Vignory - L'abbatiale
Vignory doit sa notoriété à Mérimée qui la découvre en septembre 1843. Frappé par ses caractères il la donne comme carolingienne et ce jugement n’a rien de surprenant en un temps où la période intermédiaire, le Roman, tarde à s’imposer. Sa charge d’inspecteur général des Monuments Historiques lui permet d’intervenir et l’ouvrage sera restauré par l’architecte Boeswillwald de 1844 à 1860 pour la somme de 170.000 Fr. Son travail est honnête mais il ne fait rien pour tenter de dater l’ouvrage préalablement attribué au XV° s.
Les historiens se plongent alors dans les textes et tout fait porter leur attention sur la première moitié du XI° s. L’histoire commence en 1032 où l’évêque de Langres autorise Guy de Vignory à établir un collège de chanoines dans l’église Saint-Etienne. Cet acte se situe bien dans le contexte de l’an 1000 où les évêques sont tentés de reprendre en mains leur diocèse et de mettre en tutelle les petits nobliaux trop avides de revenus ecclésiastiques. Vers 1050, les moines de Saint-Bénigne de Dijon (obédience clunisienne) interviennent et obtiennent de Roger de Vignory, fils de Guy, la maîtrise de la fondation dont ils chassent les chanoines. L’évêque de Langres, Hardouin de Tonnerre, dont dépend Vignory, doit accepter, son supérieur hiérarchique, l’archevêque de Lyon, n’est autre que l’ancien abbé de Saint-Bénigne. Ces informations nous donnent une période apparemment satisfaisante, 1032/1057, mais ceci ne répond pas à l’interrogation déjà posée : quel était l’ouvrage antérieur à l’édifice ainsi reconstruit et consacré en 1057? Il nous faut analyser l’ouvrage et en tirer des observations dignes d’intérêt.
L’église de Vignory peut se décomposer en trois parties: un chevet à grand développement avec trois chapelles rayonnantes, puis deux travées droites puissantes et partiellement voûtées, ces deux parties correspondant bien à la période donnée par les textes 1030/1060. Ensuite, nous avons une nef avec bas-côtés dont l’élévation est à deux registres d’arcades en plein cintre mais sans tribune caractérisée. Ici la conception peut être considérée comme pré-romane et les murs extérieurs semblent antérieurs à l’élévation. Cette nef est fortement gauchie par rapport à l’ensemble oriental et devait donc se raccorder à un narthex préservé, probablement un transept occidental d’origine carolingienne avec une abside rectangulaire. A l’appui de cette hypothèse, nous dirons que le monde occidental est christianisé depuis le bas empire et, sur les lieux consacrés, bien des sanctuaires ont précédé les œuvres romanes. Nous proposons donc le schéma suivant.
De Langres, deux voies romaines de première importance se dirigent vers le nord, l’une vers Trêves, l’autre vers Reims, tandis qu’une troisième, d’origine gauloise mais aménagée, longe la Marne. La table de la Lyonnaise la signale mais pas la 31 qui couvre la région nord et ce n’est sans doute qu’une divergence administrative. Ces voies sur berge furent de tout temps des cheminements économiques très fréquentés et celle de la Marne dessert Vignory. A cet endroit, le fleuve coule au niveau 230m et les terres alluviales qui le bordent sont fertiles. Les Francs s’y installent et plusieurs villages voisins portent leur marque : Soncourt, Vraincourt, Oudincourt. Avec la quiétude relative qui marque les temps mérovingiens, les habitants de Vignory construisent un sanctuaire sans doute proche du primitif rural. A l’époque carolingienne, un personnage important s’installe sur ces terres et le lieu dit, Carolus, en garde le souvenir. Au temps de Louis le Pieux, la communauté chrétienne fait construire une église avec nef flanquée de bas-côtés, abside et absidioles à l’est et un transept occidental . Les raids normands et la période troublée qui caractérise la fin de l’Empire Carolingien, ont ruiné Vignory. Le nobliau se replie sur la hauteur dominante et le village glisse dans la vallée. En l’an 1000, l’église maintenant située à la limite de l’agglomération est en ruines et c’est dans ce contexte que les chanoines interviennent. Ils réalisent l’ensemble du chevet, entament les deux travées droites mais l’arrivée des moines perturbe le chantier. Les absides primitives sont démolies, les deux travées droites rapidement achevées, d’où leur gauchissement, et les travaux vont se poursuivre mais au plus simple. Les élévations sont réalisées dans des murs externes préservés d’où le gauchissement important constaté. A l’ouest, le transept carolingien sera conservé un temps mais, au XIX°s. il avait disparu sans laisser de traces et Beoswillwald poursuivra sa restauration sur plusieurs travées.
Vignory – L'abbatiale : la nef, élévation sud
Vignory – L'abbatiale : la nef, les fausses tribunes
Vignory – L'abbatiale : bas côté sud, travée orientale
Vignory – L'abbatiale : le déambulatoire avec voûtes en berceau annulaire