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La cathédrale du Mans
Nous n'avons aucun témoignage concernant le déplacement d'un siège épiscopal du V° siècle à l'an 1000 et nous pouvons raisonnablement estimer que les diverses cathédrales du Mans se sont développées sur le même emplacement et selon le même axe. D'autre part, les périodes de crise et de rémission que connaît la civilisation occidentale à cette époque, semblent être communes à l'ensemble des terres septentrionales, la province du Maine incluse. Nous pouvons donc envisager que les églises qui se sont succédées sur la Roche Blanche furent, comme toutes autres, tributaires de ces périodes. Certes les nouveaux programmes sont souvent conditionnés par un incendie, mais, lorsque les moyens font défaut, on restaure ou l'on refait à l'identique, tandis qu'en période faste l'ouvrage est repris selon un programme différent et généralement plus vaste. Nous pouvons donc résumer le cadre historique général de la manière suivante.
La première église-cathédrale voulue par l'agglomération haute doit dater de l'époque Mérovingienne. Sa structure est basilicale et ses dimensions modestes: longueur moyenne 50/55m et surface utile voisine de 1000 m2. Tel était l'ouvrage contemporain de Reims où Clovis fut sacré. Réalisé vers 500/600, l'édifice doit tenir tant bien que mal jusqu'à l'époque Carolingienne. Vers 800/850, l'œuvre est souvent reconstruite et parfois modifiée. Les narthex et les absides profonds que l'on trouve sur les grandes abbatiales d'empire font leur apparition sur les cathédrales mais c'est peu courant. Pour les villes situées hors du strict domaine Carolingien, les édifices conservent le plan ancien et dépassent alors 70 à 75m de long. Leur surface atteint 1200 à 1500 m2 utiles et la structure reste basilicale. Les campagnes suivantes ont souvent pour cause les destructions dues aux incursions normandes. Taille et plan ne changent guère mais les piles maçonnées font leur apparition dans les élévations. Enfin, vers l'an 1000, l'Occident connaît la blanche robe d'église dont Gerber témoigne. Les grands programmes atteignent 100m de long et 2.500m de surface utile.
La ville du Mans reçoit une cathédrale au standard de cette troisième génération vers le milieu du XI° siècle, mais l'ouvrage s'écroule en 1070.
La nef romaine
Aujourd'hui la cathédrale du Mans se présente avec une nef fin XI°, reprise puis voûtée au XII° et un grand chevet du XIII° dont l'implantation a franchi la vieille muraille du Bas-Empire. La nef de première facture comportait dix travées d'un pas moyen supérieur à 5,60m. La largeur du vaisseau central était de 12m à l'axe des piles et la largeur interne des trois vaisseaux proche de 24m. Les élévations très soigneusement réalisées étaient portées par des colonnes à tambours de 0,90m de diamètre avec un niveau de tailloir situé à 7,30/7,50m environ. Ceci devait donner des hauteurs sous entrait de 10,50m sur les bas-côtés et de 20 à 21m sur la nef. L'œuvre entièrement couverte sur charpente était éclairée par deux registres de fenêtres en plein cintre et le niveau du triforium comportait deux ouvertures hautes et étroites par travée. C'était un ouvrage bien fait mais de conception strictement basilicale et donc en net retard par rapport aux autres programmes contemporains qui se développaient alors en Normandie, en Bourgogne et sur la route de Saint-Jacques de Compostelle.
Cet archaïsme peut s'expliquer. Après l'accident survenu en 1070 l'évêque Arnaud, en charge du diocèse, entreprend un vaste programme qui comporte, nous disent les textes, un chevet avec déambulatoire, un transept et deux tours mais il n'est pas question de nef. Nous pouvons donc imaginer que celle-ci ne figurait pas au chapitre des constructions nouvelles mais fut rapidement restaurée de 1070 à 1075, afin d'offrir un volume à l'exercice du culte. Précisons l'hypothèse.
Dans la première nef du XI°, probablement aussi vaste que l'ouvrage actuel et rapidement réalisée de 1040 à 1060, l'élévation porte sur de vieilles colonnes monolithiques datant de l'époque romaine mais elles ne sont plus à l'échelle de l'œuvre nouvelle et c'est un chapiteau plat qui assure la transition entre la section de colonne et la retombée d'archivoltes. Le rapport peut atteindre 1 à 10 et c'est d'une extrême fragilité. Au Mans, ce sont ces supports qui vont lâchent et les élévations s'écroulent. Afin d'abriter les offices, les travaux reprennent aussitôt côté transept, selon un parti conforme à l'époque et semblable aux réalisations vues en Normandie. L'ouvrage comporte de bonnes piles rectangulaires flanquées de trois colonnes engagées, deux pour les archivoltes à double rouleaux et une pour le doubleau du bas-côté voûté d'arêtes. Côté nef, une pile engagée doit filer jusqu'aux combles et le vaisseau central n'est pas voûté. La première travée est ainsi traitée mais le projet semble trop long à réaliser. Le Chapitre décide alors de reprendre l'élévation de manière basilicale, avec les piles rondes que l'on voit aujourd'hui. Dans ce cas, les parements externes des bas-côtés sont toujours ceux de la campagne 1040/1060.
Cette nef rapidement refaite de 1070 à 1080 sera reprise au XII°. Les bas-côtés sont dotés de voûtes d'arêtes et le vaisseau central reçoit des voûtes sur croisées d'ogives, de profil bombé. Pour cela, l'élévation fut transformée avec une pile forte sur deux. Ces aménagements ont totalement modifié l'œuvre et les structures du XI° ne représentent guère plus que 10% de l'ouvrage. Pourquoi le constructeur s'est-il astreint à conserver si peu une construction réputée fragile?. La question fut posée et l'interprétation généralement admise est la suivante: l'ouvrage sera traité en deux campagnes distinctes. La première menée au début du siècle, vers 1110/1120, portera sur l'aménagement des bas-côtés et la seconde réalisée, vers 1140/1160, permit l'installation des grandes voûtes. C'est une explication apparemment logique. Elle place les deux systèmes de voûtement dans leur époque et explique également la sauvegarde de l'élévation primitive lors de la campagne de 1110/1125.
Les premiers travaux d'aménagement porteront sur les bas-côtés. Les aplombs externes sont conservés et le parement interne repris en surcharge avec une belle arcature en partie basse ponctuée de piles et colonnes engagées destinées au doubleau. La fenêtre ne bouge pas mais son embrasure est refaite. Le constructeur envisage de voûter la nef. Pour ce faire, les supports sont repris en alterné: une pile rectangulaire de 2,40m X 1,52m flanquée de quatre colonnes engagées et de quatre colonnettes aux angles du volume rectangulaire remplacent une fois sur deux les supports du XI°. La disposition privilégie l'inertie perpendiculaire et peut donc, avec des formerets adéquats, livrer un plan de voûte parfaitement carré.
Ces supports alternés imposent sur les bas-côtés des doubleaux de portée différente et les voûtes d'arêtes sont irrégulières. A l'extérieur, nous trouvons des contreforts alternés qui doivent dater de cette première campagne.
La disposition sous entend un projet de voûtement sur la nef, dès 1110/1115, mais selon quel procédé?. C'est la voûte d'arêtes qui vient naturellement à l'esprit, mais les 12m à l'axe de la cathédrale du Mans, étaient alors à la limite du possible. Nous avons certes 10,80m à Vézelay mais les proportions choisies impliquent des risques et la grande nef fut sauvée grâce à des arcs-boutants. Nous pouvons citer également les belles voûtes bombées du Kaiserdom établies avant 1100 sur une élévation dont l'entraxe primitif était supérieur à 15m mais ces filiations sont peu probantes. Voyons plutôt la démarche qui fut sans doute menée par les constructeurs de l'Ouest.
En ce début du XII° siècle, le traitement des voûtes d'arêtes est en constante évolution et la période 1110/1130 est le temps de la grande mutation. Au procédé archaïque fait de blocage où l'objectif était d'obtenir un monolithe reconstitué, succèdent des réalisations beaucoup plus élaborées avec parements internes sommairement appareillés et blocage d'extrados d'épaisseurs très variables. Mais dans ces réalisations légères, les zones de contrainte qui suivent les arêtes engendrent des ruptures et pour parer au phénomène les constructeurs s'orientent dans deux directions. Les uns choisissent le volume bombé qui élimine pratiquement les arêtes et diminue donc les contraintes ponctuelles. Les autres, au contraire, renforcent ces zones critiques avec des nervures en croix. Ce sont les premières croisées d'ogives.
Vers 1115/1120, ces deux options s'offrent au maître du Mans et tout semble indiquer qu'il choisit la voûte bombée à la manière bourguignonne mais l'entreprise paraît trop risquée et les responsables de fabrique mettent le chantier en attente. Vingt à vingt cinq années plus tard, un nouveau maître propose une solution de synthèse où le volume bombé est exploité mais avec des nervures en croix, à la manière normande. Cette fois le projet est jugé viable et les travaux commencent. Les constructeurs de la vallée du Rhin feront la même démarche avec, peut être, quelques années d'avance. La première réalisation du genre se trouve sur la partie droite de l'abside orientale de Worms et peut dater des années 1135/1138. Le traitement demeure très archaïque mais l'idée est bien présente.
Avant de clôturer ce chapitre, voyons une autre hypothèse. Au XIX°, Viollet le Duc nous livre une restitution de la première nef du Mans exploitant le témoignage de la pile orientale et ce dessin fera école. L'ouvrage est donné avec les bas-côtés voûtés d'arêtes et une élévation sur piles cantonnées, semblables à celles qui subsistent sur la première travée Est. Les grandes voûtes actuelles restant naturellement un aménagement du milieu du XII°. C'est une hypothèse difficile à soutenir. Si les piles fortes contemporaines peuvent aisément se concevoir en reprise sur les supports anciens, il est impossible de remplacer le support cantonné par l'actuelle colonne à tambour sans démolir une bonne part du doubleau et de la voûte dont le traitement en blocage ne se prête absolument pas à ce genre de bricolage. L'hypothèse d'une reprise complète de l'élévation est également à exclure, les voûtes d'arêtes ne l'auraient pas davantage permis et nous avons conservé les traces des anciennes arcatures en plein cintre dont le dessin correspond parfaitement aux piles à tambours.
Les grandes voûtes de la nef
Les grandes voûtes du Mans vont engager une reprise complète du niveau supérieur. Les nouvelles fenêtres d'une taille égale ou supérieure aux anciennes sont maintenant installées côte à côte pour mieux s'intégrer sous les formerets. Ces derniers sont légèrement plus hauts que le doubleau, sans doute pour ne pas interférer avec les claveaux des fenêtres, mais le principe de la voûte permet quelques libertés de ce genre. Ce formeret peu caractérisé s'appuie sur un bandeau qui surmonte l'arcature nouvellement plaquée à l'étage du triforium. Pour trouver l'épaisseur nécessaire, le constructeur a triché avec l'aplomb du parement; ainsi nous pouvons nous demander si ces belles arcades en plein cintre dont nous voyons le rouleau supérieur sont bien celles d'origine ou bien une restitution pour le principe.
Les colonnettes qui flanquent la pile forte de noyau rectangulaire sont réservées à la retombée des ogives. Le doubleau se place, lui, sur la colonne engagée établie à son usage. Les exigences architectoniques des voûtes sur croisés d'ogives sont pratiquement celles des voûtes d'arêtes.
Les grands doubleaux de la nef du Mans sont de profil légèrement brisé, en dessous du tiers point. Disposés en simple rouleaux, les claveaux sont de bonne taille, bien ajustés, sans mouluration. Les croisées d'ogive sont en plein cintre, légèrement irrégulier. La faible brisure du sommet n'était sans doute pas programmée. Là également les claveaux sont soigneusement appareillés mais moulurés. Au pied de voûte ils sont traités distinctement des arcs de cloisonnement, formerets et doubleaux. Ce sont les maîtres d'Ile de France qui, les premiers, vont lier l'appareillage des diverses nervures sur le pied de voûte. Pour cela il faut appareiller au minimum sur deux plans et l'opération est délicate. Ce sera systématique dans les voûtes du XIII°.
Les voutins qui s'intègrent dans les secteurs ainsi formés sont en appareillage rigoureux et ce sont peut être les premiers ainsi traités. Face au blocage qui régnait à la période archaïque, ce nouveau mode de traitement chemine lentement. On le trouve d'abord dans les régions où les pierres issues de carrière en strate s'y prêtent naturellement. Les voûtes de Saint-Martin du Canigou et du narthex de Tournus sont réalisées de cette manière, dès l'an 1000 mais le procédé reste exceptionnel. Ce sont les Clunisiens qui, les premiers, vont l'exploiter de manière systématique sur les grands berceaux brisés mais la régularité des moellons qui forme la coquille interne demeure médiocre. Les parties supérieures sont maintenues brutes pour bien s'accrocher dans le blocage d'extrados et de grosses irrégularités dans les joints impliquent souvent un lissage au mortier de chaux sur la face interne. Cette belle finition d'intrados est relativement fragile et sa durée de vie n'est pas garantie mais cela ne nuit aucunement à la tenue de la voûte. Les maîtres du XII° vont développer le procédé à l'intérieur des croisées d'ogives et les rangs de claveaux seront montés à partir du pied de voûte. La progression se fait donc en huit secteurs, sur une croisée d'ogives déjà en place. Cependant, les gabarits qui servent à la préparation des rangs de claveaux ne corrigent pas suffisamment l'effet de courbe imposé par le développement du grand arc perpendiculaire. Ainsi, au sommet de chaque voûtain le plan de liaison dessine une fente en ellipse qu'il faut combler; c'est un trait d'archaïsme que l'on retrouvera longtemps.
Dans ce mode de traitement la coquille interne en appareillage rigoureux travaille en compression tandis que le blocage d'extrados, qui se développe à partir du pied de voûte pour s'atténuer et disparaître au sommet, assure la rigidité. Le procédé mis au point dès 1120/1130 sur des travées de bas-côtés sera ensuite exploité en grande voûte. C'est ce traitement des voutins, plus que la croisée d'ogive, qui va permettre la grande mutation du XII°.
Les voûtes de la nef du Mans, ainsi que celles de Saint-Maurice d'Angers, sont les deux premières expériences parfaitement réussies et leur édification se situe sur la même période. Mais qui fut l'inventeur?. Le maître du Mans où le procédé prend la place d'une voûte d'arête à haut risque ou celui d'Angers qui installe la même composition sur une base compatible avec la coupole? Nous accorderons la palme au maître du Mans. Ce sont les problèmes les plus critiques qui justifient les innovations les plus hardies. Ainsi ce procédé qui fera carrière sous le nom de voûte angevine est né dans le Maine.
Le transept
Après l'achèvement du grand chevet gothique du XIII°, le transept de la cathédrale du Mans sera entièrement repris et flanqué d'une puissante tour à l'extrémité du croisillon sud. Mais cette campagne tardive menée de 1310 à 1430 reprenait un volume d'origine romane de 52m x 10m déjà aménagé au XII°. Sa décomposition en cinq travées approximativement carrées avaient permis le voûtement de l'ensemble vers 1160/1175.
A l'origine, ces transepts de très grande envergure formant un volume étroit et haut sans aucune structuration venaient clôturer les vastes nefs basilicales avec bas-côtés larges. Vers le milieu du XI° siècle, les murs de ces vaisseaux perpendiculaires très fragiles sont décomposés en plan carré et structurés de contreforts avec parfois des arcs diaphragmes à la croisée. Le plan ainsi obtenu permet l'édification d'une tour lanterne. Ce découpage correspond toujours à des ensembles non voûtés.
Dès que les chevets de l'Ecole de Tours remplacent les grandes absides en hémicycle de l'an 1.000, l'impact de ces nouvelles compositions ne correspond plus avec le découpage du transept et le phénomène se confirme sur la face occidentale avec les nouvelles nefs à bas-côtés étroits et voûtés. D'autre part, sur des programmations beaucoup plus modestes, les constructeurs envisagent un voûtement systématique et les plans au sol se modifient. Sur le transept, deux travées rectangulaires viennent en flanquement de la croisée afin de s'aligner sur le bas-côté et le déambulatoire. Les travées d'extrémité demeurent de plan carré et reçoivent des chapelles orientées. Ce vaisseau perpendiculaire d'une envergure réduite reçoit alors quatre doubleaux et des voûtes en berceau.
Les Normands adopteront également ce plan mais avec le chevet dit Bénédictin. Vers 1040, nous trouvons ce dessin au transept de Bernay avec des travées de flanquement alignées sur les collatéraux mais elles ne sont pas mises en évidence. Elles le seront au Mont-Saint-Michel vers 1050 mais avec une certaine maladresse et c'est Jumièges qui, pour la province, fixe le dessin nouveau. Nous pouvons donc estimer que le transept de très grande envergure formé de cinq plans proches du carré cesse d'être en conformité avec les programmes vers 1060/1070.
Au Mans, l'édifice qui va s'écrouler en partie vers 1070 possédait naturellement un transept, sans doute légèrement antérieur à la nef et dont nous pouvons situer l'édification, vers 1035/1040. C'est lui qui fixera le volume de 52m X 10m constamment préservé dans les campagnes ultérieures. A son sujet nous pouvons faire référence au plan de la première abbatiale de la Trinité de Vendôme entièrement achevée en 1040 dont le transept, toujours inclus dans l'ouvrage gothique, fait 7,40m de large pour une envergure de 32m. L'ensemble est plus modeste mais les rapports sont satisfaisants. Le plus vaste transept de la Haute Epoque dont nous avons conservé l'enveloppe est celui de Saint-Hilaire de Poitiers, 42m X 12m mais cette fois les rapports sont différents.
Pour la cathédrale du Mans, la filiation la plus satisfaisante et la plus simple est celle que nous pouvons faire avec la grande abbatiale voisine de La Couture mais son histoire est mal fixée. Au début de ce siècle, Lefèvre-Pontalis et Deshoulières, tous deux apôtres fervents de l'Ecole de Tours ont daté l'ouvrage du temps des abbés Sigefroid et Gauzebert, soit des années 990/1010, mais les plus anciennes parties conservées, notamment le déambulatoire doté de voûtes d'arêtes cloisonnées avec doubleaux régulièrement alternés, sont totalement incompatibles avec cette datation. Ce chevet avec trois chapelles rayonnantes qui intègre de très larges bas-côtés sur sa partie droite comme à Fontgombault viendra remplacer l'abside primitive au début du XII° et c'est lui qui justifiera la création de la croisée avec tour lanterne. Enfin l'enveloppe de la nef formée de trois vaisseaux étroits (moins de 16m de largeur interne) et qui comportait sans doute des tribunes peut, elle aussi, être datée de la fin du XI°, début XII°. Par contre, le vaste transept de 8m de large pour 41m d'envergure, ultérieurement structuré en cinq plans carrés a sans aucun doute figuré au programme de l'an 1.000. C'est lui qui semble inspirer le constructeur de la première cathédrale du XI° mise à mal par l'accident de 1070.
Nous allons résumer ainsi: le vaste transept est mis en place vers 1040/1050 et la campagne s'achève avec l'édification d'une nef très légère. Cette nouvelle cathédrale s'écroule en partie en 1070. Ce qui peut être rapidement restauré est rendu au culte mais une nouvelle campagne est entreprise par le chevet. Les travaux commencés vers 1071 atteignent le transept vers 1080 et s'achèvent vers 1093/1095. Cette campagne a permis de réparer l'élévation du transept et sans doute d'élever une tour lanterne mais les croisillons nord et sud demeurent sans structuration. C'est au XII° siècle, vers 1165, après l'achèvement des grandes voûtes de la nef que le berceau perpendiculaire est décomposé en cinq travées proches du carré et doté des nouvelles voûtes expérimentées sur la nef. C'est donc cet ouvrage récent et robuste qui bloquera le grand chevet XIII° et imposera les gauchissements que nous avons déjà signalés. Enfin, l'ultime campagne de 1310 à 1430 démolira les voûtes du XII°.
Le chevet roman
Viollet le Duc fut le premier à fixer une hypothèse sur le chevet roman. Pour lui, le problème était simple. Les textes traitaient d'une abside et d'un déambulatoire mais pas de chapelles rayonnantes. Il dessine donc une vaste abside sur un entraxe de 12,50m, nécessairement couverte sur charpente, et l'entoure d'un étroit déambulatoire voûté. Cet ouvrage qui devait marquer le début de la campagne entreprise en 1072 peut être daté des années 1075/1080. Cependant le plan proposé est totalement étranger à la région. On le retrouve certes à Jumièges, en Normandie, mais son domaine d'élection se trouve en terre septentrionale et son implantation au Mans paraît peu crédible.
Nous sommes dans le Maine et sans tomber dans le "chaudron" de l'Ecole de Tours, où l'on se fait persuader que la quasi totalité des chevets d'Occident dérivent de la grande abbatiale des bords de Loire, nous pouvons admettre que la composition avec déambulatoire et chapelles rayonnantes est parfaitement concevable à la cathédrale du Mans. D'autre part, Chartres n'est pas loin et la prestigieuse cathédrale de Fulbert, avec ses trois chapelles profondes, a sans doute engendré une filiation. Enfin, dernier argument, l'abbatiale proche de La Couture possède également un chevet à grand développement. Ainsi, sans condamner l'hypothèse de Viollet le Duc, nous opterons pour une composition de ce genre à la cathédrale du Mans, mais en cette seconde moitié du XI° siècle, le parti est loin d'être fixé.
De manière stricte, la filiation du chevet de Saint-Martin de Tours se développe comme suit. L'original a disparu et le plan livré par les fouilles permet les interprétations les plus diverses. L'abside, dont l'entraxe était légèrement supérieur a 10m, n'était sans doute pas voûté en l'an 1000. Ensuite, la plus ancienne réplique connue est le chevet de la Trinité de Vendôme édifié vers 1025/1030, lui aussi disparu, mais dont nous connaissons le plan. La largeur à l'axe du sanctuaire tombe à 9,50m et son voûtement demeure incertain. En seconde position nous pouvons placer le chevet de Saint-Savin sur Gartempe, édifié vers 1060. Ici l'entraxe du sanctuaire descend à 7,80m et l'ouvrage était voûté mais le traitement d'origine, sans doute aveugle, a disparu. L'actuel hémicycle n'est pas sur le même axe que la couronne de chapelles et toutes les parties hautes furent reprises au XII°. En troisième position, nous pouvons placer Saint-Martial de Limoges, vers 1060/1065 où l'entraxe du sanctuaire revient à 9,60m. Ce fut sans doute le premier doté d'une voûte en cul-de-four avec une couronne de petites fenêtres à la base. Ensuite vient le chevet de Saint-Sernin de Toulouse édifié vers 1075/1080 où l'entraxe est également de 9,60m et cette fois le cul-de-four se distingue du niveau des fenêtres hautes. Enfin, la lignée du XI° a cinq chapelles se termine avec Saint-Jacques de Compostelle où le chevet commencé vers 1080/1090 était apparemment la réplique de celui de Saint-Sernin avec un entraxe toujours inférieur à 10m. Tous ces chevets ont bien entendu cinq chapelles rayonnantes séparées par des travées intermédiaires, mais nous ne voyons là rien qui puisse convenir à la cathédrale du Mans où l'entraxe, pris en compte par la structuration de 1160/1180, faisait 12,50m. Pour un programme de ce genre, un chevet a trois chapelles rayonnantes profondes de l'Ecole de Chartres paraît plus plausible avec, naturellement, un sanctuaire non voûté.
La composition de Fulbert a franchi la Loire. Nous la retrouvons à Saint-Pierre de Chauvigny, vers 1060, avec trois chapelles sur un angle très ouvert (148°) mais surtout un découpage rayonnant pratiquement régulier, bien que le voûtement en berceau annulaire ne l'imposait pas. L'entraxe est de 6,35m. Cette présence en Poitou que l'on retrouve à la fin du XI°, au Montierneuf, avec trois chapelles sur 132° dérive sans doute d'un modèle illustre aujourd'hui disparu, et l'ouvrage de référence peut être le chevet de la cathédrale romane de Poitiers, reconstruit vers le milieu du XI°.
Cependant, les investigations les plus intéressantes nous mènent en Normandie, à Rouen, où la cathédrale connaît une évolution comparable à celle du Mans. Dans la métropole de Basse-Seine, la nouvelle nef réalisée de 1030 à 1045, par l'archevêque Robert, et dont l'abbatiale de Saint-Alban en Grande Bretagne est sans doute la réplique, débouche alors sur un vaste transept sans structuration avec probablement une abside en hémicycle, non voûtée. C'est elle qui va laisser place de 1050 à 1070, au chevet à grand développement dont nous connaissons la crypte. L'ouvrage comporte trois chapelles rayonnantes sur 143°, un déambulatoire de largeur moyenne, 4,30/4,50m, et un sanctuaire très vaste, sur un entraxe de 12,50m, naturellement non voûté. La nef programmée par Robert ne devait pas dépasser 11m à l'axe et cette différence d'alignement sera conservée lors de la campagne gothique. En 1072, le nouveau chevet de Rouen constituait donc un excellent modèle pour le programme du Mans où l'entraxe de l'ancienne abside était également de 12,50m. C'est la proposition que nous ferons.
En cette fin du XI°, les mutations qui doivent mener le chevet à grand développement à son stade achevé se précisent. Les chapelles ne changent guère et le cul-de-four classique reste lié à une voûte en berceau. Mais sur le déambulatoire le berceau annulaire laisse place à la composition de transition où les formes en pénétration plus caractérisées se joignent et constituent l'amorce d'une voûte d'arête. Cependant, la régularité du découpage rayonnant qui n'avait jusqu'alors aucune importance, est bien souvent négligée dans l'implantation au sol. Ces amorces de voûtes sont donc très irrégulières, il faut mettre en concordance les supports de l'hémicycle et les points de retombée qui s'installent sur le mur périphérique et c'est sur ce dessin maintenant satisfaisant que les doubleaux sont installés. La voûte d'arête archaïque devient cloisonnée, ce sera l'ultime mutation qui correspond à la fin du XII°, de 1090 à 1110, et dans ce domaine, le parti de Chartres, avec trois chapelles rayonnantes semble prendre alors une réelle avance sur celui de Tours. Auvergne et Limousin qui en sont tributaires ne franchiront jamais le second seuil. Pour le chevet du Mans nous proposerons donc la composition de transition avec voûtes d'arêtes irrégulières et support très caractérisé sur la périphérie, mais le sanctuaire demeure couvert sur charpente.
Le transept
Le vaste transept du Mans devait sans aucun doute recevoir également deux chapelles orientées et les arrachements reconnus au XIX°, à l'angle nord-est en témoignent. Viollet le Duc les exploite pour restituer deux vastes ensembles en hémicycle non voûtés mais il s'agit là, sans doute, de chapelles liées au programme ruiné en 1070. A cette époque, une grande abside de même nature formait sanctuaire. Les parties orientales de la cathédrale constituaient alors un ensemble très proche de celui que Deshouliéres propose pour Saint-Hilaire de Poitiers, en 1049.
Les textes font mention aussi de deux tours qui auraient été tardivement achevées. Nous pouvons les imaginer aux angles du chevet, mais la présence de la tour sud et de bases suffisamment puissantes en flanquement du croisillon nord permettent également de les voir en cette situation. C'est l'hypothèse la mieux argumentée et nous l'adopterons. Cependant, s'agit-il de l'œuvre du XI°?. A cette époque elles sont sans fonction tandis qu'elles se justifieraient au XII° en épaulement des voûtes et pour l'accès au volume sous combles.
Le chevet du XIIIe
Mis en chantier au début du XIII°, le chevet de la cathédrale du Mans ne saurait s'intégrer au courant majeur qui s'impose alors de Soissons à Reims et Beauvais. Cependant, la date de commencement des travaux située vers 1217, et que les parallèles architectoniques semblent confirmer en tout point, le place au cœur de cette période faste où les plans et procédés nouveaux se découvrent et s'affirment. Les filiations sont donc bien délicates à proposer. En vertu de notre règle, souvent énoncée, qui dit que le premier mérite d'un édifice est de tenir debout et que les amateurs d'art peuvent ensuite disserter à loisir et sans risque sur les vertus des formes, nous allons tenter de situer le chevet du Mans dans le contexte du temps.
Le contexte architectonique
La nouvelle oeuvre du Mans va franchir la muraille du Bas-Empire et une bonne part des fondations de l'hémicycle s'inscrit hors les limites de la Roche-Blanche. Il faut un remblai considérable, et sa réalisation va demander un certain temps. Le niveau supérieur doit être obtenu vers 1219 mais comme ces fondations constituent un radier, il faut nécessairement prévoir des pyramides appareillées pour assurer la répartition des charges ponctuelles. Le dessin au sol du nouveau chevet doit donc être fixé très tôt, nous dirons dès 1220. Quelles sont les réalisations en cours à cette époque?.
Les chevets du XII° ont respecté le plan avec déambulatoire et cinq chapelles rayonnantes accolées. L'origine du dessin peut remonter à la cathédrale de Troyes construite par l'évêque Millon de 980 à 1000 et la composition est sans rapport avec l'Ecole de Tours où les cinq chapelles sont séparées d'une travée intermédiaire. C'est ce dessin qui sera repris par l'architecture romane et nous ne trouvons que de rares exceptions à la règle: Chambon-sur-Voueze, Melle et Airvault.
En région septentrionale, les élévations font la synthèse entre les deux partis qui ont présidé à la genèse de la composition: chapelles profondes avec grand triforium et niveaux supérieurs accessibles mais non voûtés (Sens, Saint-Germain des Prés et Saint-Denis probablement) et des ensembles avec niveaux de tribunes voûtées où de petites chapelles apparaissent comme des additifs, (Saint-Germer de Fly, Senlis). Ensuite, les constructeurs reviennent aux trois niveaux mais ils restent fidèles aux plans du XII° avec cinq chapelles liées, et les hémicycles demeurent réguliers avec un doubleau perpendiculaire sous la clé.
D'autre part, nous trouvons quelques ensembles avec déambulatoire et tribune voûtée mais sans chapelle rayonnante, comme les croisillons de Tournai et de Soissons, ou le premier chevet de Laon, et c'est sans doute ce parti qui va engendrer le plan à double déambulatoire. Mais, dans ce cas, le découpage rayonnant, qui doit faire face à la multiplication des travées, devient délicat. Le maître de Paris qui vient d'abandonner le puissant doubleau de clôture régnant précédemment se sort relativement bien de ces difficultés multiples mais c'est à Bourges que l'on trouve le dessin rationnel vers 1203/1205. Aux treize travées rayonnantes externes mal réparties de Paris, succèdent quinze travées régulièrement disposées, et c'est alors le meilleur dessin disponible avec double déambulatoire.
La première composition a sept chapelles, double déambulatoire et sanctuaire hors axe, se trouve à Chartres mais c'est un aménagement réalisé dans des structures existantes et la chronologie des travaux est incertaine. Si nous admettons l'hypothèse de M. Couturier, qui semble se confirmer à l'analyse des parties basses, les reprises menées sur l'ensemble de la cathédrale de Chartres, dès 1195, s'élèvent rapidement. Le premier niveau qui néglige momentanément les croisillons et enveloppe les structures du XI°, atteint les voûtes vers 1208/1210. Là se pose le problème du découpage interne. Comme les trois chapelles profondes de Fulbert ont été liées par quatre chapelles intermédiaires, le dessin donne maintenant sept travées rayonnantes et la préservation du sanctuaire ancien a engendré un double déambulatoire. C'est la composition générale que l'on retrouve au Mans, mais les différences demeurent considérables et la filiation directe très aléatoire. Nous dirons que les dispositions développées à Chartres étaient présentes à l'esprit du constructeur du Mans, sans plus. Par contre, le plan du doubleau de clôture de Fulbert, déjà fixé par les aménagements bas, donne un hémicycle prolongé de trois pieds environ. C'est une disposition appelée à un riche avenir puisqu'elle conditionne le système de voûte auto-stable.
A la même époque, le maître qui travaille sur le chevet de Saint-Etienne de Caen, reprend le parti de Pontigny et installe sept chapelles rayonnantes contiguës autour de l'ancien sanctuaire mais sans double déambulatoire et son découpage demeure sur axe. Ce n'est donc pas une source d'inspiration pour le programme du Mans.
La filiation Bourges - Le Mans
Il y a loin du second déambulatoire de Chartres pratiquement intégré aux chapelles intermédiaires et celui du Mans parfaitement dessiné, et la filiation de ce dernier avec Bourges s'impose. Le plan de découpage est identique. Le premier déambulatoire est coiffé d'une voûte classique tandis que le second reçoit alternativement un plan rectangulaire et des secteurs triangulaires. Ces derniers donnent sur deux fenêtres à Bourges et une seule au Mans, mais c'est la conséquence logique du découpage: cinq travées à Bourges et sept au Mans, donc un secteur de moindre ouverture. Le dessin est différent mais la règle de découpe demeure la même.
Reste la différence apparemment fondamentale. Le Mans possède des chapelles rayonnantes et Bourges en est dépourvu, mais l'argument est-il sans appel?. Si Le Mans avait été conçu comme Bourges, avec des ouvertures pour petites chapelles en poivrière, avant de recevoir en reprise les ouvrages profonds que l'on voit aujourd'hui, la filiation serait satisfaisante?. A l'origine, ces petites chapelles en poivrière sont installées sur les énormes contreforts imposés par la galette de fondation. Il suffisait ensuite de les englober de reprise en escarpe pour obtenir l'assise des ouvrages profonds que l'on voit aujourd'hui, la chapelle axiale prévue beaucoup plus longue donnera l'occasion d'ouvrir une crypte vers 1225/1228.
A l'appui de cette hypothèse, nous ferons remarquer qu'il n'existe aucun autre chevet du XIII° où les chapelles rayonnantes sont séparées par des travées intermédiaires, et cette originalité a nécessairement une cause, d'autant que ces chapelles se développent sur un hémicycle admirablement dessiné.
Après l'ébauche de Chartres (sur plan circulaire), la fixation du plan polygonal à Soissons, vers 1205, et malgré le retour à la composition du XII° effectuée par Jean d'Orbet à Reims, vers 1220, le nouveau plan du XIII° avec sept chapelles rayonnantes établies hors axe peut se fixer. Il prend forme simultanément à Beauvais et au Mans sur la courte période qui va de 1222 à 1228 mais l'innovation est à mettre au crédit du constructeur du Mans. Certes son vaste plan ne comporte pas de culées pour les arcs-boutants et c'est apparemment surprenant. Mais en ce début du XIII°, la formule du double déambulatoire étagé doit être considérée comme l'anti-thèse du parti dominant qui se développe en Ile-de-France. Pour ces tenants, il est admis que l'étagement des structures et les arcs-boutants sous combles suffisent à la stabilité de l'œuvre. En 1215, le chevet de Notre-Dame de Paris n'a pas encore reçu les arcs-boutants que nous voyons aujourd'hui et le constructeur de Bourges entreprend d'exploiter les petites culées installées pour l'épaulement des tribunes avec de grands arcs-boutants montant jusqu'au mur gouttereau, d'où leur pente peu ordinaire. D'autre part, à la même époque, le principe du mur virtuel épais que le maître de Chartres développe permet les plus grandes espérances. Dans cet édifice, ou la nef a reçu de monstrueuses culées en reprise, toutes les parties basses du chevet sont toujours conçues sans assises pour les arcs-boutants.
Les supports de base
Vers 1225, la galette de fondation de l'hémicycle et les assises ponctuelles sont achevées. Toutes les parties basses s'élèvent de concert. Les piles du premier rang sont, nous l'avons dit, semblables à celles de Bourges. Sur le sanctuaire, par contre, les supports cylindriques au nombre de six et non de quatre qui auraient trop masqué la lumière venant des fenêtres basses, sont avantageusement remplacés par de puissantes piles jumelées. Cette disposition permet de recevoir sans problème les archivoltes conformes au mur virtuel épais et de traiter la composition haute sur six pieds d'épaisseur, voire sept pieds. Au deuxième rang, les énormes piles de Bourges sont remplacées par des colonnes à tambour de l'Ecole de Paris. Si le constructeur avait imaginé qu'elles auraient un jour la charge de lourdes piles intermédiaires destinées aux arcs-boutants, il les aurait conçues plus puissantes.
Les colonnes jumelées ne sont pas nouvelles mais la réalisation du Mans leur accorde une ampleur exceptionnelle. Le procédé se rencontre pour la première fois vers 1135 au chevet de la cathédrale de Sens, il est repris à Canterbury vers la fin du siècle mais avec gaucherie et c'est l'architecture normande du XIII° siècle qui les adoptera d'une manière générale. Mais il est bien difficile d'établir une filiation avec le programme du Mans. Le seul édifice normand qui reprend partiellement la composition du Mans est le chevet de la cathédrale de Coutances. Nous trouvons là colonnes jumelées et déambulatoire dissocié du niveau de chapelles, mais la réalisation est tardive. Le programme qui se développe d'ouest en est s'achève vers 1260 et l'établissement de l'hémicycle se situe vers les années 1250/1255. D'autre part, l'édifice se substituait pas à pas à une oeuvre normande du début XII° siècle et le dessin irrationnel du sanctuaire se justifie par la reprise des fondations d'une abside semblable à celle de Cerisy-la-Forêt.
Les colonnes jumelées se retrouvent également sur le sanctuaire de Bayeux mais dans une triple élévation à fausse tribune, typiquement normande. Dans ce chevet réalisé sur la période 1230/1250, l'ouvrage est mené d'ouest en est et le sanctuaire doit être fondé vers 1240 au plus tôt. Dans les deux cas nous sommes donc postérieurs à la programmation du Mans. Citons également Lisieux avec sept travées rayonnantes hors axe et trois chapelles ainsi que Saint-Etienne de Caen déjà cité avec un ensemble sur axe comportant déambulatoire et sept chapelles rayonnantes et cette fois les dates sont compatibles. Cependant, leur élévation avec trois niveaux, à la manière normande, rend une filiation d'ensemble peu crédible. Le maître du Mans a trouvé dans cette province un procédé qui lui convenait fort bien mais sans plus.
Programmation de la partie droite
Dans le parti de Bourges, chevets et parties droites sont parfaitement homogènes et ce n'est pas le moindre avantage de la composition. Au Mans, l'ouvrage qui se développe maintenant à l'intérieur de la muraille gallo-romaine rencontre encore des remblais instables et la galette de fondation conçue comme un radier conserve ses contreforts extérieurs mais le choix fait sur l'hémicycle les place dans l'axe des travées et non sur le plan médian. C'est cette disposition qui donne, vers 1218, l'idée des premières chapelles en poivrière vues à Bourges. Nous les retrouvons également sur la partie droite où elles seront aussi transformées en chapelles profondes, dès que la décision sera prise. L'unité de traitement de l'ensemble du chevet sera donc parfait. Au Mans, le maître s'impose également d'exploiter sur le deuxième bas-côté de la partie droite le système de voûte avec trapèze et triangle alternés qui lui avait été imposé par le plan rayonnant du sanctuaire.
Une fois le plan fixé et les supports mis en place, le rythme du chantier s'accélère. Les cintres de voûte qui seront déplacés de travée en travée sont réalisés, les portiques de manutention et les instruments de levage bien adaptés à la tâche sont également en place, enfin le maître d'œuvre peut fixer le nombre et la forme des grosses pierres ainsi que des colonnettes nécessaires à l'ouvrage. Commande est passée à la carrière qui va préparer et livrer les matériaux pré-taillés, inutile de transporter du poids superflu. Ces volumes de pierres sont ensuite appareillés au sol selon un gabarit et mis en place pratiquement achevés, seules les moulurations sont réalisées in situ.
Sur la période qui va de 1226 à 1236/1238, le chantier progresse rapidement mais bientôt le nouveau programme se heurte à l'ancien chevet roman. A quel moment fut-il démoli? Sans doute en dernière instance puisque dans son développement externe la galette de fondation pouvait avancer et même joindre le transept sans interférer avec lui.
Elévation
L'élévation interne du Mans offre trop de similitudes avec l'œuvre de Bourges pour ne pas admettre une filiation d'ensemble. A cet effet, nous proposons dans les planches techniques une élévation comparée qui en dit plus que de longs discours. Sur la cathédrale du Maine, le second bas-côté qui comporte en alternance des voûtes en trapèze et en triangle, représente une hauteur de 10,40m sous clé contre 9,50m à Bourges. Il était prévu couvert d'une toiture en appentis s'appuyant sur un niveau garni d'une belle galerie d'arcatures dont la hauteur est de 4,50m entre les bandeaux. A Bourges, la hauteur du registre est également de 4,50m. Au-dessus du comble du second bas-côté, nous trouvons un registre de fenêtres éclairant indirectement la nef, sa hauteur sous formeret, est voisine de 6m contre 6,50m à Bourges. Là se retrouve la légère différence constatée à la base.
Les grosses piles du Mans ne font que 15,40m au tailloir, contre 17m à Bourges, mais cette différence s'explique par l'évolution rapide du dessin des arcs qui passe du tiers point à Bourges à la composition équilatérale au Mans. Les deux bas-côtés retrouvent donc le même niveau sous voûtes: 21,30m à la clé de Bourges et 21,50m à la clé du Mans. Les 22m parfois donnés sont mesurés sous voûte. La différence de niveau au tailloir a également permis de neutraliser une légère différence dans les portées des travées. Les trois travées de la partie droite du Mans font, en partant du chœur, respectivement 7,88m-7,72m- et 6,74m. tandis que trois travées courantes de Bourges donnent une mesure globale de 21,10m.
La moindre portée de la troisième travée est due à des problèmes de liaison avec l'existant. A l'origine, le maître espérait sans doute bousculer le transept du XII° et implanter l'œuvre nouvelle sur le plus grand nombre de travées possible mais le Chapitre et les maîtres de fabrique imposent l'achèvement des parties orientales avant de toucher au transept et à la nef. Ainsi, lorsqu'il démonte l'ancien chevet, le responsable du chantier doit sauvegarder deux volumes de maçonnerie destinés à épauler la croisée du XII° et les piles de la troisième travée viendront se bloquer sur ces contreforts. Celui du sud est toujours en place, côté nord il sera remplacé par un escalier à vis établi au XIV°. C'est cette remarque qui nous permet de soutenir que la croisée était voûtée dès la fin du XII°. L'espace bâtard ainsi défini sera coiffé d'une voûte appropriée.
Vers 1234/1236, la démolition du chevet roman et le dégagement de l'espace occidental imposent au maître de forcer sur les deuxième et troisième travées et d'achever les parties basses correspondantes. Sur un programme à double déambulatoire, l'ouvrage est conséquent et ceci lui fait négliger les parties hautes du sanctuaire. Il est possible également que cette gestion du chantier fut choisie afin de pouvoir lancer un plancher et une couverture provisoires sur le niveau homogène ainsi obtenu. D'autre part, le responsable est un homme d'un certain âge, il a commencé sa carrière à Bourges et acquis là suffisamment de notoriété pour que le Chapitre du Mans lui confie un chantier majeur et c'est une charge que l'on n'accorde guère avant la trentaine bien sonnée. Il a donc maintenant cinquante ans ou plus et l'analyse de l'oeuvre semble indiquer qu'il passe la main ou quitte ce monde vers 1240.
Sin programme pour les parties hautes se développait en mur virtuel épais de 2m environ. Avec un contrefort de 50 à 60cm d'épaisseur, la pile critique allait s'inscrire dans un cercle de 2,60m pour une portée de doubleau de 10,50m. Aucun autre édifice n'offrait d'aussi bonnes conditions pour l'établissement de voûtes sans contrefort et son projet était viable. Ces parties hautes étaient prévues avec un triforium aveugle imposé par le comble et une fenêtre haute de taille modeste comme à Bourges où l'ouvrage se poursuivait alors selon le parti initial mais avec des rapports beaucoup moins favorables. Sur cet édifice la pile critique n'offre que 2,25m en inertie perpendiculaire et la portée du doubleau est de 13m, d'où le recours aux arcs-boutants.
La dernière campagne
L'homme qui reprend alors le chantier entend pratiquer un tout autre style. Il vient du domaine royal mais n'a pas connu la formation technologique rigoureuse qui régnait à Soissons ou chez Robert de Luzarches. Il doit faire partie de cette catégorie d'hommes où le sens de la composition l'emporte sur la rigueur de conception et qui vont se "jeter" sur les cathédrales en achèvement afin de prouver leur savoir-faire. Lorsque notre homme arrive sur le chantier du Mans, il n'a aucune considération pour les projets de son prédécesseur. Pour lui, l'architecture du siècle est une légère charpente de pierres qui franchit l'édifice de culée à culée et ne laisse sur la nef qu'une très légère pile critique dont la fonction est essentiellement portante. Certes c'est la technologie de pointe en ce milieu du XIII° mais fallait-il l'appliquer sans vergogne sur un édifice engagé selon une toute autre formule?. C'est discutable.
Le nouveau responsable supprime le niveau du triforium haut et se condamne donc aux combles en pyramide. C'est le procédé qui s'impose alors mais les risques d'infiltration sont grands et c'est sans doute une des options les plus discutables du XIII°. La nouvelle élévation très légère s'inscrit dans un volume de 1m d'épaisseur et le constructeur profite de la large assise réservée par son prédécesseur pour y installer une pile doublée d'une fine colonnette destinée à porter l'arc-boutant. Cependant, pour ce faire il n'a pas de culée et doit pester contre l'archaïsme qui régnait naguère.
Il lui faut reprendre les assises et remplir de maçonnerie l'espace situé entre les chapelles pour monter une culée de 3,60m de profondeur mais il est loin du point de contrebutement, environ 12m. N'osant reprendre la composition audacieuse qui vient d'être réalisée à Notre-Dame de Paris, et sans doute marqué par le chantier de Beauvais, il monte une pile intermédiaire d'une profondeur de 2,20m mais l'ouvrage tombe en porte à faux sur la colonne de base qui n'était pas prévue à cet effet. Cependant la composition basse résiste bien. Avec ces culées et ces piles intermédiaires, il peut maintenant lancer des batteries de quatre arcs-boutants dont la portée moyenne est réduite à 5m. Ceux du bas agissent au niveau médian et les supérieurs au niveau très haut avec, nécessairement, un pontage en cloisonnement. C'est le choix, à risque, que vient de faire le maître de Beauvais et non la sage composition de Robert de Luzarches qui, sur la nef d'Amiens, conserve les niveaux d'impact bas et hauts de Soissons. Enfin, nous trouvons un cinquième arc-boutant destiné à parer un éventuel déversement externe des premiers bas-côtés. Ce fut nécessaire à Beauvais, ce ne l'était sans doute pas au Mans.
Côté sanctuaire, sur les six plans rayonnants, combler l'espace médian entre les chapelles aurait nécessité une débauche de maçonnerie et les fondations déjà établies étaient très débordantes (environ 1m), ce qui permet de monter deux culées avec arcs-boutants en Y. La solution est astucieuse, mais la distribution des masses change. Les culées maintenant doublées sont plus légères et c'est logique mais la pile intermédiaire qui fragilise la colonne de base est ici plus forte et pour une structure essentiellement portante ce n'est pas le bon choix; le contraire eut mieux valu. Cependant l'ouvrage a bien tenu.
Nous retrouvons ici la même disposition générale des arcs, à une nuance près. Les membrures supérieures qui sont bien alignées sur les travées droites font ici un casse dirigé vers le haut, d'où un sérieux risque d'éclatement au sommet. Le phénomène est aujourd'hui combattu par des ancrages métalliques. D'autre part, ces membrures hautes qui forment également gouttière sont fortement exposées aux pénétrations d'eau et à l'action du gel. Aujourd'hui, un arc d'une volée en Y a brisé l'alignement de sa membrure en compression. Enfin, nous constatons que le sommet des culées est dépourvu de tas de charges et les membrures en compression insuffisamment calées à leur base. Le nouveau maître du Mans avait de l'audace et des idées, ainsi qu'un certain talent pour la composition, mais manquait de maîtrise en mécanique statique.
Les grandes voûtes
Le concepteur du Mans fut le premier à rompre avec l'hémicycle régulier à cinq secteurs et demi-travées sixte partite de contrebutement régnant au XII°. Dans sa composition, les cinq travées rayonnantes sont établies hors axe et prolongées de deux travées perpendiculaires plus importantes, ce sont elles qui assurent l'équilibre de l'hémicycle.
Conçu et implanté au sol vers 1220/1222, ce découpage est à la fois une première et un coup de maître. Dans les années qui vont suivre, il sera vu par le maître de Beauvais et repris par lui dès 1226/1227, mais comme il renonce au second déambulatoire et opte pour sept chapelles rayonnantes jointes, sa distribution ne lui donne pas une valeur suffisante en compensation. L'ouverture des travées perpendiculaires fait 42° au Mans et seulement 35 à Beauvais. La copie ne vaut pas le modèle. Cependant tous deux ont respecté un cercle de distribution égal à l'entraxe de la partie droite, ce qui donne une travée d'équilibrage où l'élévation est cassée par rapport à la partie droite. C'est Robert de Luzarches à Amiens, qui corrige cette faiblesse en optant pour un cercle de distribution plus grand que l'entraxe, ce qui lui donne un polygone apparemment régulier.
Qui du maître de Beauvais ou du nouveau maître du Mans lança les premières grandes voûtes de la nouvelle formule? Difficile à dire, mais il nous semble que ce soit celui de Beauvais, vers 1245, tandis que le couronnement de l'hémicycle du Mans peut logiquement se situer sur la période 1145/1150.
L'ouverture de 42° sur les travées perpendiculaires assure un contrebutement satisfaisant mais permet également une bonne transition entre les grandes fenêtres de la partie droite et les petites des travées rayonnantes. Les croisements de résultante sont ainsi plus favorables au niveau des piles critiques. A la cathédrale du Mans, la transition se fait ainsi: 7,88m en partie droite, 4,80m en travée d'équilibrage, 3m en travée rayonnante. Pour les deux dernières il s'agit de cotes difficilement mesurables, les valeurs sont donc obtenues par calcul.
Notons enfin que les trois grandes voûtes qui coiffent la partie droite du chevet sont typiquement XIII° et classiques. C'est un procédé alors parfaitement au point qui ne pose guère de problèmes.
Le décor
Sur la première moitié du XIX°, l'art médiéval est méconnu, voire décrié par les architectes qui n'entendent et ne traitent que le néo-classique. Ils n'imaginent même pas la technologie très élaborée qui se cache derrière les formes des cathédrales. Les définitions elles-mêmes sont aléatoires. Renan ne peut dire si l'abbatiale de Saint-Leu d'Esserent qu'il admire est romane ou gothique. Viollet le Duc fixera les critères architectoniques mais les amateurs d'art vont, de leur côté, créer un catalogue de formes qui doit aider à déterminer les genres et même les époques et datations. C'était une démarche peu crédible, voire dangereuse et pour de multiples raisons.
A toutes les époques, se côtoient jeunes épris d'innovation, avides de formes nouvelles, et personnes plus âgées au tempérament conservateur. Les deux courants peuvent se côtoyer sur trente années ou plus. D'autre part, le tailleur de pierre qui sur les grands chantiers se distingue bientôt du maçon doit d'abord assurer les appareillages délicats avant de s'attacher aux finitions. Les deniers disponibles sont en priorité affectés à la montée du gros oeuvre afin d'obtenir le hors d'eau ou la mise à disposition partielle et dix bonnes années peuvent séparer la mise en place d'un claveau de fenêtre de sa mouluration finale. Enfin, avec la richesse des aménagements et le coût de plus en plus élevé des travaux, les programmes pauvres marquent le pas et peuvent rester un certain temps fidèles au procédé archaïque. Ainsi le témoignage des formes peut certes constituer une confirmation intéressante mais jamais un argument suffisant.
Bien que totalement réalisée au XIII°, la cathédrale de Bourges a préservé les formes du XII°. Vers 1230, à l'heure ou Robert de Luzarches monte les grandes fenêtres d'Amiens, son collègue du Berri demeure fidèle au dessin d'origine et c'est sans doute dans ce creuset conservateur que fut formé le maître concepteur du chevet du Mans. Toutes les fenêtres du premier niveau, déambulatoire et chapelles rayonnantes, sont de traitement austère et si le plein cintre voisine avec le tiers point, c'est afin d'aligner les tailloirs. Ca et là, nous trouvons des reprises réalisées lors de la seconde époque.
Au niveau du premier déambulatoire, les fenêtres sont pratiquement en plein cintre. C'est un choix fonctionnel qui donne le maximum d'espace vitré et permet de disposer au mieux les arcatures brisées qui vont décomposer la surface. C'est austère et suffisant mais un traitement plus luxueux, plus élaboré se développe dans l'aménagement interne.
Au niveau des grandes voûtes, par contre, la décoration Ile-de-France fait irruption. Sur l'hémicycle, les fenêtres font penser à celles de Beauvais et les superbes compositions qui garnissent les grandes baies des travées droites sont peut être une réplique des grandes verrières de 120m2 qui, à Beauvais, vont disparaître lors des reprises en deux registres. D'autre part, avec le nouveau maître, corniches et murs gouttereaux font leur apparition sur l'ensemble du chevet du Mans; le programme d'origine prévoyait sans doute des larmiers. Non seulement la nouvelle équipe change radicalement de programme mais elle tente de donner à l’œuvre une physionomie nouvelle à l'image des réalisations contemporaines d'Île-de-France.