Cerisy-la-Forêt - L'abbatiale
Cette abbaye se trouve à proximité de la voie romaine Bayeux/Coutances et ce fût, à l’origine, comme bien d’autres cas une grande exploitation gallo romaine désaffectée par le dénombrement puis vouée aux religieux. Au milieu du V°s. Volusianus, ami de Sidoine Apollinaire, 430/479 sera le témoin d’un miracle sur ces terres du Bessin. Il décide alors de confier à un saint personnage sa propriété voisine de Cerisy afin de servir la foi nouvelle. Son choix se porte sur l’ermite Vigor qui deviendra ensuite évêque de Bayeux. A cette époque, et faute de règles strictes, les fondations religieuses deviennent rapidement le refuge de mendiants de profession plus ou moins inspirés et la communauté fondée par Vigor décline rapidement. Son histoire sera totalement obscure durant les six siècles qui vont suivre.
Vers l’an 1000, les occupants ont fui les invasions normandes et les bâtiments sont en ruines. Robert le Magnifique, père de Guillaume le Conquérant, entreprend de relever les fondations religieuses et, le 12 novembre 1032, il rétablit la communauté de Cerisy-la-Forêt puisqu’elle se situe maintenant dans les limites de la forêt de Balleroy. Ce sont les Bénédictins qui prennent en charge la maison mais la région est dépeuplée et la tâche est immense. De 1040 à 1070, la nouvelle communauté s’organise et construit son cadre de vie monastique avec une abbatiale de taille modeste. C’est la volonté de Guillaume le Conquérant qui imposera, là, comme ailleurs, l’édification d’une nouvelle et grande abbatiale selon l’école Normande qui vient de se concrétiser à Saint Etienne de Caen.
Le chevet
Selon toute vraisemblance, le programme débute par le chevet avec une belle abside à trois niveaux d’arcatures réalisé de 1068 à 1072 (Caen vers 1160). Suit une partie droite longue de deux travées flanquée de deux collatéraux avec absidioles. Sur la partie centrale, le premier niveau est aveugle pour permettre l’installation de stalles étagées destinées à la communauté. Ce choix améliore également la stabilité des voûtes des bas côtés, par contre, au deuxième niveau, l’ouvrage est flanqué de tribunes ouvrant sur la nef par deux baies hautes et étroites, réalisées sans doute au modèle de Saint Etienne. Pour les maîtres d’œuvre qui furent les premiers à réaliser des tribunes accessibles et exploitables, nous pouvons comprendre la prudence et le refus de grandes ouvertures, un souci qui va disparaître sur les nefs, quelques années plus tard. A Cerisy, ces tribunes reprennent strictement le plan du premier niveau avec également une absidiole voûtée. Nous trouvons dans cette abbatiale un puissant doubleau destiné à clôturer l’hémicycle mais l’ensemble demeurait couvert sur charpente. La partie droite se limite à deux travées contre quatre à Saint tienne, ici la communauté monastique était moins nombreuse. Achèvement vers 1080/1082.
Le transept
Les fondations du transept furent « jetées » dans la foulée du chevet, soit vers 1076/1078 et c’est également une bonne réplique de l’œuvre de Saint Etienne. Il comporte une croisée régulière et puissante destinée à porter une tour lanterne et deux croisillons dont le débordement correspond au volume des chapelles orientées. Ces travées externes, beaucoup plus grandes que celles prolongeant les bas côtés, sont surmontées de tribunes sur voûtes d’arêtes. Cette disposition à l’extrémité des croisillons est peu pratique mais plus esthétique qu’à Jumièges où elles se trouvent dans le prolongement des bas-côtés. Dans ce transept parfaitement conçu, la tour lanterne pêche par incohérence. Au dessus du premier niveau formé par les grandes arcades, nous trouvons l’étage destiné à recevoir les combles. Il est garni d’arcatures aveugles qui interfèrent avec les larmiers. Ensuite nous trouvons le troisième niveau, celui des fenêtres d’éclairement, mais il est maladroitement restauré et nous ignorons la facture initiale. L’ensemble du transept doit être achevé vers 1086/1088 et, à cette époque, la nef est déjà implantée.
La nef
Primitivement longue de huit travées, la nef de Cerisy constituait en son temps une superbe réalisation fidèle à son modèle, Saint Etienne de Caen. De structure plus gracile et moins haute, 20m 40 contre 21m 50, mais de même largeur, 10m, elle reprend naturellement la composition à trois niveaux avec tribunes accessibles. Au premier niveau, l’archivolte comporte un double rouleau bien caractérisé et les bas côtés sont voûtés d’arêtes avec doubleau. A l’étage des tribunes, le rouleau inférieur se transforme en baie géminée tandis que le mur extérieur monte suffisamment haut pour recevoir une fenêtre de bonne taille. Entre chaque travée, un arc diaphragme vient stabiliser l’élévation et sert secondairement à porter le comble. Enfin, l’élévation qui conserve son épaisseur de 1m 40 sur toute la hauteur, permet l’installation de la traditionnelle galerie de circulation avec trois arcatures de portée et de hauteur identiques. C’est une exception dans l’École Normande.
L’implantation de cette nef qui ne fut pas gênée par des édifices antérieurs, commence vers 1085 et les murs extérieurs prennent une sérieuse avance sur le programme. Les fenêtres placées trop haut pour l’équilibre des trois niveaux vont impliquer une déformation du voutin correspondant. Dès 1090, les travaux connaissent un certain ralentissement, c’est l’époque où les grands programmes engagés Outre Manche appellent bon nombre de spécialistes qualifiés. L’édifice sera achevé vers 1010 et clôturé par une simple façade sans doute faute de temps et de moyens.
Au XIV° s., la tour lanterne est reprise en sous œuvre et l’abside reçoit ses voûtes sur croisée d’ogives. De 1811 à 1812, démolition de la façade (refaite au XIII°) et des cinq premières travées de la nef, les restaurations commencent en 1880 et se poursuivent après 1964. Aujourd’hui, le visiteur découvre cette grande abbatiale tronquée dans un environnement de pâturages et c’est une surprise, mais elle est teintée de regrets. Il y eut, ici, naguère, l’une des grandes abbayes de Normandie et les vicissitudes des siècles en firent table rase.
Cerisy-la-Forêt – L'abbatiale : vue d'ensemble côté chevet
Cerisy-la-Forêt – L'abbatiale : grandes arcades et tribunes
Cerisy-la-Forêt – L'abbatiale : les tribunes et les fenêtres hautes