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Noyon
Prenons la carte de France, grattons quelque peu, la marque de Rome apparaît. Dès la conquête, la nouvelle métropole de Noviodunum Suessionum (Soissons) est desservie par la Chaussée d'Agrippa qui file en droite ligne vers Somarabriva (Amiens), et, ce faisant, elle tangente le pays du Vermandois. Bientôt des commerçants s'installent là où la grande chaussée franchit un affluent de la moyenne vallée de l'Oise. Ils offrent au mode rural environnant un nouveau marché et des produits en transit que l'on ne peut trouver chez les petits artisans régionaux. Leurs affaires prospèrent rapidement mais ils doivent partager cette manne avec une autre agglomération également établie sur la chaussée, à 20km environ: Rodium (Roye). D'autre part, malgré la bonne volonté des décideurs romains qui l'ont gratifié d'une chaussée stratégique de seconde importance, l'oppidum du Vermandois ne peut maintenir sa position de métropole. Le potentiel économique de proximité se porte alors vers le pont où la voie romaine Soissons/Bavay franchit la haute vallée de la Somme. Ce sera Saint-Quentin. Trois centres économiques s'offrent maintenant à cette riche région agricole.
Quelle fut l'importance de la nouvelle cité de l'Oise, Noviomagus Isara (Noyon)? L'urbanisation s'établit de manière régulière, à cheval sur la voie avec un cardo en perpendiculaire et l'espace couvert doit correspondre aux besoins économiques. Certes l'environnement est riche et peuplé mais les trois nouveaux centres cités doivent compter avec une articulation rurale déjà établie en gros villages avec artisanat intégré; la disposition des fermes céréalières découvertes par R. Agache témoigne en ce sens. Les nouveaux marchés offerts ne peuvent traiter que la part de grands négoces ce qui doit logiquement donner plus qu'un gros bourg limité à 1500/2500 personnes et moins qu'une métropole classique qui peut dépasser les 20.000 personnes. 6 à 10.000 habitants établis en urbanisation large et ouverte avec 200 habitants à l'hectare,(soit 30 ha environ) nous semblent des valeurs en rapport avec les besoins.
L'urbanisation s'est faite à cheval sur la Chaussée d'Agrippa qui devient le decumanus. Les artisans liés aux besoins d'eau courante s'installent au sud-ouest sur les rives de la Verse, tandis que le commerce et la petite bourgeoisie établit ses boutiques et ses demeures à cheval sur la voie avant de gagner le plateau situé au nord-est.
De 250 à 275, ce sont les grandes invasions qui doivent se doubler d'importants troubles locaux. Les grandes villas céréalières ont déséquilibré la société rurale et voué à la misère bon nombre de petits exploitants maintenant confinés dans les vallées et sur les terres de polyculture. Ce sont eux sans doute qui formeront des bandes de "Jacques" dont l'action ne peut qu'accentuer le désordre. Les envahisseurs pillent d'abord mais s'installent ensuite avec la ferme intention de défendre leur butin et d'exploiter ces terres mal acquises. Le "Jacques", par contre, va détruire systématiquement le grand domaine, cause de sa ruine, et qui dépasse naturellement sa capacité d'exploitation. C'est bien ce phénomène que l'archéologie nous dévoile aujourd'hui. Les fermes de plateau ne seront pas prises, transformées en repaires et défendues mais systématiquement rayées de la carte au profit, semble-t-il, des petites exploitations naguère ruinées par le remembrement.
Dans cette période tragique, la ville ouverte de Noviomagus Isara disparaît complètement et la population se rétablit sur un étroit périmètre centré sur l'ancien forum. La nouvelle cité, sommairement défendue, doit couvrir 4 ha environ.
Les cathédrales successives
Dès la brève renaissance Constantinienne, les trois villes de Haute-Picardie: Roye, Noyon et Saint-Quentin, découvrent des communautés chrétiennes parmi les petites gens de leur faubourg. La nouvelle religion, toujours mal acceptée dans les cités malgré la Paix de l'Église, ne peut s'organiser de manière rationnelle. Chacune des villes doit abriter une petite structure ecclésiastique mais il est bien difficile de parler d'Évêché. C'est Saint Médard, illustre personnage qui, en 531, transporte dans la cité de Noyon le siège officiel de l'église du Vermandois qui vient de lui être attribué. Dès lors, la ville de Saint-Quentin, bien que plus importante, est soumise à la primauté de Noyon.
C'est l'époque où les agglomérations fortes font tout leur possible pour se débarrasser du domaine comtal qui a pris le relais de la structure administrative du Bas-Empire et l'installation, puis le développement d'un Évêché, font partie des plus surs moyens pour y parvenir. La première cathédrale construite par Saint Médard correspond à la situation et à l'alignement de l'édifice actuel mais en plus modeste naturellement. Sa façade doit être alignée sur le cardo, avec peut-être un atrium, tandis que l'abside pouvait se trouver à proximité de la croisée actuelle. C'est un édifice de structure basilicale long de 40m et large de 15m, au mieux. Le domaine comtal qui deviendra palais épiscopal se trouve plus au sud à l'angle nord/est du cardo et du decumanus. Cet ensemble politico-religieux possède sa propre enceinte, obstacle qui va condamner le débouché de la voie menant vers le nord/est et la circulation sera dérivée sur deux itinéraires enveloppants toujours présents dans le tissu urbain. Les vestiges de l'enceinte comtale sont parfois considérés comme défenses du Bas-Empire mais c'est un périmètre trop réduit. La défense de la cité qui contenait nécessairement la fourchette enserrant le réduit comtal était plus vaste.
C'est l'église de Saint Médard qui reçoit Saint Eloi un siècle plus tard. Le ministre du roi est à la recherche d'appuis politiques pour son Maître. Son prestige est grand. Il permet de lever les emprises de caractère féodal qui pèsent sur le domaine comtal, mais également d'étendre les prérogatives de la Cité. Les subsides vont suivre, et la ville entreprend une seconde cathédrale. C'est elle qui reçoit la dépouille de Chilpéric en 721 et abrite le sacre de Charlemagne en 768. Elle sera détruite par les Normands vers 860 et rapidement restaurée. La troisième cathédrale construite au X°, vers 950, sera choisie pour le sacre de la nouvelle dynastie capétienne. Hugues Capet y reçoit la couronne de France en 987.
Est-ce l'édifice du X° qui sera détruit par l'incendie de 1131 ou bien une autre construction édifiée dans le grand mouvement de l'an 1000? A ce sujet, les opinions divergent mais il faut se garder des options trop strictes. Souvent une partie seulement de l'édifice est reconstruite. Le programme de l'œuvre actuelle, qui met en cause l'ancien chevet tout en conservant la nef rapidement restaurée pour l'exercice du culte, nous permet de penser que cette dernière était plus récente, plus robuste qu'un ouvrage commencé en 950. Ceci se confirme également avec les contraintes de l'époque. C'est un temps de forte poussée démographique et, dans ces conditions, c'est la nef qu'il faut agrandir en priorité. Nous opterons donc pour une nouvelle nef édifiée sur la première moitié du XI°, le chevet, lui, étant toujours celui de 950, inclus dans l'enceinte épiscopale.
Le programme du XIIe
La cathédrale de Noyon reste mal connue et les études qui lui furent consacrées restent évasives sur bien des points. Cependant, les auteurs s'accordent sur les grandes options suivantes. C'est un édifice du XII°, bien évidemment. Le programme fut lancé après l'incendie de 1130, c'est acquis, mais la date est précoce et l'ouvrage porte la marque du milieu du siècle. Il y a donc vingt années d'incertitude. Enfin, la construction fut commencée par le chevet mais celui-ci n'est pas d'une facture correspondant aux dates présumées. D'autre part, afin de respecter les contraintes de la chronologie Ile de France qui entend donner la primauté à Saint-Denis, le chevet de Noyon est généralement gratifié d'une datation basse, 1150 ou au-delà. Le problème est complexe, voyons ce que donne une démarche analytique.
Première remarque: la cathédrale de Noyon est constituée d'une nef parfaitement régulière et d'un ensemble oriental, chevet, croisée et croisillons considérablement gauchis. En un temps où une simple visée dans la fente d'une planchette vers un fil à plomb et un jalon permet d'obtenir un alignement inférieur à la minute, les écarts constatés (de 2°) ont nécessairement une raison. Le maître d'œuvre fut donc contraint par l'existant et le processus nous paraît être le suivant.
L'hémicycle et les deux travées droites qui lui sont contiguës forment un ensemble parfaitement régulier mais gauchi par rapport à la nef. Le nouveau programme doit donc rejoindre l'existant à la hauteur des tours orientales. C'est une contrainte coutumière à cette époque. Le constructeur n'est pas assuré de pouvoir achever le nouveau programme, il doit préserver les meilleures conditions d'un raccordement provisoire.
Dès que la nouvelle oeuvre atteint la muraille, le chantier connaît une période de transitions incertaines. Il est possible que les deux tours et les croisillons furent implantés sans mise en cause du sanctuaire ancien, ce qui permit de lier parties anciennes et nouvelles par l'enveloppe externe. Une fois ce travail terminé, il était facile de libérer la perspective sur la nef alors en service. C'est là que dut se situer la mise à disposition de l'ensemble oriental. Cette hypothèse permet d'en corroborer d'autres que nous verrons ultérieurement.
Après déplacement du lieu de culte, les travaux porteront sur la nef. Dans une cathédrale c'est le domaine d'accueil et son rôle est primordial. L'œuvre actuelle comporte cinq travées majeures dont le développement longitudinal est parfaitement régulier mais c'est le plan déjà acquis par la nef précédente Par contre, en perpendiculaire, les irrégularités sont nombreuses. La première travée est plus importante que les suivantes et son plan de départ n'est pas en alignement optimum avec les croisillons. C'est un phénomène peu compatible avec une programmation méthodique. Nous avons donc une nouvelle nef qui semble reprendre la situation de l'ancienne. Mais le développement des travées et le pas choisi sont déjà soumis à contrainte. Le nouveau chantier semble rencontrer plus qu'un alignement à respecter mais une oeuvre existante avec laquelle il faut compter.
Pour achever ce rapide survol du programme, notons que la façade occidentale qui doit être contemporaine de celle de Notre-Dame de Paris en reprend les caractères en plan mais le traitement en élévation sera beaucoup plus frustre. Après cette rapide analyse des contingences qui semblent avoir marqué le programme au sol, voyons le traitement en élévation.
Le chevet
Le chevet de Noyon est sujet à controverses, tantôt gratifié d'une datation basse qui semble en accord avec ses caractères (1155/1170) et parfois tiré "vers le haut" (1140/1155) pour être, en bon rapport avec la date de 1131 qui voit la destruction de l'ancienne cathédrale. Quelle que soit l'option définitive retenue, l'analyse doit porter également sur Senlis, Saint-Germer de Fly et Saint-Germain des Prés, tous quatre à placer dans la période cruciale qui sépare l'achèvement de Saint-Denis de l'ouverture du chantier de Notre-Dame et, si Saint-Germain des Prés ne comporte pas de tribune caractérisée, cela n'intervient pas dans le choix du programme comme dans la première partie de son développement.
Dans le découpage en plan, tous quatre comportent un hémicycle à cinq travées avec déambulatoire et chapelles rayonnantes mais seul Saint-Germer de Fly comporte des piles composées formées de quatre colonnes en trèfle et son développement reste limité à une seule travée droite; il est donc le plus modeste. Les trois autres voient leur élévation portée par des colonnes rondes, procédé qui se généralisera après 1160/1165. Tous quatre comportent également des bas-côtés et déambulatoires voûtés sur croisées d'ogives. Ce sont des compositions de caractère archaïque où les diagonales demeurent en plein cintre. Enfin, le groupe se scinde en deux avec le développement des chapelles rayonnantes. Saint-Germer de Fly demeure le plus archaïque avec des chapelles de très faible profondeur découpées en trois voûtains rayonnants. Senlis offre le même plan mais avec quatre voûtains. Enfin, Noyon et Saint-Germain des Prés forment un autre groupe avec des chapelles beaucoup plus vastes, mieux dessinées et dotées de cinq voûtains avec support axial. Celles de Saint-Germain des Prés sont plus profondes mais n'occupent pas la totalité des 180°, ce qu'obtiennent celles de Noyon mais avec une profondeur moindre. Ainsi, selon l'élaboration des plans, Saint-Germer de Fly est le plus archaïque, vient ensuite celui de Senlis, Noyon et Saint-Germain des Prés étant les plus élaborés. Comme nous le voyons, ce classement n'est pas conforme aux dates communément accordées à ces quatre édifices.
Voyons maintenant les élévations. Si nous réalisons une première synthèse portant sur les caractères généraux, Saint-Germer de Fly avec ses tribunes dotées de voûtes d'arêtes, ouvrant sur la nef par des baies géminées en plein cintre, demeure sans conteste le plus archaïque. Si nous faisions abstraction du très conventionnel verrou de 1144 (consécration de Saint-Denis) nous pourrions dater ce chevet des années 1135/1145. Il serait toujours suivi par Senlis qui lui ressemble fort mais se distingue cependant par un niveau de tribunes plus vaste, mieux dessiné et cette fois voûté sur croisées d'ogives. Ici tous les arcs ouvrant sur le sanctuaire sont de profil brisé, seul le premier niveau de Saint-Germer était ainsi traité. Enfin, dans ces deux édifices, toutes les fenêtres ouvrant sur l'extérieur restent petites, en plein cintre et sans mouluration.
En regard de ce premier groupe, Saint-Germain des Prés et Noyon apparaissent comme beaucoup plus élaborés. Toutes les fenêtres sont de bonne taille et de profil brisé, par contre, si les archivoltes du sanctuaire sont également de profil brisé, les travées droites restent fidèles au plein cintre et les programmes divergent au niveau des tribunes. Celles de Noyon sont parfaitement conçues et voûtées sur croisées d'ogives, tandis que le niveau correspondant de Saint-Germain des Prés est traité, accessible mais non voûté. Arrivés à ce point de l'analyse, la conclusion est évidente: Noyon est le plus élaboré, et logiquement le dernier en date ce qui doit nous donner approximativement 1155/1170. Par contre, pour le placer convenablement dans une campagne méthodique, entreprise après l'incendie de 1131, il faut le dater beaucoup plus haut. Le dilemme est là. Cependant il est une hypothèse qui peut donner satisfaction; c'est la double campagne, première facture vers 1140/1150 puis reprise générale vers 1170/1180 et nous pouvons trouver des arguments en cette faveur, nous semble-t-il.
Nous sommes dans le groupe des chapelles profondes et les caractères sont bien assurés, acquis de longue date. Certes nous prenons Saint-Germain des Prés en référence puisqu'il est le seul conservé mais l'édifice semble trop loin de l'épicentre pour être à l'origine de la composition. Ce plan était déjà exploité à Troyes dans la cathédrale de Milon élevée vers 980. Ensuite, nous retrouvons le dessin dans des substructures découvertes à Reims, après 1920. C'est alors une oeuvre milieu XII° et nous pouvons imaginer que son impact fut grand. C'est lui notamment qui doit donner naissance à la lignée champenoise avec, en filiation directe, le très bel ensemble de Saint Rémi. Mais à l'époque qui nous intéresse, 1130/1150, nous ignorons si ce plan débouchait sur une composition avec tribune caractérisée ou non. La destinée de Saint-Denis semble témoigner que le volume était accessible et non voûté et Saint-Germain des Prés est là pour confirmer l'hypothèse. C'est sans doute pour se distinguer de ce courant que Saint-Germer de Fly et Senlis soignent leur niveau de tribunes mais traitent maladroitement les chapelles rayonnantes qui semblent un additif introduit sans conviction.
Nous pouvons donc considérer que les deux écoles sont encore bien distinctes en 1140/1144, à l'heure de la programmation de Saint-Denis et Noyon, dans sa première facture, devait être fidèle à son groupe, et ne comporter qu'une tribune accessible mais non voûtée. Dès l'hypothèse admise, toutes les incohérences de détail observées sur l'œuvre s'expliquent aisément.
Dans le cadre d'une programmation non méthodique, que nous confirmerons ultérieurement, le chevet de Noyon s'élève dès 1145/1150 et s'apparente en tout point à Saint-Germain des Prés. L'élévation est portée sur des colonnes, les archivoltes de la partie droite sont en plein cintre, celles de l'hémicycle en arc brisé. Le déambulatoire est coiffé de voûtes sur croisée d'ogives, les caractères archaïques sont toujours présents mais ils diffèrent de la composition anglo-normande, d'où l'hypothèse de l'école de Reims. A ce niveau, léger avantage à Noyon qui opte pour des doubleaux brisés. Les chapelles sont également traitées de même manière et cette fois léger avantage à Saint-Germain des Prés où le dessin est plus ample.
Maintenant, en développant ce parallèle, nous pouvons estimer logiquement le second niveau de Noyon traité comme celui de Saint-Germain des Prés avec de hautes baies géminées (environ 4m 50) et un mur périphérique apte à coiffer la toiture des chapelles, soit 1m 50 environ. C'est donc un niveau accessible mais non voûté, la composition n'implique pas de triforium caractérisé. Au troisième niveau, nous devons trouver un registre de petites fenêtres hautes et des voûtes sur croisée d'ogives au profil perpendiculaire fortement bombé (Saint-Germain des Prés) avec les 2m 50 ainsi obtenus, nous sommes à un niveau de clef voisin de 23m et compatible avec le programme occidental.
Ce chevet première facture à trois niveaux est achevé vers 1155/1160. Le programme bute alors sur le mur d'enceinte et sur le volume exploité pour les besoins du culte. La nouvelle surface ainsi offerte, hors le mur, est insuffisante pour assurer une translation, d'où notre hypothèse de la poursuite des travaux selon un programme enveloppant. Pour clôturer l'ouvrage, le constructeur édifie une travée beaucoup plus puissante portée sur des piles à structure en croix qui s'inscrivent dans un cercle de 2m 70. Les colonnes du sanctuaire ne font que 0m 55 et celles de la partie droite 0m 95. Sur ces bases puissantes qui sont de surcroît flanquées de tourelles d'escalier le constructeur élève deux tours qui seront ultérieurement couronnées de trois niveaux. A la fin du XII° leur hauteur était presque égale à celle de la façade occidentale. Ces tours seront arasées par la tourmente révolutionnaire. A partir des tourelles d'escalier, des croisillons sont alors réalisés de manière enveloppante. Il s'agit de préserver le volume du sanctuaire alors en liaison avec la partie de la nef en service.
Ainsi le choix de l'école de Reims, séduisant par son développement au sol, aboutit à un chevet d'excellente facture mais à trois niveaux tandis que la nef parallèlement élaborée en comporte quatre. Une reprise paraît souhaitable. Il faut aménager de véritables tribunes, les voûter, établir un niveau de triforium et refaire les voûtes. La surcharge sera importante pour les supports. Les piles du sanctuaire resteront en état, d'où leur aspect très gracile et celles de la partie droite recevront une colonnette additive, aménagement qui n'apparaît pas avant 1180, à Paris et à Laon. C'est ainsi que nous voyons aujourd'hui des tribunes avec arc brisé et mouluration évoluée sur un premier niveau avec archivolte en plein cintre.
Cette modification se double d'un nécessaire renforcement. L'ensemble des murs extérieurs sera repris en parement et les fenêtres du premier niveau reçoivent un traitement fin XII° qui les met en harmonie avec celles des parties hautes. Ce chevet recevra comme la nef des arcs-boutants bas, au XIV°, et des volutes renaissance au niveau haut. Il faut l'imaginer à côté de celui de Saint-Germer de Fly pour bien comprendre qu'une programmation strictement haute est aberrante.
Croisée et transept
Avant la campagne du XII°, l'accès à la cathédrale se faisait par le porche occidental et les habitants qui se trouvaient côté est, au-delà du mur, devaient le contourner pour accéder aux offices. Comme l'obstacle devient sans raison, il sera percé et traversé par deux escaliers qui donneront un accès direct à l'ancienne cathédrale, c'est l'origine des deux portes que nous voyons aujourd'hui sur les faces est des croisillons.
Les deux hémicycles de Noyon sont remarquables. Pour la première fois sans doute, un constructeur parfaitement conscient de ses capacités ose élever, sans épaulement aucun, trois niveaux d'œuvre sous voûte avec de grandes baies qui ouvrent pratiquement sur toute la travée. En ce milieu du XII°, c'est une avancée considérable. Le plan comporte un hémicycle avec cinq travées rayonnantes parfaitement régulières et une travée droite, ce qui permet d'obtenir un voûtement équilibré, comme à Sens. Les trois niveaux sont sans rapport avec l'élévation du vaisseau central, ce qui semble confirmer l'hypothèse d'une avancée enveloppante mais la composition est particulièrement astucieuse. A l'étage médian, celui correspondant aux tribunes, le registre du triforium, a été introduit au-dessus des premières arcades ce qui permet d'avoir un étagement différent mais des niveaux I et III demeurant compatibles.
Les travées sont ouvertes à chaque niveau d'un arc en plein cintre qui reçoit en sous oeuvre une baie géminée de même profil. Aux étages supérieurs, elles sont doubles, une dans le plan interne l'autre dans le plan externe. C'est un aménagement réussi mais également utile. En effet, la baie géminée externe vient soutenir le dévers de l'arc majeur du aux plans circulaires. Le plan polygonal qui supprime cet inconvénient n'apparaît qu'à la fin du XII°.
Ce constructeur qui multiplie les grandes ouvertures dans une structure voûtée et sans épaulement a parfaitement compris le comportement mécanique de la voûte sur croisée d'ogives. Conscient que les réactions se trouvent concentrées dans le plan des travées, il les a épaulées avec de puissants contreforts à ressaut et nous avons là, avec trois-quart de siècles d'avance, la composition architectonique qui caractérise les grandes oeuvres du XIII°, comme la Sainte-Chapelle. Mais, entre temps, le principe des croisillons de Noyon fut repris en Ile de France sur des chevets d'édifices secondaires comme à Moret-sur-Loing. Précisons enfin que les croisillons de Noyon avaient été renforcés, dénaturés, au XVII° et XVIII° et que la restitution en l'état de l'ensemble sud, date de l'année 1900.
Après avoir édifié les croisillons, le constructeur peut mettre en cause les surfaces précédemment réservées au culte, soit la croisée et la surface propre au sanctuaire. Cette astuce de programme permettait de joindre aux parties orientales maintenant mises à disposition les deux croisillons et pratiquement l'ensemble du vaisseau perpendiculaire.
La nef
La nef longue de cinq travées majeures comporte un vaisseau central flanqué de bas-côtés et tribunes. Les supports sont alternativement composés d'une colonne (support faible) de 65cm de diamètre et d'une pile flanquée de colonnes engagées dont le dessin peut être assimilé à une structure en croix. Le volume longitudinal fait 1m 40 et le cercle d'inscription 1m 90 en moyenne. Ce sont donc des bases relativement graciles pour une nef dont les voûtes vont culminer à 23m (22m 70 à la clef). Ces travées étaient épaulées par des contreforts alternativement faibles et forts selon leur fonction. Ils furent renforcés et flanqués de chapelles latérales au cours des siècles qui vont suivre.
En élévation l'œuvre est formée des quatre niveaux traditionnels. Un bas-côté dont le bandeau s'établit à 8m 80, un niveau de tribunes couronné à 14m 60, un niveau de triforium (correspondant aux combles des tribunes) haut de 2m 20 et, enfin, un registre de fenêtres hautes. Bas-côtés et tribunes sont voûtés sur croisée d'ogives les archivoltes et les doubleaux sont de profil brisé (au-delà du tiers point) et les ogives diagonales en arc de cercle. A l'origine, les grandes voûtes étaient de composition sixte partite et le pied du système doublé d'un modeste contrefort. Enfin, la réaction externe engendrée par ce volume en encorbellement était contenue par un arc-boutant sous comble qui prenait appui sur les contreforts extérieurs. La base de l'arc-boutant descend entre les deux voûtains des tribunes et trouve ainsi son point d'épure au même niveau que le doubleau de ces dernières. Ce n'est donc pas une structure installée postérieurement. Enfin, si les archivoltes et les baies des tribunes sont de profil brisé, toutes les fenêtres extérieures demeurent en plein cintre. Celles du registre haut reprennent la composition avec double baie géminée mise au point sur les croisillons.
Ainsi décrite, la nef de Noyon est une oeuvre homogène, parfaitement conçue et dont l'ensemble des caractères et choix architectoniques sont justifiables d'une datation haute, seules les grandes baies des tribunes offrent une note discordante. Mais si les caractères architectoniques sont difficiles à transgresser, la forme des arcs et leur structuration peuvent être modifiées sans problème. Une reprise de ce genre réalisée fin XII° sur le niveau des tribunes nous paraît probable. Cette remarque préalable établie, voyons une chronologie possible pour cette nef.
La majorité des études consacrées à la cathédrale de Noyon se sont emprisonnées dans un processus méthodique où l'œuvre se développe d'est en ouest par campagnes successives. Ceci implique de dater la nef postérieurement à l'établissement de la croisée, soit après 1165 environ, et la fourchette généralement accordée est de 1165 à 1190. Le développement méthodique de la campagne est une pratique qui se dégage de la majorité des observations mais ce n'est pas une règle, encore moins une nécessité.
Nous avons émis l'hypothèse que les parties est, chevet, croisée et transept s'étaient développées en prenant en compte une nef existante, et, dans ce cas, il est naturel de penser à l'œuvre précédente, mais les travaux réalisés de ce côté après l'incendie de 1130 ont peut être dépassé le cadre d'une simple restauration. Le constructeur qui a conservé la précédente implantation a pu installer de nouvelles piles fortes entre les piles faibles puis voûter les bas-côtés et enfin coiffer le vaisseau d'une couverture provisoire pour le livrer au culte, les niveaux supérieurs étant achevés ultérieurement. Nous devons situer ces travaux vers 1140/1145 et placer ainsi l'ensemble de la campagne sur la période 1145/1170 ce qui serait plus conforme aux caractères reconnus.
A l'appui de cette thèse, peu orthodoxe reconnaissons-le, nous remarquerons que les travées 2, 3, 4 sont régulières tandis que la travée 1 se trouve réduite en portée. Si le chantier s'était développé méthodiquement, le constructeur avait tout loisir de fixer ses pas de manière régulière. S'il a ainsi comprimé la première travée, c'est qu'il était contraint de lier l'implantation de la croisée à une nef déjà bien avancée. Là, nous pouvons également invoquer les irrégularités constatées dans le plan de raccordement transept-nef. La cinquième travée est également discordante, sans doute fut-elle liée à une structure ancienne, façade ou narthex antérieurs préservés, et ce volume occidental ne sera démoli qu'au début XIII°, à l'heure d'implanter la grande façade actuelle.
Si nous admettons ce développement de campagne, il reste à expliquer le changement de traitement intervenu au niveau de la deuxième travée. Ce peut être une reprise effectuée en fin de campagne, vers 1180/1185. A cette époque, les actions de ce genre étaient réalisées à la perfection. Aujourd'hui, bien malin celui qui pourrait départager sur les piles de Saint Etienne de Beauvais la partie interne liée au programme de 1130 et la surcharge effectuée côté nef, après l'incendie de 1180.
Chronologie
Il nous faut maintenant choisir parmi les diverses hypothèses avancées un développement satisfaisant. Le processus est résolument non méthodique. En 1131 un incendie vient de détruire la vieille cathédrale. C'est alors un édifice indispensable à la vie de la cité et les travaux de restauration commencent immédiatement. Ils portent sur la partie essentielle, le sanctuaire. L'abside est remise en état et les travaux se poursuivent sur le transept et les deux premières travées de la nef. C'est le volume minimum pour l'exercice du culte. Nous sommes alors en 1135/1138. L'heure est venue d'envisager un nouveau programme. L'urgence est une nef plus vaste. La décision est prise vers 1140 et les travaux commencent vers 1145. Ils portent sur les bases de la nef que nous voyons aujourd'hui. La campagne a commencé au niveau de la troisième travée mineure afin de préserver l'espace affecté au culte. Les bas-côtés sur travées alternées sont voûtés à l'aide du nouveau procédé, la croisée d'ogive? mais le traitement des tribunes n'est pas encore totalement fixé.
Il serait bien dommage de construire une nouvelle nef sans un chevet de facture équivalente. L'œuvre actuelle est implantée vers 1145. Le choix s'est porté sur l'école de Reims et sera très proche de celui de Saint-Germain des Prés entrepris, lui, quelques années plus tard. Hémicycle et partie droite sont achevés vers 1160. Commence alors la construction des bases des tours et des escaliers qui formeront la dernière travée droite. Celle-ci est achevée vers 1165. Ce chantier qui s'est développé à partir de l'est et de manière indépendante, s'achève avec le programme des croisillons, vers 1165/1170. Durant la même période, la nouvelle nef a progressé mais lentement. Elle compte alors trois travées majeures, la deux, la trois et la quatre qui sont en voie d'achèvement. Les options hautes sont maintenant acquises et ces trois travées sont achevées et voûtées sur la période 1160/1180. La croisée du transept et la première travée de la nef précédemment mises en attente sont également réalisées au cours de cette campagne. Une fois installées, les deux piles occidentales de la croisée, laissent une travée mineure plus faible que les trois autres. Nous sommes en 1180/1185 et l'édifice est pratiquement achevé mais son caractère disparate est manifeste. Les tribunes de la nef sont voûtées, pas celles du chevet.
L'ensemble oriental est repris de 1180 à 1190. L'étage des tribunes est entièrement modifié. Il reçoit les voûtes et les grandes baies géminées que nous voyons aujourd'hui. Selon cette hypothèse, il faut également admettre l'adjonction du triforium et la reprise des grandes voûtes. C'est également au cours de cette campagne que sont réalisées les chapelles latérales de la partie droite. Enfin, il est possible que les arcades des tribunes de la nef soient remodelées pour s'harmoniser avec les nouvelles établies côté sanctuaire.
Les voûtes de la nef programmées vers 1165 sont plus archaïques que celles du chevet programmées vers 1180/1185. Elles seront modifiées au XIII°. Enfin, c'est de 1190 à 1210 que sera réalisée la cinquième travée de la nef et le massif occidental avec les deux hautes tours que nous voyons aujourd'hui. La cathédrale est alors définitivement achevée. Hémicycle et croisillons qui furent de même programmation sont désaxés par rapport à la nef qui reprit, elle, base et alignement de l'œuvre ancienne.
En 1293, un incendie du grand comble endommage sérieusement les voûtes sixpartites du XII°. Elles seront démontées et remplacées par les compositions de plan barlong que nous voyons aujourd'hui. D'autre part, des mouvements constatés dans l'élévation haute imposent l'établissement d'arcs-boutants extérieurs. Comme il n'a pas de culée pour lui offrir un point d'appui stable, le maître d'œuvre opte pour une composition poids établie à l'aplomb du mur et s'accrochant également sur le glacis du contrefort. Pour peser convenablement, l'arc fut fortement chargé. Ainsi les maîtres du XIII° savaient revenir à la composition archaïque si cela était nécessaire. Ces reprises bien conçues et bien faites ne vont pas toucher aux fenêtres réservant ainsi à l'œuvre son caractère XII°. Mais, en divers points, cette parade ne suffira pas. Sur la face nord, notamment, nous trouvons aujourd'hui de grosses culées additives avec de nouveaux arcs.
Complexe et troublante sous son apparente homogénéité, la cathédrale de Noyon fut au cœur de tous les problèmes que connut la nouvelle architecture naissante et son intérêt est grand.