références manquent et le programme connaît les flottements que l'on sait. Certes le procédé était connu mais exploité dans des édifices modestes et puissants, comme aux narthex de Tournus et de Cluny II aujourd'hui disparus. Dans ces programmes, le niveau des arcs porteurs établi en perpendiculaire sur le   bas-côté est totalement dissocié de celui de l'archivolte, ce qui donne beaucoup de hauteur côté nef. le maître d'œuvre de Saint Rémi a-t-il pris modèle sur ces oeuvres bourguignonnes ou bien s'est-il inspiré d'autres programmes septentrionaux aujourd'hui disparus? Nous l'ignorons.

Résumons le comportement des berceaux perpendiculaires en juxtaposition. Leur réaction s'annule. Il ne reste que les deux "effets de fond" à chaque extrémité du système qui doivent être absorbés par des volumes suffisants. Par contre, les arcs porteurs donnent des réactions dirigées vers l'intérieur et l'extérieur. Dans des structures puissantes comme à Tournus et Fontenay, le phénomène est bien contenu mais les piles prévues par Airard étaient graciles pour des portées relativement grandes. C'est la raison des deux arcs sur colonne intermédiaire. Le procédé réduit les réactions internes et externes et facilite l'étagement des niveaux.

Dès 1015, les travaux reprennent sur la nef avec des travées de 5,60m sur une profondeur de 7,72m. La portée du berceau était donc voisine de 4,80m mais les deux arcs porteurs conservent pratiquement la même valeur. La perspective du bas-côté est toujours "bouchée" par cette file de colonnes d'où la reprise complète au XIII°s. avec des voûtes sur croisée d'ogives.

Les berceaux perpendiculaires étaient certes rationnels sur le plan architectonique mais peu satisfaisants en terme architectural. La formule ne sera jamais reprise.

Cette nef longue de onze travées était clôturée à l'ouest par un volume qui sera entièrement refait au XIII°s., seules les tourelles d'escalier du XI°s. subsisteront. Nous ignorons tout de ce narthex mais nous pouvons résumer le problème de la manière suivante. Si ces deux travées étaient identiques à celles de la nef, pourquoi les avoir démontées?. D’autre part, quel volume a pu justifier une reprise des élévations sans nécessiter la démolition des tourelles d'escalier liées aux murs extérieurs?. Le mieux est d'imaginer une tribune voûtée sur la totalité du volume perpendiculaire. La partie centrale, face à la nef, constituait une place d'honneur destinée aux invités de marque mais, en temps ordinaire, elle assurait également la liaison des tribunes droites et gauches de la nef. Une fois la partie centrale démolie il fallait refaire les élévations ainsi que la façade. C'est ce que nous constatons aujourd'hui.

Côté chevet, l'abside en hémicycle et la crypte construites en 633 se liaient avec le transept de l'abbé Airard mais pas avec l'œuvre réduite de Thierry. Il nous faut donc imaginer une partie droite reliant la croisée à l'abside. Des doubles bas-côtés conviendraient fort bien pour rejoindre les chapelles orientées qui subsistent. Nous aurions alors un ensemble dit bénédictin, avec des chapelles en dégradé. Tout cette partie orientale sera démolie au XII°s pour laisser place au beau chevet avec déambulatoire et chapelles rayonnantes que nous voyons aujourd'hui, mais l'emplacement de l'abside demeure inchangé. La dernière travée droite actuelle forme un léger trapèze, ce qui correspond à la différence d'ouverture entre partie droite et abside élevées par Thierry.

 

 

 

 

 

 

Reims – Saint-Rémi : la nef, vue d'ensemble

 

Reims – Saint-Rémi : la nef, élévation sud

 

 

Reims – Saint-Rémi : vue d'ensemble

 

Reims – Saint-Rémi : les grandes arcades du premier niveau

 

Reims – Saint-Rémi : la nef, premier niveau et tribunes

 

Reims – Saint-Rémi : le croisillon nord, bas côté roman

 

Reims – Saint-Rémi : le croisillon sud, bas côté (XIe)

 

Reims – Saint-Rémi : ensemble, vue intérieure