Nivelles - Sainte Gertrude

Gravement endommagée par un bombardement aérien, en mai 1940, l’abbaye de Nivelles fut très soigneusement restaurée et des fouilles ont été menées sous le dallage ainsi qu’aux abords. Les fondations mises à jour ont permis de restituer les différentes campagnes de construction et Sainte Gertrude de Nivelles devient l’une des abbayes dont l’histoire est la mieux connue. Nous lui avons consacré diverses études dans les fascicules précédents et nous les résumons ici pour une meilleure approche en l‘An Mille.

L'abbaye de Nivelles fut fondée par Ida, femme de Pépin l'Ancien (Pépin de Landen) vers 640/650 et confiée à l'une de ses filles Gertrude. Les enfants de Landen devaient respecter la règle du temps; l'aîné prendra le meilleur des terres, les cadets iront chercher fortune ailleurs ou resteront sous la dépendance du grand frère, quant aux filles elles doivent trouver un bon parti ou finir tristement célibataires à la maison. Mais Ida voulait pour elles une meilleure condition. A cette époque, la fondation d'une maison consacrée à la propagation de la foi et à l'aide aux indigents était une bonne manière de doter les enfants de revenus et d'une indépendance relative. Une seconde fille de Landen, Begg, recevra pour fondation une autre propriété familiale située sur la Meuse, à 18 km en aval de Namur. Le lieu deviendra également une abbaye illustre; c'est aujourd'hui Andenne.

A cette époque, l’Église d’Occident bien vivante mais que Rome n’est plus en mesure de contrôler, connaît quelques dérives. Dans les cités les évêques sont d’obédience bourgeoise et se soucient fort peu de la chrétienté en milieu rural. Celle ci est alors livrée aux prêcheurs itinérants et ceux de la discipline irlandaise sont très actifs en région septentrionale. Le maître à penser de Gertrude est un certain Sinewalon ou Sinqualon, que les populations de la région considèrent comme le saint de Wallonie et que les aléas des transcriptions futures ont transformé en Saint Sinewalon. L'homme fut assassiné avec quelques compagnons le 31 octobre 655, à proximité de Nivelles, et inhumé dans l’une des trois églises de la fondation, là où reposera Gertrude après son décès. Mais le personnage se confond avec le fondateur de l'abbaye de Fosse la Ville où il est question de Saint Feuillen. Fosse la Ville fut établie sur une terre appartenant à Itte, une condisciple de Gertrude. Tous ces personnages ont une histoire incertaine mais sont intimement liés. Enfin, Begge meurt, elle aussi, en odeur de sainteté dans son béguinage vers 690.

Sainte Gertrude fut sans doute une femme exemplaire mais la destinée de sa famille fit beaucoup pour sa notoriété posthume. Son père, Pépin de Landen, dont le domaine se trouve au sud de Saint-Trond, était également fonctionnaire (maire du Palais) des rois d'Austrasie et par le jeu des intrigues et des alliances, cette famille va supplanter la dynastie régnante et donner naissance à la lignée carolingienne. Ainsi, la très modeste fondation de Gertrude devint l'une des grandes abbayes de Wallonie et la petite église du parti primitif rural où la fondatrice avait été inhumée sera plusieurs fois reconstruite et agrandie.

Les édifices successifs

Les fouilles et relevés donnent une idée précise des édifices qui se sont succédés sur le tombeau de la Sainte. Le plan de l’ouvrage primitif formait un rectangle  de 8 m x 22 m, et les murs de facture légère étaient d’une épaisseur de 3 pieds. Il n’y avait ni porche ni abside et nous pouvons l'apparenter à Saint-Sulpice de Ruffec précédemment analysée. Sous le dallage furent retrouvées une trentaine de sépultures régulièrement disposées avec un emplacement distinct côté nord, celui supposé de Gertrude.

Le second édifice de même plan, mais légèrement plus grand, 9, 50m x 31,50m conserve l'alignement mais le tombeau de la Sainte est maintenant vénéré par la population locale et nous le retrouvons dans une petite abside de plan carré, 4, 50m x 4, 50m qui sera ensuite agrandie sous le même rapport. Ce deuxième édifice est daté de la fin du VII°s, 680/690. Le troisième édifice est carolingien, fin du IX°s, 860/880. Les fondations précédentes sont reprises, renforcées et l’ouvrage comporte une nef flanquée de deux bas-côtés. La longueur ne change pas mais la largeur est maintenant de 20m. L’abside précédente est maintenue en place mais renforcée puis enveloppée d'une partie droite clôturée d'un hémicycle; c'est le premier. Les bas-côtés sont prolongés pour donner accès à deux couloirs latéraux permettant aux pèlerins de faire le tour du tombeau de la Sainte. Ce troisième édifice est précédé d'un atrium.

Au X°s, vers 920/940, les parties orientales de l'église sont transformées. Les reliques de la Sainte sont sorties du sarcophage et installées dans une châsse placée sur un socle. L'ancien tombeau laisse place à un chœur  rectangulaire clôturé d'une abside en hémicycle. C'est dans ce volume situé derrière l'autel, que se trouve la châsse. Comme le sol est en déclivité vers l'est, toute cette partie est en contre-bas par rapport à la nef. Cette fois les pèlerins ne se contentent plus de s'agenouiller et de prier sur le tombeau de Gertrude, ils veulent toucher la châsse contenant ses reliques espérant que leurs souhaits seront ainsi mieux exaucés. L'Occident entre alors dans une période de grande ferveur et les relations miraculeuses deviennent nombreuses.

Vers le milieu du siècle, 950/960, les travaux reprennent. L'église trop petite pour contenir les foules est allongée au détriment de l'atrium, tandis que les bas-côtés, également prolongés vers l'est, flanquent maintenant l'abside rectangulaire. La nef représente alors une longueur de 60 m environ mais la largeur de l‘édifice n‘a pas changé. Les élévations établies sur un entraxe de 9,50 m doivent porter sur des piles rectangulaires en maçonnerie d'une base de 4 pieds. Les bas-côtés larges de 3, 80 m environ, apparaissent toujours sans structuration aucune. Ces trois vaisseaux avec murs porteurs étaient éclairés de deux niveaux de fenêtres et couverts sur charpente. Nous avons ainsi, à l'aube de l'An 1000, un édifice toujours fidèle au parti basilical des premiers temps chrétiens.

C’est vers 960/980 que la façade occidentale de cette église reçoit un narthex. C'est un puissant volume perpendiculaire, de 23 m x 9,50 m aux fondations massives. Il sera totalement englobé dans l'œuvre du XII°s, mais les éléments retrouvés lors des fouilles nous permettent de l'imaginer. Il comportait, au centre, une partie droite clôturée d'une abside, toutes deux voûtées, tandis que les volumes latéraux englobaient deux tourelles d'escalier à vis. La base des ces escaliers était accessible par deux corridors sous voûtes installés dans le prolongement des bas-côtés. La présence des escaliers suggère des tribunes latérales. Nous proposons une restitution de l’édifice des IX° et X°s. sur le fascicule consacré à la période carolingienne.

L'abbatiale actuelle

En l’An 1000, la Renaissance Romane prend son essor et l’Occident reçoit sa blanche robe d’églises comme nous l’a dit Gerber. En 1010, la communauté de Nivelles décide de reconstruire totalement l’église où repose la sainte. Les travaux commencent par l'ouest et la nouvelle oeuvre s’appuie sur le narthex récemment édifié, mais les dimensions de ce dernier ne coïncident pas. L'entraxe de 9,50 m donne une ouverture de 8 m environ et l'arc de l'abside devait s'inscrire dans le volume de la nef, soit une hauteur de 15 à 16 m. Par contre, l’édifice projeté fera 11, 85 m à l'axe pour une hauteur de 20 m environ. Cette différence sera absorbée par un volume perpendiculaire, un transept occidental. 

Les travaux se poursuivent vers l'est, pas à pas, en réservant l'édifice du X°s. pour les besoins du culte et des pèlerinages. La nouvelle nef comporte huit travées découpées en deux groupes de quatre par un arc diaphragme. La dernière travée se situe à une dizaine de mètres en retrait de l'ancienne abside et le nouveau programme préserve momentanément le volume du sanctuaire et le tombeau de la Sainte. Une liaison provisoire est sans doute réalisée. Cette première campagne s'achève vers 1025.

Comme nous l'avons dit, le sol est en déclivité vers l'est et la suite du programme portera sur une vaste crypte rectangulaire longue de six travées et large de trois. Elle est coiffée de 18 voûtes d'arêtes portées par de fines colonnettes monolithiques avec chapiteaux cubiques. Une très modeste abside s'ouvre face à la travée centrale. Ce premier niveau sera ensuite surmonté d'un grand chœur rectangulaire de dimensions correspondantes. La nouvelle demeure de la Sainte est prête, la translation des reliques peut être envisagée. Cela doit se faire vers 1035/1040, mais il reste à relier la nef et l'abside par un transept et c'est sans doute ce qui reportera la consécration définitive à 1046.

Le nouveau transept de 42, 50 m x 10, 40 m est plus vaste mais également plus soigné que celui de l’Occident. Les croisillons nord et sud ouvrant sur des chapelles orientées rectangulaires sont éclairés par des groupes de trois grandes fenêtres structurées d'arcades internes et externes. Mais, selon la coutume chère aux maîtres ottoniens, la corniche de ce transept s'aligne sur le chevet et se trouve ainsi plus bas que la nef. La différence de niveau est de 4 m. Ainsi le volume du comble perpendiculaire arrive en pénétration dans celui de la nef mais les couvertures de l'époque, réalisées en feuilles de plomb, acceptent toutes les combinaisons. Longue de 75 m, la nouvelle abbatiale donne satisfaction et les travaux s'arrêtent.

Un siècle plus tard une autre campagne s'engage avec l'édification du nouveau narthex, une oeuvre puissante et monumentale qui reprend sensiblement les caractères de l'ancien. La nouvelle abside avec galerie de circulation au niveau des fenêtres est voûtée en cul-de-four sur profil brisé, tandis que la travée centrale est dotée d'une grande coupole sur pendentifs réduits. C'est l'un des rares exemples de ce genre avec la croisée de Souillac et la nef de Solignac. La base des pendentifs repose sur de petites trompes ce qui suggère un traitement empirique. Dans cet ensemble, les arcs sont brisés. Ces caractères nous suggèrent que cet ouvrage fut réalisé à une époque où les constructeurs septentrionaux prenaient connaissance du parti à coupoles, soit vers 1130/1140. Les parties hautes du narthex, reprises à l'époque gothique et restaurées "en roman", après le sinistre de 1940, sont incertaines, mais les deux tourelles d'escaliers externes, non modifiées à travers les siècles, permettent de penser que la restauration fut relativement honnête.

Comme toutes les églises de l'an 1000, Sainte Gertrude avait été maintes fois aménagée et confortée. Les surcharges gothiques et renaissances lui avaient fait perdre tout caractère et si l'incendie qui ravagea l'édifice en mai 1940 prit des allures de catastrophe nationale en pays Brabançon, il permit une restauration énergique mais très satisfaisante. Aujourd'hui, Sainte Gertrude avec sa crypte archéologique est le lieu de visite le plus satisfaisant pour voir et comprendre cette architecture de l'An 1000.

 

 

 

 

Nivelles – Sainte-Gertrude : le narthex

 

Nivelles – Sainte-Gertrude : nef et croisillon sud

 

Nivelles – Sainte-Gertrude : croisillon sud et chevet

 

Nivelles – Sainte-Gertrude : la nef, élévation nord

 

Nivelles – Sainte-Gertrude : l'abside orientale

 

Nivelles – Sainte-Gertrude : croisée occidentale et narthex