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Senlis
Installé sur la basse vallée de l'Oise, le peuple des Silvanectes apparaît tardivement sur l'échiquier politique gaulois. Il eut, semble-t-il, quelques difficultés à se dégager de l'emprise politique des Suessions et des Bellovaques, ses puissants voisins. Ce fut fait au siècle précédent la conquête. Dès son installation, l'ordre romain confirme ses nouvelles conditions ainsi que l'aménagement du promontoire dominant le confluent de l'Aunette et de la Nonette. L'articulation des voies stratégiques romaines est sans équivoque à ce sujet. Mais s'agissait-il de l'oppidum historique de ce peuple? Ce n'est pas certain. Au siècle dernier, les archéologues ont imaginé la métropole des Silvanectes à l'extrémité du promontoire, ce qui était logique mais aucune découverte n'est venue confirmer le fait. Récemment, un ensemble immobilier fut construit sur le site probable, mais rien ne fut mis à jour, officiellement du moins. Si les excavatrices ont bousculé quelques restes, ce ne fut pas divulgué.
Le Docteur Dauteuil qui présida longtemps aux destinées de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Senlis ne croyait guère à l'oppidum du confluent. Pour lui, le site historique des Silvanectes se trouvait à Toutevoie la Chaussée, sur les rives de l'Oise, face à , et le plateau qui domine le confluent de l'Aunette et de la Nonette n'était qu'un lieu de rencontre et de marché. Mais avec le développement agricole qui caractérise la période de la Tène finale le lieu avait connu une certaine activité et sans doute une implantation permanente. C'est là que les romains fixeront le carrefour de leurs voies stratégiques, cependant, Toutevoie la Chaussée restera occupée durant la Pax Romana et même après, probablement jusqu'au VI° ou VIII°.
Quoiqu'il en soit, le site du confluent devenu carrefour routier important reçoit une ville augustéenne de 40 ha environ, d'où rayonnent six voies de caractère stratégique: c'est Augustomagus et la cité est florissante si l'on en juge par les restes des édifices disparus. Cette superbe ville ouverte sera détruite, comme tant d'autres, vers 250/275, et le cœur de l'agglomération se replie derrière une puissante muraille dont il reste de nombreux fragments visibles. A quelle date s'édifie cette défense? Difficile à dire. Depuis le siècle dernier, il est convenu et convenable de dater ces ouvrages de 280/300. On les dit édifiés à la hâte avec les restes des monuments détruits et si ce caractère se confirme parfois, une datation de ce genre systématiquement appliquée se révèle souvent discutable. A Senlis, de récentes fouilles menées sous l'évêché semblent confirmer ces dates de principe mais alors il faut expliquer pourquoi Saint-Pierre, dont le lieu de culte remonte au VI°, se trouve sur des coordonnées augustéennes dont le tracé devait logiquement disparaître vers 300.
Les origines du culte
La cathédrale se trouve également en conformité avec les coordonnées augustéennes, mais nous n'avons aucun renseignement précis sur l'origine du lieu de culte. Cependant, si nous projetons sur Senlis le schéma qui se dégage des études menées sur d'autres villes, l'histoire pourrait se résumer ainsi.
A la fin de l'Empire, toujours mal vus et parfois persécutés par la société romaine traditionaliste, les chrétiens pratiquent dans la clandestinité, mais les troubles de la fin du III° qui jettent le discrédit sur les institutions officielles leur amènent de nouveaux adeptes. Après les ultimes et violentes persécutions de Dioclétien, Constantin leur accorde le droit de pratiquer mais ils n'ont pas l'exclusivité. Leur implantation reste limitée aux faubourgs, dans le domaine des petites gens et la cité devient le refuge des tenants de l'ordre antique. C'est à la fin du IV° que la société occidentale abandonne tout espoir de restaurer la grandeur passée et les habitants de la cité décident d'exploiter à leur profit cette religion naguère abhorrée qui constitue alors le seul pouvoir moral subsistant.
C'est à cette époque, vers 400/450, que le siège épiscopal est installé intra-muros dans une église-cathédrale et la structure ainsi fondée prétend coiffer toutes les communautés chrétiennes environnantes. Mais la chose ne se fera pas sans heurt. Le petit peuple qui se trouve dépossédé de ses recours au profit d'un prélat qui siège en apparat dans sa cathédrale est fortement déçu. Il va mettre en évidence le souvenir d'un homme modeste mais dont la vie fut exemplaire. Son culte se développe dans la communauté du faubourg et le personnage accède à la sainteté. C'est l'origine des abbayes hors les murs. A Senlis, nous avons tous les ingrédients de ce schéma.
La cité ne représente pas la totalité de l'agglomération et sa muraille ainsi que ses rues étroites sont une gêne pour la circulation. Celle-ci emprunte alors une voie périphérique qui existe toujours. La majorité du trafic va se croiser à l'est de l'enceinte et justifier l'installation d'une communauté de marchands. Saint-Pierre sera leur lieu de culte. Par contre, les artisans dont les activités requièrent beaucoup d'eau courante se fixent sur les bords de la Nonette et ces gens auront également leur sanctuaire. Il sera confirmé par l'abbaye Saint-Vincent, fondée par la reine Anne, en 1060. Senlis offre donc tous les témoignages d'une articulation historique selon les règles et si nous n'avons pas confirmation archéologique de tous ces phénomènes c'est sans doute faute d'avoir suffisamment cherché. Il n'y a pas si longtemps, Saint-Pierre était daté du XII°, aujourd'hui l'origine du culte est attestée depuis le VI°.
Le témoignage des contraintes de chantier
Nous n'avons que peu de renseignements sur les édifices qui ont précédé la cathédrale du XII°. Les rares textes exploitables nous signalent une reconstruction à l'époque carolingienne et des aménagements au XI°. C'est peu, mais l'analyse des contraintes auxquelles le programme de la cathédrale actuelle s'est heurté peut confirmer ces informations.
Comme de coutume, nous allons partir de l'hypothèse que les gauchissements et irrégularités constatés dans un programme ne sont jamais gratuits; il s'agit toujours de contraintes liées à l'existant mais également du légitime souci manifesté par le client qui veut pouvoir, en tout temps et si nécessaire, raccorder la nouvelle oeuvre à l'ancienne. Ce n'est pas une vaine précaution. Sur l'ensemble des chantiers du Moyen-Age, plus de la moitié des programmes furent interrompus et liés à l'œuvre antérieure. Ce fut toujours des liaisons jugées temporaires mais les difficultés des temps les ont parfois rendues définitives.
Selon cette démarche, la cathédrale de Senlis se décompose en quatre parties, chacune confrontée à un contexte d'embarras différent. Nous avons d'abord le chevet, avec un hémicycle régulier décomposé en cinq travées rayonnantes mais dont l'ouverture ne présente que 176°, les 4° manquants sont perdus au nord. Dans cette partie du programme, les contraintes rencontrées peuvent se résumer ainsi: l'hémicycle est implanté hors oeuvre mais, dès le doubleau mineur, le constructeur doit s'aligner sur les maçonneries antérieures. Elles sont puissantes donc récentes mais gauchies. Diverses remarques de détails développées ultérieurement nous suggèrent qu'il s'agissait d'un ensemble de caractère bénédictin avec hémicycle voûté installé au-delà de deux travées droites. Ce volume se trouvait flanqué de deux collatéraux voûtés clôturés par des absidioles mais le plan des doubleaux n'était pas homogène, les absidioles étaient situées plus à l'est. Sur ces bas-côtés, l'extrados des voûtes était rendu accessible mais non voûté.
Selon le désir du client, le nouveau chevet sera conçu "compatible" mais les fondations existantes ne correspondent pas au point d'épure du projet et les surcharges exposent à de graves problèmes de tassement différentiel. D'autre part, comme les fondations rencontrées sont puissantes et récentes, le responsable de chantier a scrupule à suggérer leur démolition. Il ne lui reste qu'à gauchir l'œuvre nouvelle. A Senlis, ce chevet à collatéraux partiellement voûtés peut être lié aux travaux d'aménagement du XI°, nous dirons fin XI°.
Ensuite, la campagne XII° aborde un transept qui constitue sans doute le volume le plus ancien préservé. Il avait servi de point de liaison aux nombreuses reprises antérieures et sa situation fut constamment sauvegardée par le baptistère qui flanque son croisillon sud. L'origine de ce dernier est probablement Bas-Empire. Le transept de qui procèdent les gauchissements des parties orientales est lui, sans doute, d'origine mérovingienne.
Au delà du transept, le programme gothique se développe sur sept travées parfaitement régulières et là, sans doute, le constructeur a repris le pas d'une nef carolingienne. C'était une oeuvre légère sur fondations peu profondes et le maître du XII° n'avait aucune raison architectonique de respecter le pas ancien, seule, la présence d'un volume occidental à reprendre éventuellement pouvait l'y contraindre. La fin du programme confirmera cette hypothèse.
Après la pile forte qui clôture la troisième travée majeure, ou sixième travée mineure après le transept, le constructeur respecte un septième pas identique et fonde une puissante pile cantonnée. L'ouvrage est sans rapport avec une travée courante. Pourquoi un responsable de chantier qui vient de réaliser des piles fortes parfaitement régulières implante-t-il une fondation totalement asymétrique. Ce fut sans doute à l'usage d'une croisée d'ogive aménagée dans le volume d'un transept ancien. La distribution des colonnettes correspond parfaitement aux structures hautes d'un semblable aménagement.
Mais le programme change. Il est décidé de clôturer la nouvelle cathédrale par une puissante façade flanquée de deux tours, à la manière anglo-normande. Cependant il n'est pas possible de toucher aux deux piles orientales qui reçoivent déjà les effets de fond engendrés par les grandes voûtes. Le constructeur implante alors la nouvelle façade, sans contrainte, au-delà d'une travée supplémentaire établie sur le volume du transept occidental. La largeur de ce dernier était sans doute de 8m et le pas de la nouvelle travée sera de 5,84m. Il n'y aura donc pas d'interférences entre les fondations. Cette seconde travée de liaison deviendra la douzième dans le nouveau programme; c'est ainsi que nous la désignerons désormais.
Les édifices antérieurs
Grâce à cette approche, nous pouvons imaginer les édifices qui se sont succédés du Bas-Empire au XI°. Après 315, les chrétiens ont liberté de pratiquer leur culte mais pas nécessairement droit de cité. Ils doivent se contenter de modestes sanctuaires établis sur des lieux sanctifiés lors de leur clandestinité. Vers 400, toute référence à l'ordre romain paraît dérisoire et les premiers autels apparaissent dans la cité. Dès lors, il est admis que faute d'un cadre politique stable, les institutions religieuses bien exploitées peuvent servir à gérer la communauté. Le siège du pasteur chrétien est transporté intra-muros et son titre d'évêque prend alors une toute autre dimension. Plusieurs lieux de culte se développent côte à côte et un baptistère vient flanquer l'accès de ce domaine religieux. C'est dans la cité que se concède désormais le titre de chrétien.
En 500, les agriculteurs Francs s'installent dans les campagnes environnantes et se comportent librement, sans contrainte, mais après le baptême du roi, l'évêque de la cité acquiert des droits sur eux. C'est le moment pour lui de faire construire une véritable cathédrale destinée à abriter des cérémonies fastueuses. A Senlis, cette première cathédrale de prestige est construite vers 600 et l'œuvre englobe deux lieux de culte antérieurs. Par son transept de 8m x 26m, elle jouxte le baptistère qui sera toujours préservé dans les aménagements ultérieurs. A l'ouest, il est clôturé par une abside en hémicycle, tandis que la nef, probablement sans collatéraux, fait 9m de large pour une longueur indéterminée. C'est une oeuvre de structure légère très proche des petites basiliques du Bas-Empire. Ce type d'église était encore construit vers l'an 1000 et les provinces de l'Ouest en ont conservé quelques précieux exemplaires, tel Saint-Martial de Vitaterne.
Avec les troubles qui secouent la société mérovingienne, les cités fortes du Bas-Empire ont droit à toutes les sollicitations des monarques et des grands dignitaires du royaume qui voient en elles des pions d'importance sur l'échiquier politique. L'évêque en tire grand prestige mais le contexte du temps n'est guère favorable aux grands programmes.
Le calme relatif de l'époque carolingienne permet aux faubourgs de retrouver quelque importance, et la cité redevient le centre du système. A Senlis, l'emprise des structures politico-religieuses se développe. Château royal et domaine épiscopal se fixent définitivement . L'évêque peut reconstruire sa cathédrale sur un plan beaucoup plus vaste. La nouvelle oeuvre comporte une nef avec bas-côtés. Son élévation porte sur une file de colonnes avec éventuellement alternance de piles fortes rectangulaires. Les constructeurs de l'époque qui voyagent beaucoup découvrent l'Italie et les grandes basiliques constantiniennes comme Saint-Pierre et Saint-Paul. Ils vont donc renouer avec les vastes volumes, ce qui rend leurs constructions particulièrement fragiles. Le narthex qui s'est substitué à l'atrium figure souvent dans les programmes septentrionaux mais sa fonction religieuse reste mal définie. Pour les dignitaires ecclésiastiques, il est le lieu réservé à l'empereur et aux hôtes de marque, tandis que pour la communauté chrétienne il tend à devenir le lieu consacré au Christ, le sanctuaire du Fils faisant face au sanctuaire du Père. Ce sont sans doute ces équivoques qui justifieront son abandon aux XI° et XII°.
Le transept occidental qui clôturait la nef carolingienne de Senlis était de taille moyenne, 7/8m de large pour 20/24m d'envergure. De structure légère, non voûté, et abondamment éclairé par de grandes fenêtres, était-il flanqué d'une abside selon la coutume carolingienne? C'est probable mais pas certain. Là, tout a disparu sous la nouvelle façade occidentale et nos méthodes d'investigation ne nous donnent aucune information. Ces absides du couchant sont généralement de plan circulaire au IX° puis passent majoritairement au rectangle sur le siècle suivant. Dans les réalisations les plus soignées, nous trouvons une crypte voûtée au premier niveau, ce qui donnait un sol d'abside à 2/2,50m au-dessus du dallage.
Nous avons admis que l'hémicycle actuel fut conditionné par un chevet de caractère bénédictin mais cette appellation regroupe diverses variantes au sol et des élévations en constante évolution. La référence aux oeuvres normandes est intéressante. Les abbatiales du duché avaient sans aucun doute, à cette époque, un réel prestige mais les constructeurs travaillaient en terrain vierge et rien ne venait gêner leur programme. D'autre part, la composition ne peut faire références aux oeuvres contemporaines que les bénédictins réalisent en d'autres régions ou en Italie. Ainsi le chevet normand pourrait fort bien dériver d'une synthèse menée en région septentrionale. Imaginons un chevet profond avec partie droite et abside que l'on aurait imprudemment voûté puis conforté de collatéraux. L'abbaye aux Dames de Caen peut illustrer la phase finale de cette expérimentation. Quelques décades avant que les abbayes normandes se diffusent sur les pas du Conquérant, le parti de l'abside était loin d'être acquis. A Senlis, cité royale, cité illustre mais aux moyens modestes, le chevet de caractère normand fut peut-être le fruit de nombreuses reprises réalisées à une date précoce.
Ces aménagements successifs expliqueraient le désaxement dans le plan des doubleaux que nous avons constaté. Les culs de four des absidioles, avec éventuellement une surcharge en mur pignon, seraient venus à point nommé épauler un cul de four en difficulté. Ensuite, certains constructeurs auraient repris ce traitement, sans réflexion préalable.
La cathédrale actuelle
Selon les textes, le nouveau chantier de Senlis s'ouvre en 1153 et les travaux commencent par le chevet. L'œuvre est donc contemporaine de Saint-Germer de Fly et de Noyon mais pour cette dernière où les chapelles rayonnantes sont plus amples, nous avons avancé l'hypothèse d'une reprise sur un traitement initial avec tribunes non voûtées, ce qui implique une filiation avec Sens, Saint-Denis et Saint-Germain des Prés. Nous traiterons donc Senlis comme Saint-Germer de Fly, dans la lignée des croisillons de Tournai avec adjonction de chapelles rayonnantes. Mais le premier maillon de la chaîne est incertain.
L'hémicycle est implanté sur un diamètre de 9,85m mais, dès la première pile forte, la largeur à l'axe revient à 9,47m. Le premier projet a donc négligé les contraintes de raccordement prises en compte ultérieurement. L'élévation du sanctuaire porte sur six colonnes monolithiques dont le diamètre moyen est de 48 à 50cm ce qui est bien faible pour le programme envisagé. La surface nécessaire sur le tailloir (environ 1m2) sera donc obtenue par des chapiteaux de grande amplitude. Il ne faut pas rechercher une filiation de style. Le programme impose la forme et les contraintes transmises par la pierre interdisent toute taille profonde. A Senlis, comme à Noyon, anciennes villes romaines, les colonnes monolithiques sauvegardées dans les constructions religieuses étaient nombreuses. Chargées d'histoire et sujets de ferveur, ces pierres étaient re-exploitées tant que faire se peut, par contre, celles des travées droites sont contemporaines.
Dès le XII°, les carriers ont repris l'extraction de ces fûts monolithiques de 4m et plus, mais la tâche n'est pas facile. Il faut trouver la veine épaisse puis extraire la pièce dans une taille qui laisse environ 80% du volume exploité en déchets. Enfin, il faut la transporter par des chemins non aménagés. Les colonnes monolithiques courantes que l'on trouve sur la nef de Senlis font environ 2t,6/2t,8. Les carrières de la vallée de l'Oise semblent parmi les premières à reprendre cette production mais bientôt l'ampleur des programmes imposera le retour aux piles appareillées. Par contre, la production de colonnettes en délits, extraites à la scie, par groupe de 4,6 ou 8, de blocs préalablement dégagés, va se développer considérablement.
Le sanctuaire de Senlis ouvre sur cinq travées liées à cinq chapelles rayonnantes peu profondes, 1,56m à 1,54m mesuré à l'axe pour un arc de cercle dont la corde est de 3,85m en moyenne. Travées rayonnantes et chapelles sont d'un dessin très régulier mais les aménagements diffèrent, celles situées à l'axe ainsi que les deux au sud sont éclairées d'une grande fenêtre et dotées de croisées d'ogives à quatre voutins. Par contre, les deux du nord, gênées par la proximité de la muraille comportent trois voutins avec piles axiales et deux fenêtres dont une seule fut percée. Ces chapelles peu profondes (en-deçà de l'hémicycle) et comme maladroitement adaptées sur un chevet à tribunes ne se retrouvent qu'à Saint-Germer et à Senlis, deux édifices antérieurs à 1155. Le chevet de est apparenté mais ne comporte pas de tribunes.
Le déambulatoire de Senlis est voûté sur croisées d'ogives de première génération. Sur les plans trapézoïdaux les doubleaux sont en tiers point, l'arc ouvrant sur la chapelle est proche du plein cintre, tandis que l'arcade côté sanctuaire est brisée, surélevée, afin de rejoindre le niveau des voûtes. Enfin, les croisées d'ogives sont naturellement en plein cintre. D'autre part, les chapelles peu profondes étaient mal appropriées pour recevoir des croisées mais le constructeur s'y est astreint et le dessin des voûtes est très irrationnel.
Ce premier niveau dont les tailloirs sont alignés 4,86m sera couronné par un bandeau établi à 7,90m (plan supérieur à 8,05m), valeurs mesurées au sol actuel.
Au second niveau les tribunes rayonnantes ouvrent sur la nef par des arcs brisés tandis que les travées droites sont garnies de baies géminées. Ces tribunes sont également voûtées sur croisées d'ogives dont le tracé directeur respecte les principes archaïques. Extérieurement, chacune des travées est éclairée par une fenêtre en plein cintre dont la hauteur est considérablement réduite par le glacis de pierre qui couvre la chapelle correspondante.
Après l'incendie de 1504 les grandes voûtes du XII° sont démontées et leur disparition nous prive de toute certitude sur les caractères de l'élévation première. Cependant, les chapiteaux du doubleau de clôture restaurés mais toujours en place situent la base des grands arcs à 13,10m, ce qui donne 5m pour le niveau des tribunes.
A l'extérieur, le mur périphérique respecte le dessin circulaire considéré comme de règle au XII° et les plans médians sont dotés de contreforts de bonne taille. Ils seront repris une première fois lors de l'installation des arcs-boutants du XIII° puis au début du XVI° afin de porter les structures de contrebutement que nous voyons aujourd'hui. Nous ignorons donc l'état du glacis d'origine mais le larmier de la toiture des tribunes était sur un encorbellement à deux niveaux de crochets toujours en place et nous pouvons ainsi restituer la base et les caractères des premières parties hautes. Nous verrons les éléments de cette restitution en fin d'étude.
La nef, travée courante
A l'origine, la cathédrale de Senlis ne comportait pas de transept, le vaisseau se développait avec une parfaite unité sur dix travées mineures alternées formant ainsi cinq travées majeures avec grandes voûtes de composition sixte partite. Les onzième et douzième travées furent conditionnées, nous l'avons dit, par l'ancien narthex et traitées différemment. Enfin, la treizième travée correspond aux tours de façade. Nous allons donc étudier une travée courante comme exemple type avec cependant un regard particulier sur la deuxième travée majeure qui va se substituer à l'ancien transept.
Le vaisseau en continu connaît une certaine vogue au XII°. Sens avait développé un programme de ce type dès 1130, mais la cathédrale de Fulbert fut sans doute à l'origine du parti. La formule paraissait particulièrement intéressante avec les voûtes sur croisées d'ogives. Elle évitait les problèmes d'épaulement que l'on rencontre naturellement au croisement de deux vaisseaux. A cet endroit la réaction des grands arcs de la croisée est dirigée dans le plan des élévations et ces dernières, toujours légères, peuvent en souffrir.
La nef de Senlis adopte également la travée alternée. C'est une composition dont les origines sont anciennes et mal connues, mais nous proposons le résumé suivant. Lors de la brève renaissance carolingienne, les constructeurs renouent avec les édifices de grande taille et les élévations sur files de colonnes, mais la qualité n'est plus ce qu'elle était à l'époque romaine et ces constructions se révèlent particulièrement fragiles. Cependant la mode est lancée, il faut l'assumer. D'autre part, les petits chantiers ont des difficultés à s'approvisionner en colonnes monolithiques et cette conjoncture va inciter les constructeurs à alterner les supports: une colonne monolithique pour l'esthétique, un support quadrangulaire pour la stabilité. Les abbayes normandes nouvellement fondées qui ne disposent pas de fûts de récupération reprendront la composition avec une extrême puissance, ce qui permet la mise au point de la voûte sur croisées d'ogives. Par contre, dans les cathédrales des vieilles cités, où cette alternance est reprise avec des fûts monolithiques et des élévations plus légères, la voûte n'est pas permise, mais le plan carré ainsi obtenu sur la travée majeure était prêt pour une composition plus légère: la voûte sur croisées d'ogives. En ce domaine, le constructeur de Senlis fut parmi les novateurs. Certes avant lui celui de Sens avait lancé des voûtes sur une portée beaucoup plus grande mais avec une élévation à trois niveaux traitée en puissance.
L'élévation de Senlis reprend les niveaux de l'hémicycle avec tailloirs à 4, 85m et le bandeau à 8,05m. Le fût monolithique (support mineur) fait 0,70 à 0,72m de diamètre et cette fois, la forme du chapiteau est plus rationnelle. Ici, le tailloir qui reste proche du m2 ne reçoit que trois colonnettes, le faisceau de cinq se trouvant naturellement sur la pile forte. Cette dernière s'apparente à la structure en croix avec colonnes engagées dans les plans cardinaux et colonnettes dans les angles mais la composition est judicieusement déséquilibrée. Côté nef, nous trouvons deux plans de colonnettes, l'un pour les formerets, l'autre pour les ogives et un seul sur les bas-côtés où il n'y a que les ogives à reprendre. A cette époque, les programmes se rationalisent et les constructeur prévoient, dès les fondations, les composants architectoniques dont ils auront besoin dans les parties hautes. Les ouvrages sont sans doute préalablement dessinés et peut être étudiés sur maquettes de bois. Ce serait l'antique origine des "chefs-d'œuvre" réalisés par les compagnons du Tour de France aux XVIII° et XIX°.
Les piles alternées offrent certains avantages mais gênent l'établissement des voûtes sur les bas-côtés. Les doubleaux des piles fortes sont de moindre portée que ceux des piles faibles et la croisée d'ogives est irrégulière. Nous avons vu ce problème en détail avec l'étude de Sens et c'est sans doute ces difficultés qui vont inciter les Maîtres de Laon et de Paris à revenir au support uniforme constitué de piles à tambours de bonne section. Au niveau des tribunes, le constructeur corrige sa composition et choisit sur la travée faible une forte pile cantonnée qui supprime pratiquement tout déséquilibre dans les ogives et formerets. Par contre, les baies donnant sur la nef sont petites et les aplombs sont toujours différents comme le veut l'alternance de base.
L'élévation externe a été profondément surchargée et modifiée au cours des siècles mais les témoignages subsistants nous permettent de la restituer ainsi: bas-côtés et tribunes sont éclairés par de grandes fenêtres en plein cintre avec une modeste mouluration sur la face extérieure. Premier et deuxième niveaux étaient épaulés par des contreforts de valeur constante et donc en désaccord avec le principe des travées alternées. A ce sujet nous avons le témoignage des parties hautes subsistantes sur les travées orientales de la nef ainsi que le pas régulier des fenêtres.
Dès la seconde travée majeure, le constructeur doit négocier avec l'ancien transept et les caractères de l'ouvrage différent quelque peu. Le pas est plus grand, 7,85m à l'axe pour une travée qui forme un léger trapèze, contre 7,40m en moyenne pour le pas courant. Le volume des anciennes tribunes et croisillons formera, là, un double bas-côté et les arcades précédemment plaquées sur un mur beaucoup plus ancien seront reprises dans les voûtes sur croisées d'ogives. Le traitement d'origine comportait sans doute des voûtes d'arêtes. L'accès aux tribunes des croisillons se faisait par deux tours avec escaliers de bois. Pour donner accès aux tribunes du chevet nouvellement construit, elles seront reprises et dotées de rampes à vis.
La sauvegarde de ce volume perpendiculaire, fut rendue nécessaire par la présence du baptistère. C'est une structure de plan polygonal flanquée d'une abside orientée. L'ensemble daté de l'an 1000 comporte un premier niveau voûté qui subsiste aujourd'hui et un niveau haut couvert sur charpentes profondément remanié au XIV°. Le croisillon nord n'eut pas la protection d'un volume consacré, tel le baptistère, et fut plusieurs fois modifié. Son état actuel est une reprise du XIX°.
Après achèvement de la seconde travée droite, les parties orientales nouvellement construites sont suffisamment importantes pour être mises à disposition.
Les grandes voûtes
L'ensemble des parties hautes réalisé au XII° disparaît lors de l'incendie de 1504 mais selon la disposition des supports, nous pouvons restituer l'œuvre de la manière suivante. L'hémicycle était doté de cinq voûtains rayonnants compensés par une demi voûte établie sur la partie droite. Les cinq travées majeures suivantes recevaient, elles, des compositions sixte partite classiques. Enfin, onzième et douzième travées recevaient des voûtes de plan barlong. Ce sont là des hypothèses quasi certaines mais ce qui l'est moins c'est le niveau d'établissement de ces voûtes. Là, deux démarches ont cours. Nous pouvons privilégier le rapprochement avec la nef de Noyon, prendre le niveau du sommet des tribunes, soit 13m, ajouter la hauteur d'un triforium, 1,80m à 2m, et restituer un arc en tiers point d'une portée de 8m. (les portées sont de 8,30m pour le doubleau mineur et de 7,60m pour le doubleau majeur). Ce faisant, nous obtenons une hauteur sous voûte de 21m, mais, dans ces conditions, la pente du comble des tribunes devient très importante, plus que de coutume, et surtout la démarche néglige les chapiteaux et tailloirs du premier doubleau majeur (doubleau de clôture).
En 1963, dans une étude présentée au Conservatoire des Arts et Métiers de Paris, je présentais un essai de synthèse sur les chevets à grand développement du milieu du XII° incluant naturellement la cathédrale de Senlis. Je proposais alors une restitution sans triforium caractérisé et c'est l'option que nous reprendrons aujourd'hui. Avec des arcs proches du tiers point, basés sur des tailloirs à 13m, et un pied de 60 à 80cm, nous obtenons une hauteur de voûte de 19m. Admettons une courbure perpendiculaire de 3 à 4 pieds nous obtenons une ouverture des fenêtres hautes très convenable (3m environ). C'est pratiquement celle que nous voyons sur la tribune sud de la onzième travée. Dans ces conditions, la pente du comble des tribunes reste semblable à celle que l'on trouve à Noyon et à Laon et nous n'avons plus de triforium caractérisé mais une profonde embrasure. Enfin, le mur pignon qui assure l'épaulement sous comble, arrive à 1,60m au-dessus du tailloir. L'équilibre du système est très satisfaisant.
Au niveau des bas-côtés, comme à celui des tribunes, le constructeur avait privilégié l'esthétique et placé ses fenêtres sur l'axe des travées, ce qui les mettait hors axe, face à l'alternance interne. Par contre, au niveau haut, nous pensons qu'il se devait de respecter le cadre des formerets, ce qui donnait cette fois des fenêtres alternées, disposition qui favorise également l'éclairement.
L'ensemble occidental
Après la dernière travée sixte partite, le plan au sol se modifie radicalement. La onzième travée, dotée d'une voûte de plan barlong, porte, à l'est, sur la dernière pile forte et à l'ouest sur un support puissant et complexe dont les quatre secteurs cardinaux sont tous différents. L'inertie perpendiculaire est privilégiée et nous avons suggéré que ce support s'intégrait dans le volume d'un transept occidental, comme ce fut le cas à Saint-Germer de Fly. Sur une courte période il fut envisagé de préserver ce volume ancien mais, avec l'arrivée de nouveaux deniers, le constructeur peut projeter une façade avec deux tours à la manière normande. Il est sans doute parmi les premiers, en Ile de France, à faire ce choix mais, pour cela, les deux piles intégrées dans le mur oriental du transept ne sont pas suffisantes. Il implante alors une travée supplémentaire de bonne portée, 5,84m et construit deux nouvelles piles très puissantes qui serviront de base au revers des tours de façade.
Cette travée de liaison est légèrement plus large que la nef et les tours de façade vont s'aligner sur elle. Ce sera l'unique ensemble occidental ainsi traité, tous les programmes qui vont suivre auront des tours franchement débordantes et ceci nous conforte dans l'hypothèse émise précédemment: la façade de Senlis fut la première du genre en Ile de France. Deux tourelles d'escaliers à vis sont installées dans les contreforts orientaux.
Dans cette belle façade où les caractères archaïques concourent à l'effet de puissance, seule la tour nord a conservé son aspect d'origine. Elle a simplement reçu un couronnement avec murs gouttereaux. Il nous faut donc l'imaginer coiffée d'une toiture à quatre pentes en tuiles a crochets, comme celle que nous voyons aujourd'hui à Noyon. Vers le milieu du XIII°, la tour sud recevra une flèche de pierres. C'est une très élégante et très légère réalisation qui s'harmonise parfaitement avec la partie basse. Sur cette façade occidentale, il faut citer également le porche dont le tympan est consacré à la Vierge. Réalisé vers 1190, c'est apparemment le plus ancien du genre. Sur l'un des linteaux, nous voyons la résurrection de Marie réveillée par les anges venus la chercher et le sculpteur montre, là, une réelle maîtrise du mouvement.
Les datations
La dédicace solennelle de l'édifice eut lieu le 16 juin 1191, soit 38 années après le début des travaux et nous pouvons décomposer l' œuvre en trois parties distinctes: le sanctuaire et les deux travées droites dont celle liée à l'ancien transept. Là, le chantier progresse dans l'embarras des structures existantes. Les désaxements sont nombreux et ce fut sans doute la partie la plus difficile à réaliser. Dans ces conditions, 15 à 18 années, nous semble une période satisfaisante et ces parties orientales furent mises à disposition vers 1170/1172. Dès lors, le parti est acquis et le chantier peut se développer rapidement sur un sol préalablement débarrassé des structures de la vieille nef mais le nouveau chantier respecte le pas ancien afin de raccorder la nouvelle oeuvre à l'ensemble occidental. Mais la composition alternée ne coïncide pas avec le volume à combler. Après les trois nouvelles voûtes sixte partite, il reste une septième travée. A cette époque, le projet concernant les parties orientales n'est pas encore fixé, et le constructeur juge prudent d'épauler les élévations qu'il vient d'achever avec la puissante pile composée, installée dans le plan du mur du transept. Si celui-ci est préservé, il suffira d'implanter une pile équivalente dans l'élévation ouest et d'aménager l'ensemble. La onzième travée mineure ainsi formée reçoit une voûte de plan barlong. A cette époque, le chantier est "calé". L'avenir est préservé. Nous sommes vers 1182/1183 et il reste dix ans pour réaliser les deux tours occidentales dont le projet vient d'être adopté. Les parties basses et les voûtes de cette façade étaient sans doute terminées pour la dédicace de 1191 mais les finitions vont tarder, comme toujours.
Ceci résume la chronologie généralement admise; elle ne soulève guère de problèmes en datation comparée avec les autres édifices contemporains d'Ile de France. Nous l'adopterons donc mais avec une réserve. Cette dédicace a fort bien pu marquer l'achèvement de la nef et son raccordement avec l'ancien transept occidental. Dans ces conditions, façades et tours seraient à dater de la dernière décade du siècle.
Les aménagements ultérieurs
Les premiers arcs-boutants seront installés au début du XIII°, vers 1210/1220. Dès 1250, il est décidé d'aménager un transept. Logiquement, ce vaisseau perpendiculaire devrait se situer à la place du précédent, à la hauteur de la deuxième travée, mais il n'est pas admis de démolir l'ancien baptistère. Alors le nouvel ensemble sera implanté sur les troisième et quatrième travées majeures qui sont entièrement démontées (elles ont moins d'un siècle) et sur l'espace ainsi dégagé, le maître d'œuvre établit une croisée régulière et deux croisillons de deux travées chacun. Cette nouvelle oeuvre sera installée à l'ouest de l'espace dégagé et le volume restant reçoit une travée barlong. Ce programme réalisé à l'heure où s'élèvent les cathédrales de Reims et d'Amiens respecte la composition première avec tribunes.
Les XIV° et XV° apporteront leurs lots d'aménagements mineurs. Enfin, après l'incendie de 1504, toutes les parties hautes seront reprises et les croisillons clôturés par les façades flamboyantes que nous voyons aujourd'hui. Le programme fut réalisé par des maîtres de la dynastie des Chambiges à qui nous devons également les façades semblables de Sens et de Beauvais.