Gloucester - La cathédrale

Sur le site de Gloucester, la rive sud-est de la Severn est occupée dès le V° s. avant J.C, par une bourgade de caractère celtique nommée Caer-Glow que l’on peut traduire par « maisons brûlées ». L’agglomération est insulaire, séparée de la terre ferme par un bras mineur de la rivière. Sur les berges, se concentrent les activités portuaires où des embarcations, longues de 10 à 14m avec un tirant d’eau en charge inférieur à 1m, viennent s’affréter ou relâcher à la mauvaise saison. L‘absence de pont  leur permet de remonter la rivière ou de caboter sur les côtes à la belle saison.

Le transit sur berges, les activités portuaires ainsi que le franchissement assuré par les bateliers, justifient le développement de l’agglomération mais il doit rester limité par une assiette économique rurale de caractère dit celtique. Cependant, les riches terres de la province des Belgates, situées à proximité doivent favoriser son essor économique dans le dernier siècle qui précède la conquête.

La cité romaine

Les Romains occupent la bourgade vers 50/70 après J.C et la jugent suffisamment développée et bien articulée pour l’intégrer dans l’infrastructure routière, ce qui suppose un état de petite métropole avec 4 à 6.000 habitants. Un premier camp militaire est construit sur la terre ferme face, à l’agglomération celtique, mais c’est une voie romaine avec franchissement de la Severn sur un pont de bois qui donnera ses atouts à la cité qui devient Glenum, dès la fin du 1er siècle.

Dans le plan d’aménagement de caractère augustéen, programmé par Agricola, la Grande Bretagne se voit coupée en deux par une frontière administrative qui va de l’embouchure de la Severn à York. La partie sud-est sera confiée à une administration civile où les sénats locaux ont une large autonomie économique et financière tandis que les province du nord-ouest demeureront sous juridiction militaire. Cette démarcation sépare des populations bien distinctes. Côté sud-est, les riches terres à vocation céréalière, déjà occupées par des peuples continentaux, les Belges et les Germains, côté nord-ouest, des terres de bocage plus favorables à l’élevage et fermement tenues par des peuplades celtiques. Cette démarcation traversera l’histoire de la Grande Bretagne, c’est l’Angleterre blanche et  l’Angleterre rouge. Glenum, situé sur la rive sud-est de la Severn touche cette frontière administrative fixée à 10 ou 15km au-delà du fleuve.

Aujourd’hui, Gloucester conserve le tracé du decumanus (voie de franchissement) et du cardo (voie sur berges) et les quatre portes médiévales se situent sur les axes antiques. Cependant, nous ignorons si Glenum fut constamment articulé autour d’un camp militaire ou si cet espace fut absorbé par un maillage de caractère augustéen au cours du siècle des Antonins. Depuis un demi siècle, les archéologues continentaux privilégient la recherche du plan augustéen tandis que les Britanniques demeurent attachés au cadre militaire. Évitons de tomber dans une querelle d’école et voyons l’articulation urbaine la plus probable.

Le centre de la Cité se trouve à 1700m du cours principal de la Severn et l’agglomération est bordée par un canal qui reprend le cours secondaire aujourd’hui comblé. Nous avançons  l’hypothèse suivante: les Romains fixent leur première installation de caractère militaire sur la terre ferme, face à la bourgade celtique, ce sera l’articulation du 1er siècle. Au second, l’administration civile qui tient compte des échanges réalisés avec la riche province des Belgates entreprend une urbanisation de caractère civil qui absorbe l’espace militaire sans l’effacer du terrain. En effet, seul le parcellaire privé et l’attachement des commerçants et artisans à leur pignon sur rue, sont susceptibles de préserver le maillage antique. Enfin, l’assiette économique de la cité sera en partie remembrée au profit de grandes exploitations dont une vingtaine ont été identifiées et ce sont ces propriétaires terriens, pourvoyeurs de l’impôt, qui seront les tenants du pouvoir sénatorial ainsi que les promoteurs de l’urbanisation de Glenum.

Le Bas Empire

En Grande Bretagne, où l’on ne connût pas le phénomène des invasions, la Pax Romana, se prolonge jusqu’au IV°s. mais, à cette époque, la crise économique sévit et les pirates écument les côtes; ce sont les Danois sur la Manche et la mer du Nord et les Irlandais sur le littoral atlantique. Si Gloucester semble avoir été épargnée par les actions scandinaves, les pirates irlandais vont ruiner son commerce maritime. Commerçants et notables se replient sur le centre de l’agglomération, derrière une défense élevée à la hâte. Bien entendu le maillage urbain est respecté et nous retrouvons, là,  un caractère apparemment militaire.

Cette époque trouble du V°s. est favorable aux Chrétiens. St. Patrick est né vers 445, il est le fils d’un notable de culture romaine et grand propriétaire terrien habitant sur l’embouchure de la Severn, non loin de Gloucester. A l’âge de 16 ans il est capturé avec une centaine d’autres garçons par des pirates irlandais et vendu comme esclave dans la grande île. Déjà acquis au Christianisme, il va convertir ses maîtres et devenir l’apôtre de l’Irlande. Après sa mort survenue en 492 ses disciples vont christianiser le pays et, dès le siècle suivant, des missionnaires irlandaise partiront à la conquête de l’Angleterre puis gagneront le continent sous l’égide de Colomban. Leur message est particulier. Ils refusent l’emprise de Rome, privilégient les petites cellules paroissiales, et si certains des leurs passent à la postérité sous le titre d‘évêque, ils furent de leur vivant des sages itinérants dont l‘influence personnelle était grande mais leur charge disparaît avec eux.

La crise économique et les affrontements permanents entre anglo-saxons et peuplades celtiques, ne touchent pas d’égale manière les villes de Grande Bretagne. L’ancienne Caer-Glow, qui oublie son nom latin et connaît des prononciations en dégradations constantes pour devenir Gloucester aux abords de l’an 1000, se maintiendra grâce au franchissement et au point de rupture de charge imposés par le pont romain. L’obstacle qu’il représente sépare désormais la navigation fluviale de celle des caboteurs à voile et cette conjoncture assure  à l’agglomération un volant d’activités économiques suffisant pour assurer vie à 3 ou 5.000 personnes. Une ancienne grande agglomération romaine voisine Cirencester coiffant majoritairement des activités rurales connaît, elle,  un déclin inexorable.

L’abbaye cathédrale

Une première abbaye sera créée à Gloucester en 681 mais la communauté connaît bientôt des difficultés, et, moins d’une siècle plus tard elle a pratiquement disparu. La Maison sera relevée en 832 par Bernuff, roi de Mercie, puis elle décline à nouveau. En 1022, des Bénédictins venus de Cluny s’y installent et construisent une église dédiée à Saint Pierre sous le règne de Canute le Danois. Vers la fin du siècle, la communauté connaît à nouveau certaines difficultés et les conquérants confient la charge de l’abbaye à Serlo, premier abbé normand.

Dès 1098, il a restauré la discipline et rassemblé des moyens pour un nouveau et vaste programme. L’année suivante, en 1099, il entreprend la construction d’une grande abbatiale inspirée de modèles continentaux. L’ouvrage comporte une crypte avec déambulatoire et trois chapelles rayonnantes sur 102° (96° à Chartres) mais ici les chapelles sont peu profondes. Sur le déambulatoire, les appuis externes sont au nombre de huit encadrant les trois travées des chapelles et les quatre intermédiaires. Par contre, côté sanctuaire, les assises sont constituées de quatre grosses piles. Ainsi le découpage du déambulatoire se fera en trois travées rectangulaires correspondant aux chapelles et quatre triangulaires correspondant aux intermédiaires.

Une disposition identique se retrouve sur la grande abbaye voisine de Tewkesbury et toutes deux comportent des nefs à gros piliers. Nous avons émis l’hypothèse que ce parti original était dérivé de la grande abbatiale de Chartres construite par Fulbert, au début du XI°s.  

A l’époque des travaux, les échanges entre maîtres d’œuvre sont permanents et nombreux et les procédés évoluent rapidement. La crypte de Gloucester comporte sur les travées rectangulaires des arcs en croix bien appareillés soutenant les arêtes, ce sont donc des voûtes sur croisée d’ogives archaïques. Ses nervures sont de section rectangulaire, retaillées pour certaines d’entre elles. Sont-elles d’origine ou installées ultérieurement en sous œuvre? La pénétration de deux berceaux plein cintre donne géométriquement une ellipse et c’est une forme difficile à coffrer, ainsi le maître d’œuvre de Gloucester a préféré un dessin en arc de cercle et des voutins à l‘avenant. Ces nervures sont donc d’origine et réalisées sur les cinq premières années du XII°s.

A la crypte de Saint Eutrope de Saintes, le constructeur installe à la même époque des boudins de section ronde sous ses voûtes d’arêtes qui respectent la forme en ellipse. Il y eut sans doute bien d’autres expériences aujourd’hui disparues qui vont participer à la genèse du nouveau procédé de voûtement.

Le chevet

Le premier niveau du chevet reprend naturellement le dessin de la crypte avec trois chapelles rayonnantes et quatre travées intermédiaires. Nous retrouvons là les huit points d’appui externes et, côté sanctuaire, seulement quatre grosses piles de section ovale, enfin le découpage du déambulatoire offre également trois travées rectangulaires et quatre triangulaires. Les nervures installées sur les voûtes d’arêtes de la crypte ne seront pas reprises au niveau du chevet.

Sur le sanctuaire les quatre grosses piles ovales se révèlent peu rationnelles sur le plan architectonique, les arcades sont de bonne taille et doivent suivre la courbe de l’hémicycle par contre, elles correspondent chacune à l’ouverture des chapelles rayonnantes et l’intérêt est d’ordre architectural.

Les deuxième et troisième niveaux du chevet ont complètement disparu lors des reprises gothiques. Cependant, si les arcs de la croisée étaient alignés et le plafond à caissons du chevet  au même niveau que celui de la nef,  soit à une hauteur de 20m environ, les parties orientales pouvaient s’étager comme suit.  Premier niveau d’une hauteur de 7m sur grosses piles de 4m, second niveau d’une hauteur de 6m, sur piles de 3m, constitué de grandes baies géminées ouvrant sur des tribunes accessibles mais non voûtées. Ensuite, un mur nu pour absorber en partie le comble des tribunes et enfin un quatrième niveau  avec registre de fenêtres hautes semblable à celui de la nef de Tewkesbury, soit une hauteur de 5m environ, ce qui donne pratiquement les 20m de hauteur sous le plafond à caissons que nous avons admis. Cette  décomposition des quatre niveaux donne, pour les deux tronçons de grosses piles, une hauteur de 9m 40 environ soit l’équivalent des gros fûts de la nef. Selon notre hypothèse, cette élévation du sanctuaire reprenait le parti de la cathédrale de Fulbert.

A cette époque, les moyens dont disposent les grands abbés bénédictins soutenus par l’État normand sont pratiquement illimités mais ce sont les difficultés d’approvisionnement et de main d’œuvre qui doivent ralentir l’ouvrage. Pour un chantier de cette importance, la réalisation de la crypte, de l’hémicycle et des trois travées droites  ont requis, pour le moins, quinze à dix huit années et c’est vers 1120 que le chantier atteint le transept  de l’ancienne église Saint Pierre dont la démolition commence.

La croisée du transept

Le nouveau transept est implanté en un temps où les travaux de couverture s’achèvent sur la partie orientale et c’est là, vers 1120, qu’un violent incendie ravage l’ouvrage. Vers 1125/1128, les dommages sont réparés et les travaux reprennent sur le transept mais l’implantation de la nef réalisée simultanément va retarder son achèvement. Les chapelles orientées, sans doute implantées avant l’incendie, seront modifiées afin de communiquer avec la dernière travée ouest du chevet. Ces chapelles comportent également un niveau supérieur lié aux tribunes du sanctuaire. Les piles de la croisée sont constituées d’un volume cylindrique flanqué sur les faces internes de colonnes et piles de section quadrangulaire. Celles-ci portent les quatre arcs  à double rouleaux destinés à  la tour lanterne; l’ouvrage primitif devait se limiter à trois niveaux avec registre de fenêtres hautes et couverture sur charpente et l’énorme couronnement gothique va imposer une reprise en sous œuvre des arcs longitudinaux.

La nef

L’incendie de 1120 ne semble pas avoir retardé l’ensemble du programme. Les travaux doivent même s’accélérer et c’est la nef de Fulbert qui demeure le modèle. L’élévation est portée par de grosses piles cylindriques de 9m 40 de haut et d’un diamètre légèrement inférieur à 2m, le pas moyen est  de 5m 80. Les premières archivoltes seront lancées vers 1135. Elles comportent des rouleaux multiples dont le dégradé s’accorde bien avec la surface d’appui ronde du sommet de la pile. Vers 1140/1145, grosses piles rondes, archivoltes et murs extérieurs sont achevés et les bas côtés reçoivent des voûtes d’arêtes classiques. Leur couverture s’appuie sur un second niveau de faible hauteur  (2m 40) avec de petites baies géminées.

L’édifice est certes une abbatiale mais il doit également assurer la fonction d’une cathédrale dans une agglomération de plusieurs milliers d’habitants et, dès 1145/1150,  l’ensemble de la nef fut sans doute livré au culte avec un plafond provisoire, ce mode opératoire peut expliquer le déséquilibre que l’on perçoit entre les deuxième et troisième niveaux. Les fenêtres hautes occupent un registre de 7m 40 avec à la base un mur aveugle de 2m 70 correspondant à une galerie de circulation. L’ouverture de la fenêtre est, sur ce niveau bas, encadrée de deux colonnettes portant des arcatures; c’est la composition continentale que l’on trouve magistralement inaugurée à Saint Etienne de Caen mais, à Gloucester, la composition à gros piliers implique un étagement nouveau.

Le gros œuvre est achevé vers 1150/1155 mais les travaux se poursuivent sur la façade romane aujourd’hui disparue. La cathédrale de Gloucester  conservera son état roman moins d’un siècle. En 1242, la nef est dotée de voûtes sur croisée d’ogive placées trop bas pour ne pas interférer avec le premier étage de la croisée. En 1320, le transept est remanié et la croisée, ainsi que la tour lanterne, sont aménagées en gothique. En 1240,  les tours occidentales disparaissent puis c’est au tour du chevet roman de recevoir des aménagement de style gothique. Enfin, de 1470 à 1483, une superbe chapelle axiale prolonge l’ouvrage. Aujourd’hui et de prime abord, Gloucester est une cathédrale gothique, et seules les grosses piles de la nef, ainsi que les bases du chevet, témoignent de son origine romane.

 

 

 

Gloucester : la nef, la croisée et le croisillon sud

 

Gloucester : la nef, élévation sud avec reprise gothique

 

Gloucester : la nef avec les gros piliers romans (école de Chartres) et voûtes gothiques

 

Gloucester : le bas-côté sur avec les gros piliers romans et des voûtes gothiques

 

Gloucester : les voûtes romanes du déambulatoire