Lisieux - La cathédrale
Dès l’époque gauloise, les basses terres où se forme le confluent de la Touques et de l’Orbiquet, constituent une île parsemée de petits courants. Ce sont les conditions optimum pour l’installation d’une communauté urbaine composée d’artisans et de commerçants. Les berges périphériques seront stabilisées par des levées de terre et les courants intérieurs aménagés en canaux dont les berges seront consolidées par des pieux. Les déchets urbains et les matériaux des constructions ruinées vont stabiliser les îlots ainsi formés, les mettant à l’abri des crues. Le site est fixé et les avantages ainsi acquis feront, que même ruiné, il sera plus favorable que d’autres.
Cette région littorale baignée par le bassin de la Touques, est le pays des Lexoviens (Lexovii) et l’implantation rurale est de caractère dite celtique avec petites exploitations disséminées et prédominance du pastoral. A cette époque, comme tout au long de l’histoire, pareille articulation justifie la formation de bourgades et le site de Lisieux n’était que l’un d’eux, peut être favorisé par son accès à la mer. La population répartie sur les 12 ha de l’île ne devait pas dépasser 3.500 personnes. C’était une agglomération importante dans le contexte des bourgades mais pas une métropole au sens où nous l’entendons et ce sont les voies romaines qui feront sa fortune. Elle sera abordée par une voie desservant l’arrière pays littoral venant de Rouen et se dirigeant vers Bayeux et le Cotentin.
Si le potentiel économique déjà acquis fait que les Romains acceptent le site, les basses terres alluvionnaires ne conviennent guère à leur urbanisme traditionnel. Ils vont construire une nouvelle cité aux voies régulièrement maillées sur le plateau situé à l’est et trois nouvelles voies rayonnantes confirmeront cette implantation: ce sera Noviomagus Lexoviorum. Cette ville nouvelle connaît son apogée au II°s. et couvre environ 25 ha pour une population bourgeoise de 12.000 habitants venant s’ajouter aux 4 à 5.000 besogneux qui se maintiennent sur l’île. Ce sont plus de 20.000 habitants avec les inévitables faubourgs, qui vont se développer sur les voies hors les murs, c’est l’occupation optimum. Cependant, avec l’afflux de main d’œuvre déstabilisée de la fin du II° s. l’occupation peut atteindre 35 à 40.000 personnes qui s’entassent dans de médiocres constructions périphériques. Cette population sera en partie responsable des troubles des années 250/275 qui vont ruiner la société occidentale et Lisieux n’échappe pas au phénomène. La nouvelle ville ouverte est incendiée, et la population survivante se replie sur l’île plus facilement défendable. Au temps Constantinien, artisans et commerçants reprennent leurs activités et la société bourgeoise qui s’accroche à son cadre, à ses souvenirs, fait construire, vers 350, une puissante muraille cernant un rectangle de 200 x 360m. Ces sept hectares peuvent recevoir 3.500 personnes qui s’ajoutent aux 6.000 déjà rétablies sur l’île. Mais cette cité renaissante sera à nouveau saccagée par les troubles du début du V°s. Les temps mérovingiens seront moins tourmentés sur ces régions littorales.
Les chrétiens
Dès l’édit de Milan, en 313, les chrétiens qui se sont multipliés lors des années de crise, installent des lieux de culte dans leurs quartiers, ce sera l’origine des paroisses de l’île. Après 400, et les édits de Théodose, l’évêque de Rouen, pense que le castrum de Lisieux doit devenir le siège d’un évêché dépendant de la métropole mais les habitants de l’île n’en voient pas l’intérêt et les débuts du nouveau diocèse seront difficiles. Le premier évêque dont l’histoire nous ait conservé le nom est Thibaut qui occupât son siège de 538 à 549, mais la première cathédrale construite à l’angle nord est de la cité était sans doute antérieure. Son sanctuaire correspondait probablement à la croisée de la cathédrale actuelle et l’atrium jouxtait une porte de la muraille afin d’accueillir les habitants de la ville basse à chaque occasion, cependant cette population continue à fréquenter la demi douzaine d’églises paroissiales qui desservent les quartiers laborieux et, insensiblement, la cathédrale devient l’église des notables. Elle est aussi un instrument politique au service de la cité puisque politiques et religieux se confondent alors. L’articulation socio-économique de la province ainsi que le contexte urbain déjà cité feront que les périodes mérovingiennes et carolingiennes seront peu propices à l’emprise de l’évêque sur sa communauté et, faute de moyens, nous pouvons douter qu’un édifice de grande taille fut programmé.
La cathédrale romane
Ce sont les Ducs de Normandie qui vont prendre en mains le politico-religieux en se faisant assister par des Bénédictins d’obédience clunisienne, dont Guillaume de Volpiano sera le plus illustre représentant. Dans les cités épiscopales, les responsables de l’ordre entendent rompre avec l’isolationnisme bourgeois favorisé par la muraille, mais sans trop de heurts. A Lisieux ils feront construire une vaste nef ouverte sur l’agglomération basse et l‘évêque Herbert, (1022/1049) fera démolir une portion de l‘enceinte gallo romaine correspondant à la façade de la nouvelle œuvre. Les travaux commencés vers 1023 seront menés d’est en ouest, et l’ouvrage sera consacré en 1055 par Hugues d’Eu. Quelques substructures retrouvées nous indiquent que le transept correspondait pratiquement à l’ouvrage actuel, seul le chevet nous est totalement inconnu.
Nous pouvons résumer ainsi le programme : 1024/1040, construction d’une nef à 9 travées de structure basilicale mais avec bas côtés voûtés, soit une réalisation assez proche de l’abbatiale de Bernai. De 1040 à 1045, construction d’un transept débordant et mise à disposition du culte. Il reste alors huit années pour construire un nouveau chevet et nous proposons une abside profonde longue de deux travées avec hémicycle non voûté et flanquée de deux bas côtés avec absidioles voûtées. Ces collatéraux donnent accès au banc du clergé établi de chaque côté de l’abside, c’est l’amorce du classique chevet normand. Enfin nous pouvons admettre deux chapelles orientées sur les croisillons du transept. Pareil ouvrage est réalisable sur une période de huit à dix années, ce qui nous amène à la consécration de 1055.
La cathédrale gothique
Cette cathédrale du XI° sera incendiée en 1136 lors du siège mené par Geoffroy le Bel, comte d’Anjou, mais les dommages furent minimes puisque l’édifice rapidement restauré abritât en 1152 le mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri II Plantagenêt. Les premiers travaux de l’ouvrage gothique sont attribués à l’évêque Arnoul qui occupât le siège épiscopal de 1150 à 1182 et Louis Serba (petite monographie) les situe vers 1172. Le chantier commence par la nef et comporte trois niveaux sur piles rondes à tambour comme à Notre Dame de Paris ou à la cathédrale de Laon. Au second niveau, nous trouvons de grandes baies géminées aveugles et les fenêtres du troisième niveau sont de taille modeste mais bien moulurées avec des arcs en tiers point.
Suit un transept débordant avec une puissante tour lanterne à la croisée et un bas côté à l’est, c’est une formule appréciée par les maîtres normands et qui remplace avantageusement les chapelles orientées. Contrairement à bien d’autres tours lanternes, celle de Lisieux ne reçut jamais d’étage additif et ses caractères archaïques font d’elle un précieux témoignage sur l’architecture XII°. Vers 1200, le maître d’œuvre aborde le chevet et la première travée nécessaire à l’épaulement de la tour lanterne. Il reprend l’élévation de la nef mais nous ignorons quel fût la suite des travaux. Le sanctuaire fut-il mis en attente pour raison de crédit ou réalisé à la manière normande avec abside et absidioles, rien ne nous l’indique? La progression des travaux semble s’arrêter vers 1210 et l’édifice est alors jugé exploitable. Nef et transept sont coiffés de voûtes sur croisées d’ogives dont les caractéristiques sont davantage XIII° que XII°, et nous pouvons admettre que leur édification avait pris un certain retard, ce qui justifiât l’arrêt momentané des travaux sur le chevet. Celui que nous voyons aujourd’hui comporte trois travées droites avec bas côtés, hémicycle, déambulatoire et trois chapelles rayonnantes séparées par des travées intermédiaires. Le dessin au sol est essentiellement circulaire et voilà de nouveau des caractères très XII° s., nous proposerons donc un aménagement au sol réalisé vers 1206/1210 en un temps où les nouvelles compositions de plan polygonal créées en Île-de-France ne sont pas encore parvenues en Normandie, puis une mise en attente pour traiter les grandes voûtes 1210/1220 et enfin achèvement des parties hautes du chevet 1220/1250. Le curieux système de voûtement du sanctuaire, avec clé excentrée, correspond au milieu du XIII° s.