LE GROUPE NORD

Dans les églises du groupe nord la situation est différente. Pour deux d'entre elles, St. Lazare d'Avallon et Vézelay, il ne s'agit plus de petites constructions rurales réalisées d'une seule campagne et sans contrainte, mais d'édifices importants installés sur des lieux chargés d'histoire. Alors ces œuvres successives s'intégrent chacune dans un contexte existant qui n'est pas sans effet sur l'ensemble. Si nous reprenons la chronologie que nous inspirent le traitement architec-tonique et l'évolution rationnelle des procédés, la plus ancienne est sans contexte la grande nef de Vézelay.

L'histoire de Vézelay

Vers 860, Girard de Roussillon fonde au sud de la colline de Vézelay un monastère de femmes soûs le vocable de Saint Pierre et Saint Paul. C'est aujourd'hui le village de Saint Père sous Vézelay. Ce premier monastère sera détruit par les normands vers 980 et la communauté se transporte alors sur la colline plus facilement défendable. La première abbatiale construite vers l'an 1000 nous est inconnue mais son développement devait être modeste et son transept correspondre à celui de la basilique actuelle. L'ensemble qui comportait encore une abside simple en hémicycle a complètement disparu. La première dédicace connue par la chronique de Hugues le Poitevin se situe en 1104; c'est bien trop tard pour la première abbatiale et cet acte santionne probablement un nouveau chevet dont nous avons conservé la crypte. Celle-ci, d'une longueur de 18m. et d'une largeur de 8,80m. correspondait à une construction d'une relative importance avec abside profonde et absidiole selon le plan de Cluny II ou plan béné­dictin. La consécration effectuée sous l'abbé Arthaud qui avait pris sa charge en 1096, clôture a priori une campagne courte.

Au XIXe s. et sur la foi des textes de Hugues le Poitevin, la basilique romane toute en­tière était attribuée à cette courte campagne de huit années. C'est une hypothèse aujourd'hui complètement abandonnée. Ensuite, Charles Porée, patronné par Lefebvre Pontalis, proposa une chronologie corrigée qui s'articulait de la manière suivante. Après la nouvelle abside con­sacrée en 1104, les travaux auraient continué sans interruption, la nef actuelle étant achevée vers 1110 et le narthex édifié de 1120 à 1135.

Aujourd'hui, les auteurs qui traitent le sujet et parmi eux Marcel Aubert, proposent une datation légèrement plus basse: ils admettent une interruption de quinze années environ dans les travaux après la consécration de 1104. Ainsi le chantier dût reprendre vers 1120 avec la nef actuelle qui fut terminée vers 1138 ; le narthex étant édifié de 1140 à 1151. Nous nous rallie­rons à cette chronologie qui s'enclenche bien avec les dates que nous avons avancées pour les autres églises du groupe des six.

La colline de Vézelay, qui au Xe s. n'était qu'un petit réduit de hauteur comme Gourdon ou Mont Saint Vincent, va devenir rapidement une agglomération importante dominée par une grande abbatiale où la foule des pèlerins se presse toujours plus nombreuse. Cette fortune commence à la fin du Xle s. quand, par des indiscrétions savamment répandues, les moines laissent à penser qu'ils possèdent des reliques de Madeleine la Pécheresse. Alors la colline devient le lieu de rassemblement des pèlerins qui vont poursuivre ensuite sur les chemins de Saint Jacques de Compostelle. Mais ces reliques ne constituent qu'un facteur. En ce temps-là la Bourgogne du Nord avait sans doute besoin d'un haut lieu de foi et de pèlerinage et Vézelay bien situé sût se présenter d'une manière favorable.

La réussite est si brillante que les abbés se veulent indépendants de tout pouvoir et vont entrer en querelle avec les autorités civiles et ecclésiastiques de la province. Ils refusent la tutelle spirituelle de la puissante abbaye de Cluny, la suzeraineté féodale du Comte de Nevers et même l'autorité de leur supérieur direct, l'Evéque d'Autun,mais nous ne sommes plus au Xe ni même au Xle. Si les pouvoirs sont encore faibles et partagés, antagonistes même, il faut néanmoins se ranger sous une bannière, se lier à une famille sous peine d'avoir toutes ces struc­tures à dos. C'est ce qui arriva à l'abbaye de Vézelay vers 1130/1140. A partir de 1138, Pons de Montboissier essaiera de défendre la position de l'abbaye face aux puissants de la province et l'appui populaire ne lui fait pas défaut. Cependant ses adversaires ne reculent pas devant les coups bas et ce sont finalement de perfides insinuations quant à l'au­thenticité des reliques de « La Madeleine » qui porteront un coup fatal à cette grande abbaye de Bourgogne du Nord.

La nef de Vézelay

La nef de Vézelay commencée en 1120 est une œuvre d'envergure. Sa largeur interne est de 23m. et sa hauteur sous voûte de 18,60m. tandis que la largeur de la nef centrale à l'axe des piles est de 10,80m. et la hauteur des bas-côtés est de 8,60m. Cette longue nef,dont le plan comporte dix travées, est de facture très soignée, l'appareillage est des plus rigoureux et le savant mariage des nuances de pierres, notamment sur les claveaux alternés des grands doubleaux est du plus bel effet; mais derrière ce beau décor, la composition architectonique n'est pas satisfaisante, c'est même la seule nef du groupe des six qu'il faudra sauver avec des arcs-boutants au début du XIIIe s.


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L'abbatiale de Vezelay

Les problèmes rencontrés sur les nefs qui sont des plans axés et sur les chevets qui sont des plans rayonnants, sont relativement divergents. Ainsi les progrès techniques des uns et des autres ne furent pas cohérents. Au début du XIIe les nefs avaient pris une légère avance dans le traitement architectonique. D'autre part, lors d'une campagne importante, il est primordial de préserver l'exercice du culte et donc intéressant de déplacer l'autel à la croisée pour utiliser transept et nef pendant l'édification d'un nouveau chevet. A l'inverse, il est possible d'utiliser transept et chevet existants pendant l'édification d'une nouvelle nef qui progressera naturellement d'est en ouest. Ainsi, dans tous les cas, croisée et transept constituent la charnière autour de laquelle s'articuleront les diverses campagnes. L'histoire de Vézelay illustre parfaitement ce phénomène.br/>
Les moines arrivent sur la colline vers 980 mais la fortune de l'abbaye ne commence vraiment qu'un siècle plus tard, vers 1100. C'est l'époque où la communauté construit une nouvelle abside profonde au-delà du transept de l'église basilicale édifiée vers l'an 1000. Cette abside est consacrée en 1101 et nous en avons conservé la crypte. Les travaux reprennent vers 1120 avec l'édification du narthex 1140/1151. Mais les parties orientales ne sont plus en rapport avec l'ensemble et de 1175 à 1200, la communauté édifie le grand chevet gothique actuel. Cette campagne s'achève par l'aménagement de l'ancien transept et par la reprise de la première travée romane. Ainsi toutes ces campagnes se sont articulées autour de la croisée qui n'a pratiquement pas changé de situation.


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Le Narthex de Vézelay 1140/1151

Après les désagréments rencontrés sur la nef, qui rendront nécessaire l'installation des arcs boutants dès la fin du XIIe s., le constructeur chargé d'édifier le narthex se méfie. Pour le vaisseau central il choisira, comme à Avallon, des doubleaux brisés avec voûte surhaussée. Ces doubleaux sont basés très près du sommet des voûtes des bas-côtés;H 2,60m pour 2m. à Avallon. Ensuite et comme par surcroît, ce vaisseau central sera flanqué de tribunes dont les voûtes se gauchiront pour s'apparenter au demi berceau de contrebutement qui caractérise le parti d'Auvergne. Enfin, de puissants contreforts viennent épauler l'ensemble de l'extérieur; la composition est donc inébranlable.


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Après la période archaïque où les plans sont sans aucune rigueur, comme dans les parties orientales d'Anzy le Duc, les constructeurs bourguignons comprennent très vite que l'édifice est un tout, et qu'il est nécessaire de concevoir plans et parties basses en fonction des problêmes que vont poser les voûtes. A Pontaubert, B et à Montréal C le plan au sol se décompose en secteur, carré, rectangulaire ou polygonal correspondant aux voûtes. La démarche devient purement architectonique: plans, structures et voûtes se plient au même programme.

Les rapports sont défavorables ; les bas-côtés sont trop bas pour faire bénéficier les grandes voûtes, trop lourdes, d'un épaulement suffisant tandis que l'édifice souffre de ce mal d'orgueil que nous avons rencontré à Autun. En dépit de la brillante démonstration faite par le Maître de Cluny, le grand appareil n'est plus exploité selon ses mérites. Il s'étale avantageusement tout au long de l'élévation médiane et ne laisse plus la place suffisante au blocage interne chargé d'assurer l'homogénéité. Enfin les lits d'assise sont trop pénétrants et sectionnent l'élévation là où elle est soumise à la rupture. A Vézelay le mal est flagrant. Les piles support sont cassées au niveau du bandeau qui domine les bas-côtés tandis que certains doubleaux se sont sérieuse­ment affaissés après une rupture en trois points.

Pareille maladresse en Bourgogne au début du Xlle s., après l'achèvement des campagnes orientales de Cluny III, après l'édification de Paray le Monial, dans cette province où la tech­nologie de la voûte a déjà un bon siècle d'existence est de nature à surprendre. Certes ce n'est plus la composition clunisienne, le parti est différent mais cette école des voûtes d'arêtes est déjà bien confirmée. Les trois édifices antérieurs parfaitement réalisés pouvaient raisonna­blement mettre en garde le constructeur de Vézelay contre des erreurs aussi grossières. Mais, poursuivre la réflexion et répondre à ces questions,c'est pénétrer le caractère fondamental de ce monde des bâtisseurs romans: les Maîtres ne font pas école.

Les raisons de ce phénomène sont simples. Nous les avons déjà abordées. La profession n'a pas fixé les critères mécaniques ainsi que le langage technologique capable de transmettre et surtout de faire comprendre les raisons d'une réussite. Tout est remis en cause constamment et bien souvent un édifice pris pour modèle est copié sans être vraiment compris.

Ainsi s'expliquent les maladresses de Vézelay. Pourtant tous les ingrédients de la bonne recette figurent dans la composition. Les piles cantonnées avec structure en croix et colonnes engagées sont puissantes, les grandes voûtes dont le plan mesure 10m x 5,50m sont bien enca­drées par de forts doubleaux à deux rouleaux. Il y a près d'un mètre entre le sommet des voûtes et le niveau d'accrochage aux murs. Enfin, les contreforts qui caractérisent le parti depuis le début étaient présents. Mais l'essentiel, le savoir-faire, manquait.

L'analyse de Vézelay suggère une explication. Par le traitement cette grande nef nous semble étrangère à la province. Certes elle est dérivée de la cathédrale romane d'Auxerre mais cette dernière avait déjà un siècle d'existence et par surcroît elle avait, en son temps, requ des influences étrangères « septentionales ». A Vézelay la hauteur des bas-côtés comparée à la largeur de la nef centrale fait irrésistiblement penser à ce parti des provinces du Nord avec tribune et couverture en charpente, comme à la nef de Tournai, ou bien encore celle disparue de la cathédrale de Reims, toutes deux contemporaines. Ainsi ces grandes voûtes seraient le fruit d'un changement de programme intervenant en cours de travaux.

A Vézelay la hauteur des bas-côtés est de 8,60m. tandis que l'entraxe des piles est de 10,80m. ce qui n'est guère conforme aux proportions coutumières du parti. Dans les trois premières églises du groupe que nous avons vues, la hauteur des bas-côtés est égale à l'entraxe, elle devient légèrement supérieure à St-Lazare d'Avallon 10,40m x 10 et franchement supérieure à Pontaubert 7m x 6m. Ainsi le constructeur de Vézelay ne semblait pas connaître les propor­tions requises mais son programme initial était peut-être tout autre ?


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Abbatiale de Vézelay - chevet


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Vézelay - maison ancienne


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Vézelay - le narthex et la nef, élévation sud


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Vézelay - partie basse du narthex


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Vézelay - nef, élévation sud


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Vézelay - bas côté sud et ses voûtes d'arêtes


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Vézelay - l' abbaye sur la colline inspirée


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Vézelay - nef et chevet, vue d'ensemble


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Vézelay - narthex - le petit tympan côté sud


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Vézelay - voûtes d'arêtes bas côté sud


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Vézelay - petit tympan du narthex bas côté nord


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Vézelay - grandes voûtes de la nef - vue d'ensemble


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Vézelay - voûtes du narthex


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Vézelay - archivolte bas côté sud et vue sur la nef


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Vézelay - chevet gothique, partie droite, élévation nord à 3 niveaux


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Vézelay - croisillon nord et chevet à trois niveaux avec voûtes gothiques


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Vézelay - voûtes gothiques du sanctuaire


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Vézelay - sanctuaire et ses voûtes gothiques


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Vézelay - voûtes du déambulatoire et vue sur le sanctuaire


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Vézelay- croisillon nord, élévation composite et ses voûtes gothiques


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Vezelay: chevet gothique et déambulatoire


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Vezelay: premier niveau de la nef