LE PARTI BOURGUIGNON AVEC VOÛTES D'ARRÊTES

Parmi les églises romanes de Bourgogne il en est qui se distinguent par des caractères architectoniques originaux : c'est le groupe entièrement voûté d'arêtes avec travées sur plan barlong (plan rectangulaire). Elles se situent géographiquement en deux groupes distincts. Trois sont au Sud de la province, vers le Brionnais : Anzy le Duc, Issy l'Evêque et Gourdon. Les trois autres, Avallon Pontaubert et Vézelay, se trouvent au contraire au Nord de la pro­vince dans le diocèse d'Auxerre. Ce choix de procédés lié à l'adoption d'un niveau de fenêtres hautes va déboucher sur un parti très homogène qui trouvera rapidement ses caractères achevés. Il se distinguera des grands courants provinciaux archaïques clunisien et cistercien.

Certes la composition se rencontre aussi dans le parti rhénan dérivé de la cathédrale de Spire mais, dans l'esprit comme dans le traitement, les deux écoles vont rapidement se séparer. Les constructeurs rhénans très attachés au dessin classique modifieront leur implantation au sol pour se plier aux impératifs des voûtes, tandis que les bourguignons choisiront de modifier le voûtement pour correspondre aux exigences des travées généralement rectangulaires. Cette démarche qui traite le procédé servira davantage la recherche architectonique et les voûtes du groupe Bourguignon pendront place dans la genèse des voûtes sur croisées d'ogive.

Certes, dans le groupe Bourguignon, toutes les réalisations ne donnent pas systématique­ment dans la recherche et la célèbre nef de Vézelay est, dans ses volumes comme dans ses rapports, très proche de l'abbatiale de Maria Laach dans le Eiffel. Mais, si les similitudes sont nom­breuses entre les deux nefs, c'est que chacune d'elles a fait un pas vers l'autre. Vézelay a fait un retour vers le classicisme et Maria Laach s'en est écartée.

Le plan requis par les voûtes d'arêtes classiques

Dans une nef où les bas côtés sont naturellement plus étroits que le vaisseau principal, le découpage en plan carré régulier exigé par les voûtes d'arêtes classiques est difficile à obte­nir. Les constructeurs du Kaiser Dom de Spire qui furent les premiers à aborder le sujet arrivè­rent très vite à la solution rationnelle qui consiste à doubler les travées des bas-côtés. Dans ce dessin, la nef doit avoir une portée double de celle des bas côtés et ces derniers qui forment alors un rectangle de 1 x 2 sont à découper en deux travées carrées.

Dans cette composition, la grande voûte qui représente la charge la plus importante, porte sur l'élévation une fois sur deux, c'est la travée que nous appellerons majeure, tandis que les voûtes des bas côtés qui portent, elles, sur une pile intermédiaire forment les travées mineures. En bonne logique, les piles correspondant aux travées majeures doivent être plus fortes que les autres; c'est ce qui donnera naissance aux élévations alternées, trait caractéristique des grandes cathédrales rhénanes.

Cette mise au point s'est faite en deux temps. Sous l'empereur Conrad III, vers 1040, la cathédrale de Spire est achevée dans sa première version. Les bas côtés sont déjà voûtés d'arête mais le vaisseau principal est encore couvert de charpente. Il n'y a donc aucune raison pour que le constructeur se soit soucié de la régularité du plan. La largeur interne de la nef était de 13,80m. et le pas des travées de 5,70m. Ainsi, vers 1078/1080. lors de la deuxième campagne engagée par l'Evêque Bennon, pour voûter le grand vaisseau, les bases n'étaient guère conformes aux conditions requises.

Le comportement mécanique d'une voûte d'arête.

Dans le temps où elle se comporte comme un monolithe reconstitué, la voûte pèse sur ses supports et n'engendre aucune poussée. Mais, dès rupture, la masse mise en œuvre va exercer une réaction sur les structures portantes. Dans le cas d'une voûte en berceau, généralement réalisée par travées limitées par des doubleaux, la rupture peut être partielle et n'engager qu'un secteur de voûte. Les effets ainsi mis en œuvre s'exercent sur une section équivalente de l'éléva­tion ; l'action est diffuse, il n'y a jamais de localisation. Ainsi, le Maître de Cluny qui maîtrisait parfaitement ce problème avait raison de miser sur l'homogénéité de l'ensemble et sur l'inertie des structures portantes.

Avec la voûte d'arêtes le problème est très différent. Prise à l'unité, par travées, elle repré­sente un ensemble portant sur quatre points; ainsi quand la rupture intervient, les réactions, s'exercent naturellement sur les bases, aux angles du système, au droit des doubleaux. Il faut alors un épaulement ponctuel, c'est le rôle du contrefort. Les constructeurs gothiques qui remplacent ce contrefort par une force antagoniste, l'arc boutant, iront au bout du raisonne­ment. Conscients que les murs n'avaient plus aucune fonction, ils les supprimeront pour les remplacer par de grandes fenêtres, véritables cloisons de verre dans un réseau de pierre, comme à la Sainte Chapelle de Paris.

A ce point, nous serions tentés de dire que le contrefort devait naître sur un édifice à voûte d'arête, mais c'est conclure bien vite. La travée est un tout. Il nous faut considérer les bas-côtés, les piles et enfin le problème des structures perpendiculaires ; alors seulement nous reviendrons au contrefort.


La Nef de Maria Laach (Eifel)                                               La Nef de Vézelay (Bourgogne)

5 travées édifiées dans une campagne d'ensemble                                                                             10 travées édifiées de 1120 à 1135/1140

menée de 1093 à 1150 (pour la nef 1100/1125 ?)

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Marquée par l'esprit des nationalités l'archéologie du XIXe s. a voulu faire de Maria Laach une œuvre typiquement germanique dérivée de la cathédrale de Spire, et de Vézelay une œuvre originale en Bourgogne. C'est méconnaître le contexte du Xle s. Toutes deux sont sans doute des œuvres fin de cycle issues d'un grand courant septentrional qui se développa entre Seine et Rhin et dont la composante Ouest « française » sera effacée par la génération gothique. La nef de Maria Laach mieux équilibrée que celle de Vézelay, s'est maintenue sans le secours d'arcs boutants.


Le comportement mécanique de la voûte d'arête

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La voûte d'arête constituée par la pénétration, à 90°, de deux berceaux plein cintre forme un ensemble qui porte sur quatre points. Le procédé permet d'ouvrir des fenêtres hautes sous la forme perpendiculaire, dans le volume des voûtes, ce que ne permet pas la voûte en berceau.

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Avec la voûte d'arête, la pile de travée reçoit les réactions composées de 2/4 de voûte et les effets se collectent sur les diagonales. Les 2 demi-berceaux de la voûte A engendrent les réactions r qui forment ensuite la résultante R, tandis que les réactions r' de la voûte B forment la résultante R*. La réaction finale est donc perpendiculaire à la travée.


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Rassemblés et comparés à la même échelle, les plans des édifices du groupe des voûtes d'arêtes illustrent un caractère constant dans le découpage : rectangle perpendiculaire pour la travée centrale et rectangle longitudinal pour les bas côtés. Seule la nef de Pontaubert se distingue avec une travée centrale pratiquement carrée. Ces voûtes d'arêtes hors du courant classique vont prendre des libertés avec le principe et déboucher sur une école originale et riche.


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Construite 30 années plus tard, la belle nef d'Anzy le Duc pourrait tenir toute entière dans l'énorme bas-côté de la cathédrale de Spire. Ce parallèle montre que la technologie romane n'est pas inexistante mais simplement mal diffusée parce que mal perçue. Celui qui a eu la chance d'acquérir la maîtrise et d'obtenir le programme et les moyens pour l'exprimer prend facilement un siècle d'avance,mais il n'a ni le langage ni la formulation technique nécessaires pour expliquer sa réussite. Les Maîtres ne font pas école.

Les constructeurs gothiques du XIIe s. ne seront pas mieux servis. Il faudra attendre le début du XIIe s. pour voir la technologie et les règles mécaniques bien transmises, donc bien formulées. Nous verrons que cette diffusion se fera à partir de quelques édifices sur une courte période de deux générations au plus et sans doute avec un petit nombre de Maîtres et d'Elèves.


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Le principe des voûtes classiques et les travées alternées

Les grandes basiliques septentrionales du XIe s., celles du Saint Empire, de Normandie ou bien celles qui seront réalisées en Angleterre par les conquérants Normands admettaient la couverture en charpente. Le constructeur n'avait donc aucune raison de rechercher le plan carré pour la travée majeure. À Spire, dans les aménagements de la fin du XIe s., le constructeur va plaquer des structures additionnelles sur la vieille élévation, ce qui lui fera gagner 1,20m sur la portée; mais la formule optimum consiste à décomposer la travée majeure en cinq plans carrés, les voûtes des bas-côtés (travée mineure) représentant le 1/4 de la grande voûte (travée majeure), comme à Worms.

Les piles cantonnées

Sur ces nefs bourguignonnes voûtées d'arêtes, l'élévation est établie sur des piles canton­nées formées de structures en croix avec colonnes engagées. Dans le groupe Sud, Gourdon, Anzy le Duc et Issy l'Evêque édifices qui semblent les plus anciens, les piles sont flanquées de trois colonnes engagées. Par contre, dans le groupe Nord, Vézelay, St. Lazare d'Avallon et Pontaubert, les piles cantonnées comportent quatre colonnes engagées.

Longtemps les constructeurs Furent prisonniers des coutumes. Quand les colonnes monoli­thiques qui formaient la parure des élévations basilicales vinrent à manquer, elles furent rempla­cées par des supports appareillés de même nature. Ces piles, cylindriques ou carrées ^réalisées en petit appareil seront d'abord graciles, comme à Farges, à Saint Vorles de Chatillon ou bien à Cluny I. Ensuite, par sécurité et pour répondre au poids des voûtes, elles grossiront comme à Chapaize et à Tournus. Dans un édifice de qualité, comme Cluny II, les trois travées orientales utilisaient des piles carrées d'un rapport de 1 x 4, tandis que les quatre travées occidentales utilisaient des piles cylindriques d'un rapport de 1 x 5. Mais tout cela dérive de l'élévation basilicale aménagée. Les voûtes et leurs doubleaux ne sont pas pris en compte dans le dessin des supports.

Une exception cependant à Cluny II. Les trois piles carrées des travées orientales com­portaient des contreforts engagés qui recevaient le doubleau de la grande voûte. Si ce procédé avait été repris à l'intérieur sur le bas-côté, nous aurions eu là les premières structures en croix, mais c'est peu probable. L'idée cependant ne doit pas tarder à germer et ces piles en croix nous allons les trouver quelques années plus tard sur la petite nef d'Uchizy, toute proche de Cluny.

Chronologie des procédés

En évoquant les contreforts, nous n'avons pas avancé de date mais nous nous sommes promis de reprendre le sujet. En effet, contreforts et piles cantonnées avec structures en croix sont liés, du moins au premier niveau; ainsi en joignant les deux analyses, nous avons quelques chances de mieux préciser la chronologie. Les piles appareillées, cylindriques ou carrées, héritées de l'élévation basilicale semblent finir leur carrière vers 1000/1030. Tournus, Chapaize, St. Vorles, sont de cette période et St. Désiré de Lons le Saulnier, l'une des dernières, doit dater des années 1040/1050;d'autre part les piles en structure croisée naissent peut être à Cluny II en 970, mais plus sûrement à Uchizy vers 1000/1020. Enfin cette petite église possède aussi des contreforts hauts et bas, bien caractérisés, et qui ne paraissent pas surajoutés. Ainsi le contrefort qui trouvera sa pleine justification face aux grandes voûtes d'arête semble issu des structures en croix qui, dans un premier temps répondait plus aux problèmes de coffrage qu'à celui des réactions mécaniques localisées. Si nous situons Uchizy en 1010/1020, soit 30/40 années après Cluny II, et si d'autre part nous plaçons Anzy le Duc, la plus ancienne du groupe des six, dans le milieu du siècle, soit 1050/1070, il nous reste environ quarante années 1020/1060 pour insérer la genèse des piles cantonnées et c'est précisément la période où se situe la cathédrale romane d'Auxerre qui doit pouvoir assurer la transition.