Peterborough - L'abbatiale
Sur les côtes de la mer du Nord, aux limites septentrionales de la vaste province de l’Est Anglie, un grand estuaire bordé de terres marécageuses et mal stabilisées reçoit plusieurs rivières dont l’une, la Nêne, serpente en de nombreux méandres. Les premiers occupants romains de ces régions furent maladroits, d’où la violente réaction menée par la reine Beaudicae (probablement Wandika) montée sur un char de guerre. Cet équipage de la souveraine semble indiquer que le pays était déjà occupé par des peuples originaires du continent, sans doute des Germaniques.
Avec la sage politique instaurée par Agricola, ces peuples vont se pacifier et apprécier les avantages de l’ordre romain. La région se couvre de voies nouvellement tracées et de nombreux itinéraires indigènes sont aménagés. Les populations de cette province vivront l’occupation romaine sous juridiction civile. Un faisceau de voies romaines va longer la côte est de la Grande Bretagne et deux d’entre elles se rejoignent en un point pour franchir la Nêne. Le transit économique empruntant le pont et le débouché proche sur la mer du Nord représentent une conjoncture favorable et une agglomération va se développer sur le pont de franchissement sous le nom probable de Durobrivae mais son emplacement est incertain. Se trouvait elle dans un méandre proche de Peterborough ou de Wansford? Dans ce cas, l’Hermine Street reprendrait un tracé antique. Autre hypothèse, Durobrivae a précédé Peterborough. Cette dernière option est aujourd’hui refusée par les archéologues britanniques faute de preuves mais il faut toujours être prudent à l’égard de ces certitudes.
L’histoire de Peterborough commence au VII°s. La première abbaye fondée par un roi de Mercie, vers 655, porte alors le nom de Medehamtede Abbaye. Comme il est fort peu probable que cette fondation fut aménagée sur un sol vierge, il faut admettre la proximité d’un village ou d’un grand ensemble ruiné qui apporterait l’essentiel de la viabilité, un grand domaine rural, par exemple, comme ce fut souvent le cas sur le Continent. Au cours des siècles qui vont suivre, rien ne vient distinguer cette fondation si ce n’est sa destruction par les Danois en 870. Ensuite, elle demeure à l’abandon et c’est le roi Edgard qui la confie aux Bénédictins. Ceux ci la relèvent rapidement et lui procurent un important capital foncier ainsi, lorsque Guillaume le Conquérant la découvre, il leur impose l’entretien et la mise à disposition de cinquante cavaliers. Sur ces terres où la population est majoritairement danoise, les conquérants rencontrent de sérieuses difficultés et de petites troupes de plusieurs centaines de guerriers harcèlent les occupants normands. Pour préserver leurs intérêts, les moines font allégeance à Guillaume m ais, en 1069, une troupe danoise vient piller et brûler l’abbaye qui sera bientôt restaurée. Un demi siècle plus tard, la fondation est à nouveau ravagée par un incendie et les dommages sont d’une telle importance qu’une reconstruction totale est entreprise: c’est l’abbatiale que nous voyons aujourd’hui.
Nous avons quelques informations sur l’abbatiale construite par Edgard, grâce à des fondations découvertes au XIX°s. C’était un ouvrage de structure légère et non voûtée comportant une abside rectangulaire de 7,50m de large sur une profondeur de 6 à 8m, un transept de 10m de large sur 28m d’envergure et une nef sans collatéraux de 10m de large. Sa longueur est inconnue mais elle était supérieure à 30m. Ce plan se retrouve en Poitou et l’ouvrage fut peut être édifié par des moines venus de Saint Martin de Tours, une abbaye de grand prestige qui, au X°s. entretenait d’étroites relations avec l’Église de Grande Bretagne.
Le chevet
L’édification de la nouvelle abbatiale commence en 1118 de manière traditionnelle, par le chevet et, comme dans tous les grands programmes angle-normands du XII°s. le maître d’œuvre, reprend le parti dit bénédictin. Ici, il s’inspire de l’abbatiale voisine d’Ely entreprise quarante années plus tôt. L’ouvrage comporte une abside en hémicycle prolongée d’une partie droite et flanquée de deux absidioles voûtées avec cul de four et berceaux plein cintre sur la partie droite. L’abside est découpée en trois travées rayonnantes ouvrant sur 60° chacune et sur une élévation décomposée en deux par les galeries de circulation des second et troisième niveaux, le dévers des ouvertures est considérable. En interne, les arcades se trouvent réduites par les puissantes piles formées d’un faisceau de colonnettes et, en externe, les fenêtres des différents niveaux sont flanquées d’arcatures aveugles.
Au delà de l’abside et des absidioles, le chevet comporte une partie droite longue de quatre travées et le traitement de l’élévation demeure fidèle au parti normand avec trois niveaux et tribunes accessibles mais non voûtées. L’ouvrage porte sur de grosses et courtes piles maçonnées d’une section légèrement oblongue et les grandes arcades sont à rouleaux multiples, ce qui aide à la transition au niveau des tailloirs. Les bas côtés sont ici voûtés sur croisées d’ogives archaïques où tous les arcs sont en plein cintre, d’où des ogives en arc de cercle et non en ellipse, soit une retombée oblique. L’assise de la croisée n’est pas prévue sur le tailloir ce qui laisse supposer un changement de programme, le traitement initial étant prévu avec voûtes d’arêtes.
Au niveau des tribunes, les piles deviennent très puissantes et leur dimension perpendiculaire dépasse l’assise du premier niveau. Une sur deux est constituée de colonnettes engagées autour d’un noyau circulaire, les autres sont simplement cantonnées avec profusion de colonnes engagées. Ici comme au rez de chaussée, les grandes arcades sont à rouleaux multiples mais chacune d’elle est décomposée en deux arcades mineures avec colonne centrale (baie géminée). Les tribunes installées sur l’extrados des voûtes du premier niveau sont naturellement accessibles mais couvertes sur charpente. Pour les éclairer, le mur extérieur est percé d’une fenêtre de bonne taille.
Enfin nous trouvons le traditionnel niveau de fenêtres hautes avec galerie de circulation. Côté nef, il est garni d’une grande arcade flanquée de deux arcatures sur colonnettes, à l’extérieur, la fenêtre qui n’occupe qu’une partie de la travée est flanquée de deux arcatures aveugles. L’ensemble de ce chevet, abside et partie droite, était coiffé d’un plafond à caissons aujourd’hui remplacé par une composition de style gothique.
Commencé en 1118, l’ensemble abside et partie droite constitue un ouvrage très important. Nous n’avons pas d’information sur l’avancement du chantier mais une vingtaine d’années nous semble nécessaire, ce qui situe l’achèvement vers 1140. Pour des raisons pratiques, nous admettrons que les piles de croisée, ainsi que l’amorce des bas côtés du transept, étaient également achevées à cette date.
Le transept
Ce vaisseau perpendiculaire est de grande ampleur: 57m d’envergure interne. Chacun des croisillons est décomposé en quatre travées, l’une dans le prolongement du bas côté, et trois autres légèrement plus petites sur la partie débordante. Sur sa face est, ce transept comporte des bas côtés qui remplacent avantageusement les chapelles orientées. Elles sont également surmontées d’une tribune qui joint celle du chevet. Comme il n’y a pas de bas côtés sur la face occidentale, les liaisons au niveau des tribunes sont interrompues et celles du chevet sont accessibles par des escaliers à vis intégrés dans les maçonneries d’angle du transept. En élévation ce vaisseau perpendiculaire reprend la composition déjà décrite sur le chevet, seule modification, les grosses piles maçonnées du premier niveau sont dépourvues de colonnes engagées par simple souci esthétique.
A la croisée, les deux arcs longitudinaux sont d’origine, ils comportent des rouleaux multiples, ce qui les rend conformes à l’esthétique générale, par contre, les piles qui les supportent se dégagent franchement de l’alignement du mur afin de réduire la portée. C’est une option prudente qui s’impose au XII°s. sans doute après de nombreux problèmes engendrés par des charges excessives dues aux tours lanternes. A ce sujet, précisons que l’étage des fenêtres hautes si joliment ajouré est ainsi privé d’inertie au niveau même où s’exerce la réaction des grands arcs. La réduction de portée est donc très favorable cependant la tour romane, trop lourde, sera démontée au XIII°s. et remplacée par un ouvrage de style gothique plus léger. Le maître d’œuvre qui réalisa cette modification en profita pour reprendre les arcs perpendiculaires en profil brisé afin de donner une meilleure impression de volume à la perspective. Toujours dans le même souci esthétique, les piles correspondantes seront réduites. Nous avons vu que Gloucester et Tewkesbury avaient connu les mêmes problèmes.
A l’époque romane, et dans la province de l’Est Anglie où les chantiers sont peu nombreux et les pierres importées par voie d’eau, la réalisation d’un ensemble comme le transept et sa croisée, a demandé une dizaine d’années environ, ce qui porte l’achèvement vers 1150 mais, à cette date, deux à trois travées de la nef sont déjà en chantier, elles sont nécessaires à l’épaulement des arcs longitudinaux. Enfin, l’unité du programme nous suggère que l’implantation de la nef avait aussi grandement progressé.
La nef
Avec dix travées très homogènes reprenant l’élévation des parties orientales, la nef de Peterborough est un ensemble impressionnant. Le vaisseau central est flanqué de bas côtés et de tribunes. Les piles du premier niveau comportent un noyau légèrement oblong et toutes sont d’une remarquable unité, sauf celles séparant la septième et la huitième travée occidentale où le volume du noyau est beaucoup plus important, d’où l’hypothèse d’un arrêt et d’une reprise ultérieure. Sur ces courtes piles maçonnées, les grandes arcades en plein cintre avec rouleaux multiples sont fidèles au parti choisi sur les travées orientales. Au niveau des tribunes, nous retrouvons également le traitement avec baies géminées, enfin, le registre des fenêtres hautes reprend aussi le dessin déjà décrit pour la partie droite de l’abside et le transept.
Au premier niveau, le mur externe du bas côté se décompose en deux registres avec aracturees entrelacées en partie basse et grandes fenêtres au second. Là, également, comme sur les travées orientales, les voûtes sont sur croisées d’ogives de dessin archaïque et toujours sans point de réception bien caractérisé. Réalisées entre 1150 et 1160, ces voûtes ne peuvent s’expliquer que par le respect rigoureux du modèle original. Au second niveau, les tribunes accessibles mais sous charpente sont éclairées par une fenêtre externe de bonne taille. Enfin, le vaisseau central était couvert d’un plafond à caissons.
Les huit premières travées doivent être achevées vers 1165, reste à choisir l’ensemble occidental. Les deux tours de façade, comme à Saint Etienne de Caen édifice de référence, conviennent bien à une abbaye située en milieu urbain mais à Peterborough, établie hors le bourg, les chrétiens venant assister aux offices ont besoin d’un lieu d’accueil couvert et ce sera l’objet du narthex. Vers 1170, les travaux reprennent au delà de la pile forte et ce programme final comporte une travée supplémentaire puis un volume perpendiculaire que l’on peut apparenter à un transept à cinq travées dont deux débordantes, chacune clôturée par un mur pignon. Quel était le couronnement original de ce volume occidental? Comportait-il une tour centrale comme à Ely? C’est peu probable puisque cette dernière est une reprise réalisée en fin de siècle. Nous proposons donc une couverture classique avec plafond à caissons.
L’accès aux tribunes devait se faire par deux escaliers à vis intégrés dans les angles des croisillons. Il existe encore un passage dans l’épaisseur du mur de façade qui devait permettre d’accéder à une tribune centrale mais la fabrique doit rencontrer quelques difficultés et la campagne principale s’arrête en 1180. Les travaux reprendront au début du XIII°s. avec deux tourelles d’escaliers établies hors œuvre et reliées par la grande galerie couverte de style gothique que nous voyons aujourd’hui, mais l‘accès aux tribunes était toujours aussi difficile, aussi proposons nous en premier projet un vaste escalier de bois situé dans le croisillon débordant. Il sera démonté lors de l’établissement de la voûte.
Peterborough : la nef et le croisillon sud, vue d'ensemble
Peterborough : la nef et son élévation sud
Peterborough : le croisillon sud du transept avec trois niveaux et tribunes
Peterborough : la nef, élévation nord avec trois niveaux et tribunes
Peterborough : le bas-côté sud avec voûtes sur croisées d'ogives archaïques (arc en plein cintre)
Peterborough : les tribunes du chevet vues du bas-côté sud
Peterborough : chevet à trois niveaux avec tribunes, vue d'ensemble
Peterborough : vue du narthex avec la chapelle orientée sud