LA DUALITE DE L'ESPRIT ET DE LA RAISON

En se choisissant des abbés de caractère et en s'investissant dans les responsabilités de la société occidentale, les Clunisiens demeurent fidèles au grand dessin du Pape Grégoire, mais, selon ses origines, l'église avait un tout autre caractère. Cette fidélité aux textes se retrouve dans la discipline Irlandaise condamnée par Louis le Pieux mais toujours bien vivante; ainsi les troubles de conscience subsistent et la vie de Robert de Molesme en est l'illustration.

Robert naquit en 1025 dans la Bourgogne septentrionale près de Troyes. Nous n'avons que peu de renseignements sur ses origines, sinon qu'il est issu de cette aristocratie franque solidement implantée sur les terres de Haute Marne. Sans doute cadet de bonne lignée, mais sans grande for­tune, il est placé dès l'âge de 16 ans, au monastère de Moutier La Selle près de Troyes. Servi par ses origines, porté par le mouvement du siècle, il aurait pu connaître une destinée brillante et sans problème mais c'est un esprit tourmenté. Ses inquiétudes, son besoin de rigueur vont l'écarter de la voie facile qui s'offrait à lui. Par contre, il n'a pas les capacités intellectuelles d'aller au-delà du refus, de préciser et d'imposer l'ordre des choses qui lui conviennent et sa vie sera ponctuée d'échecs. Pourtant sa pauvre expérience passera à la postérité puisque c'est elle qui va préparer l'œuvre cistercienne inscrite au programme de l'histoire.

Très tôt, Robert devient Prieur de son abbaye, puis il est nommé Abbé de Saint Michel de Tonnerre. Le départ est brillant comme il se doit pour un personnage de bonne naissance mais le doute et l'inquiétude s'installent déjà en lui. Les charges, les responsabilités qui sont les siennes à Tonnerre lui pèsent et ses penchants le portent vers une petite communauté d'ermites qui s'est installée dans la forêt de Col an. Ces derniers veulent faire de lui leur supérieur mais la fan­taisie ne plait guère à la communauté de Saint Michel, et Robert doit quitter sa charge pour rejoin­dre la maison de Moutier La Selle.

C'est le temps où notre homme semble chercher sa voie et les préjugés lui sont encore favo­rables. Ce moine qui se sent mal à l'aise dans les maisons bien établies veut sans doute créer sa propre fondation et les communautés d'ermites constituent une excellente matière de base surtout quand elles sont installées dans des lieux isolés où elles peuvent constituer des amorces d'implan­tation. Dans ces conditions et devant l'insistance et l'obstination des ermites de Colan, le Pape donne son accord. La Communauté est reconnue, elle sera soumise à la règle des Bénédictins et Roberten prend la charge. Quelques temps plus tard, la petite troupe va s'installer dans la forêt de Molesme, un heu isolé situé sur les contreforts du plateau de Langres à 20 km au N.E. de Chatil-lon sur Seine.

Nous sommes en 1075. Robert qui a maintenant 50 ans est installé. Cet homme instable qui semblait chercher sa mesure possède maintenant sa charge, sa communauté et devrait pouvoir réaliser ses aspirations, tel est du moins le sentiment de l'Eglise, et de fait, tout semble aller pour le mieux. Les donations arrivent et la fondation devient rapidement prospère. Mais la réussite n'est pas de nature à séduire Robert, bien au contraire. Il n'y voit qu'un environnement de tentations, des facteurs de puissance et d'orgueil et ses tourments diront les uns, ses chimères diront les autres, le saisissent ^ nouveau. Alors, reprenant l'exemple de Saint Martin qui se détournait constamment de ses œuvres réussies, il quitte sa charge, ses compagnons et rejoint une fois de plus quelques er­mites du voisinage. Il est bientôt imité en cela par deux autres moines Albéric et Etienne Harding qui vont eux s'installer dans les environs de Bar sur Aube. Mais pour ces derniers, les événements tournent mal. Si l'Eglise du Xle S. favorise les implantations nouvelles, elle n'apprécie guère l'insta­bilité chronique et l'Evêque de Chaumont dont dépendent les paroisses avoisinantes ordonne aux deux transfuges de regagner leur Maison de Molesme.

Albéric et Etienne obéissent. Ils quittent leur retraite mais ils n'ont nulle envie de rejoindre leur abbaye. Alors, ils partent à l'aventure, se dirigent vers le Sud et bientôt se joignent de nouveau à un petit groupe de solitaires qui se sont fixés dans l'étendue marécageuse de Citeaux à 20 km au Sud de Dijon. Ainsi, débute bien modestement un mouvement qui va secouer l'Occident tout entier.

En cette fin du Xle S., la puissance de Cluny est impressionnante et pour bien des consciences le trouble est à la mesure de la réussite sociale qui touche l'Eglise. Rien d'étonnant alors à ce que les purs deviennent de plus en plus nombreux et véhéments et c'est à Citeaux que cet esprit va se fixer.

Entretemps, Robert a rejoint son abbaye mais l'esprit qui y règne n'est toujours pas à sa convenance et cet homme de 70 ans va partir une dernière fois à la poursuite de son rêve. Etienne Harding, lui a dépeint avec exaltation l'ambiance et la ferveur qui régnent dans leur petit groupe. Alors il rassemble une vingtaine de compagnons dévorés par le même doute que lui et la petite troupe va rejoindre Citeaux pour une aventure dont ils sont loin d'imaginer la portée.

La naissance de Citeaux

Au pied des Côtes d'Or, au cœur d'une dépression liée aux marais de la Saône, au milieu des roseaux et des tourbières, envahi par le brouillard l'hiver et livré aux moustiques durant l'été, tel est Citeaux. Autant dire que le lieu n'est guère disputé et le Duc de Bourgogne accorde bien volontiers quelques subsides à ceux qui veulent aménager cet endroit déshérité. Ainsi la nouvelle et pauvre fondation prend corps. Mais Robert avait oublié l'essentiel ; ses vœux qui le liaient à l'Eglise des hommes et faisaient de lui un serviteur soumis. Sa hiérarchie n'allait pas tarder à lui rappeler ses engagements. L'année suivante, en 1089, Hugues de Dié, Archevêque de Lyon et légat pontifical signifie au fondateur de Molesme qu'il doit au plus vite rejoindre sa seule et véritable Maison. Pour Robert c'est la fin de la dernière aventure. Il a maintenant 75 ans et il lui reste encore 15 années pour se soumettre ici-bas.

Plus tard, le personnage devenu St. Robert de Molesme prendra auprès de ses biographes des allures de précurseurs. C'est aller trop loin. Cet homme tourmenté à la recherche d'un idéal trop élevé n'a jamais eu l'esprit d'un réformateur. Il a simplement ressenti avec une intensité parti­culière l'ambiguité d'un monde religieux emporté par sa réussite. Mais ce trouble intérieur ne s'est jamais transformé en volonté combattante. Au plus fort de son désarroi, St. Robert se repliait, il fuyait même.

Quand l'intrépide vieillard fût parti, la communauté de Citeaux survécut sous la direction d'Etienne Harding. Nous sommes alors à la fin du Xle S.,une période de l'histoire s'achève. Ce fût le temps des pionniers, tout était à concevoir, à mettre en place. Dans ce monde occidental qui émergeait de six siècles d'ombre, les esprits étaient féconds, le sang vigoureux. La civilisation romane allait germer, intense et généreuse comme le bon grain dans la bonne terre.

Le siècle à venir sera,lui,celui de la floraison. Les villes, les bourgs, les villages s'ouvrent à cette civilisation nouvelle. Partout sur l'Occident, les abbatiales et cathédrales romanes sortent du sol et dressent toujours plus haut leurs tours et leurs clochers, avec fierté, avec orgueil même. Mais le vers est déjà dans la tige avant d'être dans le fruit. Dès que l'essentiel est acquis, l'esprit des hommes s'abandonne bien vite aux querelles de principe et c'est ici, à Citeaux en Bourgogne, que va commencer la joute stérile qui marquera le Moyen Age tout entier.

Bernard de Clairvaux

Le jeune Bernard naît en 1090 au château de Fontaine les Dijon. Il est le fils de Tesselin le Saure, Seigneur de Fontaine et de son épouse Aleth fille du Seigneur de Montbard. C'est donc un rejeton de bonne lignée mais il est de santé fragile, toute sa vie il souffrira de violentes migraines.


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L'itinéraire romain qui reliait Dijon à Sens traversait la partie sud du plateau de Langres puis empruntait la vallée de l'Armançon par Alise Sainte Reine, Montbard et Tonnerre. Le cheminement sera constamment pratiqué durant les siècles sombres qui vont suivre et cette condition servira la destinée féodale des sites contrôlant l'itinéraire. Montbard qui règne sur la haute vallée de l'Armançon sera l'un des plus favorisés par le contexte du temps.


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Le promontoire où se trouve aujourd'hui le château de Montbard fut sans doute une position de repli occupée dès le bas empire et le contrôle qu'il permet sur la vallée en fera la proie des féodaux. Au XIe S. le comte de Montbard est un puissant personnage et l'action menée par les Clunisiens ne peut que nuire à ses affaires. Lorsque le propre neveu de la famille arrive en habit de moine, il ne lui sera accordé que les terres inhospitalières de la vallée de la Racherie. Ainsi l'œuvre des Cisterciens servira la province sans interférer dans l'ordre politique que les comtes imposent sur Montbard.

A vingt ans il décide de se faire moine et ce n'est pas de nature à surprendre. Servi par ses origine mais surtout par son intelligence brillante, il peut espérer faire une carrière facile dans l'Ordre Clunisien dont la maison mère est toute proche. C'est une voie presque naturelle pour les cadets de bonne famille. Mais Bernard refuse cette facilité et annonce qu'il veut rejoindre le petit groupe de purs qui vient de s'installer dans les marais du Sud de Dijon, à Citeaux. La famille de Fontaine est d'abord surprise, déçue puis inquiète. Que peut on espérer de cette communauté trop rigoureuse qui se débat au milieu des pires difficultés et ou les recrues commencent à se faire rares. Mais Bernard va retourner admirablement le faisceau d'arguments dirigés contre lui. Si bien qu'il entraînera dans l'aventure son oncle, plusieurs de ses frères et bon nombre de ses amis. C'est ainsi qu'une trentaine de nobles et brillants personnages firent leur entrée dans la pauvre commu­nauté de Citeaux.

Le nouvel Abbé, Etienne Harding, était un homme de grand talent et l'histoire ne lui a sans doute pas suffisamment rendu justice. Né vers 1070 dans le Dorset, en Angleterre, c'est au retour d'un pèlerinage à Rome qu'il avait rejoint la communauté de Molesme. Après le rappel à l'ordre du Saint Siège, en 1099, qui oblige Robert à quitter Citeaux, Etienne a semble-t-il des difficultés de même ordre, et c'est Albéric qui gouverne la Maison. Mais ce dernier meurt en 1108 et c'est Etienne qui, de nouveau, reprend la charge. C'est donc lui qui accueille Bernard et ses trente com­pagnons en 1112.

Etienne, imprégné d'expérience et de modération eut tôt fait de comprendre le fossé qui le séparait de ces jeunes lions ardents et présomptueux. Alors il décida d'envoyer ces nouveaux venus mordre l'adversité puisque telle était leur passion. En 1115, trois années après son arrivée à Citeaux, Bernard part avec 12 moines fonder une abbaye dans les forêts du Nord, près de Bar sur Aube, en des lieux qu'Etienne Harding avait bien connus, ce sera Clairvaux.

Si l'esprit est bien éloigné de la lettre, si les ordres monastiques voulus pour le recueillement sont devenus les instruments d'une politique ecclésiastique, si tous les arguments avancés par les esprits critiques ont de bons fondements idéologiques et historiques, le jeune Bernard de Fontaine est sans doute mal placé pour exprimer les aspirations confuses et profondes que renferme ce mouvement, car derrière ses justes remarques et ses bonnes intentions, se dissimule une ambition plus grande et plus intransigeante que celle qui régnait chez les Clunisiens. « Ses vues étaient fortes, il ne craignait pas de les exprimer, son esprit pouvait être terriblement mordant et il manquait de compréhension à l'égard des gens dont l'envergure était inférieure à la sienne, comme de patience envers leur petitesse » tel était le jugement d'un contemporain.

Ce jeune abbé aristocratique et contestataire pourrait n'être qu'un trubion comme tant d'autres. Mais le personnage possède une intelligence exceptionnelle et surtout une vision pro­fonde et pénétrante des choses de son temps. Mieux que tout autre il a compris cette éternelle dualité de l'esprit humain qui fait que la critique colle à l'action, que l'objection ruine le choix et que l'esprit négatif qui aime à se draper dans de bons principes prospère aussi vite que la mise en place des bonnes mesures. Fort de cette conviction, Bernard sait qu'il existe sous forme poten­tielle une opposition au mouvement Cistercien et qu'il suffit de le révéler.

Maintenant que le jeune lion est dans la bergerie, les choses iront très vite. Dès son installa­tion, Bernard de Clairveaux, puisque désormais tel est son nom, va empoigner son siècle, avec détermination. Il juge les affaires du monde et prend position sur toutes choses. Il dénonce l'ordre clunisien pour son opportunisme, sa richesse, et critique l'esprit pontifical qui s'est identifié à cette politique bénédictine de grandeur et de puissance. Bien entendu cette attitude sera mal reçue en haut lieu.

Après le temps de la tolérance convenable, l'Eglise ordonne à Bernard de s'occuper de sa tâche et de ne point se mêler des grands problèmes qui ne sont pas de son ressort. Un Robert de Molesme, un Etienne Harding se serait soumis mais Bernard de Fontaine est d'une toute autre trampe. Bien au contraire cette mise en demeure le confirme dans sa détermination et il annonce bien haut que les destinées de l'église le regardent lui, comme tous les chrétiens d'ailleurs, et ses arguments ne manquent pas de références. L'Eglise, « l'assemblée », cette communauté fraternelle née dans les épreuves et qui à ses origines se gouvernait de la base, est devenue une imposante machine très efficace, certes, mais exagérément structurée et hiérarchisée, ainsi l'idée d'un retour aux sources peut tenter bien des tempéraments inquiets.

Cet esprit que Bernard va réveiller et embraser n'est pas facile à nommer. A Rome, c'était celui que l'on prêtait aux plébéiens avant de l'accorder aux chrétiens. Bien plus tard, ce sera celui de Jean Huss et puis celui de la Réforme avant qu'il ne soit repris par les Jansénistesjsous la Révo­lution, il fleurit à la Montagne et dans le siècle qui suit c'est le socialisme qui le recueille. Aujour­d'hui nous dirions qu'il est de gauche. Mais toutes ces étiquettes sont impropres, l'esprit avait fui depuis longtemps quand elle furent raccrochées sur l'enveloppe.


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Cette fronde menée par les objecteurs de conscience du mouvement Bénédictin d'Occident, d'abord sans cohésion, sera révélée et organisée par un personnage d'exception, Bernard de Fontaine qui deviendra Bernard de Cfairvaux. Pour fustiger la réussite clunisienne ne disait-il pas que ces gens couvraient leurs églises d'or et laissaient leurs pauvres nus? Le mouvement semble avoir choisi une région particulière de la Bourgogne, un triangle formé par les voies romaines desservant Auxerre et Langres à l'est et à l'ouest et Autun et Troyes du nord au sud. Ce sont de hautes terres où naissent de nombreux cours d'eau qui vont alimenter le Bassin Parisien. C'est une partie du massif des monts du Morvan, avec de grandes et belles forêts mais peuplée, dit-on, de personnes au tempérament farouche. La Bourgogne riche nous dit d'eux que « point de bon vent ni de bonnes gens ne viennent du Morvan ».

C'est un esprit que l'on prête au peuple, que l'on prête aux chrétiens, que l'on prête aux autres mais il nait toujours chez de beaux esprits que leur condition sociale place généralement bien au dessus des problèmes réels rencontrés par la multitude. Ainsi sont-ils bien à l'aise pour en parler. Plus habile à critiquer qu'à entreprendre, à brasser qu'à construire, ces personnages prennent généralement le train en marche et au premier arrêt ce sont, eux que l'on entend le plus fort. Ne cherchons pas la classification facile qui permettrait de les identifier à coup sûr. Ils sont de toutes les familles, de toutes les religions. Un seul point commun, ils ont toujours un petit livre et des grands principes, de bonnes pensées et de mauvaises intentions. Enfin, si le présent leur donne toujours tort, ils affirment que demain leur donnera forcément raison et comme ils agissent pour cela, cette dernière affirmation se concrétise généralement.

CLUNY

La volonté cistercienne

Après les réserves bien légitimes d'un Robert de Molesme ou d'un Etienne Harding qui aspi­raient à fuir le monde, ses tentations et surtout les engagements qu'il implique, l'esprit cistercien va se modifier profondément. Certes les sévères disciplines définies par Saint Benoit seront toujours reprises et appliquées à la lettre, mais le refus de s'engager dans les affaires de ce monde qui figurait aussi en filigrane dans la règle sera complètement négligé. Comme les Clunisiens l'avaient fait un siècle plus tôt, Bernard va s'inscrire dans tous les débats, s'engager dans toutes les querelles et dans toutes les croisades de son siècle. Pour ce faire il va inciter l'ordre à mener une véritable politique d'expansion comme l'avaient fait les Clunisiens,mais cette fois sous sa bannière et dans un esprit différent.

Parmi ses engagements, la querelle idéologique qui opposa Bernard à Abélard eut le plus grand retentissement. C'était plus qu'une simple divergence d'opinion entre personnages bras­sant les idées de leur temps. C'était le heurt fondamental entre la rigueur et l'ouverture, entre le doctrinaire et le libéral et dans cet affrontement Bernard devenu abbé de Clerveaux allait ins­pirer mais aussi scléroser la pensée Occidentale pour un bon siècle.

En ce début du Xlle S. les choses vont très vite. La civilisation romane dont les fondements sont maintenant établis se développe brillamment. L'agriculture est en voie de reconquérir les terres de plateaux abandonnés depuis le Bas Empire, tandis que des bourgs s'installent au point de conver­gence économique. Cet essor va permettre aux villes de s'ouvrir au grand commerce et de sortir de leurs vieilles murailles. Les artisans qui sont très sollicités fournissent des articles de qualité les petits commerces locaux doivent importer des produits de très loin. C'est la création du grand négoce qui va se trouver confronté aux différences de langage, de monnaie, de poids et de mesure, d'où la naissance des problèmes commerciaux.

D'autre part, la propriété qui s'était installée et fixée dans le désordre des temps passés et n'avait souvent pour sauvegarde que le bon aloi des intéressés, doit maintenant se consigner dans des textes puisque les terres libres se font de plus en plus rares . Parallèlement,nombreux sont ceux qui veulent fixer par écrit les engagements, les droits, les redevances contractées. C'est la naissance d'actes de toutes sortes qui vont s'installer dans un savant désordre entretenu par l'absence de cadre législatif rigoureux, la plus grande part du droit découlant jusque là du partage admis et de l'engagement juré. Ainsi la société Occidentale assiste à la naissance des problèmes juridiques.

Enfin cette économie florissante s'installe sur une Europe qui a perdu toute son homogénéité romaine. De la Bretagne au Rhin et de l'Angleterre au Portugal, le vieux fond latin s'est diffici­lement maintenu et le langage s'est décomposé en une multitude de dialectes qui auront beaucoup de mal à se fondre dans les cinq langues romanes reconnues ensuite. Ainsi tous les problèmes se trouvent accentués par des difficultés de communication. Ainsi dans ce monde en pleine genèse, tout est à concevoir, à consigner, à fixer, à harmoniser et les débouchés sont innombrables pour les hommes qui savent traiter les problèmes ou simplement comprendre les tenants et les aboutis­sants du contexte où se débattent les protagonistes.

Dans ces conditions, nombreux sont les jeunes gens de bonne famille désireux d'acquérir le savoir qui leur permettra d'aborder des domaines si prometteurs. Les fonctions ne sont pas encore fixées. Ce ne sont ni' des juristes ni des financiers mais simplement des clercs, des scribes. Très vite ils vont former une communauté d'intérêts et développer leur emprise sur la société jusqu'aux excès des 14 et 15e S.; ils seront à l'origine de la noblesse de robe qui marquera le Bas Moyen Age et la Renaissance. Mais en ce début du Xlle S. le but est de se former pour intervenir dans les problèmes nés de l'expansion économique et dans ces universités naissantes les écoliers sont nombreux et enthousiastes.

A Paris, ce petit monde s'est installé sur les hauteurs de la rive gauche, entre l'abbaye Ste Geneviève et les maisons bourgeoises qui bordent la route d'Orléans. Cette université pourrait se maintenir dans le cadre rigoureux des connaissances pratiques mais,en ces temps,ce n'est guère possible. Les croyances, l'esprit religieux, l'Eglise elle-même sont trop présentes dans la vie de chaque jour pour que les problèmes nés dans cette société puissent être traités dans un esprit diffé­rent. On jure, on prend le ciel à témoin et si les paraboles de l'évangile ne font pas vraiment juris­prudence, leur bonne exploitation constitue un argument de poids. Ajoutons à cela que la magie du verbe est au meilleur de sa cote et nous comprendrons aisément que la théosophie et la dialec­tique constituent la base de la formation.

Dans ce monde neuf, parmi ces esprits neufs, l'approche ne peut manquer d'être ouverte et même critique. Les Clunisiens auraient vu cela d'un œil tolérant mais Bernard de Clairvaux ne l'entend pas de cette manière. Pour lui, l'esprit du monde c'est l'esprit chrétien qui n'est plus à concevoir. D est consigné une fois pour toutes dans les textes dont l'exploitation appartient au plus rigoureux. Autrement dit, l'esprit de ce monde appartient au penseur de l'Eglise dont il est le censeur. Il en est persuadé et il le dit sans réserve dans ses premières déclarations publiques. Dénon­çant les Clunisiens sur sa droite, pourfendant les intellectuels critiques comme Abélard sur sa gauche, Bernard de Clairvaux apparait comme un facteur éminemment doctrinaire, sectaire et sclérosant. Si la pensée du Moyen Age se perd ensuite dans un dédale de considérations théolo­giques de médiocre envergure, c'est à lui qu'elle le doit en partie.

L'indignation de Saint Bernard avait longtemps poursuivi Abélard mais sa victoire finale il ne l'obtiendra qu'en 1140 au concile de Sens. Le vieux théologien parisien,créateur du concep-tualisme qui avait défrayé la chronique en son jeune temps avait alors 61 ans et devait mourir deux années plus tard. Mais un autre engagement va nous permettre de mieux saisir l'esprit de Bernard de Clairvaux, c'est son rôle dans la seconde croisade.

L'affaire de la seconde croisade

En ce milieu du Xlle, le royaume de Jérusalem,fondé à l'issue de la première croisade,connaît de sérieuses difficultés. A l'extrême Nord du domaine Franc, le Maître du Comté d'Edesse, Joselin II fils du légendaire Joselin 1er et d'une princesse arménienne, n'est guère à la hauteur de la situa­tion. Il a délaissé sa capitale pour une existence de luxure et de beuverie dans le château de Tur-besse situé sur l'autre rive de l'Euphrate et comme il néglige la solde de la garnison d'Edesse,qui elle va fondre rapidement. C'était l'occasion attendue par l'Atabeg d'Alep, le Turc Zengi, qui, mis au courant de la situation,vient mettre le siège devant la ville avec des forces considérables.

L'armée franque avait les moyens de défendre le royaume latin,mais Raymond de Poitiers, prince d'Antioche, était dans les plus mauvais termes avec son voisin d'Edesse, et la ville fut aban­donnée à ses propres moyens. La défense confiée à l'archevêque Hugues sera héroique mais la position fut finalement submergée le 23 décembre 1144.

Cette première conquête se passa sans trop de peine. Zengi, désireux de préserver la cité qu'il avait conquise arrêta rapidement les massacres et les pillages, et la vie reprit sous le joug turc. Mais l'Atabeg est assassiné le 14 septembre 1146 et Joselin put reprendre une partie de la ville basse avec l'aide de la population arménienne toujours fidèle aux francs, mais c'est une victoire éphémère pour le comte d'Edesse. Les Turcs reviennent en force et comme la citadelle qui domine la ville était restée entre leurs mains, la situation des Francs devient vite intenable. Le 3 novembre, Joselin et ses Chevaliers font ouvrir les portes et chargent avec fureur pour échapper à l'étreinte. Un petit nombre, le comte en tête réussit à passer mais la ville abandonnée aux Turcs allait con­naître une répression sanglante. La population arménienne rendue responsable de la reconquête fut presque entièrement exterminée et les rares survivants vendus comme esclaves sur le marché d'Alep.

L'Occident n'avait pas attendu cette fin tragique pour s'émouvoir. Dès le début de l'année 1146, l'idée d'une croisade était dans les esprits et le roi de France, Louis VII, fut le premier à proposer le départ d'une grande expédition. Mais c'est Bernard de Clairvaux qui,par son enga­gement et sa prédication à l'assemblée de Vézelay, le 31 mars 1146, donne à l'entreprise sa vraie dimension. Les 25 et 27 décembre de la même année, il renouvela ses exhortations à la diète de Spire et l'Empereur d'Allemagne, Conrad III, se croisa à l'exemple du roi de France.

Si Bernard de Clairvaux savait manier les esprits et les foules il manquait par contre de sens politique et d'opportunisme. En ce milieu du Xlle Siècle où les monarchies avaient déjà grand prestige mais toujours fort peu de prérogatives réelles, placer une croisade sous le patronage de deux rois était chose maladroite. L'opération engagée sous deux bannières fut mal préparée. Elle rencontra l'hostilité des Byzantins et connut de cuisants revers.

Les Germaniques qui avaient choisi la voie de l'Anatolie centrale furent décimés sous le har-cel ement des cavaliers turcs, tandis que les Francs qui avaient préféré la route du littroral d'Asie Mineure eurent eux aussi de lourdes pertes dans de nombreuses escarmouches. Enfin, quand les survivants arrivent sur place et que l'armée des croisés propose d'entrer en campagne, les intrigues de cour jouent plus que les impératifs stratégiques. La jeune Aliénor d'Aquitaine, épouse du roi de France,qui était de l'aventure indispose son époux en s'affichant ouvertement avec son jeune cousin Raymond de Poitiers, tandis que la régente de Jérusalem, la belle Mélisande, propose, selon ses intérêts, de guerroyer vers Damas et non vers le nord, vers la menace turque qui est la plus grave.

Une entreprise à l'échelle de l'Europe, des milliers de morts sur les chemins d'Anatolie et enfin sur place cette grande aventure livrée aux humeurs d'un empereur sans envergure, d'un roi jaloux, d'un jeune prince léger et ambitieux et de deux jeunes femmes inconstantes, voilà qui n'est pas de nature à réjouir la chrétienté. Quand ces nouvelles arrivèrent en Europe, chacun se dit qu'il était loin le temps des Godefroy de Bouillon, des Bohémond de Tarente, le temps où quel­ques centaines de chevaliers suffisaient à faire trembler l'Orient tout entier. Quand cette amère déception eut supplanté la grande exaltation du début, l'opinion publique chercha un responsable et Bernard de Clairvaux fut chargé de reproches, mais cette seconde croisade qui eut de si maigres résultats fut sans doute,dans sa forme et son importance,très éloignée de l'image coutumière que l'on se fait d'elle.

Une hirondelle ne fait pas le printemps, un abbé et quelques moines ne font pas l'humeur du temps, mais pourtant derrière cette frange d'écume, la vague est profonde. Depuis un siècle et plus l'Occident renaissant s'était, faute d'autre chose, voué à l'esprit chrétien et voici que l'Eglise se déchire. Ce que les Clunisiens avaient péniblement mis sur pieds depuis 6 à 8 générations se trouve mis en cause et sera finalement détruit dans le siècle à venir. La société occidentale se décou­vre une âme tourmentée et l'esprit naissant se désagrège,mais le mouvement ascendant de cette société en plein essor ne s'arrête pas pour autant. C'est la bourgeoisie des villes et la féodalité qui vont maintenant pousser leurs pions dans un jeu de plus en plus désordonné et c'est la naissance des trois ordres qui empoisonneront la vie occidentale jusqu'à la fin du XVIIIe S., jusqu'à la Révolution.

Les abbayes Cisterciennes

Dans une première période qui suit la mise en place des filiales et qui se situe de 1115 à 1140, l'expansion cistercienne est importante mais les installations restent matériellement précaires. L'Occident accoutumé à l'esprit Clunisien dont le caractère positif correspondait si bien aux besoins du siècle écoulé, comprend mal ces nouveaux venus qui professent une opposition très doctrinale et qui surtout s'installent en des lieux retirés où leurs fondations ne seront d'aucun secours pratique à la communauté chrétienne. Si la société médiévale admet et respecte leur motivation, elle ne les suit pas encore et les moyens matériels font défaut. Sans doute était-il mal aisé de faire comprendre que l'on peut prêcher pour le retour à l'austérité et à une stricte observance des vœux de pauvreté tout en réclamant beaucoup de moyens.

Bernard, devenu abbé de Clairvaux, va rapidement fonder trois colonies nouvelles. Ce sont Troisfontaines, en 1115, Fontenay, en 1118 et Foigny, en 1121., mais seule Fontenay installée dans des conditions particulières connaîtra une rapide prospérité matérielle et donnera le plan, les formes et l'esprit de l'ensemble monastique conçu par le réformateur. C'est en fait une des rares abbayes achevées du vivant de Bernard de Clairvaux.

Fontenay se trouve à 6 km de Montbard, sur la haute vallée de l'Armançon, au cœur du grand massif boisé qui couvre les collines formant seuil entre le bassin parisien et les plaines de la Saône. C'est un lieu de passage et la situation est bien choisie. Formé par quatre petits affluents qui se rejoignent dans la dépression d'Alise Sainte Reine, au pied de la vieille cité carolingienne de Flavi-gny, le cours de l'Armançon constitue un cheminement très naturel pour franchir cette chaîne de collines qui sépare les terres septentrionales du bassin rhodanien. Enfin, condition éminement favorable, Bernard se trouve alors sur les domaines de la famille de sa mère et la structure féodale lui est acquise dans la mesure où il respectera les situations établies. Quand il arrive dans la région avec douze moines, ils s'intallent à l'écart des sites habités, au fond du petit vallon de la Racherie et se joignent a deux cénobites, les frères Martin et Milon, installés dans les ruines d'une exploita­tion carolingienne appelée le Castellum,« petit château » situé en aval du Castrum Tullioni aujour­d'hui Tuillon. C'est le site qui occupe le promontoire dominant les sources de la Racherie.

Cette première communauté,confiée par Bernard à son parent et disciple Geoffroy de la Roche, va vivre douze années en ce lieu isolé pour se consacrer au défrichement de la vallée ainsi qu'à la pratique de toutes les vertus. Après cette période probatoire, ils sont admis par la société locale et reçoivent officiellement de Raynard de Montbard, oncle maternel de Bernard, les terres qu'ils occupent. L'acte sera confirmé par Etienne de Bagé évêque d'Autun qui représente l'autorité ecclésiastique de principe.

Ainsi officialisée la communauté se déplace. Elle va s'installer deux kilomètres en aval, là où la vallée forme une dépression plus large et reçoit un petit affluent venant du plateau. Ici les conditions sont plus favorables au programme imaginé par les Cisterciens. Les résurgences abondent ce qui a valu au site le nom de Fontanetum et le cours d'eau une fois barré formera des étangs poissonneux tandis que son débit convenablement conduit alimentera une chute destinée à faire tourner un moulin à roues verticales. Cette technique nouvelle est la grande innovation du XHe S. On lui demandera de piler, de forger, de souffler sur le foyer, de pomper et de moudre. C'est elle qui assurera toutes les fonctions mécaniques de la civilisation médiévale. Ces conditions et ces aménagements étaient jugés indispensables pour que la communauté puisse vivre et prospérer en conformité avec les prescriptions du permier chapitre de 1119. En effet, celui-ci demandait « que le monastère contienne dans son enceinte toute chose nécessaire à la vie afin que les religieux n'aient pas de prétexte à aller les chercher au dehors ».

Les moines bâtissent alors une première église dédiée à St-Paul puis entreprennent de vastes travaux d'aménagements sur le site. C'est à cette époque, en 1132, que Geoffroy de la Roche quitte Fontenay pour rejoindre Clairvaux et confie la maison à Guillaume de Spiriaco, qui gar­dera la charge 22 ans.

A Fontanetum, « Fontenay »,la vie est sans doute exaltante et rude et les vocations sont nombreuses mais la communauté n'a toujours pas les moyens de réaliser le grand programme de construction qui instituera le modèle cistercien imaginé par Bernard de Clairvaux. La chance allait venir d'Outre Manche. En 1139, l'évêque de Norwich,Ebrard, qui fuit les persécutions politiques arrive en Bourgogne et se fixe à Fontenay. Ce prélat est de la riche famille d'Arundel, il propose à ses compagnons les moyens matériels nécessaires à la réalisation de leur vaste projet, et bien entendu l'esprit cistercien professé par Bernard ne s'y oppose pas, tout au contraire. Dès lors les choses vont être menées rondement. En huit années, la grande église actuelle, le cloitre, ainsi que les bâtiments est et sud sont édifiés. L'ensemble est consacré le 21 septembre 1147 par le Pape Eugène III, en présence d'une grande foule d'évêques,d'abbés et de seigneurs bourguignons. Le modèle est né, mais le bon mécène qu'était Ebrard ne poussera pas l'engagement jusqu'à partager la vie de ses austères compagnons. Il consacrera une bonne part de ses moyens à se faire constuire une grande résidence en forme de petit château sur la colline dominant l'abbaye. C'est aujourd'hui encore le Bois l'Evêque.

Le plan des abbayes cisterciennes

Le plan cistercien a frappé les historiens de la fin du XIXe S.;il a été jugé rigoureux et ration­nel, ce qui est vrai, original aussi,ce qui l'est moins. Mais voyons plutôt le sujet par le détail.

Les nefs des abbatiales cisterciennes comportent un vaisseau principal flanqué de deux bas côtés,ce qui est très classique dans l'art roman, et si elles sont dépourvues de niveaux de fenêtres hautes ce caractère peut être considéré comme un signe d'austérité mais aussi comme une sage prudence. En effet, les niveaux de fenêtres hautes réalisés par les Clunisiens à la base des grandes voûtes constituaient encore en ce début du Xlle S. une prouesse technique exceptionnelle. Cette nef est coupée par un transept lui aussi très classique. La seule originalité se situe dans les chapelles et dans le sanctuaire dont les plans sont rectangulaires.

Reste l'articulation générale des bâtiments et là,il nous faut considérer que ces fondations, entièrement nouvelles, situées en pleine nature, n'étaient aucunement gênées par un contexte antérieur, ce qui était rarement le cas dans les établissements bénédictins d'obédience Clunisienne. Les abbayes cisterciennes sont articulées autour d'un cloître, mais c'est là encore une pratique courante dans l'art roman du Xle S. comme à Saint Philibert de Tournus, à Saint Guilhem du Désert et en bien d'autres lieux. D'autre part, ces galeries de cloître sont adossées à des corps de bâtiment. Il est donc naturel d'en trouver un à l'est, dans le prolongement du transept et un autre au sud pour faire face à la nef. Enfin, si dans les abbayes cisterciennes la quatrième galerie du cloître située à l'ouest se trouve généralement dépourvue de corps de bâtiment, c'est que l'ensemble isolé dans la campagne n'est pas conçu pour prendre contact avec le monde extérieur et l'agglo­mération laïque qui s'installe généralement autour d'une abbaye florissante. Cette position à l'ouest sera occupée ensuite par les bâtiments des serviteurs, les frères convers, mais un espace symbolique séparera les deux communautés.

Le réfectoire est vaste, il se trouve installé perpendiculairement à l'aile sud du cloître, là où se place la fontaine. Cette situation peut s'expliquer par la ségrégation qui règne dans l'abbaye entre les rapines et les autres, frères convers ou laïcs. Il est possible à ces derniers de vaquer à toutes les tâches des cuisines et des offices sans pénétrer dans le clos des moines,leur domaine de repli et d'isolement, mais c'était déjà sa situation sur le plan de St Gall.

Enfin le bâtiment des travaux et des forges se trouve isolé ce qui est bien compréhensible. Il doit se situer à proximité de la chute d'eau qui lui donne la force motrice et le bruit des martinets et des pilons n'est pas propice au recueillement. Dernier fait caractéristique, ce bâtiment des travaux occupe généralement une position constante par rapport à l'ensemble mais nous l'avons dit, les cis­terciens traçaient leurs plans sans contrainte ainsi était-il possible de respecter le dessin jugé satisfai­sant dans les premières implantations.


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FONTENAY Plan de l'Abbaye

Du VIIe au Xe S. les Bénédictins partis à la conquête de la chrétienté et qui ne cachent pas leur désir de jouer un rôle socio-politique en Occident, choisiront des sites au potentiel prometteur. Les abbayes deviendront des agglomérations permanentes et mêmes des cités épiscopales comme en Angleterre ou en Allemagne où l'on verra toute une génération d'abbayes cathédrales. Mais au Xle S. cette emprise des Bénédictins sur l'occident arrive à son apogée. Il leur faut alors stabiliser leurs ambitions où franchir le Rubicon et s'installer dans le domaine purement politique.
Le caractère majeur de l'ordre cistercien sera d'exploiter ce flottement qui marque alors les esprits et de prendre le contrepied du courant bénédictin illustré par Cluny. Fontenay va fixer les formes et conditions de la nouvelle abbaye voulue par Bernard de Clairvaux. L'installation occupera un tronçon de l'étroite vallée de la Racherie au point de rendre toute fixation urbaine impossible aux alentours. Les moines seront ainsi forcés de vivre sur leur domaine sans espoir de s'intégrer à une société laïque pour en tirer profit et avantage politique. Ce sera la situation de la plupart des abbayes fondées par l'ordre mais l'articulation des bâtiments n'est guère différente du plan bénédictin établi au siècle précédent puisque les fonctions sont les mêmes.


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L'acharnement que mettait St. Bernard à condamner le luxe et la grandeur clunisienne incarnés par l'abbatiale de Saint-Hugues ne le prédisposait guère à concevoir. Par réaction, il va se porter vers un parti très austère, très dépouillé et sans niveau de fenêtre hautes, mais il n'échappera pas au contexte bourguignon : structure en croix, arcs brisés, berceaux brisés et doubleaux sont présents. Quant aux berceaux perpendiculaires qui coiffent les bas côtés, ils figuraient déjà au narthex de Tournus.Le seul édifice qui aurait pu servir de modèle aux cisterciens était le vieux narthex de Cluny II et, combattre l'esprit clunisien du XIIe s. en se référant à une œuvre de la haute époque bénédictine, serait bien dans l'esprit de Bernard de Clairvaux.


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Fontenay - abbaye cisterienne


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Fontenay - abbatiale cistercienne - façade occidentale


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Abbaye de Fontenay - réfectoire et dortoir


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Abbaye de Fontenay - dortoir des moines


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Abbatiale de Fontenay - voûtes du cloître


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abbaye de Fontenay - le refectoire des moines


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abbaye de Fontenay - le cloître


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abbatiale de Fontenay - nef, les travées occidentales


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abbatiale de Fontenay - cloître et la nef


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abbaye de Fontenay - galerie du cloître


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abbaye de Fontenay -voûtes sur croisée d'ogives, arcs brisés


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abbaye de Fontenay - voûtes sur croisée d'ogives, arcs en plein cintre


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abbaye de Fontenay - le réfectoire, voûtes sur croisées d'ogives en plein cintre


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abbaye de Fontenay - le chauffoir


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abbaye de Fontenay : croisée d'ogives sur arcs brisés


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abbaye de Fonytenay - croisée d'ogives sur arcs brisés