Boscherville - L'abbatiale

L’occupation du site remonte aux temps préhistoriques. Le profond chemin creux qui délimite le domaine de l’abbaye au sud et qui, naguère, se prolongeait en coupant le méandre par le forêt de Roumare, offre sur ses abords de nombreux éclats de silex taillés, preuve d’une fréquentation remontant pour le moins au néolithique. Ce chemin touche la voie sur berge à proximité de l’abbaye et ce carrefour fût à l’origine économique du site. Aujourd’hui, cette voie de traverse emprunte avec des lacets et une moindre pente un val situé plus au nord pour aboutir au lieu dit « La Carrière ».

Cette liaison routière va naturellement servir Boscherville dans les périodes économiquement fastes et sans doute le desservir en cas de troubles. L’agglomération connaîtra une stature de bourgade avec 1500/2000 habitants à ses meilleures époques, comme la période romane et médiévale, pour retrouver, ensuite, un état de gros village rural avec 4 à 600 habitants. L’installation de l’abbaye correspond à l’une des périodes les plus fastes au temps du grand duché de Normandie.

 En 1060, la paroisse alors vouée à Saint-Martin, se trouve sous la juridiction de Raoul de Tancarville alors chambrier du duc Guillaume. Selon la coutume, il installe dans le bourg une communauté de chanoines séculiers et fait bâtir à leur usage, une église dédiée à Saint-Georges, un acte qui n’a sans doute pas que des motivations religieuses. Ces engagés de la fois se rendent vite impopulaires et, en 1114, Guillaume de Tancarville, fils de Raoul, concède la fondation aux Bénédictins. L’abbé Louis entreprend alors la construction de la grande abbatiale actuelle. Cette fondation Saint-Georges n’a pas de gros moyens, mais la solidarité bénédictine aidant, l’ouvrage sera de taille et de qualité remarquables.

Le plan

En ce début du XII°s., les maîtres d’œuvre normands ont définitivement fixé le parti régional. Le chevet comporte une abside simple prolongée de deux travées droites avec collatéraux mais, contrairement à la coutume, les bas côtés de Boscherville sont clôturés par un mur pignon et non par une absidiole. Suivent : un transept débordant composé d’une croisée régulière destinée à une tour lanterne; deux travées établies  dans le prolongement des bas côtés et de deux croisillons débordants, ces derniers comportent une chapelle orientée et la traditionnelle tribune d’extrémité. Enfin, la nef compte huit travées avec bas côtés et la façade constituée d’un simple mur pignon est flanquée de deux tourelles d’escalier établies dans l’axe des élévations. Le programme s’est développé méthodiquement, d’est en ouest, sur un espace dégagé et sans contrainte, le plan est donc régulier. Les bases sont puissantes, élévation et murs latéraux sont d’une épaisseur nominale de cinq pieds et cet ouvrage à trois niveaux, de hauteur réduite, était prévu pour recevoir des voûtes.

Le chevet

Si les travaux de fondation commencent vers 1115/1116, l’option en élévation doit intervenir avant 1120 et, à cette époque, l’architecture normande se trouve à la croisée des chemins. Saint-Etienne de Caen a fixé le parti majeur avec tribunes. Cependant, si les élévations sont puissantes, l’objectif est de tenir face au feu dévastateur lorsque les lourdes charpentes à caissons s’écroulent et non de voûter l’ouvrage, le délicat troisième niveau avec sa galerie de circulation en témoigne. A cette époque, les constructeurs de Bourgogne et du Val de Loire réalisent des voûtes qui semblent donner satisfaction et c’est alors une garantie absolue contre la ruine par le feu. Les constructeurs normands envisagent donc de voûter leur œuvre mais la triple élévation avec tribunes accessibles, leur semble peu propice. Depuis deux ou trois décennies, les travées barlong se sont imposées et la voûte d’arêtes de même plan va de soi. La province compte déjà quelques expériences réussies, le chevet de l’abbaye aux Dames de Caen et la toute nouvelle abbaye de Lessay où des voûtes d’arêtes confortées de nervures en croix (les premières voûtes d’ogives) donnent satisfaction. Pour ce voûtement, il convient naturellement d’abandonner la tribune accessible pour revenir au puissant triforium classique correspondant aux combles du déambulatoire; ce sera le choix du maître de Saint-Georges de Boscherville.

Réalisées vers 1125/1128, les deux puissantes voûtes d’arêtes qui coiffent les travées droites du chevet donnent satisfaction. Il faut dire que le constructeur, même s’il ne maîtrise pas les règles de la mécanique statique, a pris de sérieuses précautions. Le triforium est garni de petites ouvertures afin de préserver le maximum d’inertie perpendiculaire et la galerie de circulation du troisième niveau est réduite au strict minimum enfin, il a supprimé les arcatures d’encadrement qui allègent mais font perdre de l’inertie. Si ces deux voûtes ne sont pas structurées d’ogives, celle de l’hémicycle qui est en cul de four comporte des innovations marquantes, le second niveau passe du plan circulaire au plan polygonal et des nervures en sous œuvre structurent la voûte. Si ces aménagements sont contemporains du cul de four, 1125/1128, ils sont très précoces et la liaison empirique sur le doubleau (sans clé intermédiaire) peut être un argument en faveur de cette datation haute.

Le transept

La croisée est régulière et puissante selon le parti provincial et les quatre arcs à double rouleaux porteront une tour lanterne à trois niveaux, le premier correspond aux combles des quatre vaisseaux, le deuxième comporte six arcatures et deux fenêtres et enfin le troisième trois baies géminées flanquées de deux arcatures. Le deuxième niveau recevra une voûte sur croisées d’ogives à huit voutins, au début du XIII°s. Chaque croisillon compte deux travées, la première se trouvant dans l’axe des bas côtés et la seconde débordante comporte une tribune constituée de deux voûtes d’arêtes avec une pile ronde en support intermédiaire. La réalisation n’est pas rationnelle sur le plan architectonique mais les voûtes ont bien tenu selon le principe du monolithe reconstitué. La présence de ces tribunes de liaison est curieuse dans un ouvrage qui n’en comporte pas ni sur le chevet ni sur la nef. Ces croisillons étaient-ils voûtés dans le programme initial?,c’est peu probable, aujourd’hui, nous trouvons là des voûtes sur croisées d’ogives datant du XIII°s.  Ce transept fut sans doute achevé vers 1135 et la tour lanterne couronnée ultérieurement.

La nef

Si le gros œuvre du transept a été achevé vers 1135, les travaux sur la nef doivent commencer vers 1130 afin d’obtenir, avec une ou deux travées, l’inertie nécessaire à l’épaulement des arcs longitudinaux de la croisée. La régularité du plan suggère que l’ensemble des fondations était déjà mis en place vers 1135. Au premier niveau, piles et archivoltes, reprennent les formes et caractères des travées orientales et les bas côtés sont dotés de voûtes d’arêtes très classiques, c’est quelque peu archaïque en un temps où le maître d’œuvre de Durham adopte en mêmes conditions des voûtes sur croisée d’ogives, mais le souci d’uniformité l’a emporté.

Nous retrouvons la même unité de traitement sur le triforium où les quatre petites arcades moulurées assurent une bonne inertie perpendiculaire, mais ici les fenêtres sont plus grandes et cette remarque est également valable pour le transept. En explication, nous suggérons un changement de maître d’œuvre et une modification d’intention de la part des religieux. La communauté n’est pas riche et les voûtes ne semblent pas nécessaires pour chanter les louanges du Seigneur. Mieux vaut achever l’église au plus tôt et accueillir les foules assemblées comme le veut la politique de l’ordre. Ce changement de programme doit permettre un gain de six à dix années et l’ouvrage connaît son premier achèvement vers 1140. Mais, vers 1135/1138, un nouveau responsable de chantier au faîte des dernières innovations, propose de voûter la nef en installant un plafond provisoire au sommet du triforium. Deux observations viennent soutenir cette hypothèse: les retombées des croisées d’ogives n’ont pas d’assises prévues et viennent se noyer dans la maçonnerie avec cependant un corbeau en alternance comme si le premier projet comportait des voûtes six partite. Finalement, le maître d’œuvre optera pour la voûte de plan barlong avec croisées d’ogives. La seconde observation nous la trouvons au troisième niveau de la façade. Si le voûtement était au programme, il fallait placer là l’amorce d’un arc et des fenêtres en conséquence, mais les ouvertures sont alignées comme pour un plafond à caissons. En fin de chantier, le constructeur va se tirer d’affaire très astucieusement avec une travée à trois voûtains.

Que dire sur ces voûtes sur croisées d’ogives? Elles conservent quelques traits d’archaïsme avec, notamment, des ogives en plein cintre, mais les doubleaux sont légèrement brisés au sommet, une modification partielle destinée à retrouver l’alignement haut du vaisseau. Ces diverses improvisations réalisées dans le courant du chantier confirment la période déjà évoquée et l’achèvement définitif intervient en 1150/1155.

 

 

Boscherville – Abbatiale Saint-Georges : vue du chevet

 

Boscherville – Abbatiale Saint-Georges : façade occidentale

 

Boscherville – Abbatiale Saint-Georges : nef, élévation sud

 

Boscherville – Abbatiale Saint-Georges : croisillon sud et chevet

 

Boscherville – Abbatiale Saint-Georges : intérieur, vue d'ensemble

 

Boscherville – Abbatiale Saint-Georges : chevet, vue interne

 

Boscherville – Abbatiale Saint-Georges : la nef à trois niveaux

 

Boscherville – Abbatiale Saint-Georges : bas côté sud

 

Boscherville – Abbatiale Saint-Georges : tour lanterne

 

Boscherville – Abbatiale Saint-Georges : les voûtes de la partie droite du chevet