Maria Laach - L'abbatiale
Dans le Massif du Eifel, situé au nord de la Moselle, le paysage est parsemé de lacs installés dans des cratères éruptifs. Ces derniers furent formés par des explosions gazeuses ne donnant ni lave ni cône et qui vont se remplir d’eau de ruissellement. Le plus vaste d’entre eux se situe à 25 km à l’ouest de Coblence et c’est sur ses rives que fut créé l’abbaye de Maria Laach.
Sur la période historique, cette vaste étendue d‘eau située sur le proche arrière pays des grandes vallées du Rhin et de la Moselle, a sans doute servi de lieu de rencontre pour les populations rurales environnantes. Ce sont les charges engendrées par l’abbaye, ainsi que les risques encourus lors des périodes tragiques comme celles de la Guerre de trente Ans, qui vont ruiner l’habitat des bords du lac. A la fin du XI°s, à l’heure de la fondation, c’est une agglomération de 1.000 à 1.500 personnes qui va justifier le choix du site. Créer une abbaye en dehors de toute infrastructure existante est nécessairement un pari risqué, voire absurde. Cette approche se confirme avec les conditions de la fondation. Vers 1090, le comte palatin, Henri II, donne aux moines de Saint Maximin de Trêves des terres et domaines pour y construire une abbaye. L’installation se fait sans difficulté et, dès 1093, le comte peut poser la première pierre de la grande abbatiale. Il meurt en 1095 mais son épouse, Adélaïde d’Orlamunde continue d’apporter soutien et subsides à la fondation.
Le programme
Nous dirons que le plan est Othonien. C’est l’heureuse combinaison d’une nef et d’un transept paléochrétien avec l’abside profonde imaginée au Carolingien ainsi que le transept et l’abside orientale qui s’imposent sous le règne de Louis le Pieux. A cela s’ajoute un riche couronnement et des tourelles d’escaliers sans véritable fonction puisqu’il n’y a pas de niveau accessible mais il s’agit là, sans doute, d’abriter les premières cloches et d’exprimer la puissance de l’Ordre Bénédictin sur les terres d’empire. Ce sont des éléments acquis que l’on trouve composés de diverses manières sur bon nombre d’ouvrages othoniens, des rapprochements avec les cathédrales de Worms et de Verdun sont possibles mais la filiation n’est pas pertinente .
Les travaux commencent par la crypte comportant hémicycle et partie droite. Elle est coiffée de douze voûtes d’arêtes classiques portées sur colonnes et chapiteaux cubiques et les claveaux sont en matériau alterné. L’ouvrage est inspiré de la crypte impériale de Spire. Commencée par les fondations profondes en 1092, elle sera achevée avant 1100 et l’élévation de l’abside sera réalisée parallèlement. A ce niveau, l’hémicycle reçoit une voûte en cul de four et la partie droite une voûte en berceau qui sera ultérieurement démontée. Suit un transept débordant flanqué de deux chapelles orientées voûtées en cul de four. L’espace compris entre les chapelles et l’abside est occupé par une petite tourelle d’escalier de 4,60m de côté. A la croisée, les arcs sont portés, côté nef, par des piles cantonnées qui s’inscrivent dans un cercle de 2,10m de diamètre. L’ensemble est relativement gracile. Croisées et transept ont-ils été voûtés dès l’origine? C’est peu probable. Achèvement de l’ensemble oriental et mise à disposition vers 1110.
La nef
Vers 1112/1115, les travaux reprennent sur la nef comportant cinq travées avec bas côtés. Le pas est important, 6,20m en moyenne pour une largeur interne de 9m, ce qui donne un rectangle de 2 x 3 pour les grandes voûtes d’arêtes projetées. Les supports sont très rationnels. Un volume rectangulaire monte jusqu’aux formerets, il est flanqué dans le plan longitudinal de deux piles engagées donnant l’archivolte à simple rouleau et, côté nef, une colonne engagée file jusqu’au troisième niveau pour recevoir le grand doubleau. Elle a sa semblable sur le bas côté afin de porter le petit doubleau. Le cercle d’inscription est proche de 2m. Le niveau médian (triforium) est sans aucune structuration, enfin, les fenêtres hautes, petites, sont contenues dans le volume du formeret. Les bas côtés également découpés en rectangles de 2 x 3 orientés longitudinalement reçoivent des voûtes d’arêtes classiques comme celles de la nef. Toutes sont très proches du volume classique.
Cette nef dont l’édification dut se situer sur la période 1120/1140 fut donc programmée vers 1115. C’est une œuvre parfaitement élaborée mais où le maître d’œuvre a sans douté pêché par excès de confiance. Comme dans la majorité des programmes othoniens du XII° s, l’absence de contreforts fragilise l’ouvrage et cette option architecturale d’inspiration italienne et lombarde fut imposée par les instances bénédictines, il s’agissait de préserver l’esthétique basilicale des origines. Cependant les progrès techniques réalisés avec notamment une plus grande homogénéité du pied de voûte ne suffiront pas, en particulier à Maria Laach ou l’épaisseur du niveau médian est trop faible. La composition va tenir un temps selon le principe du monolithe reconstitué mais il faudra, très tôt, (XIII°s) reprendre les voûtes avec des tirants métalliques qui subsistent toujours, maquettes et gravures anciennes montrent que l’ouvrage ne fut jamais conforté de l’extérieur.
L'ensemble occidental
A l’ouest, l’édifice est clôturé par un massif occidental contenu dans le volume d’une sixième travée, probablement un aménagement concédé par le constructeur au parti rhénan. Les structures sont renforcées pour soutenir un couronnement et les faux croisillons sont flanqués de puissantes tourelles d’escaliers, enfin une abside occidentale vient clôturer le vaisseau central. Selon les datations communément admises, cet ensemble est à inclure dans l’achèvement de 1156 et sa période d’édification peut se situer sur les années 1140/1156. Cependant, nous dirons qu’il s’agissait du gros œuvre et du clos et, comme souvent, les couronnements seront achevés ultérieurement.
Vers 1160/1170, le berceau de la partie droite de l’abside orientale donne des inquiétudes. L’ouvrage est repris et coiffé d’une voûte d’arêtes à coquille légère et plus élaborée. Enfin, la voûté d’arêtes de la croisée qui obstrue la primitive tour lanterne, ainsi que la tribune installée dans la travée centrale du massif occidental, semble également dater de cette époque, 1165/1185.
C’est aussi en cette fin de siècle que les riches couronnements de l’abbatiale seront réalisés. Côté chevet, les deux tours d’escaliers seront surmontées de trois étages sans raison fonctionnelle et la tour lanterne polygonale sur trompe coiffant la croisée est achevée malgré la voûte d’arêtes qui la masque. A l’occident, les deux grosses tourelles d’escaliers sont également surélevées. Sur la croisée occidentale l’ouvrage est dominé par une puissante tour rectangulaire d’implantation réduite (sur trompes) et l’aplomb des murs est surmonté d’une belle galerie de circulation avec arcature romane. Le comble est installé sur quatre murs pignons à la manière rhénane.
L’édifice est donc totalement achevé vers 1200 et c’est vers 1220/1230 que sera réalisé le bel atrium de facture romane établi à l’ouest.
Cette abbaye va traverser les siècles sans trop de dommages puis viendront les restaurations énergiques qui suivirent la dernière guerre ou l’ouvrage perdit un certain caractère.