Chartres - La cathédrale

Les cathédrales successives

L’étude des cathédrales qui se sont succédées sur l’oppidum des Carnutes figure dans les fascicules des époques correspondantes et nous allons simplement résumer le sujet.

A Chartres, les premières communautés chrétiennes se sont développées au sein du monde plébéien dont les activités étaient situées au pied du site et liées aux cours d'eau. Il faut attendre la restauration constantinienne pour qu’une cathédrale soit édifiée dans l'agglomération fermée qui occupe l'éperon. C‘est un dénommé Adventus, contemporain de Diclopétus, évêque d'Orléans, qui signa les actes du concile de Sardique en 343, et nous pouvons considérer le phénomène directement lié à la Paix de l'Église (314). La vie d'Adventus doit couvrir la période 300/360 et l'édification de sa cathédrale peut se situer vers 330/350.

Selon nos études antérieures, l'église d'Adventus comportait une nef à collatéraux, un transept et l'abside se trouvait sur le dévers du mur, probablement sur les fondations d'une tour mais cela pourrait être un aménagement du VI° siècle. En tout état de cause, c'est cette abside hors les murs qui servira de centre au chœur des trois édifices ultérieurs. L'église d'Adventus sera détruite par le feu lors du siège mené par Hunald, Duc d'Aquitaine, en 743.

Le saccage suivant sera celui des Normands le 12 Juin 858 mais nous ignorons quels étaient l'importance et les caractères de l'édifice qui servait alors de cathédrale aux Chartrains. Durant la période carolingienne relativement faste, qui va de 743 à 858, il serait bien surprenant que la ville n'ait pas profité de cet intermède de prospérité pour aménager son sanctuaire.

A partir de 858, c'est l'évêque Gislebert qui reconstruit l'édifice et, selon René Merlet, il va profiter d'une brèche ouverte dans la muraille par les assaillants normands pour établir une nouvelle abside, plus vaste,  sur le dévers haut de 8m. Ce sera l'origine de la première crypte. Elle est formée d'un déambulatoire entourant un sanctuaire nommé caveau Saint Lubin et l'ensemble fut découvert lors des fouilles menées en 1904. Certes toutes ces maçonneries sont du IX° mais elles ont fort bien pu remplacer les bases d'une ancienne abside ruinée par les normands et c'est l'avancée du mur gallo-romain, également mis à jour en 1904, qui suggère l'hypothèse d'une tour sur l'emplacement de l'actuel caveau Saint Lubin. En outre, ce caveau et le déambulatoire de Gislebert ne sont pas concentriques, ce qui est toujours surprenant dans un programme homogène.

La cathédrale de Gislebert est beaucoup plus vaste. Son transept doit correspondre à un espace consacré, repris ultérieurement par la crypte de Fulbert mais sans qu’il y ait de croisillons correspondant dans l'église haute. Quant à la nef, nous connaissons la situation de ses élévations par des fragments découverts en 1891, et les alignements de ses murs nous permettent d'imaginer qu'ils ont repris les fondations externes de la nef d'Adventus.

L'édifice endommagé une première fois par un incendie survenu le 5 août 962, fut complètement détruit par un second sinistre dans la nuit de 7 au 8 septembre 1020. L'évêque de Chartres était alors l'illustre Fulbert et ce prélat entreprend de jeter les fondations d'une nouvelle cathédrale qui sera, pour un temps, la plus grande de l'Occident septentrional.

La cathédrale de Fulbert

De coutume, les grands programmes commencent par l'abside tandis que l'ancienne nef, clôturée d'un bardage au niveau du transept, abrite les offices qui ne sauraient être interrompus. Fulbert ne va pas déroger à la règle mais le terrain en forte déclivité l'oblige à réaliser en préliminaire une crypte de vastes dimensions. La différence de niveau est encore voisine de 6m, malgré les remblais accumulés depuis deux siècles en avant de la muraille du Bas-Empire.

D'autre part, en ce début du XI°, l'architecture religieuse entame une mutation qui sera profonde. Le parti basilical qui a régné sans partage depuis sept siècles a révélé toutes ses faiblesses et les constructeurs ont peine à réaliser les grandes voûtes en cul-de-four qui doivent logiquement coiffer l'abside en hémicycle. Certes, toute voûte commence son existence en se comportant tel un monolithe reconstitué mais les fissures apparaissent rapidement et les constructeurs perdent confiance. Alors, toutes les options sont envisagées. Certains choisissent le chœur rectangulaire avec murs porteurs et couverture sur charpente, c'est le plus simple et le moins coûteux , ceux de Soignies et de Nivelles en sont la meilleure illustration..

Fulbert, conscient des problèmes veut cependant construire grand. Il va choisir un parti relativement nouveau, le chevet avec abside, déambulatoire et chapelles rayonnantes. Le procédé offre l'avantage de décomposer l'espace en divers secteurs que l'on peut voûter en particulier ou en totalité. Le chevet de la nouvelle cathédrale comportera déambulatoire et trois chapelles rayonnantes profondes. Vers 1020, le chevet de Tournus semble être le seul qui puisse l’inspirer.

La crypte

Le rayon d'implantation du chevet est considérable, 16, 50m, mais le mur périphérique fait 7 pieds d'épaisseur au niveau de la crypte pour une oeuvre haute de 6 pieds, valeur nominale, tandis que la base de l'abside fait 10 pieds (3m) d'épaisseur en intégrant les fondations de l'oeuvre carolingienne, ainsi le déambulatoire de la crypte est un étroit couloir de 3m 50 de large, voûté d'un berceau annulaire. Par contre, les trois chapelles rayonnantes, larges de 5,60m comportent une partie droite de 9,50m. L'ensemble est énorme pour l'époque mais, traité en puissance, il semble pouvoir défier les siècles; il y parviendra mais englobé dans les structures du XIII°.

En ce début du XI°, les grands circuits de pèlerinage se mettent en place et Fulbert veut tirer profit du phénomène. La route menant à Saint-Jacques de Compostelle s'organise à partir de Saint-Martin de Tours mais pour joindre le Val de Loire, les chrétiens du Nord suivent divers circuits de concentration. Un grand nombre de pèlerins gagne Orléans pour ensuite longer le fleuve et l'évêque de Chartres veut les inciter à rejoindre directement Tours en passant par sa ville et les plaines de Beauce. Pour cela il faut développer le culte des reliques et aménager les structures d'accueil. La nouvelle crypte répond à ces besoins. Mais ces grands pèlerinages vers la Galice deviennent très populaires et les foules ainsi drainées sont constituées de petites gens sans grands moyens. Les bourgeois de Chartres seraient certainement gênés de voir cette foule bigarrée traverser leur cathédrale durant les offices. Alors, l'église de pèlerinage sera souterraine et distincte. L'accès à la crypte et au puits des Saints-Forts se fera par de longs couloirs voûtés correspondant aux bas-côtés de la nef, l'un pour l'accès, l'autre pour la sortie. Ainsi, le mouvement des pèlerins se fera à partir du porche et non du transept, comme de coutume.

L'église haute

Le chevet de l'église haute reprend naturellement le plan de la crypte mais, déambulatoire et chapelles rayonnantes, également voûtés en berceau plein cintre sont, ici, plus hauts, 10 à 11m pour les parties droites des chapelles et 13 à 14m pour le berceau annulaire du déambulatoire. Dans un souci d'esthétique, le constructeur choisit d'établir l'hémicycle du sanctuaire sur quatre colonnes portant trois arcs qui vont correspondre aux trois chapelles rayonnantes. Mais le parti est risqué. Ces grandes arcades vont représenter un sérieux porte à faux qui doit, logiquement, être épaulé par l'inertie du berceau annulaire. Théoriquement la composition était viable mais la réalisation pratique fut-elle satisfaisante? Nous l'ignorons. Vers 1060, le petit chevet de Vignory reprend la formule mais il reçoit rapidement des supports intermédiaires. Par contre, les chevets de Gloucester et de Tewkesbury, également édifiés selon le parti de Chartres, ont donné satisfaction.

Enfin reste le problème du sanctuaire. Était-il voûté ou non?. Sur la foi de Vignory, René Merlet  pensait que oui mais la miniature d'André de Mici qui montre une haute couverture en charpente coiffant abside et déambulatoire semble contredire cette hypothèse. Aussi opterons nous pour le plafond à caissons.

Au delà du chevet, l'édifice se poursuit par une vaste nef à trois vaisseaux, longue de 11 travées, mais les deux premières qui correspondent à l'ancien transept carolingien devaient être traitées différemment de l'ensemble. Si nous reprenons le parallèle fait avec Vignory, elles comportaient une élévation à deux niveaux voûtés et peut être un étage de tribunes. Sur notre restitution, nous avons opté pour une élévation à deux niveaux mais sans tribune. Ce faisant, l'église de Fulbert renonce au transept et créé le parti des grands édifices à vaisseau unique qui sera repris par de nombreuses cathédrales de la première génération gothique: Senlis, Sens et Bourges.

La nef de Fulbert

Pour établir une hypothèse satisfaisante et restituer la nef de Fulbert, il est possible de reprendre le parallèle fait avec Vignory et selon cette démarche, l'édifice chartrain comportait des élévations à fausses tribunes. C'est le parti qui sera également choisi à Rouen par l'évêque Maurile. Cependant, l'analyse de l'architecture anglo-normande permet une hypothèse différente et mieux argumentée.

Certaines grandes abbatiales et cathédrales d'Outre Manche ont repris le parti d'édifices continentaux aujourd'hui disparus, mais les chevets avec déambulatoire et trois chapelles rayonnantes sont peu nombreux. Deux d'entre eux, Gloucester et Tewkesbury, ont des sanctuaires reposant sur trois travées rayonnantes, et ce n'est certainement pas Vignory qui a servi de modèle. Ils sont dérivés de Chartres et celle ci comportait également des nefs à gros piliers cylindriques. C'est l'option que nous avons choisie et nous rejoignons ainsi Tournus qui représentait en 1020 le seul modèle à chapelles rayonnantes avec partie droite. Quant à la hauteur de cette nef, elle nous est donnée par l'arc de décharge qui surmonte le portail royal initialement conçu pour clôturer l'œuvre du XI°. Ceci nous donne un entraxe voisin de 18m et une hauteur sous plafond de 27m. Enfin, pour les détails de l'élévation, nous avons choisi le triforium de Tewkesbury, le plus rustique, et des grandes fenêtres tel qu'elles étaient traitées sur la première moitié du XI°, Jumièges, Bernay. Sur la miniature d'André de Mici nous voyons ces fenêtres structurées d'arcs de décharge. Enfin, les murs traités sur une valeur nominale de 10 pieds à la hauteur de la crypte et de 8 pieds sur le bas-côté, comportaient également de grandes fenêtres avec des arcs de décharge.

Avec 16m de portée et près de 20m pour les arbalétriers, les entraits de la charpente étaient nécessairement composés de plusieurs poutres. Cette technique d'origine romaine était alors pratiquement oubliée en région septentrionale mais toujours bien maîtrisée par les constructeurs de la péninsule italienne. Signalons cependant que les toitures à forte pente pratiquées dans les régions du Nord imposaient beaucoup moins d'efforts à cette pièce maîtresse. La couverture était en feuilles de plomb, rectangulaires, montées en diagonale avec bords roulés. La fixation en trois points assure un montage glissant et met ainsi la couverture à l'abri des mouvements de charpente.

Enfin, la façade occidentale était constituée d’un simple mur pignon sans doute garni d’un registre de baies en plein cintre au niveau supérieur comme sur les basiliques constantiniennes. C’est cet aménagement trop rustique qui devait laisser place au portail royal. 

Cette restitution de la cathédrale de Fulbert n'est qu'une hypothèse mais c'est la seule actuellement proposée. En ultime argument signalons que la miniature d'André de Mici représente, à l'ouest, des piles rondes avec chapiteau cylindrique appareillé et, à l'est, des chapiteaux de facture cubique.

Sur la première moitié du XII°, deux puissantes tours seront élevées à une dizaine de mètres de la façade du XI°. Ce sont celles intégrées dans la cathédrale actuelle.

Le vendredi 10 juin 1194, la cathédrale de Fulbert est ravagée par un incendie et les travaux de l'œuvre gothique vont commencer peu après. Mais le chantier progresse lentement d'ouest en est et c'est sans doute la vieille cathédrale, rapidement restaurée, qui abritera l'exercice du culte sur le demi-siècle que vont durer les travaux. Comme les tours occidentales et l'ensemble de la crypte n'ont pas été touchés par le sinistre, la cathédrale du XIII° englobe totalement les substructures du XI°, seul le transept correspond à une implantation nouvelle.

Fulbert est l’un des hommes remarquables de son époque. Il voit la Renaissance romane se développer et comprend les implications que cela aura sur les cités du Bas Empire sclérosées de longue date. Il veut que la métropole des Carnutes dont il a la charge anticipe ces mutations afin d’en tirer profit. Les habitants de la province viennent régulièrement  dans la métropole mais ce sont les commerçants et artisans de la vallée qui bénéficient de ces transactions. Ils ont organisé des places de marché (A) et développé deux lieux de culte, Saint Pierre et Saint André, pour drainer les dévotions des visiteurs, ce qui prive la cathédrale d‘une bonne part de ses revenus. C‘est un phénomène qui ne peut que s‘amplifier et la ville basse risque d‘acquérir son autonomie et les notables de la cité vont perdre pouvoir et revenus. Fulbert doit les convaincre de reprendre l’initiative. Il faut construire une grande cathédrale, trouver des reliques, appeler les pèlerins qui se rendent à Tours et organiser de fastueuses cérémonies religieuses qui inciteront les provinciaux à renouer avec la ville haute. Ce sera un investissement considérable mais rentable. Fulbert construit alors la plus grande cathédrale de l’Occident septentrional. Le chevet a trois chapelles rayonnantes sera implanté sur le dévers (B) qui fait face à la muraille (C) et l’église haute (D) sera édifiée sur une énorme crypte. La cathédrale carolingienne (E) disparaît rapidement et la grande nef de Fulbert sera clôturée par une façade (F). Les tours (G) seront édifiées ultérieurement. (H) réduit comtal, (J) nouvelle ville de plateau, (K) défense de la fin du XI°s., (L) espace épiscopal.

 

 

 

 

 

 

Chartres – Evêque Fulbert

 

Chartres – Evêque Fulbert