SEMUR-EN-BRIONNAIS

Le massif du Brionnais limité au Nord par la Bourbince et au Sud par le Sernin, forme de gros vallonnements réguliers qui culminent à 500 m tandis qu'à l'Ouest il est bordé par la Loire qui serpente dans une vaste plaine caillouteuse et n'offre aucun site remarquable. Dans ces conditions, les agglomérats ruraux vont se fixer sur les hauteurs en retrait du grand fleuve et le plus typique est sans conteste Semur en Brionnais. Situé sur un promontoire dominant un petit affluent de la Loire, à 6 km en retrait, il constitue le point fort de la région et si, dans les périodes fastes, la vie économique préfère s'installer au confluent, dans la vallée, à Marcigny, les périodes incertaines voient les hommes et les activités rejoindre la hauteur refuge de Semur. Cette petite province coiffée par les abbayes de Paray le Monial au Nord et de Charlieu au Sud, toutes deux d'obédience clunisienne dès le Xe s., participera de cœur et d'intérêts au grand siècle bourguignon. Pour le 1 le s. nous aurions dit d'intérêts et de cœur mais en ce début de la Renaissance romane c'est encore l'esprit de la province qui se porte vers la grande abbaye bénédictine et naturellement les intérêts suivent. Il est difficile d'exprimer le charme qui se dégage de cette petite cité reliquaire de Semur en Brionnais par un bel après midi-d'été. Les humeurs du siècle qui s'agitent dans la vallée, à 4 km, ont heureusement oublié ces lieux où la vie et les choses semblent sorties du temps. Autour de l'esplanade gagnée sur les ruines du château, les vieilles demeures aux pierres longue­ment patinées et aux grands toits de tuiles vieillies par les saisons ainsi que l'église romane témoi­gnent que le temps ne compte pas en siècles mais en millénaires. Le cadre n'est pas savamment restauré comme pour une carte postale. La rapide migration vers la vallée, vers le chemin de fer, nous l'a laissé brut et c'est ce qui le rend émouvant. Mais revenons à notre démarche d'analyse et voyons cette église romane.

En fondations, le plan de Semur en Brionnais est très bénédictin. C'est une bonne réduction de celui de la cathédrale d'Autun. Après l'abside en hémicycle flanquée de ses deux absidioles nous trouvons la travée droite et le transept faiblement saillant. Enfin, à l'Ouest, une nef régulière à trois vaisseaux et quatre travées dont la largeur interne fait 13,40 m tandis que l'entraxe des piles est de 6 m. Enfin un caractère assez exceptionnel et qui en dit long sur l'esprit des bâtis­seurs, le pas des travées est très régulièrement de 5 mimée à l'Ouest où le mur de façade prend exactement la position des structures perpendiculaires. Sur ce plan très homogène, le traitement en élévation semble disparate et refléter, pour le moins, deux campagnes distinctes : une pour les parties orientales, transept comprise l'autre pour la nef. A cela nous pouvons avancer deux explications. Ou bien c'est le témoignage du plan qui l'emporte et les chevets se sont figés dans un certain archaïsme tandis que les procédés clunisiens, surtout exploités sur les nefs, donnaient à ces dernières une toute autre facture, ou bien il y eut effectivement deux campagnes et le plan homogène est celui légué par un édifice précé­dent, de structure légère. Un bon nombre d'édifices bourguignons sont justifiables de ce dilemme. De manière très générale c'est la régularité des plans qui domine mais, dans ces conditions, il est toujours possible d'admettre deux campagnes différentes.

Pour Semur en Brionnais nous proposons l'enclenchement suivant. Vers 1080/1090, dans l'enveloppe d'un édifice antérieur de structure basilicale on construit l'abside et les deux absi­dioles. Vers 1100, les travaux continuent sur la travée droite mais le constructeur se sent prison­nier du cadre et notamment de la hauteur de l'ancien transept. C'est pour cela que ces belles arcades de facture clunisienne seront directement coiffées par un berceau recevant les fenêtres en pénétration. Cet attachement au volume existant marque encore la construction de la croisée qui s'astreint toujours au niveau permis par l'ancien transept mais sur ces quatre arcs, jugés trop bas à son goût, le constructeur établit un niveau polygonal avec arcades et quatre fenêtres qui vient s'interposer entre les trompes et la coupole. C'est exceptionnel en Bourgogne. Nous sommes alors en 1110/1115 et le Maître d'Œuvre va enfin s'affranchir de toutes contraintes. Il le peut désormais puisqu'il va substituer son œuvre à l'existant. D choisit alors de reproduire fidèlement ou presque le grand parti clunisien qui s'impose dans les abbayes voisines et ce sera une réussite.

Petite mais admirablement proportionnée, la nef de Semur en Brionnais est la seule œuvre d'inspiration clunisienne parfaitement conçue. C'est ce qui lui a permis de traverser les siècles sans reprise et sans contreforts malgré une destruction partielle de la grande voûte. Les bas côtés établis sur piles avec structures en croix et gros doubleaux brisés portent des voûtes d'arêtes de type cloisonné dont le sommet est à 7,20 m. Le deuxième niveau est garni d'une belle arcature profonde de 0,80 m, ce qui reporte le volume de maçonnerie vers l'extérieur sur l'arc virtuel contenu dans la voûte du bas côté. C'est une audace qui montre que le constructeur a parfaite­ment assimilé la technique du Maître de Cluny. Ce triforium profond est unique dans la généra­tion clunisienne. En troisième position, le niveau de fenêtres hautes ne compte qu'une ouverture par travée mais elle est de bonne taille. Enfin, l'ensemble était dominé par une grande voûte de profil brisé avec doubleaux à rouleaux. Elle fut malheureusement détruite dans un incendie et se trouve aujourd'hui remplacée par un lourd cintre qui masque l'oculus occidental.

Cette nef doit être achevée vers 1125/1130 et clôturée par la façade occidentale, très austère dans ses lignes mais enrichie d'un admirable portail en arc brisé où tympan et linteaux sont richement ornés avec un ensemble iconographique où l'on retrouve le Christ en majesté et les symboles des quatre Evangélistes. Cette image véhiculée par les ivoires carolingiens (trésor de Tournât) et par les miniatures, n'est jamais naturellement présente dans le monde rural. Elle représente la marque des grands courants apportés par l'ordre de Cluny. Par contre, le beau portail en plein cintre qui s'ouvre sur le plan Sud est lui, typiquement rural dans ses thèmes. Il fut probablement récupéré sur l'ancienne église et doit dater des derniers tiers du Xle s. Enfin, telle que nous l'avons située dans le temps, 1090/1130, cette campagne ne peut inclure le deu­xième niveau de la tour de la croisée qui est pour le moins de la fin du XIIe s.


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SEMUR EN BRIONNAIS

L'église de Semur en Brionnais offre un certain paradoxe. Au delà d'une nef admirablement traitée, à la manière du Maître de Cluny, se développe un ensemble oriental, transept et chevet, marqué d'archaisme. L'idée première consiste à voir deux campagnes distinctes menées d'Est en Ouest et l'analyse est la suivante. Après l'édification d'un chevet et d'une croisée par des artisans du lieu, et selon des options et coutumes empruntées à la technique locale, arrive l'esprit de Cluny sous la forme d'un bâtisseur instruit à l'école de l'ordre. Il réalise alors la croisée et l'admirable nef à quatre travées qui se développe à l'ouest. C'est l'opinion généralement admise mais le plan au sol est parfaitement homogène, ce qui est rarement le cas en pareil circonstance. Pour prendre en compte cette objection, nous pouvons imaginer l'enclenchement suivant : les parties orientales sont bien antérieures à l'arrivée de l'homme de Cluny mais celui ci doit reprendre un plan au sol déjà existant dans son volume et son alignement. Il n'a donc que le choix du traitement, pas celui de l'implantation. Il doit aussi intégrer dans son œuvre un beau portail d'inspiration locale récemment réalisé et qui se trouve dans la deuxième travée sud. Celui de l'ouest sera conçu et réalisé selon la marque de Cluny et exploite les thèmes véhiculés par les grands courants intellectuels de l'époque.


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Le Montet aux moines                     Semur en Brionnais

Parmi les édifices qui vont s'inspirer de l'œuvre du Maître de Cluny, le plus réussi est sans conteste la petite nef de Semur en Brionnais (1115/1130), Les bas-côtés, A, sont larges et leurs voûtes d'arêtes établies dans des arcs-brisés mettent en évidence le traitement cloisonné. Les deuxième et troisième niveaux, B et C, qui font 4,60m soit 0,6 du premier niveau, sont marqués par un triforium profond et par de grandes fenêtres hautes, F. Ils ont l'inertie suffisante pour tenir la grande voûte mais la répartition des masses n'est pas régulière, comme à Cluny III. Les structures très préférentielles sont confirmées par des contreforts au droit des doubleaux, G. Le volume perpendiculaire de lm x 1,80 x 4,60m de haut (à la base du doubleau) pèse 22 T. Si l'on ajoute les volumes hauts, H, ce sont 28 T. de maçonneries qui assurent l'épaulement d'un doubleau de 2,25m d'encorbellement. Sur les travées le rapport est plus faible mais l'épaisseur des murs, J, est encore de 1,15m, pour 2,60m d'encorbellement des voûtes. Ces excellentes proportions ont permis à l'édifice de traverser les siècles sans reprise et même de résister aux incendies du XVI s. Les voûtes actuelles sont de malencontreuses restaurations du XIXème s.
En opposition, la nef du Montet aux Moines, construite vers 1170.1190, montre la prudence extrême qui caractérise l'architecture bourguignonne fin de cycle. Les bas-côtés sont structurés d'ogive, K, mais triforium et niveau de fenêtres hautes ont disparu et la grande voûte brisée se trouve à 1,50m L, au-dessus des voûtes des bas côtés.M


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SAINT REVERIEN 35 km et 50° de Nevers

Sur les travées ouest, le curieux profil des doubleaux fait penser à un demi-berceau de contrebutement aménagé. C'est ce qui nous a permis d'imaginer une première élévation (A) modifiée pour s'harmoniser ensuite avec la facture (B) réalisée sur les trois travées majeures occidentales, mais l'élévation était sans doute antérieure.
La nef de Saint Révérien forme un ensemble homogène à trois travées .majeures alternées, mais dans les parties est, la zone naturellement réservée au transept forme trois travées mineures avec des supports disparâtes C'est la partie critique autour de laquelle les différentes campagnes se sont articulées. Le chevet est, lui, d'une toute autre facture. Il a été réalisé plus tardivement et raccordé au berceau existant, ce qui lui a valu un cul de four aveugle.


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Semur en Brionnais - porche occidental


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Semur en Brionnais - nef, élévation sud


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Semur en Brionnais, poterne


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Semur en Brionnais - tour de croisée


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Semur en Brionnais - voûte de croisée


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Semur en Brionnais - voûtes d'arêtes bas côté sud


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Semur en Brionnais - grandes voûtes de la nef