Winchester - La cathédrale

L’agglomération primitive de Venta Belgarum fut fondée au cours des siècles précédents la Conquête Romaine par des agriculteurs belges venus du continent. Séduits par les aptitudes de la région, ils vont s’imposer aux Celtes afin de modifier les coutumes d’exploitation et développer des domaines de taille moyenne, 20 à 30 ha environ, et privilégier la culture céréalière. A leur arrivée, les Romains acceptent l’agglomération dont le site bordant les rives de l’Aire est favorable à une urbanisation large. Ils vont construire une ville nouvelle avec maillage urbain régulier selon les caractères augustéens, qui couvre une centaine d’hectares et sera peuplée de 35.000 habitants en urbanisation ouverte. Parallèlement, ils remembrent  les terroirs et créent de vastes exploitations de 100 à 300 ha à vocation céréalière dont 43 ont été identifiées dans un rayon de 20 miles (assiette économique optimum d’une métropole).

La Grande Bretagne ne connut pas, comme sur le continent, les destructions et la ruine engendrées par les grandes invasions. Le pays s’enfonce lentement et sûrement dans la crise du bas Empire et, dès 300, des pirates venus de Scandinavie, mais aussi d’Irlande et d’Écosse, écument les côtes de la mer du Nord et de la Manche et parfois lancent de profondes incursions à l’intérieur des terres. Les légions qui défendent le pays interviennent peu ou arrivent trop tard et l’économie périclite. L’ordre romain tente de mieux défendre les côtes en construisant des fortins confiés à des auxiliaires locaux mais ces nouveaux défenseurs se maintiennent dans leurs murs ou protègent une portion trop modeste du littoral pour enrayer l’action des pirates.

Ces derniers s‘enhardissent et, en 368, des Saxons, des Pictes et des Irlandais se rassemblent en force, débarquent et mènent des actions en pénétration profonde. Les légions romaines vont rétablir la situation mais un facteur essentiel de l’économie, la confiance, a disparu. A Venta Belgarum, la population se replie derrière un périmètre protégé d’une défense légère. Le fit-elle après les invasions de 368 ou bien au siècle suivant, vers 450/460, période correspondant à l’arrivée des rois saxons, à ce sujet, les avis divergent, la seconde hypothèse est privilégiée par les historiens britanniques. La ville devient ensuite capitale d’un petit royaume saxon.

En 648, le roi Cenwealh fait construire la première cathédrale sur un plan semblable à celui des basiliques d’Aquitaine que nous pouvons également considérer comme un primitif rural extrapolé. Le nom de l’agglomération évolue et devient Winchester. C’est le roi Alfred le Grand qui fera de la cité la capitale politique de la Grande Bretagne. Après sa victoire sur la grande armée Danoise, en 878, il s’installe dans la cité et fait dégager une étendue de 7 ha environ, l’intérieur de la défense et rassemble, là, les attributs d’un palais de gouvernement avec ensemble ecclésiastique, résidence royale et casernement.  Ce palais va se développer sur le siècle à venir et sera désormais incontournable pour qui veut gouverner la Grande Bretagne. Guillaume le Conquérant le considère comme tel et y fait de fréquents séjours. En 1070, il en confie la charge religieuse à son chapelain l’abbé Vauquelin (Walkely) qui prend le titre d’évêque.

La nouvelle cathédrale

A cette époque, la cathédrale du VII°s. a évolué. La nef a reçu de nombreuses chapelles additives et la façade occidentale est précédée d’un puissant narthex édifié au temps d’Alfred le Grand mais si cette cathédrale que nous avons étudiée avec l’époque carolingienne dépasse les 70m de long, elle est maintenant sans aucune mesure face aux grands programmes continentaux lancés par les Bénédictins : Rouen Jumièges et surtout Saint Etienne de Caen. Vauquelin se doit de concevoir un nouveau et vaste programme digne de la métropole politique de Grande Bretagne. Le plan choisi est celui de la plupart des œuvres contemporaines mais avec quelques innovations notables. L’abside comporte un hémicycle et trois travées droites et les bas côtés cernent le sanctuaire pour former un déambulatoire. C’est le plan de Jumièges mais l’ouvrage est fermé d’un mur pignon, ce qui permet d’installer deux petites chapelles orientées qui s’intègrent mal dans le dessin des voûtes d’arêtes. Enfin, la travée axiale du déambulatoire ouvre sur une chapelle profonde.

Suit un transept classique avec croisillons débordants et doubles bas côtés. La croisée est traitée pour porter une tour lanterne. Enfin, la nef longue de douze travées avec bas côtés voûtés d’arêtes achèvera l’ouvrage. Les grands vaisseaux, nef, transept et chevet demeurent, comme de coutume, couverts sur charpente. C’est un plan typiquement normand mais les proportions seront considérables, statut de métropole oblige. Vauquelin implante sa nouvelle cathédrale sur un axe établi au sud de l’ancienne, trop près, ce qui condamne cette dernière à la démolition.

Ce vaste projet prend corps vers 1072/1075 mais il faut préparer le chantier et le sol se révèle peu favorable. Sous une légère couche de déblais, laissée par les agglomérations romaines et antérieures, se trouve un vieux dépôt alluvial stabilisé de longue date dont l’épaisseur varie de 2 à 3m. Il est suffisant pour supporter des constructions d’importance moyennes mais comme il repose sur un niveau de tourbe correspondant à la nappe phréatique, il va falloir creuser profondément et remblayer avec des matériaux de forte densité: sable, gravier et également des pierres récupérées dans les substructures de la cité romaine. Pour les maintenir en place, le constructeur choisit de les cloisonner de poutres et de planches de bois mais c’est une réalisation délicate. Si les bois sont trop nombreux ils risquent, après décomposition et sous la compression, d’engendrer des affaissements, il faut privilégier le cloisonnement latéral qui évite le déversement. C’est ainsi que les observateurs du XIX°s. qui vont découvrir ces fondations parleront d’un radeau et non d’un radier cloisonné. A Winchester, ces radiers insuffisants ou mal réalisés vont engendrer de nombreux affaissements et fissures dans l’ouvrage qui sera maintes fois restauré puis repris en gothique. C’est lors de la dernière restauration du mur sud, réalisée au XIX°s. qu’un scaphandrier travaillant au fond des puits d’intervention découvrira la nature de ce radier.

Précisons à la décharge du maître d’œuvre que la rivière toute proche verra ses abords encombrés d’ateliers d’artisans et son lit saturé d’alluvions, ce qui aura pour effet d’élever son niveau de 2 à 3m et le phénomène se répercutera sur la nappe phréatique qui va attaquer le radier cloisonné. Aujourd’hui le phénomène s’est considérablement amplifié et la crypte est parfois inondée.

La crypte

La préparation de ces fondations va demander plusieurs années et la première pierre ne sera posée qu’en 1079. La campagne commence par l’est avec une énorme crypte qui reprend le plan de l’ensemble du chevet. C’est un ouvrage remarquable par sa puissance et sa pureté, bas côtés et déambulatoire sont dotés de voûtes d’arêtes cloisonnées de doubleaux tandis que le vaisseau central reçoit, lui aussi, des voûtes d’arêtes portant sur une file de grosses piles, l’abside étant décomposée en trois voutins triangulaires par quatre arcs rayonnants. Enfin la chapelle axiale reçoit également des voûtes d’arêtes portées par une file de colonnes. Sur les bas côtés comme sur la partie centrale, les doubleaux comme les arcs longitudinaux et rayonnants sont parfaitement dessinés en surbaissés ou «anse de panier» afin de gagner de la hauteur. Cette crypte dépasse en puissance toutes les réalisations continentales et si nous cherchons un ouvrage qui ait pu inspirer les maître d’œuvre c’est au Kaiser Dom de Spire qu’il faut penser. Une décennie plus tard, le constructeur de Saint Eutrope de Saintes s’est peut être inspiré de Winchester mais l’œuvre est plus modeste et avec un grand luxe dans le traitement.

Le chevet

Le premier niveau du chevet reprend, comme nous l’avons dit, celui de la crypte  mais il a laissé place à une reconstruction gothique, il nous faut donc le restituer. Sur la partie centrale longue de trois travées droites clôturées par un hémicycle, l’élévation était semblable à celle que nous voyons aujourd’hui sur le transept. Elle comportait une puissante pile cantonnée flanquée de multiples colonnes engagées avec une archivolte à deux rouleaux tandis que le niveau des tribunes comportait une grande baie géminée comme sur les ouvrages +normands. Enfin, en troisième niveau, pas de triforium, mais un vaste registre de fenêtres hautes comportant galerie de circulation. L’hémicycle décomposé en cinq travées rayonnantes était constitué de deux niveaux sur grosses piles rondes et la prolongation du registre de fenêtres hautes occupait le troisième niveau. Sur les bas côtés, les travées comportaient sans doute des voûtes d’arêtes et, comme de coutume dans le parti normand, les tribunes n’étaient pas voûtées. Ici elles faisaient le tour de l’hémicycle à l’intérieur du volume rectangulaire, ce qui laissait place pour deux chapelles orientées comme au premier niveau.

Le transept

Avec ses deux bas côtés il représente un volume considérable : 70m d’envergure et chaque croisillon est décomposé en quatre travées régulières, une pour le bas côté et trois débordantes. Les élévations aujourd’hui préservées nous livrent le modèle qui fut respecté sur l’ensemble de l’ouvrage avec trois niveaux comme décrit sur la partie droite du chevet. Les bas côtés sont dotés de voûtes d’arêtes ainsi que la tribune d’extrémité qui permet de circuler sur l’ensemble du niveau haut. Comme sur l’ensemble de l’ouvrage, les tribunes du second niveau sont toujours couvertes sur charpente avec un mur externe suffisamment haut pour l’ouverture d’une petite fenêtre. A la croisée, les piles d’origine disparaissent sous les surcharges imposées par les reprises consécutives à l’écroulement de 1110 qui imposa également le comblement partiel de la crypte centrale.

Afin d’absorber le volume de la crypte le niveau du transept se situe à 1m 70 en dessous de celui du chevet et cette dénivellation se répercute essentiellement sur l’étage des tribunes ainsi, à l’origine, les plafonds à caissons étaient alignés.

La nef

Les travaux entrepris en 1079 semblent avancer très rapidement, certains auteurs proposent même l’achèvement de la crypte, du chevet et du transept lors de la première consécration qui eut lieu le 8 avril 1093, ce qui donne quatorze années pour cette énorme réalisation et c’est peu crédible. L’achèvement de la crypte et du chevet est assuré mais sur le transept les arcs de la croisée et l’amorce des murs destinée à leur épaulement serait plus probable. Toute construction doit procéder par étagement  afin d’épauler l’existant  ce qui peut engendrer des interprétations trompeuses.

La nouvelle nef est implantée dans les années qui suivent et impose la destruction de la vieille cathédrale ce qui déplaît sans doute au clergé coutumier ainsi qu’à de nombreux habitants. La nouvelle œuvre est celle des moines bénédictins et son caractère est différent.

L’ouvrage comporte, nous l’avons dit, douze travées qui reprennent scrupuleusement l’élévation des parties orientales avec bas côtés dotés de voûtes d’arêtes, tribunes non voûtées ouvrant sur la nef par une grande baie géminée et comportant une petite fenêtre dans le mur externe et enfin, registre de fenêtres hautes avec galerie de circulation.

En 1007, la tour de la croisée s’effondre entraînant la ruine partielle des parties attenantes et la reconstruction commence dans les années qui suivent. Après avoir noyé les quatre piles dans d’énormes renforts quadrangulaires réduisant essentiellement la portée interne, les deux étages de la tour sont reconstruits à l’identique et terminés vers 1120. Durant cette période les travaux de la nef  progressent et l’achèvement final est parfois daté de 1110, là encore, les délais d’ouvrage sont bien courts pour une cathédrale de cette importance. Comme il est difficile de se prononcer, bon nombre d’auteurs  préfèrent éluder la question.

Le massif occidental

Le massif occidental disparut rapidement et fut longtemps oublié. De 1345 à 1366, l’évêque Edington fait travailler sur une façade mais la nature de cette intervention est incertaine. De 1394 à 1404, l’évêque Wikeham constate des affaissements et des fissures dans les élévations de la nef, sans doute les bois des radiers cloisonnés qui s’écrasent. Le problème paraît suffisamment sérieux pour que l’ouvrage soit mis en cause. L’ensemble des élévations est démonté et reconstruit en gothique contemporain classé perpendicular en Grande Bretagne, seuls les murs extérieurs sont préservés.

C’est sur cette période que le puissant massif occidental sera démonté et remplacé par la grande baie actuelle. Les fondations du massif seront identifiées au XIX°s. et ses dimensions apparaissent considérables. Quel était l’ouvrage roman qu’il portait? Les hypothèses divergent bien entendu. Parmi les plus crédibles figure une traditionnelle façade normande avec deux tours mais la taille et les rapports des fondations retrouvées ne conviennent guère. Aujourd’hui, certains auteurs refusent l’hypothèse et avancent l’idée d’un puissant narthex perpendiculaire comme celui du Kaiser Dom de Spire, cela est plus conforme aux assises et nous retiendrons l‘option.

Le massif occidental de la vieille cathédrale comportait deux absides latérales en hémicycle destinées au culte de saints personnages ou abritant des tombeaux de rois saxons. Si l’ouvrage avait ainsi les caractères de nécropole royale, il est certain que sa destruction fut mal perçue par la société civile et religieuse de Winchester. Dans ce cas, le constructeur de la nouvelle œuvre a du promettre d’édifier à l’ouest de l’abbatiale un volume semblable et conséquent. Nous proposerons donc un ouvrage très puissant dont les croisillons étaient dotés d’absides en hémicycle voûtées. Pareille réalisation peut elle être incluse dans l’achèvement de 1010? C’est improbable. Un achèvement définitif de la nef vers 1020 et la réalisation du narthex de 1020 à 1035 serait beaucoup plus logique. Mais ce n’est qu’une hypothèse.

 

 

Winchester : la tour lanterne dominant le croisillon sud et la nef

 

Winchester : le croisillon sud et sa façade

 

Winchester : la cathédrale, chevet et croisillon nord vus du nord

 

Winchester : la nef gothique vue d'ensemble

 

Winchester : le croisillon sud, élévation interne avec trois niveaux romans et tribunes (côté chevet)

 

Winchester : Le croisillon sud, élévation interne avec tribunes (côté nef)