SAINT-ANDOCHE-DE-SAULIEU

Sur les hautes terres du Morvan, Saulieu occupe un site que rien ne distingue en particulier. La voie romaine Autun/Avallon mal connue doit passer à quelques kilomètres à l'ouest et ce sont sans doute les petits cheminements qui ont fixé un habitat en cet endroit. Située entre 580 et 600 m d'altitude, cette région au climat rude représente le seuil entre le Cousin qui coule vers le Nord et l'Arroux qui coule vers le Sud. C'est donc un passage obligé pour les voyageurs qui traversent la région en suivant ces vallées et c'est cette condition qui a préservé l'existence du site dans les périodes pauvres.

Vers 170, St-Andoche, un grec venu de Smyrne, arrive à Sedelocus (Saulieu). Il a séjourné quelques années à Autun où il fut bien reçu par Fausfus, Gouverneur de la cité. Ensuite il laissa son compagnon St-Bénigne gagner Dijon et accompagné de son Diacre Thyrse il rejoignit ce lieu désolé du Morvan pour retrouver un dénommé Félix, autre grec établi marchand dans la cité. Tous trois seront martyrisés en 177 sous Marc Aurèle et très tôt, avant même la paix de l'église, en 306, une basilique s'élève sur les lieux de leur sépulture. Pour aller d'Ile de France à Lyon, la route d'Autun n'est pas la plus facile mais elle est la plus courte. Elle ne sera jamais abandonnée tout au long des siècles sombres et la halte de Saulieu bénéficiera de ce trafic. La plupart des grands d'Occident y séjourneront quelques temps au hasard de leurs voyages. Clotilde, Clovis, Brunehaut et Charlemagne se distinguent parmi tant d'autres, mais ces hôtes illustres n'auront que peu de poids dans la petite ville qui gardera son caractère de gros bourg destiné à coiffer une population rurale d'implantation « celtique ». Elle aura toujours quelque peine à dépasser le seuil des 2500 habitants que lui accorde sa fonc­tion socio-économique. La galette de remblais laissée par l'abbaye et l'agglomération au cours des siècles est toujours nettement visible dans la ville moderne. Elle fait 4 ha environ, ce qui confirme notre échelle démographique.

Cette approche nous aide à mieux comprendre les destinées de cette abbaye, toujours visitée, souvent détruite, toujours pauvre mais toujours debout.

A la fin du Xle s. la fortune viendra de Cluny et dépassera même les capacités foncières de l'agglomération ce qui explique les grandes difficultés rencontrées par les moines pour relever l'abbatiale de ses ruines à la fin du Moyen Age.

Aujourd'hui nous avons une nef de facture typiquement clunisienne, I es fondations d'un chevet qui porte les traces d'une reprise au XIIIe s. et une date de consécration pontificale, 1119. Nous pouvons lier ces éléments dans une enveloppe de facilité articule comme suit : l'édifice tout entier représente l'œuvre d'Etienne de Bagé, Evêque d'Autun et Comte de Saulieu; il fut réalisé de 1090 à 1119, date de sa consécration. Mais s'il en était ainsi, on voit mal pourquoi le chevet est plus large que la nef et surtout désaxé par rapport à elle et enfin pourquoi cette dernière se gauchit vers l'Occident pour se raccorder à une façade qui semble préexistante.

Tous ces éléments s'enclenchent mieux si nous admettons la chronologie suivante. De 1100 à 1115, Etienne de Bagé confie à des bâtisseurs venus de Cluny la tâche de reconstruire l'église. Ils commenceront par jeter les fondations d'un chevet à cinq chapelles rayonnantes établi sur un diamètre de 19 m (à l'accès des chapelles). C'est une réduction de celui qu'ils ont vu à l'abbaye mère et ils reprennent même l'erreur d'implantation des colonnes du sanctuaire. Ces travaux vont s'arrêter à l'ancien transept qui est vaste (40 m d'envergure et de structure légère). Nous sommes alors en 1119 et c'est la consécration par le Pape Bourguignon Calixte II (Guy de Bourgogne). Ensuite les travaux reprennent mais ils avancent péniblement. Une nouvelle nef voûtée est réalisée sur les fondations de l'ancienne. Moins large que la précédente elle se gauchit pour se lier à l'ancienne façade refaite sous Etienne de Bagé. Cette dernière campagne se déroule de 1120 à 1140.

Cet édifice connaît, comme les autres, des problèmes dans ses parties hautes. A la fin du XlIIe s. le sanctuaire qui avait sans doute souffert de sa mauvaise implantation sera repris en gothique et les fenêtres des travées intermédiaires se trouvent bouchées par les culées des arcs-boutants. Toute cette partie orientale disparaîtra dans un incendie provoqué par les combats de la guerre de Cent Ans, en 1359.

La nef à six travées qui fait 17 m de largeur interne reprend scrupuleusement les formes imaginées par le Maître de Cluny. Tout y est, structures en croix, puissants arcs brisés à double rouleaux et voûtes d'arêtes cloisonnées, ainsi que le triforium, le niveau de fenêtre hautes et la grande voûte de profil brisé avec doubleaux. Mais là encore, si les formes sont présentes, l'esprit a fui. L'entraxe des piles passe de 8,70 m à la travée orientale qui se raccorde mal à l'ancien transept à 7,40 m au revers de la façade. Aujourd'hui la hauteur sous voûte de la nef est de 18m environ et celle des bas côtés de 8 m. mais l'édifice a perdu 1 m à la base avec un nouveau pavement et les grandes voûtes ont perdu 0,60 m par affaissement. A l'origine ces hauteurs respectives étaient de 9 et de 19,60 m.

Comme les autres, cette nef sera sauvée par des reprises et des arcs-boutants mais elle est puissante et rustique et ses caractères l'ont aidée à traverser les siècles. Dans la parure clunisienne, Paray le Monial constitue l'habit de grand faiseur et St Andoche la modeste robe de bure.


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Notre Dame (collégiale) de Beaune                     Saint Andoche de Saulieu

La Collégiale de Beaune et St. Andoche de Saulieu nous montrent la dégénérescence accélérée du parti Clunisien. La nef de St. Andoche, construite après la consécration de 1119 pour relier maladroitement le nouveau chevet à la façade pré-existante, s'éloigne des rapports établis à Paray le Monial. Deuxième et troisième niveau font 57 % du premier mais 52 % seulement au pavement d'origine. La nef de la Collégiale de Beaune construite de 1130 à 1150 va plus loin encore puisque les deuxième et troisième niveaux font ici 72 % du premier. Nous sommes loin des 44 % de Paray le Monial. Mais ce rapport ne constitue qu'un critère d'approche. La petite nef de Semur en Brionnais se trouve parfaitement équilibrée avec un rapport de 57 %.