PARAY-LE-MONIAL
Au départ de Cluny, en cheminant vers le couchant par l'ancien itinéraire romain traversant les collines des Monts du Charolais, le voyageur qui se dirige vers la Loire et vers Nevers rencontre d'abord une large vallée où, coule une paisible petite rivière, la Bourbince. Elle vient du Nord-Est et constitue le déversoir naturel de la dépression de Montchanin, Montceau-les-Mines. Au point où l'itinéraire rencontre le cours d'eau, ce dernier forme une vaste courbe à 90° pour éviter quelques collines avant d'aller se jeter dans la Loire dix kilomètres plus loin. C'est ici, à l'intérieur de la courbe, au heu de rencontre des voies venant de Cluny-Macon et de Beaune-Dijon, à deux lieues de la Loire, que se trouve Paray le Monial. Autant dire que c'est un site riche en potentiel et les bénédictins, naturellement portés vers les lieux susceptibles de fixer la civilisation naissante, y furent présents dès la fin du Xe s.
En 973, ils viennent s'y installer à la demande de Lambert, Comte de Chalon, et choisissent pour s'établir une petite colline du voisinage dominant le Valis Auréa (le Val d'Or). La première abbatiale est construite de 973 à 976. Pourtant, malgré l'arrivée en 977 des reliques de St-Grat, évêque de Chalon, la fondation connaît des jours difficiles et, comme pour bien des abbayes, la fortune viendra de l'allégeance à Cluny.
En 999, le fils du Comte Lambert, Hugues de Chalon, Evêque d'Auxerre, accorde aux religieux les droits et redevances acquis à sa famille et situés autour de Paray et leur impose de se soumettre à l'organisation clunisienne déjà fort puissante. C'est l'une des nombreuses actions qui portent les biens et les œuvres de la province vers cet ordre pour une politique qui va mener au grand siècle bourguignon.
C'est alors une époque nouvelle. Les moines se déplacent, abandonnent l'éminence du Val d'Or et vont s'installer sur les rives de la Bourbince aux portes de la petite agglomération déjà formée. Puisque le service de Dieu doit être au service des âmes, il doit se pratiquer au cœur de ce monde, au seuil des tentations, et les moines de Cluny s'imposent d'aller au-devant de cette civilisation médiévale qui se met en place.
Une nouvelle abbatiale est alors construite puis consacrée le 9 décembre 1004. Cette première église a disparu mais elle sera, vers 1060/1080, prolongée à l'ouest par le puissant narthex que nous voyons aujourd'hui. C'est lui qui limitera la construction suivante édifiée à l'époque de St. Hugues. Les deux œuvres sont désaxées l'une par rapport à l'autre de 1,70 m.
Le chevet de Paray le Monial
Commencé vers 1095, soit dix années après celui de la Maison Mère, le chevet de Paray le Monial est sans aucun doute une œuvre du Maître de Cluny. Il en a la marque et c'est aussi le deuxième du genre. Mais un problème demeure. Doit-on voir en lui une exacte réplique ou bien s'agit-il du premier modèle achevé après les quelques aménagements qui marquèrent le début des travaux à Cluny III.
Dans Cette seconde hypothèse, quel est le chemin parcouru entre les deux traitements ? Pour aborder sinon résoudre le problème, nous allons analyser la réplique et la confronter aux hypothèses établies pour le modèle. Mais d'abord, et selon la coutume, voyons le plan choisi.
Les colonnes du sanctuaire s'inscrivent sur un cercle de 9,30 m de diamètre et le centre du cercle se trouve à 3,80 m de l'aplomb du doubleau de clôture. C'est donc un hémicycle nettement outrepassé (0,82 du rayon). La composition est proche de celle relevée pour Cluny III sur le plan bénédictin de 1623 où les valeurs respectives étaient de 11,20 m pour le sanctuaire et de 5,30 m pour la partie droite, ce qui nous donne 0,94 du rayon, la légère différence est imputable au nombre de chapelles rayonnantes, cinq à Cluny et trois seulement à Paray le Monial.
Les colonnes qui bordent le sanctuaire sont au nombre de huit, comme à Cluny III, mais cette fois elles ouvrent sur 9 travées rayonnantes très régulières dans leur dessin. Trois correspondent aux chapelles, deux sont intermédiaires et deux autres achèvent l'hémicycle tandis que les deux dernières flanquent la partie droite. Nous sommes donc très éloignés du désordre qui avait présidé à l'établissement du plan de Cluny III. Ici tout est admirablement conçu et mis en place dès les fondations, tandis que le traitement des parties hautes sera mené dans le respect des options prises à la base. Cette démarche qui nous semble logique est en fait relativement rare dans l'architecture romane antérieure à 1110.
Au-delà du déambulatoire, les trois chapelles rayonnantes comportent une partie droite distincte de l'hémicycle. C'est un plan fort peu répandu. On le retrouve à la chapelle axiale de St-Pierre de Chauvigny en Poitou et au chevet de la grande abbatiale de Fontgombault en Val de Loire. En plan, la composition n'apporte pas d'avantages particuliers mais en élévation elle permet de dissocier le cul de four du berceau de la partie droite par un mur pignon bien caractérisé. C'est satisfaisant pour un esprit rationnel.
Le traitement de l'élévation
Le découpage rayonnant de Paray le Monial est rigoureux. Les neuf travées formées par le déambulatoire reçoivent des voûtes d'arêtes de plan trapézoïdal séparées par des doubleaux bien caractérisés. Cette bonne concordance des supports et des travées pourrait dispenser le constructeur de reprendre la composition avec déambulatoire surhaussé et couronne de fenêtres intermédiaires. Pourtant il s'y astreint comme pour bien marquer que telle est sa manière de faire.
A ce niveau, le dessin est toujours de plan circulaire à l'intérieur mais polygonal à l'extérieur. Aujourd'hui les voûtes d'arêtes du déambulatoire ont été débarrassées de leur enduit et l'on voit de manière évidente le détail et l'esprit du traitement. Dans le cadre formé par les structures, où le grand appareil domine, le traitement des voûtes en petits moellons tranche de manière singulière et pourtant cet anachronisme apparent est infiniment rationnel. C'est le plus judicieux compromis entre les exigences en compression et les besoins de rigidité qui sont les caractères de la voûte d'arête légère permise par le cloisonnement. Enfin, cette voûte d'arête cloisonnée comporte un avantage évident sur les compositions d'Auvergne et du Limousin. Dissociée de ses structures environnantes, elle n'implique pas la surélévation de l'arc donnant sur le sanctuaire; ainsi les poussées centrifuges exercées par les doubleaux s'appliquent sur un niveau où les maçonneries du sanctuaire forment une bonne couronne en compression. Il n'y a donc pas de risque d'éclatement interne.
C'est un danger qui menace tous les chevets archaïques où les arcs sont alignés sur le sommet des voûtes. Le mal apparaît à St-Sernin de Toulouse où il a fallu remplacer certaines colonnes par de grosses piles carrées mais il est surtout flagrant à St-Léonard de Noblat. Dans ce chevet tardif à cinq chapelles, le rapport des travées rayonnantes était particulièrement défavorable et les poussées centrifuges issues des doubleaux virtuels s'exerçaient au milieu des piles surmontant les tailloirs. D y a eu rupture puis mouvement, ce qui a impliqué l'intervention barbare que l'on voit aujourd'hui : de grosses piles qui enveloppent certaines colonnes mais surtout les demi-arcs de maçonnerie additionnels qui bouchent partiellement les arcades du sanctuaire abaissant ainsi, de près d'un mètre, le niveau d'aptitude en compression. C'est un problème sérieux et bien caractérisé. Nous l'appellerons le mal de Saint Léonard pour nous dispenser de l'exprimer chaque fois dans sa forme architectonique.
Cette dissociation des structures et de la voûte que le Maître de Cluny a conçue et réalisée sera mal comprise par ses contemporains. Rares sont les chevets qui reprendront la composition avec la même rigueur et c'est à Chambon sur Voueize que nous trouverons la seule réplique convenablement réalisée mais c'est une réalisation tardive.
Le chevet de Paray le Monial
A Paray le Monial, comme pour tous les édifices réalisés d'une seule campagne, et selon un programme homogène, l'analyse du plan n'apporte guère d'éléments particuliers. Le chevet à trois chapelles rayonnantes, d'un découpage rigoureux, et comportant neuf travées, se dégage franchement du mur pignon et de la grande travée droite qui reprend l'élévation de la nef. C'était déjà la composition de Cluny III. Seule particularité notable, la chapelle sud se trouve légèrement gauchie.
Après un transept de grande envergure, la nef à trois travées vient buter sur l'ancien narthex et ce sans doute au grand regret du constructeur. Faute de pouvoir achever son programme, il choisit d'aménager un escalier dans l'épaisseur du mur de façade pour assurer l'accès aux combles.
Au dessus des arcades du sanctuaire nous trouvons un niveau de mur qui correspond au volume des combles du déambulatoire. D est dominé par une corniche qui sert de base à la couronne de fenêtres hautes, au nombre de neuf, et correspondant rigoureusement au découpage rayonnant conçu au sol, ce qui montre bien l'homogénéité du traitement. Cette régularité n'est pas un choix architectural ni une rigueur pour la forme, c'est une composition parfaitement rationnelle. Le cul de four repose sur les huit volumes de maçonnerie séparant les fenêtres hautes; ces derniers se trouvent ainsi à l'aplomb des colonnes. Ils assurent la tenue à la charge, tandis que les réactions peuvent cheminer en cascade par le doubleau du déambulatoire puis par le contrefort du mur externe et enfin par les murs des chapelles formant volume d'épaulement en disposition rayonnante. Après cela il n'est guère possible de douter que le Maître d'Œuvre avait parfaitement assimilé les lois de la mécanique et bien compris la localisation et la répercussion des effets issus du sommet.
Pour terminer voyons le sanctuaire. Il est voûté en cul de four mais c'est une composition exceptionnelle puisqu'il doit partir d'un hémicycle outrepassé pour aboutir sur un doubleau de clôture en arc brisé. C'est donc un volume assez déroutant et bien difficile à traiter en géométrie rigoureuse. Ce cul de four est prolongé d'une partie droite ce qui lui évite, en cas de rupture, de pousser exagérément sur le doubleau de clôture. Ce dernier dissocié du grand berceau de la partie droite est situé à 3,5 m en dessous.
Dans un chevet à grand développement, après rupture d'homogénéité, les poussées mises en œuvre vont s'exercer suivant un cône idéal et plus les structures en cascade se trouveront proches de ce cône idéal, mieux elles résisteront. Analysé de cette manière, le chevet de Paray le Monial se révèle incontestablement comme une parfaite réussite. Ainsi et malgré sa hardiesse, il tiendra parfaitement sans contrefort additif ou arcs boutants, mais il en était de même pour l'illustre modèle de Cluny III.
Paray le Monial (la composition d'ensemble)
Après ce chevet qui nous apparaît comme une confirmation du modèle mais établi, grâce à l'expérience, sur des bases plus rigoureuses, la poursuite de la campagne ne devait plus rencontrer de problèmes d'importance. Le parti magistral conçu dix années plus tôt sur la partie droite de Cluny III pouvait être repris intégralement mais sur une échelle réduite d'un bon tiers; cette similitude nous dispense de l'analyse architectonique du traitement. Par contre, comme il s'agit cette fois d'un ensemble homogène et non d'une grandiose première, le parti architectural, le choix et la composition des volumes doivent nous inspirer quelques réflexions.
La basilique constantinienne des premiers temps qui était d'une pureté et d'un dépouillement exemplaires avait marqué la première génération de l'an 1000. Ensuite, les bâtisseurs du Xle s. feront généralement l'apprentissage de la composition des volumes à partir d'un plan de masse à peine plus évolué et la plupart des difficultés majeures, issues de la juxtaposition des voûtes ainsi que de la liaison des combles, vont naître à la croisée du transept qui constitue le cœur du système.
Le sujet peut être développé d'une manière fort simple en analysant le transept comme l'élément perturbateur dans l'ensemble majeur formé par la nef et son chevet. C'est à cette conclusion qu'aboutiront les constructeurs gothiques du Xlle s. quand ils supprimeront radicalement le vaisseau perpendiculaire dans les cathédrales de Paris, Bourges, Sens et Senlis. Mais il faut reconnaître que la composition à tribunes ainsi que les voûtes six partites avaient singulièrement compliqué le problème.
Comme il est de règle dans toute recherche, les premières compositions satisfaisantes sont simples. Dans la basilique constantinienne le transept est un grand vaisseau continu qui s'installe à l'ouest de l'ensemble. Ensuite, avec la basilique carolingienne le chevet qui a pris la place de l'abside se développe et devient profond. Dans ces conditions l'autel n'est plus visible du transept et sa fonction primitive disparaît. Cependant, il est très utile pour assurer la liaison entre les deux élévations souvent disparates de la nef et du chevet; alors il se réduit, devient non saillant ou bien se transforme en deux additifs qui ne détruisent pas l'homogénéité du vaisseau principal.
De son côté l'abside cherche sa forme. Le volume profond adopté dans les réalisations carolingiennes n'est pas satisfaisant pour le service du culte. A l'abbaye aux Dames de Caen, l'abside profonde se trouve flanquée de deux bas-côtés étroits mais l'idée ne fait pas école. Pour les bâtisseurs de Normandie, il apparaît plus simple de reprendre l'élévation de la nef sur deux travées puis de les clôturer par Une abside traditionnelle. C'est la conception bénédictine qui va s'affirmer en Normandie à Cerisy la Forêt vers 1066/1070 et à St-Nicolas de Caen vers 1075/1080. C'est aussi le parti qui sera exporté en Grande Bretagne.
Dans le même temps, les bâtisseurs du Val de Loire travaillent dans une autre voie; le chevet à grand développement, avec déambulatoire et chapelles rayonnantes. Là encore c'est le volume du transept qui permet la liaison entre deux élévations disparates. Parfois, comme en Auvergne, ce volume perpendiculaire se trouve dominé par un massif barlong qui a pour charge de clôturer la nef puisque les tribunes de cette dernière dominent les croisillons.
C'est le Maître de Cluny qui fera la synthèse, de ces divers courants et c'est à Paray le Monial que nous pouvons apprécier le rationnel de sa composition. Un transept saillant et bien caractérisé assure la liaison entre la nef et la partie droite du chevet qui reprend la même élévation, tandis que les quatre grands combles qui se trouvent alignés viennent buter sur la tour de la croisée. C'est la composition normande, mais absides et absidioles se trouvent remplacées par le chevet à chapelles rayonnantes importé du Val de Loire. Le déambulatoire prend alors ses accès à la place des absidioles. C'est sans conteste la meilleure solution et pourtant, dans le demi siècle qui va suivre, bon nombre de Maîtres d'Oeuvre se sortiront assez mal de cette épreuve. Nous ne citerons que Beaulieu sur Dordogne, Fontgombault et St-Léonard de Noblat que nous retrouverons lors de l'analyse architectonique des chevets.
Bourgogne -Paray le Monial - vue d'ensemble
Bourgogne -Paray le Monial - vue d'ensemble
Bourgogne - paray le Monial - croisillon nord vers 1110
Paray le Monial - croisillon nord - vue en interne vers 1110
Paray le Monial - nef, croisée et chevet
Paray le Monial - nef, élévation nord et archivoltes
Paray le Monial - voûtes du narthex
Paray le Monial - tour occidentale sud
Paray le Monial - travée partie droite du choeur
Paray le Monial - chevet couronne de fenêtres hautes (1100)
Paray le Monial - déambulatoire et sa couronne de fenêtres hautes
Paray le Monial - chapelle axiale
Paray le Monial - tour occidentale nord
Paray le Monial - ensemble façade occidentale
Paray le Monial - sanctuaire et sa couronne de fenêtres hautes
Paray le Monial - chevet et croisée - vue d'ensemble avec cul de four clunisien
Paray le Monial - croisée et voûtes du chevet