LE RUSTIQUE FIN DE CYCLE
Parallèlement aux grands programmes qui traitent avec des fortunes diverses les problèmes les plus ardus, se développe une architecture rurale où la modestie et la rusticité sont de rigueur mais ses petites églises de village ne sont pas archaïques pour autant. Les bâtisseurs qui en ont la charge sont instruits des techniques du temps, sans doute pour avoir pratiqué leur métier dans des équipes travaillant à des programmes majeurs et leur ouvrage en porte témoignage. Grâce à ces critères parfois subtiles, nous pouvons dégager un troisième et dernier groupe dans l'architecture rurale bourguignonne ; c'est le rustique fin de cycle. Sa période historique couvre une bonne partie du Xllème S. (1120/1180 environ) et les caractères d'identification sont de trois ordres.
Le programme d'abord. Il est rationnel, homogène et exprime dès le plan au sol une parfaite connaissance des problèmes qui seront rencontrés en élévation. Ce n'est plus l'œuvre avantureuse des périodes de transition. Le bâtisseur traite un parti qu'il a observé sur un modèle et dont les mérites furent sans doute confirmés par le temps.
Sur la composition avec nef et bas côtés, transept non saillant, et abside flanquée d'absidio-les qui s'imposent en majorité, le plan se rationalise. Croisée et abside s'harmonise avec la nef et les supports de l'élévation se trouvent alignés. Malgré la surcharge imposée par la tour clocher, les piles de la croisée sont identiques à celles de la nef et les absidioles prolongent les bas côtés pour former des vaisseaux parallèles homogènes. Enfin, l'articulation générale au sol exprime sans équivoque la maîtrise des structures et contreforts qui vont s'imposer dans l'élévation. Fino l'empirisme du Xème S. et l'incohérence du Xlème le bâtisseur sait maintenant, dès les fondations, comment il va pratiquer et pourquoi. C'est la marque des partis achevés.
Voyons maintenant les tendances qui s'imposent en élévation. L'abside et les absidioles sont les moins touchées par le mouvement. Les trois fenêtres de l'abside s'agrandissent et la face interne se garnit d'arcatures et de colonnettes, le procédé était déjà exploité dès le Xlème S. Il devient simplement plus soigné et assure maintenant sa concordance avec les contreforts extérieurs. Ces derniers ne sont plus des soutiens apportés à des absides en difficulté mais un élément de la structuration conçu et réalisé en harmonie avec celle qui règne à l'intérieur. Pourtant les absides restent sans conteste les parties les plus difficiles à dater. Entre l'abside de Chapaize et celle de Varennes l'Arconce, plus d'un siècle et demi s'est écoulé et seul l'esprit du traitement a changé.
L'évolution est beaucoup plus radicale sur la croisée. Son plan est devenu pratiquement carré ce qui donne aux croisillons la même largeur que la nef. En élévation, l'arc perpendiculaire occidental tend à s'aligner sur le berceau de la nef pour former un volume homogène et si la différence reste trop grande avec le cul de four de l'abside, nous trouverons une fenêtre sur le mur oriental de la croisée. Par contre, les croisillons ne cherchent pas à s'aligner sur ce niveau de la nef. Leur rôle est de recevoir bas côtés et absidioles et leur hauteur est souvent inférieure à celle du vaisseau central. A l'intérieur, sur la croisée, les arcs d'accès au croisillon tendant parfois à s'harmoniser avec celui de l'abside. Ainsi l'alignement systématique de toutes les voûtes croisée et cul de four compris, qui se pratique dans tous les édifices majeurs dérivés de Cluny III ne touche pas le parti rural.
Cette liberté dans les niveaux est permise par la tour clocher qui s'élève maintenant à la verticale des arcs et forme un gros volume carré susceptible de recevoir les larmiers des combles quel que soit leur niveau. La coupole sur trompes qui coiffe la croisée devient grande et haute. Ses réactions pourraient menacer l'ensemble mais le procédé cluniste avec « coiffe » légère et base lourde sur plan et volume polygonal brisé, réduit considérablement ses réactions. D'autre partt, les bâtisseurs ont radicalement abandonné l'esprit du monolithe reconstitué pour admettre les poussées. L'équilibre des niveaux se fait rationnellement, le côté le plus critique reste la face ouest où le cul fe four est franchement plus bas que le niveau des réactions de la coupole mais les qualités de la composition clunisienne sont telle qu'il n'y aura jamais de problème reconnu. Ce clocher qui s'aligne sur la largeur de la nef change de proportions. Finies les grandes envolées du Xlème S. Le volume est proche du cube avec de larges ouvertures et une couverture rationnelle en ôharpente sur quatre pentes.
Les croisillons qui trouvent maintenant une largeur égale à celle de la nef restent non saillants. Leur voûte engendre les mêmes réactions que celles du grand berceau sans toutefois bénéficier des mêmes conditions alors ils se limitent aux zones où l'épaulement est assuré par la présence des bas côtés et de l'absidiole. Aux angles, les contreforts qui se placent maintenant dans l'axe des murs avouent franchement leur fonction. Enfin, pour éviter les toitures débordantes toujours délicates, les tuiles où les lauzes se placent sous un larmier de pierres installé dans un pignon surhaussé.
Reste la nef, le morceau de bravoure des constructeurs. C'était le siège des problèmes les plus sérieux. Ils se trouvent maintenant résolus mais grâce à une considérable remise en cause. C'en est fini de la lourde voûte travaillant en monolithe reconstitué et posée sur des murs porteurs à faible inertie. Les constructeurs qui ont, à des degrés divers assimilés le procédé clunisien, admettent maintenant la résultante R émise par les pierres de parements travaillant en compression Ils construisent donc des coûtes légères à sections dégressives et parfaitement épaulées à la base. Mais comme ils se trouvent très vite limités côté voûte ils jouent la sécurité côté épaulement. La hauteur H qui sépare la base de la voûte du sommet des bas côtés, se réduit considérablement et les fenêtres deviennent fort modestes comme à MALAY parfois même ce niveau médian disparaît complètement et le vaisseau central devient aveugle comme à Varennes l'Arconce.
Dans cette démarche simpliste, les problèmes ne sont pas résolus mais supprimés et nous avons là sans doute la meilleure définition du ristique mais la question n'est pas dominée pour autant. Ces réactions qui naguère ruinaient le niveau médian, celui des fenêtres hautes, subsiste toujours. La contraction des maçoneries qui vont des voûtes d'arête aux bas côtés donne à l'élévation une plus grande rigidité mais elle est toujours pareillement sollicitée et le problème se trouve transféré au niveau inférieur. Il réside maintenant dans la « chaise » formée par le bas côté tout entier et plus précisément dans les fondations du mur extérieur qui peuvent être rongées par l'érosion alimentée par les ruissellements provenant des combles.
Ce dernier maillon de la chaîne, le plus faible, c'est celui que les bâtisseurs romans ont le moins bien aprehende mais c'est un mal qui chemine lentement et dont les caractères ne sont pas toujours évidents. Sur le rustique bourguignon cette base des murs extérieurs est traitée en grand appareil. C'est naturellement la première parade pour se protéger de l'action du gel. Les grosses pierres bien appareillées étant moins sensibles à son action que l'agglomérat de mortier. La seconde sera fournie par les contreforts perpendiculaires. Dans le cas des voûtes d'arête où les poussées sont bien localisées, la formule est excellente, mais la démarche rationnelle consiste à traiter le mal à sa base et non dans ses conséquences. Ce sera l'œuvre des constructeurs gothiques qui collecteront ces eaux de ruissellement pour évacuer hors des zones de fondations.
A cette évolution d'ordre architectonique nous pouvons ajouter une amélioration très générale du traitement mais ce critère n'est pas prépondérant.
Nous avons ainsi résumé les grandes lignes d'évolution qui caractérisent le parti rustique fin de cycle sur sa période historique qui va de 1120 à 1180 mais la synthèse à dégager doit naturellement considérer le contexte provincial et trois critères peuvent être pris en compte.
A la base nous avons les procédés établis de 1080 à 1110 par la Maître de Cluny. Ils sont naturellement présents et ce sont eux qui permettent de placer d'emblée un édifice de petites dimensions dans le rustique fin de cycle. Mais l'esprit architectonique est en dégénérescence et c'est un critère cadre qui ne peut en aucune manière donner une date plus précise. En second lieu, nous avons les formes et procédés qui caractérisent le parti des voûtes d'arêtes. Cette fois ils sont inclus dans une évolution ascendante qui couvre la période 1060/1160 et nous pouvons les exploiter en références, ce sont même les plus sûres.
Enfin, en dernière analyse, il faut considérer le contexte roman sur l'occident tout entier. En ce milieu du XIIème S., le mouvement s'accélère, les écoles provinciales ont choisi leur procédé, fixé leurs caractères et nous pouvons déjà observer des phénomènes d'interprétation. Mais le parti rustique restera fortement lié à son univers rural et très attaché aux caractères privinciaux, d'autant que l'architecture bourguignonne avait acquis une certaine avance et un réel prestige dès l'ouverture des échanges. Ainsi la province fût, par les centres monastiques exportatrice de procédés et n'importa que les voûtes sur croisée d'ogive venues du domaine anglo normand. Mais ce fut en son temps une technologie de pointe essentiellement nécessitée par les grands programmes avec portée supérieure à 10 et 12 m qui n'apportait rien au parti rustique rural.
Ce dernier répondant admirablement aux besoins des moyennes et petites communautés se prolongera fort avant dans le siècle et couvrira pratiquement tous les besoins ruraux. Ainsi le gothique de la*première moitié du XIHème S. est-il fort rare dans les bourgs et villages de la Bourgogne.
Mais la roue de l'histoire a tourné. Sur ce fond rural dense et riche mis en place par le premier cycle médiéval, c'est l'emprise des villes et le besoin des cathédrales qui va s'imposer. Ce sera le schéma de la seconde période qui se développera de 1150 à 1350.
Au XIIe s., à l'ombre de la grande abbatiale de Saint Hugues, le petit domaine clunisien du bassin de la Grosne cherche sa « contenance ». Pour les petites communautés de 600 à 1000 habitants, les plans du XIe sont toujours convenables,mais les Maîtres d'œuvre tentent d'assimiler à leur niveau cette prodigieuse évolution technique qui s'offre à eux. L'église de Malay illustre bien ce phénomène. Dans la nef, les travées deviennent longues, trois suffisent. Sur la croisée, bien implantée, le constructeur va reprendre la coupole clunisienne à secteurs et niveau d'assise, tandis que la tour devient largement ouverte. Par contre, à l'est, abside et absidioles ne changent guère. Seule la régularité du découpage rayonnant et la structuration rationnelle témoignent pour le XIIe s. Pour cette église nous donnerons une seule campagne réalisée de 1120 à 1140.
L'église de Varenne l'Arconce illustre bien le parti roman bourguignon dans son expression achevée, sur son palier final. Le plan comporte abside et partie droite, transept saillant et nef à trois vaisseaux de trois travées. La croisée respecte le volume de la nef et du transept et ses piles occidentales ne se distinguent en rien de celles de la nef. Ce sont des structures en croix avec seulement trois colonnes engagées comme il est de coutume dans le groupe auquel appartient Anzy le Duc.
En élévation, le berceau brisé avec doubleaux qui coiffe la nef est établi au niveau des voûtes des bas-côtés. Il n'y a donc pas de fenêtres hautes et les réactions éventuelles sont bien épaulées par les contreforts externes. Si tous les arcs de la nef sont brisés, ceux du transept et de l'abside sont en plein cintre, mais ce n'est pas un trait archaïque, c'est un choix architectural destiné à mettre les parties orientales en accord avec le cul de four. Il est très difficile de dater cet édifice de fin de cycle. Sur une période qui va de 1140 à 1180, nous choisirons les dates de 1150/1170 pour Varenne l'Arconce.