Soignies - L'abbatiale
La trame historique
Soignies, comme Nivelles, se trouve à moins de 15km au nord de la voie romaine de caractère stratégique reliant Bavai à Cologne via Tongres et Maastricht. Ces riches terres à vocation céréalière seront, dès la Conquête, exploitées par des agriculteurs engagés dans la civilisation romaine et l’exportation des grains va les enrichir ce qui leur permet d’acheter les terres environnantes et de remembrer un vaste terroir. Cependant, le phénomène engendre la ruine de nombreux petits propriétaires qui seront contraints de servir dans les grands domaines comme commis agricole, à l’époque des récoltes. Cette rupture de l’équilibre traditionnel ne sera pas sans conséquence sur les troubles des années 250/275 qui vont ruiner la société occidentale.
Les populations germaniques de caractère franc venues de l’autre rive du Rhin connaissaient bien ces grands domaines où ils avaient travaillé en saisonniers alors que la main d’œuvre locale s’expatriait vers les villes pour trouver un mode de vie plus lucratif. Ainsi, dès 300, de forts contingents francs occupent les domaines laissés à l’abandon et les remettent en culture. Ces gens qui arrivent en famille avec leurs us et coutumes, vont rapidement contrôler l’ensemble des terres situées au nord et au sud de la chaussée romaine venant de Cologne et qui fut pour eux, de tout temps, leur chemin d’accès vers l’Occident septentrional.
Lors des nouvelles invasions de 406, ces Francs seront victimes à leur tour, mais leur sens de l’organisation fera qu’ils se rétabliront rapidement. Vers 450, ils ont leur propre organisation politique et militaire, traitent avec les Romains, servent sous leurs enseignes et défendent énergiquement leurs nouveaux domaines.
Au sein de la caste franque le système met, à chaque génération, sur le chemin de l'aventure et des conquêtes, des cadets sans avoir. Ainsi, pour préserver son patrimoine, le chef de famille s'ingénie à former un tempérament de maître chez l'un de ses fils et parfois l’héritier ambitieux et pressé, devient insupportable. Pour assurer son titre et sa maîtrise sur le peuple franc de la région de Tournai, le jeune Clovis n'a-t-il pas occis, de sa propre main, une bonne demi-douzaine de parents et de familiers?
L'impatience et l'avidité de ces garçons formés au rôle de maître est parfois dirigée contre leur propre père. Ainsi, l’homme arrivant à la cinquantaine peut choisir de passer la main tout en s'assurant quelques garanties pour son avenir. Pour cela, la fondation monastique est une excellente formule. Parfois cette sauvegarde est également donnée à des filles non mariées ou veuves ou à des cadets que la nature à mal servis. La fondation est un domaine que chacun doit laisser en dehors des querelles d'intérêts mais doit également la défendre contre toute convoitise extérieure.
L'abbaye
Selon les textes, l'abbaye de Soignies fut fondée par Madalgaire, vers le milieu du VII°s. L'homme naquit à Strepy et épousa Waudru "patronne de Mons" dont il eut deux fils et deux filles, tous quatre adorés comme des saints. Après avoir fondé l'abbaye de Haumont, près de Maubeuge, Madalgaire franchit le pas, se sépare de son épouse, et prend l'habit monastique sous le nom de Vincent. Ensuite, il se retire du monde (une victoire) et fonde sur ses terres de Soignies une abbaye dotée d'une église dédiée à la Vierge Marie et aux apôtres Pierre et Jean.
Waudru, veuve sans doute avait la charge d’un grand domaine comportant un village (Mons) et un fils d’un premier lit, bientôt majeur, allait faire valoir ses droits et le couple qu’elle formait avec Madalgaire risquait de se voir lésé et leurs enfants également. Les fondations monastiques étaient le recours pour leur ménager à tous un certain patrimoine. En pratique, c'est un domaine assez vaste: 100 à 200 hectares au moins, avec, au centre, une exploitation rurale reconvertie. Autour de la cour se trouvent de petites cellules pour ceux qui connaissent des heures difficiles et viennent à la recherche de réconfort. Il y a également table ouverte et dortoir pour les voyageurs ainsi qu'un hôpital pour les malades. Le temps venu, chacun doit participer aux travaux des champs mais l'essentiel de la charge repose sur un petit nombre de permanents qui forment la base de la communauté et dont l'engagement se confirmera d'année en année. Le fondateur peut conserver quelques privilèges dus à son rang et se préserver un minimum de confort. Ce fut sans doute le cas de Madalgaire mais cette petite vanité était un handicap sur le chemin de la sainteté, et l’on comprend qu’il ait pris l’habit monastique sur ses vieux jours.
A cette époque les temps sont durs et si les querelles des hommes d'armes font quelques victimes, les mauvaises récoltes, le manque d'hygiène et les épidémies engendrent des malheureux en bien plus grand nombre. La gestion des fondations est alors une tâche difficile. Il faut savoir fermer les portes lorsque les réserves s'épuisent, garder son monde la bonne saison venue et lui imposer travail et discipline. Faute de rigueur, ces maisons se transforment souvent en repaires de mendiants et de chapardeurs. Il faut attendre qu'une règle, mais surtout une main ferme, redresse la situation. Ce sera l’objet de la règle bénédictine qui applique le grand dessein du Pape Grégoire mais, entre leurs mains, les abbayes vont prendre un tout autre visage. Elles ne seront plus un lieu de refuge pour les malheureux et les désemparés, mais une garnison pour les soldats de la foi, pour les artisans de la chrétienté triomphante.
Après les quelques textes sur l'époque et les conditions de la fondation, nous n'avons plus aucune information concernant les destinées de l'abbaye sur les trois siècles à venir. A Soignies et à Nivelles, les caractères sont identiques et nous pouvons raisonnablement penser que leurs articulations furent semblables de l'origine à l'an 800. Ensuite, leurs destinées doivent diverger; Nivelles est une abbaye de femmes qui doit son prestige à la sépulture de Gertrude et à la dévotion que lui vouent les populations de la province. Elle est également servie par l'illustre destinée de la famille de Landen, sans cela, elle aurait sans doute tourné au béguinage. Par contre, Soignies, une abbaye d'hommes, susceptible de fournir des desservants pour les paroisses environnantes, était toute indiquée pour connaître la mutation qui va toucher les fondations monastiques, dès le carolingien.
L'attention du pouvoir impérial se portera vers ces abbayes bénédictines. Prises en mains et dotées d’un riche patrimoine foncier, elles deviendront instrument de gouvernement et fourniront contingents et subsides pour les grandes opérations militaires comme celles menées en Germanie. Au temps de Louis le Pieux, les besoins militaires et financiers de l’Empire sont moins importants et les abbés bénédictins peuvent organiser leur domaine mais les invasions scandinaves, ainsi que les guerres fratricides menées par les héritiers de Louis, vont ruiner bon nombre d’abbayes.
Ensuite, dans le désordre politique régnant des personnages avides et peu scrupuleux comprennent tout l'intérêt des grands domaines monastiques. Certes il n'est pas convenable de s'en emparer par la force, mais il est facile d'y introduire ses cadets sans avoir et ses bâtards pour en prendre le contrôle. Ainsi bon nombre d’abbayes deviennent la proie de familles nobles sans que cela transpire dans les textes. Si Soignies a connu une mutation de cet ordre, ce fut à une date avancée du IX°s. et cela va justifier la réforme menée par Brunon, archevêque de Cologne et frère d'Otton Ier.
On peut se demander ce que l'évêque de Cologne vient faire dans le diocèse de Tournai. La raison en est fort simple. Avec la désorganisation politique, les villes se sont une nouvelle fois repliées sur elles-mêmes et l'évêque soumis à la société bourgeoise se soucie bien peu de ses devoirs à l'égard de sa province. Les paroisses ont été délaissées et les abbés, plus soucieux de leurs intérêts que respectueux de leurs devoirs, ne répondent plus à l'attente de leurs fidèles. Pour toute réforme il faut des religieux instruits et disciplinés et, Brunon, frère de l'empereur est aussi pasteur d'une ville en pleine renaissance. Cologne est une cité où l'on trouve des hommes capables de mener la réforme attendue. Les Clunisiens entreprennent la même action en Bourgogne.
L'abbatiale actuelle
Le plan de l’abbatiale de Soignies comporte une puissante tour occidentale, constituée d’un noyau central flanqué de deux tourelles d’escaliers et conforté d’une puissante reprise externe. Au delà, nous trouvons une nef à collatéraux longue de sept travées, où les supports sont alternativement constitués d’une pile ronde maçonnée et d’un puissant massif qui semble recomposé, les bas côtés sont coiffés de voûtes d’arêtes archaïques et surmontées d’une tribune couverte sur charpente, à ce niveau, les supports sont également alternés, le troisième niveau est sans structuration aucune et le registre de fenêtres hautes qui compte deux ouvertures par travée est de taille très modeste. Ensuite vient un transept débordant flanqué de deux chapelles orientées de plan rectangulaire. Enfin le sanctuaire est constitué d’une grande abside rectangulaire voûtée d’une section de berceaux et d’une voûte d’arêtes. La croisée du transept est régulière et soutenue par quatre arcs en plein cintre avec rouleaux de décharge.
Tour occidentale d‘une part, et transept et abside sont de facture plus archaïque que la nef, cette dernière ayant acquis son volume dans un programme précédent. Le premier édifice fut-il une oeuvre carolingienne réalisée vers 850/880, ou bien une oeuvre ottonienne datant des années 950 époque où l‘abbaye passe sous le contrôle de l‘archevêché de Cologne?. L'option sage consiste à choisir la nef ottonienne mais la prudence pourrait être mauvaise conseillère. L'étude de l'édifice actuel permet d'avoir quelques informations sur le volume qui devait lier les parties est et ouest mais rien sur la chronologie.
Le plan de base du noyau de la tour occidentale représente un rectangle de 9m x 10m et ses murs de 4 pieds (1m20) étaient relativement graciles pour une tour mais trop puissants pour une abside occidentale. Comme la nef actuelle fait 11,40m à l'axe, cette tour pouvait clôturer un vaisseau plus étroit, ce qui expliquerait la pénétration des volumes venant épauler les arcs longitudinaux de la croisée établie ultérieurement, volume que la nef actuelle préservera à son tour et qui forme une fausse travée. Dans ce cas, l'ensemble oriental aurait été programmé hors oeuvre, comme à Verdun.
Une autre hypothèse proposée par le chanoine Maère donne la tour occidentale liée à un transept puis à une courte nef avec travées alternativement portées par des colonnes rondes et des piles quadrangulaires. Cette nef aurait eu la même largeur à l’axe que l’actuelle mais, dans ces conditions, pourquoi un volume d'épaulement à l'usage de la croisée nouvelle? Nous pouvons proposer différentes hypothèses: nef endommagée, travées trop graciles pour une croisée qui allait supporter une tour lanterne et, dans ce cas, la nef actuelle peut être envisagée comme la reprise d'une oeuvre antérieure.
Vues de l'extérieur, les structures du bas-côté et du niveau de tribunes sont de même facture mais de programme distinct. D'autre part, les puissantes arcatures de renfort que l'on trouve à l'intérieur sur le bas-côté sont souvent synonymes d'une reprise destinée à porter des voûtes d'arêtes. Dans ces conditions, la première nef de structure légère ne comportait pas de tribune et son élévation était en conformité avec l'ensemble oriental programmé ultérieurement. Selon cette dernière hypothèse, les piles rondes actuelles peuvent être celles de l'ancienne nef tandis que les premiers supports quadrangulaires seraient noyés dans les grosses piles cantonnées d'aujourd'hui. Dans ce cas, la nef en question serait à l’origine du volume actuel. Tout considéré, cette hypothèse apparaît comme la plus satisfaisante.
L'ensemble oriental
L'abside rectangulaire, le transept et les deux chapelles orientées, également rectangulaires, forment un ensemble très homogène dont les caractères ottoniens sont évidents. Ici l'appareillage est fruste, comme dans le reste de l'édifice, mais le dessin et les proportions témoignent d'un programme bien conçu, bien mené que nous pouvons dater du début du XI°s. Il y eut deux tourelles d'escaliers introduites entre l'abside et les chapelles orientées mais leur présence ne se justifie guère dans le projet initial.
Les voûtes d'arêtes qui couvrent la partie droite posent une sérieuse interrogation. Considérées comme les plus anciennes de Belgique, elles surprennent par leur bonne tenue malgré un manque d'épaulement évident. En théorie, une voûte d'arêtes épaisse se comporte comme un monolithe reconstitué et ne fait que peser sur ses supports. Elle peut traverser les siècles dans cet état si aucun incident ne vient la rompre. C'est un phénomène rarissime mais l'abside de Soignies peut être considérée ainsi. D'autre part, les plans rectangulaires où chacun des encorbellements est lié à des murs en perpendiculaire sont les conditions les plus favorables. Même après rupture au sommet, ses quatre encorbellements antagonistes peuvent s'équilibrer mutuellement. C'est le concept mécanique que l'on trouve dans les bases des coupoles sur pendentif. Les voûtes de Soignies sont peut être contemporaines de l’abside, soit du premier tiers du XI°s, mais plus sûrement contemporaines des reprises effectuées sur la tour lanterne qui devait s'aligner sur la nef entièrement reprise à la fin du XI°s.
La nef
La majorité des édifices de la première génération gothique établis entre Seine et Meuse comporte des élévations quadruples avec tribunes voûtées mais nous n'avons que très peu d'informations sur la genèse de ces programmes. Nous pouvons supposer que ce fut l’achèvement d’une longue mutation réalisée sur des ouvrages à tribunes non voûtées. Saint Rémi de Reims représente l'œuvre de la première moitié du XI°s, Tournai illustre la première moitié du XII°s et Soignies doit se situer en position intermédiaire soit le parti de la seconde moitié du XI°s. Cependant, Jumièges, parfaitement réalisé avec des tribunes voûtées dès 1065 nous interdit d'exploiter ces trois édifices pour l'établissement d'une chronologie de références. Bien d'autres constructions aujourd'hui disparues ont joué un rôle important dans l'histoire du procédé, Jumièges avec ses quatre niveaux caractérisés ne peut être comparé aux autres édifices normands à trois niveaux avec tribunes; c‘est donc une réplique d’un ouvrage septentrional disparu.
Si la nef de Soignies constitue un témoignage précieux, ce n'est certes pas une réussite architectonique. Les doubleaux des piles fortes sont en plein cintre et le niveau ainsi fixé impose des sections de cercle sur les piles faibles. C'est l'inverse qu'il aurait fallu faire: des arcs surélevés sur les piles fortes et un tracé en plein cintre sur les piles faibles en ces conditions les réactions internes étaient de moindre importance. Aujourd'hui certaines piles faibles ont "flambé" et si l'on démontait le dallage établi en surcharge dans les tribunes sans doute trouverait-on des ancrages métalliques de sauvegarde.
Les voûtes d'arêtes établies dans les travées ainsi formées sont irrégulières avec des doubleaux à peine caractérisés. Faute de cloisonnement, ces voûtes ont donc été réalisées en ensemble sur un coffrage unique. En Bourgogne et en Normandie, pareil archaïsme est introuvable.
Les voûtes d'arêtes de bonne facture exigent des travées régulières, et les édifices qui exploitent des différences considérables entre piles fortes et piles faibles sont peu nombreuses. Sur la nef de Durham, le déséquilibre lié à cette composition est résolu par un désaxement de la pile faible, enfin, à Sens le support mineur est doublé pour offrir une portée de doubleaux convenable. La genèse des voûtes d'arêtes sur supports alternés est mal connue. L'école Liégeoise, et notamment le transept de l'abbatiale de Stavelot aujourd'hui disparu et que l'on date du milieu du XI°s, a dû jouer un rôle important dans l'expérimentation du procédé.
L'analyse en plan des travées alternées de Soignies permet des remarques intéressantes. Le traitement du mur extérieur fixe bien l'alternance. Les structures internes et externes qui sont en harmonie font 1m 40 dans le plan des piles fortes et 1m 04 dans le plan des piles faibles enfin, une pile engagée de 0m 50 vient s'interposer entre les deux fenêtres des travées mineures. La composition serait donc parfaitement rationnelle si les supports majeurs de l'élévation faisaient l m 40, ce qui nous suggère que les piles fortes actuelles qui s'inscrivent dans un cercle de 2m 80 se sont substituées ou ont englobé les anciens supports de 1m 40. Bien entendu, les archivoltes seront reprises pour la nouvelle élévation mais leur épaisseur nominale restera limitée à quatre pieds pour cause de piles faibles. Dès le niveau des tribunes, nous retrouvons les rapports d'une élévation de quatre pieds (1m 10), ainsi l'ancienne pile forte devait faire 140 x 110.
A la nef de Soignies, toutes les piles fortes et faibles sont démunies d'embase et si nous jugeons la nature, ainsi que la régularité du dallage, tout indique une surélévation qui peut être égale à 60 ou 90cm au minimum.
Les tribunes non voûtées ouvrent sur la nef par de grandes arcades en plein cintre sans rouleau de décharge et le niveau du comble n'est aucunement marqué dans l'élévation. Jumièges est ainsi traité, Saint Rémi de Reims l'était également avant les reprises gothiques du XII°s. Par contre, à Tournai, nous avons un troisième niveau bien distinct et soigneusement réalisé.
A l’extérieur, les deux fenêtres par travées mineures que l'on voit dans les bas-côtés se retrouvent naturellement au niveau des tribunes, structure oblige. Même disposition dans le registre haut mais là le choix n'est pas justifiable, sinon que des fenêtres uniques, plus grandes et plus hautes auraient dépassé le niveau acceptable par les volumes de clôture, croisée et tour occidentales Certes la nef sera surélevée mais sur une très modeste valeur ce qui impose des fenêtres hautes très petites en rapport aux proportions de l’élévation.
Si l'on en juge par l'évolution des piles engagées qui structurent les travées majeures, la nef de Soignies fut aménagée d'ouest en est. La première archivolte ouest se distingue également par absence de mouluration. Après achèvement, le grand comble dominait les deux tours est et ouest; il fallut les reprendre. La tour lanterne sera surélevée de 3m 50 environ, la trace de la reprise est encore visible et les grandes fenêtres donnent le niveau d'éclairement d'origine. Par contre, à l'ouest, la vieille tour de façade n'était pas de taille à supporter pareille surcharge. Elle sera donc enveloppée d'une puissante reprise. Au XIII°s, la vieille maçonnerie sera ouverte et partiellement démantelée pour installer la grande baie gothique que l'on voit aujourd'hui.
Résumé
Ainsi, à Soignies, la reprise par structuration et enveloppement d'une nef légère à travées alternées trouve d'excellentes justifications. Elle permet d'expliquer toutes les maladresses constatées sur les voûtes des bas-côtés ainsi que le caractère hétérogène des piles fortes dans une élévation de 4 pieds (valeur nominale). Quant au volume d'épaulement des arcs longitudinaux de la croisée, il peut s'expliquer par l’absorption de la dernière pile forte de 140. Le pas développé coïncide parfaitement avec le centre de ce volume.
Dès lors, la chronologie la plus logique serait la suivante : une nef de l’époque carolingienne IX°s. n’est pas à exclure mais il serait surprenant que la reprise en mains réalisée vers le milieu du X°s. par l’archevêque Brunon ne se soit pas concrétisée par un ouvrage quelconque. En hypothèse haute, la nef légère à travées alternées mais sans tribune qui sera englobée dans les reprises du XI°s. peut dater de cette époque, soit 950/970.
La tour occidentale viendrait clôturer cette nef vers 1000/1020 avec supports alternés, puis de 1020 à 1040, construction de l’ensemble oriental, abside et transept en hors oeuvre mais sur l’alignement et c’est la tour lanterne établie sur la croisée qui exige un épaulement longitudinal obtenu en englobant un support fort. Vers 1040, l'ensemble de l'édifice est achevé selon une facture ottonienne et toutes les charpentes sont alignées. En 1070/1100, reprise de la nef, voûtement maladroit des bas-côtés et traitement opportuniste de l'extrados des voûtes qui deviennent tribunes accessibles. Mais les niveaux ainsi additionnés dépassent la tour lanterne qui doit être surélevée. La voûte de l'abside et les escaliers orientaux datent de cette dernière campagne. Les travaux s'achèvent fin XI°s, début XII°s, avec la surélévation de la tour occidentale.
Après avoir conquis l'Occident, les Romains vont choisir une frontière politique, un obstacle naturel facile à garder, à défendre, ce sera le cours du Rhin, mais l'économie ne l'entend pas ainsi. Pour les voyageurs et les marchandises, une voie d'eau navigable est une artère économique et les deux rives qui offrent un habitat de même nature sont logiquement habitées par le même peuple. Ainsi les frontières naturelles frisent parfois le ridicule mais, en politique il ne tue pas, bien heureusement. Dans l'histoire récente, le gouvernement français a voulu persuader les habitants d’Alsace que leurs cousins d'en face représentaient leur ennemi héréditaire tandis que les Corses et les Basques étaient leurs frères de race, "tous Gaulois". Il est donc indispensable de traiter les phénomènes hors les temps particuliers, hors les passions historiques.
De Bâle à Mayence, le Rhin serpente dans une plaine alluviale au fond sableux et les multiples bras qui doivent absorber les crues hivernales sont à la belle saison favorables à la batellerie. Mais, parfois, les crues d'hiver sont considérables et l'habitat historique, comme préhistorique, doit se fixer sur les buttes de quelque importance situées à proximité immédiate des berges, là où les embarcations peuvent aborder l'agglomération sans problème; c'est l'origine des sites de Worms et de Speyer.
Comment étaient les bateaux qui naviguaient sur le Rhin à l'époque préhistorique? Nous l'ignorons, mais nous pouvons fixer les caractères requis par la fonction. Ces embarcations possédaient un fond plat sur deux membrures légèrement plongeantes afin de réduire la dérive et de protéger le fond lors des tirées à grèves. L'avant est fortement relevé pour assurer l'accostage et les opérations de transbordement. La remontée du fleuve se fait sur les hauts fonds, là où le courant est moindre, tandis que la descente se fait au milieu du cours. Une grosse rame sert de gouverne. Sa tige liée à l'arrière du bateau s'articule sur un faisceau et la manœuvre est commandée à l'aide d'un bras perpendiculaire. La palette est très grande pour assurer la gouverne lors des descentes avec une très faible vitesse relative. En cas de vent favorable, une voile aide à la remontée. Ce faisant, nous venons de tracer le portrait de la gabare comme des premiers bateaux égyptiens naviguant sur le Nil au troisième millénaire avant J.C. Toutes embarcations affectées aux grands fleuves doivent répondre aux mêmes besoins et sont naturellement fort semblables.
Dès la conquête romaine, les riches plaines de la vallée du Rhin seront systématiquement mises en culture et le volume de fret augmente. D'autre part, la Paix Romaine qui s'impose sur l'ensemble du bassin fait du fleuve une grande voie vers la mer. Là pénètrent les marchandises venues de la Baltique et s'exportent les surplus céréaliers. La batellerie du Rhin prend un essor considérable. Le difficile passage de la Lorelei ne gêne guère les bateaux qui restent de petite taille dans une navigation limitée aux mois d'été. Les sites portuaires vont connaître un développement important mais la configuration des routes et voies économiques qui longent le fleuve va grandement conditionner leur destinée.
Avant l'arrivée des Romains, la proximité des rives n'était guère favorable au cheminement économique. Certes il existait des voies qui serpentaient sur les berges, mais les risques de crues interdisaient toute fixation d'importance. D'autre part sur les terres en retrait, l'exploitation agricole ne formait que des hameaux et villages. Les bourgades se fixeront sur un cheminement économique qui semble avoir choisi, de tout temps, le pied des premières hauteurs à l'est, comme à l'ouest. Ce type de voie n'a pas de caractère fixe, voyageurs et marchands empruntent les meilleurs passages et un nouveau pont d'un côté, une route mal entretenue de l'autre peuvent modifier les habitudes. L'auberge renommée et le hameau où l'humeur est agressive peuvent également déterminer les choix, autant dire que le tracé de la voie est, par définition, fluctuant. Les Romains, gens rationnels, vont tracer un itinéraire de caractère stratégique dans la vallée. Il suit le fleuve au plus près afin d'en faciliter la garde puisqu'il est désormais la frontière d'empire mais la voie sert également les activités économiques liées à la navigation et le cheminement traditionnel tombe en désuétude pour un temps.
Sur 250 km de long et 30 à 40 km de large, dans un paysage de caractère montagneux où l'élevage domine, la plaine du Rhin forme l'unique domaine apte à l’agriculture. Les Romains vont naturellement l'exploiter comme telle et sa richesse relative devient grande; la voie fluviale en est l'artère. Strasbourg au sud et Mayence au nord en seront les métropoles majeures mais entre ces cités la distance est grande et deux agglomérations auxiliaires vont se développer, ce sont Worms et Speyer. Le potentiel économique de la vallée est tel que l'empire décide bientôt de porter la frontière sur le Neckar puis légèrement au-delà , et les terres de la rive est du grand fleuve deviennent les champs Décumates, un protectorat d’Empire soumis à la dîme. Les provinces rhénanes sont ainsi liées à l’Occident pour les siècles à venir.
La dynastie mérovingienne issue de la caste franque considère également les terres rhénanes comme faisant partie de son patrimoine historique, davantage que l’Aquitaine et la Provence et si ses rois se sont installés en Ile de France sur les grands domaines ruraux acquis par Clovis, ils portent une grande attention aux provinces de l’Est. L’un d’eux, Dagobert Ier, va mener une énergique campagne en Thuringe afin de préserver l’accès des Franconiens aux terres de l’Est.
Un siècle plus tard, la famille d’Héristal, prend le contrôle du royaume et Charlemagne, le grand personnage de la dynastie, bien que né en Île-de-France va consacrer l’essentiel de ses efforts militaires à la conquête des terres de l’Est. Sur la fin de sa vie, il porte le centre du pouvoir sur la vallée du Rhin, à Aix la Chapelle, mais également dans d’autres palais établis sur les deux rives du fleuve. Enfin, son héritier, Louis le Pieux, va également privilégier ces domaines rhénans.
Avec l’éclatement de l’Empire, Lothaire, qui veut garder la haute main sur les domaines de ses frères se réserve une bande de territoire englobant la rive Ouest du Rhin et lui donnant accès à l’Italie. Derrière cette coupure de la Lotharingie, les terres de Germanie vont, pour un temps, retrouver leurs caractères et c’est la naissance du Royaume de Franconie qui deviendra le chœur du nouvel empire. Ses monarques vont reprendre le contrôle des rives Est du fleuve et le très modeste royaume capétien qui n’a plus le soutien de la caste franque est incapable de s’y opposer. L’Entente de Reims aurait pu faire basculer l’Europe septentrionale dans le cadre impérial si l’Église et l’Ordre Bénédictin ne s’y étaient opposé. Ainsi, aux abords de l’An Mille, le bassin rhénan est devenu terre d’empire et l’architecture en portera la marque.
Soignies – Abbatiale de la Trinité : chevet, vue d'ensemble
Soignies – Abbatiale de la Trinité : la nef, élévation
externe nord
Soignies – Abbatiale de la Trinité : les tribunes de la nef, élévation sud
Soignies – Abbatiale de la Trinité : les tribunes de la nef, côté sud
Soignies – Abbatiale de la Trinité : les voûtes du bas côté nord
Soignies – Abbatiale de la Trinité : bas côté sud, colonne
de la travée mineure