AVALLON
Situé au nord du Cousin, et encadré par deux petits affluents secondaires, le site d'Avallon constitue un promontoire triangulaire dirigé vers le sud. Comme les deux côtés donnant sur les vallées sont naturellement défendus il suffit de couper le promontoire du plateau par une défense artificielle pour avoir une position très forte.
A l'époque romaine, au Bas Empire, après les invasions de 250/275, mais surtout lors des troubles permanents qui marquèrent la fin du IVe s. ces positions fortes et facilement aménageables se trouveront favorisées; c'est l'époque où la cité d'Avallon s'installe pour quinze siècles. L'agglomération s'établit sur un périmètre de dix hectares environ fermé par deux escarpements de 500m et un front de plateau de 400m. Mais la cité proprement dite, avec ses murailles se limitait à la partie sud du promontoire. La défense qui coupait cette cité de l'agglomération se situait au niveau de l'actuel Tour de l'Horloge. C'est dans ce réduit que va s'installer l'Evéché avec la première cathédrale mais nous ignorons tout des édifices précédant la cathédrale actuelle, si ce n'est qu'ils n'ont pas changé d'emplacement.
Saint Lazare d'Avallon
La cathédrale St-Lazare d'Avallon est sans doute l'édifice le plus controversé de Bourgogne, la consécration par le pape Pascal II en 1106 portant sur des constructions mal définies a permis aux archéologues du siècle dernier de considérer l'ensemble comme achevé à cette date mais cette datation ne correspond guère avec les analyses architectoniques que l'on peut faire sur l'édifice. Cette chronologie haute a été fermement combattue depuis 40 ans mais sans grand succès et il a fallu toute l'autorité de Valéry Radot pour qu'une chronologie basse, plus conforme aux caractères de l'édifice, se mette en place mais les choses ne sont pas simples.
En abordant la cathédrale on est séduit par le magnifique portail richement décoré. Sa facture est de la fin du Xle s. 1080/1100 ; mais, dès la porte franchie, on se trouve dans une grande nef dont les travées sont franchement postérieures. Tout de suite le regard est frappé par la non concordance de la nef et du portail. Ce dernier est considérablement gauchi (14°) par rapport à l'ensemble. Un édifice nouveau est donc venu se raccorder par le revers sur une façade qui clôturait une construction antérieure et dont l'orientation était franchement différente. Enfin, cette nef qui doit dater du milieu du XHe s. est clôturée par une abside encadrée de deux absidioles qui semblent être contemporaines du porche, soit 1080/1100. Tout cela est troublant et il paraît bien difficile de rassembler ces éléments disparates, mais nous pouvons tout de même articuler une hypothèse basse de la manière suivante.
En l'an 1000, la cité d'Avallon qui règne sur une région austère aux confins du Morvan doit être très proche des conditions de survie qui lui ont permis de franchir des siècles sombres. Dans la cité du promontoire encore défendue par les murailles du Bas-Empire,ainsi que dans la petite agglomération qui s'est maintenue sur le plateau contigu , la population est très faible. Selon une méthode d'analyse déjà exploitée, elle doit être formée de la population agricole affectée au terroir, soit 800 à 1000 personnes, de l'artisanat correspondant à la couverture d'un bourg, soit 1000 à 1500 personnes plus une petite structure religieuse et politique, l'ensemble n'excédant pas 2000 personnes au maximum.
Pour ce petit monde, la vieille église du IVe s. sans doute plusieurs fois refaite pour cause d'incendie, est bien suffisante. Mais vers l'an 1000 un événement d'importance vient modifier le contexte religieux : Le Chapitre reçoit du Duc de Bourgogne, Henri le Grand, les reliques de Saint Lazare et ce présent va bouleverser la petite cité. C'est le temps des pèlerinages, la colline de Vézelay est toute proche et bon nombre de pèlerins qui sillonnent ces confins nord de la Bourgogne vont inscrire Avallon sur leur itinéraire, et rapidement la vieille cathédrale ne suffit plus.
Dans la deuxième moitié du Xle s., avec l'aide des moines bâtisseurs de Cluny, le Chapitre entreprend la construction d'une grande église à la mesure des besoins nouveaux. Elle est implantée à peu de distance au Sud et comme la place est chère dans cette petite cité forte, l'édifice va partiellement chevaucher l'ancienne nef dont seules les parties orientales, (parties nobles) seront conservées et liées à la nouvelle œuvre. Cette nef nouvelle est achevée vers 1080/ 1090;puis clôturée par le beau portail roman que nous voyons aujourd'hui. A la Charité sur Loire, les moines clunisiens pratiqueront de la même manière. Derrière la première église récemment retrouvée ils construiront une grande nef très légère dont il ne subsiste rien mais qui léguera son volume à la grande abbatiale du XIIe s
Coupe perpendiculaire et longitudinale
a - niveau d'assise des doubleaux — b - niveau d'assise des formerets — c - base des doubleaux d - assise architecturale limitant le premier niveau — e - contrefort haut — f - contrefort bas.
A - Abside et absidioles (consecration en 1106) - B - Nef du XIIe siecle - C - 2.3.4. et 5. Travels qui retrouvent le dessin perpendiculaire regulier — D - 6. Travee qui marque l'amorce d'un gauchis-sement — E - 7. Travee franchement gauchie pour assurer le raccordement a l'ancienne facade — F - Facade cloturant la nef de transition (vers 1080/1100) - G - Tour occidental.
Cette formule très opportuniste ne convient guère à la population bourgeoise de la Cité qui reste profondément attachée au vieux sanctuaire. Bientôt les travaux vont reprendre sur l'église ancestrale, par l'abside orientale qui sera consacrée en 1106 par le Pape Pascal II.
Mais ce complexe n'est par rationnel. Les deux édifices sont liés au niveau des croisillons et se chevauchent ensuite. L'un des deux doit disparaître et ce sera l'église de pèlerinage venue pour un temps troubler la paisible cité qui sera condamnée. Mais les travaux iront lentement et c'est probablement de 1120 à 1145 que le Chapitre fera édifier la nef actuelle
La nef de Saint Lazare d'Avallon
La nef d'Avallon exploite pleinement les fruits de cette longue évolution architectonique des procédés romans bourguignons et constitue parmi le groupe des six l'œuvre la plus évoluée, la plus rigoureuse. Avec une largeur interne de 21,20m une hauteur sous voûte de 19,60m et une largeur à l'axe des piles de 6m, elle est aussi vaste que Vézelay, mais cette fois la composition est parfaitement équilibrée, ce qui lui a permis de traverser les siècles sans modification aucune. Sur un pas de travée de 7,60m, des piles à structures en croix avec 4 colonnes engagées forment un premier niveau couronné par un bandeau situé à 10m de haut. Au niveau supérieur, doubleaux et formerets sont établis sur de courtes piles de 2,40m et de vastes fenêtres hautes s'inscrivent dans le formeret, ainsi le niveau médian, celui du triforium, n'est plus caractérisé et l'épaulement du bas côté peut jouer pleinement.
Cette mutation des rapports qui porte le sommet des bas-côtés au dessus de la demi hauteur des grandes voûtes et qui, avec des travées larges et longues,permet au doubleaux et aux formerets de s'établir à peu de hauteur au-dessus du niveau des bas-côtés, est très favorable. Quelques années plus tard, la composition sera reprise dans la première génération gothique bourguignonne qui pourra ainsi se passer d'arcs boutants. Nous la retrouverons ensuite dans certaines constructions des Flandres,puis dans le"perpendicular"anglais, et là encore ces édifices pourront se passer d'arcs boutants. Si le gothique de l'Ile de France s'impose à la fin du Xlle s. il n'est pas le seul parti nouveau satisfaisant. La composition bourguignonne avait bien des mérites et c'est à la nef de Saint Lazare d'Avallon que les rapports optimum se sont mis en place.
Les voûtes de Saint Lazare
Avec une largeur à l'axe des piles de 10m. et un pas de 7,60m. les travées sont franchement barlong et le plan de voûte inclus à l'intérieur des formerets et des doubleaux fait 8,80m par 6,60m. Les grands doubleaux se trouvent basés sur de courtes piles de 2,40m établies sur le bandeau du premier niveau,mais c'est une structure purement architecturale sans rapport aucun avec les voûtes des bas-côtés; le sommet de ces dernières se trouve en fait à 1,60m au-dessous de l'assise du grand doubleau. Dans ces conditions les contreforts hauts et bas peuvent être liaisonnés sans problème et former ainsi avec les doubleaux correspondants une structure perpendiculaire complète qui va se dégager de l'ensemble des maçonneries.
A l'intérieur de ce cadre qui peut être entièrement réalisé dans une première campagne, le volume de la voûte est fortement surhaussé, 2,60m par rapport aux formerets et 1,50m par rapport aux doubleaux. C'est un dessin qui procure de nombreux avantages par rapport à la forme classique. D'abord le retrait pendant séchage qui se fait maintenant sur trois dimensions est plus rationnel. On évite ainsi la plupart des décollements périphériques qui se manifestaient dans une voûte classique. Ensuite, le dessin incite le constructeur qui n'est plus conditionné par un volume géométrique à réaliser cette coquille de maçonnerie avec une épaisseur variable. Enfin, et dans l'hypothèse d'une rupture qui devient très peu probable, dessins et traitements permettent au secteur de voûtes qui se trouvent dissociées par des fissurations profondes de se maintenir en place tout en exerçant une moindre poussée sur leur structure d'encadrement.
Ainsi, soumise à toutes les analyses d'ordre architectonique, puis confrontée à tous les problèmes pratiques que réserve la construction, la travée bourguignonne est toujours satisfaisante et St. Lazare d'Avallon constitue le chef d'oeuvre du genre.
Dans ces grandes voûtes de St. Lazare d'Avallon, les arêtes qui figurent encore à la base, s'atténue progressivement en allant vers le sommet. Le dessin en plan qui part du rectangle devient polygonal au niveau haut des forme rets, pour terminer pratiquement en calotte hémisphérique au sommet. Le volume est donc difficile à coffrer et le meilleur moyen consiste à établir deux grands cintres en diagonale avant de rechercher un volume approché à l'aide de petits cintres appuyés sur les grands. Bientôt les constructeurs imagineront de remplacer ces grands cintres par des structures de pierre établies en croix; ce sera la naissance des croisées d'ogive bourguignonne.
A cette époque, nombreux sont ceux qui devaient y penser et ce sera le constructeur de la cathédrale de Sens qui l'appliquera le premier en 1140/1145. Mais,déjà vers 1130, un moine de grand talent qui travaillait sur la vieille nef de la cathédrale du Mans poursuivait la même idée. Il connaissait sans doute le volume des voûtes bourguignonnes, mais il avait vu aussi les premières structures en croix qui renforçaient les grandes voûtes des abbatiales normandes comme Lessay, St. Etienne de Caen, et l'idée lui vint de faire la synthèse des deux. Ce fut la naissance des voûtes angevines. (Elle naissent au Mans et se développent en Anjou). Contrairement à l'école bourguignonne ces dernières auront une riche destinée et vivront près de deux siècles à l'ombre du procédé venu de l'Ile de France.
Avallon: le portail roman de St. Lazare
Avallon: statue colonne de St. Lazare
Avallon: portail occidental, détail