Durham - La cathédrale

Durham et sa cathédrale constituent le site le plus remarquable de Grande Bretagne. Il s’agit d’un éperon rocheux dominant de plus de 40m un méandre du Wear et le resserrement qui le lie au plateau,  large de 140m environ, en fait une position très forte. En 685, Cuthbert, un saint homme, est nommé supérieur du couvent de Lindisfarne sur la côte de la mer du Nord. En 793, les Vikings saccagent la fondation et les moines doivent fuir vers l’intérieur, avec leurs biens les plus précieux, la châsse de saint Guthbert et le chef du roi Oswald. Suit une errance de deux siècles environ et, en 995, la communauté s’installe sur le promontoire de Durham déjà occupé par une petite agglomération. L’église et les bâtiments du nouveau monastère sont rapidement construits en bois et, dès la fin du siècle, les précieuses reliques commencent à attirer des pèlerins. Dans le contexte du temps, la fortune de l’abbaye est désormais assurée.

L'emprise bénédictine

Les conquérants normands qui auront quelques difficultés à s’implanter dans ces provinces du Nord où la présence danoise demeure importante, confieront Durham aux Bénédictins. En 1080/1082, Guillaume de Calais (William de Carileph) reçoit la charge de l’abbaye de Durham et entend construire une très vaste abbatiale mais la préparation du chantier sera longue. Il faut ouvrir une carrière à Kepier sur les rives du Wear et, dès 1090, les moyens sont acquis. Guillaume peut alors choisir le plan de son église qui sera conforme au grand programme que ses frères bénédictins réalisent alors Outre Manche. Il comporte une abside en hémicycle, proche de celle que nous avons conservée à Cerisy-la-Forêt. Elle est flanquée de deux absidioles noyées dans les maçonneries et prolongée d’une longue partie droite de quatre travées, comme dans la grande majorité des programmes normands de la fin du XI°s. Suit un transept qui sera flanqué d’un bas côté oriental remplaçant avantageusement les chapelles orientées, la croisée sera dominée par une très puissante tour lanterne. Enfin, l’ouvrage comportera une nef à sept travées et un volume occidental flanqué de deux tours débordant sur la nef. Rien de nouveau en cela. Le programme est fidèle au plan dit Bénédictin qui s’impose alors chez les Normands mais le traitement voulu par Guillaume sera particulièrement puissant, s’agit-il de voûter un tel ouvrage? A l’origine c’est peu probable mais les techniques progressent très vite et, sur le continent, un nouveau procédé de voûtement fait ses premiers pas.

Le programme

A Durham, les dates généralement avancées sont peu compatibles avec un chantier de cette importance méthodiquement mené et nous proposerons quelques aménagements à la chronologie communément admise. De 1090 à 1093, les travaux préliminaires sur le terrain et les fondations sont menés à bien. En 1099 l’abside, les absidioles, la partie droite ainsi que les deux premières travées sont grandement avancées. De 1103 à 1104, les bas côtés sont voûtés avec le nouveau procédé sur croisée d’ogives. La partie droite de l’abside qui bénéficie d’un bon épaulement avec les absidioles reçoit une voûte en berceau mais les deux travées suivantes, qui sont en voie d’achèvement, seront couvertes sur charpente. Les travaux réalisés sont suffisants pour justifier la mise à disposition et une première consécration en 1104. Guillaume de Calais est mort en 1096 et ses successeurs ont privilégié l’avancement. Cependant les expériences nouvelles se succèdent sur le continent :la solution est en vue.

En Normandie, de nombreuses abbatiales secondaires avec trois niveaux et triforium de taille modeste mais  puissante expérimentent des voûtes d’arêtes de plan barlong. Cependant, le déséquilibre des contraintes dans les arêtes provoque des éclatements internes et, quelques constructeurs vont remédier au problème en lançant des arcs de décharge sous ces arêtes. Réalisé au chevet de Lessay vers 1098, ce procédé donne satisfaction et la nouvelle se répand rapidement.

A  Durham, après la consécration de 1104, et sans doute une couverture provisoire, les travaux reprennent et en 1110, le programme atteint la croisée. A cette époque le responsable du chantier envisage l’aménagement de grandes voûtes sur les travées droites du chevet. Dans quel état se trouve l’édifice? L’arc clôturant la partie droite de l’abside est en place au niveau actuel, celui qui ouvre sur la croisée également. Sur la grosse pile médiane le faisceau de colonnes est en place, le doubleau médian a-t-il été installé? Nous l’ignorons. Les élévations ont été aménagées avec un registre de fenêtres hautes de bonne taille et le plafond à caissons  se situe nettement au dessus des doubleaux, soit à 24m au minimum.

Le procédé choisi est celui qui semble donner les meilleures garanties; il s’agit de voûtes d’arêtes sur plan barlong perpendiculaire avec des nervures en croix comme à Lessay. Il faut donc utiliser les grosses piles rondes en guise de support intermédiaire et rien n’a été prévu pour cela. Il faut également des assises additives contre les grands doubleaux Les reprises sont conséquentes. Pour respecter l’ouvrage existant, et notamment les fenêtres hautes, il était logique d’installer les voûtes au niveau du plafond à caissons mais, dans ces conditions elles seraient dissociées des doubleaux et la composition allait à l’encontre du modèle continental. Le maître d’œuvre abandonne donc cette idée première et décide d’aligner les voûtes sur les doubleaux ce qui va tronquer le niveau de fenêtres hautes. L’esthétique allait en souffrir mais les avantages architectoniques étaient certains. Avec un niveau de tailloir abaissé de plus de 1m 50, l’inertie offerte par l’élévation se trouvait accrue et, surtout, les résultantes externes correspondaient mieux à l’épaulement de l’arc établi sous les combles des tribunes.

Les aménagements nécessaires seront traités au minimum. Au dessus des piles rondes, ce sont trois colonnettes fortement engagées qui seront basées sur le bandeau coiffant le premier niveau. Elles porteront un tailloir rectangulaire de taille modeste et non des assises décalées selon l’usage. Même traitement en flanquement des grands doubleaux où des colonnes aménagées, de même nature, portent également des tailloirs rectangulaires destinés aux croisées d’ogives. Enfin, côté chevet, ces ogives porteront sur un simple corbeau. Sur ces supports aménagés le constructeur lance quatre voûtes de plan barlong avec nervures en croix. Elles étaient sans doute particulièrement archaïques puisque l’ensemble sera repris au XIII°s. avec l’aménagement du transept oriental venu se substituer à l’abside. Ces quatre grandes voûtes de la partie droite du chevet de Durham seront édifiées sur la période 1110/1120. La dernière, côté croisée, est plus petite que les précédentes puisqu’elle respecte le pas imposé par le bas côté oriental du grand transept.

Croisée et transept

Dans une chronologie rationnelle tenant compte des impératifs architectoniques, la datation du transept est également délicate. L’établissement des quatre piles de la croisée fut précoce, vers 1106/1108. Elles sont d’une extrême puissance et s’inscrivent dans un cercle de 4m 50, ce sont, en leur temps, les plus grosses réalisées, mais les grands arcs doivent attendre leur épaulement. Inutile de les monter sur échafaudage à demeure, ce serait une gène pour les activités du chantier. Vers 1108/1110 l’arc oriental est mis en place avec les premiers éléments de l’élévation du transept. Cette dernière ouvre sur un bas côté correspondant à la dernière travée mineure du chevet et c’est un travail conséquent qui demande plusieurs années. Vers 1115/1118, les façades des croisillons et le mur occidental du transept sont également achevés. A cette époque, les trois arcs manquant  à la croisée seront lancés mais les deux longitudinaux demandent une amorce  de la nef pour leur épaulement. L’implantation de cette dernière a commencé vers 1116/1118 et le maître d’œuvre est désireux d’élargir l’ouvrage cependant la croisée déjà en place lui impose de maintenir l’entraxe du vaisseau principal, seuls les bas côtés seront élargis.

Chacun des croisillons sera décomposé en deux travées double afin de respecter l’élévation orientale déjà en place. Pour épauler la croisée et les premiers étages de la tour, le voûtement du transept commence par une double travée contiguë à la croisée, mais l’élargissement du bas côté de la nef  déséquilibre les points d’appui alors le constructeur choisit une formule originale: il installe deux voûtes sur croisée d’ogives de plan barlong mais supprime le doubleau mineur qui serait nécessairement gauchi . Cette composition semble lui convenir et sera reprise sur la nef. Les travées extrêmes des croisillons sont, elles, proches du carré et les retombées des ogives sont gênées par les tourelles d’escalier établies aux angles ouest . Ici les voûtes seront sur plan carré avec quatre voutins. Bien entendu elles voûtes sont également conditionnées par la hauteur des arcs de la croisée. Ces travaux doivent tarder et la consécration de l’ensemble oriental, chevet et transept, n’intervient qu’en 1133 mais le chantier de la nef,  alors isolé par un bardage, est déjà bien avancé.

La nef

Programmées vers 1116/1118 les fondations et parties basses de la nef avancent rapidement. Le maître d’œuvre se doit de respecter le parti établi sur le chevet et la croisée donne cette fois encore le niveau des grandes voûtes. Comme sur tous les grands chantiers de cette époque, les moyens disponibles font boule de neige et, vers 1120/1121, la première travée majeure est achevée et dans les deux à trois années qui vont suivre, soit avant 1125, le grand doubleau et les voûtes seront montés et coffrés. Cette double voûte sans doubleau est donc contemporaine des premières voûtes sixte partites installées sur la nef de Saint Etienne de Caen.

En pratique, cette absence de doubleaux mineurs dispense le constructeur de prolonger les supports engagés par une colonne de même caractère, de simples corbeaux suffisent pour les deux nervures de voûtes. C’est une option prise de longue date puisque la déclivité du terrain, vers l’ouest, augmente la hauteur sous voûte et cette modification bénéficie essentiellement à l’étage des tribunes où les baies géminées sont nettement agrandies et ce nouveau dessin ne permet plus d’installer le faisceau de trois colonnettes engagées que l’on trouve sur le chevet. Comme dans tous les chantiers, conception et procédés s’affirment au fur et à mesure de l’avancement mais les modifications restent mineures. Nous trouvons sur la nef une galerie de circulation haute qui n’existe pas sur le chevet et les arcs sous combles des tribunes deviennent  arcs boutant par reprise ultérieure.

Les trois premières travées doubles de la nef sont achevées vers 1140 mais la déclivité du terrain s’accentue et les fondations deviennent très importantes. Après la troisième travée double, nous trouvons une travée barlong puis le volume occidental avec une travée centrale reprenant le volume de la nef et flanquée de deux tours. Ici le chantier semble se ralentir sérieusement, la dernière travée simple sera réalisée de 1150 à 1160 et l’ensemble occidental sur les quarante dernières années du siècle. Les étages supérieurs des tours sont du XIII°s.

Résumé

Lourde mais bien proportionnée, la cathédrale de Durham a remarquablement supporté l’épreuve des siècles. Cependant, elle ne fera pas école et restera le seul ouvrage voûté de Grande Bretagne ou toutes les abbatiales contemporaines, telles Ely et Peterborough, demeurent fidèles à la couverture sur charpente. Précisons cependant que ces abbatiales de Grande Bretagne sont sous le contrôle des moines et les paroissiens qui s’y trouvent conviés ont beaucoup moins de liberté que dans les cathédrales du Continent.  Ici  les grandes tentures et la multitude de cierges qui ont engendré tant de sinistres au cours des siècles, sont proscrits. La majorité des grands programmes romans d’Outre Manche s’achève vers 1150 et les voûtes sur croisée d’ogives  s’imposeront dès la fin du XII°s. mais selon des modèles importés du Continent.     

 

 

 

Durham : la nef, élévation sud sans arc-boutant

 

Durham : la nef et le chevet, vue d'ensemble en interne

 

Durham : croisée et chevet en vue interne

 

Durham : le chevet, partie droite, élévation sud à trois niveaux

 

Durham : le bas-côté nord du chevet avec ses voûtes d'arêtes archaïques (nervures en plein cintre)

 

Durham : la grand nef avec travées alternées et croisées d'ogives doubles

 

Durham : la croisée du transept avec la tour lanterne romane