Le Mans
Comme toutes les villes septentrionales qui vont naître et faire fortune grâce aux échanges entre sociétés rurales et artisanat urbain, Le Mans se trouve en un lieu où convergent les voies économiques traditionnelles, les vallées. Là vont se fixer les marchés qui intéressent les éleveurs et les agriculteurs d'une vaste région, l'assiette économique. Cette clientèle trouve ici des produits usuels et bien élaborés mais également des marchandises très spécifiques venant d'autres lieux, comme le sel, le poisson séché et également des objets de fer et de cuivre manufacturés à proximité des régions minières. C'est le grand négoce.
Les échanges s'amorceront dans une légère mais vaste dépression située aux confluents de la Sarthe et de l'Huisne. Les deux rivières abordent le site avec un niveau moyen supérieur à 40m et rencontrent un haut fond situé au pied de la butte d'Allonnes. Le gué ainsi formé a sans doute justifié la première fixation urbaine mais à 5km au nord, un éperon calcaire lié au massif qui sépare les deux vallées va également fixer un habitat, c'est la Roche Blanche, aujourd'hui la cité du Mans. Ici, les caractères sont différents d'Allonnes. Avec sa surface réduite et ses abords escarpés à proximité du cours de la Sarthe, la position favorise à la fois le contrôle de la voie sur berge et celui de la navigation. C'est une position forte et d'intérêt stratégique qui va naturellement tenter une structure politique. Allonnes sera le lieu des commerçants, la Roche Blanche celui des hommes de pouvoir, mais l'une avec ses boutiquiers et l'autre avec ses hommes d'armes ne sauraient constituer une ville. Artisans et besogneux de tout poil vont s'installer sur les berges et comme la distance séparant les deux pôles est trop grande pour constituer une seule unité, le centre de gravité de l'occupation doit varier selon les conditions du temps. Aux implantations très ouvertes qui se sont développées en période de paix et de prospérité succéderont des replis à l'abri des sites traditionnels lors des troubles et des récessions.
La plaine alluviale qui s'est formée en amont du gué d'Allonnes était favorable aux exploitations agricoles. L'espace sillonné de chemins de facture sommaire faits de terre et de fagots maintenus par des haies vives, est d'abord aménagé en enclos réservés aux bêtes. Ensuite ces terres seront mises en culture et la proximité de la nappe phréatique donnera d'excellents rendements. Cette nouvelle exploitation chasse les éleveurs qui ne conserveront que des accès aux abreuvoirs. Ensuite, aux demeures des exploitants vont s'ajouter les ateliers et dépôts des artisans chargés des premières manufacturations. Dès lors, les chemins d'antan se voient bordés de constructions tandis que les voies les plus fréquentés deviennent de véritables rues maintenant surchargées de matériaux durs, pierres et graviers. Enfin, ce cloisonnement qui forme digue, va assainir la plaine alluviale, modifier les courants et déplacer le confluent qui se trouve aujourd'hui à trois kilomètres en amont de son point d'origine.
L'occupation des deux sites est attestée depuis le néolithique, soit le troisième millénaire avant notre ère, mais l'état de métropole rurale se précise avec la poussée économique qui caractérise l'ultime période gauloise. Au siècle précédent la conquête, la butte d'Allonnes et la Roche Blanche ont toutes deux préservé leur caractère spécifique mais sont maintenant doublées d'un habitat de proximité, tandis qu'une forte composante rurale établie dans la dépression qui les sépare doit donner à cette métropole un caractère bicéphale.
L'emprise romaine
Si la plupart des villes gauloises, bien assises dés la période de la Tène, se trouvent sur des sites occupés depuis l'époque préhistorique, c'est l'emprise romaine qui donnera les grandes lignes du développement ultérieur, et cette empreinte restera profonde sur les vingt siècles à venir. ¨Pour cela trois facteurs seront déterminants.
Dès que le marché est établi, le potentiel économique ainsi créé engendre des intérêts qui vont s'organiser. Les artisans et commerçants constituent leur "guilde" et le seigneur du lieu impose sa protection et fixe ses charges sur l'ensemble des activités. Ces deux pouvoirs qui parfois se heurtent vont le plus souvent se partager les rôles et les avantages après avoir déterminé leurs domaines d'intérêts et de juridiction. A l'articulation très libre des origines succède ainsi la notion de province avec contrainte et servitude d'un petit état. Si la gestion est abusive la sclérose s'installe, mais lorsque le jeu s'engage dans une impasse, le courant d'intérêt économique intervient. Sur les siècles qui précèdent la conquête romaine, producteurs, marchands et consommateurs semblent avoir fait tout leur possible pour s'émanciper des seigneurs locaux et ce sont les tenants de ce courant économique qui vont laisser faire les conquérants et permettre ensuite la rapide mise en place d'un cadre nouveau, celui de la société gallo-romaine.
Le premier grand programme d'empire portera sur l'infrastructure routière. Des voies de caractère stratégique sillonnent la Gaule et se développent en ligne droite. Leur objectif est de désenclaver les provinces. Tous les tracés choisis ne seront pas une réussite, mais ces itinéraires nouveaux joints à la totale liberté de circulation pour les hommes et les marchandises vont instaurer des circuits d'échanges sur longues distances et le phénomène sera irréversible.
Au siècle suivant, bon nombre d'itinéraires du programme impérial seront supplantés par les anciennes voies économiques développées et aménagées mais le potentiel qui les emprunte est celui qui fut amorcé au siècle précédent par le maillage stratégique. Trois ou quatre générations se sont écoulées et la Gaule est maintenant unifiée dans les faits comme dans les esprits. L'infrastructure routière peut être alors consacrée aux voies rayonnantes qui vont confirmer la situation de ces anciennes métropoles maintenant réaménagées.
Le second facteur est précisément cette reconstruction complète des cités selon un plan rigoureux, à la Romaine. Cependant, l'urbanisme programmé n'est pas sans inconvénient, et c'est l'installation des voies rayonnantes ainsi que l'augmentation du trafique qui confirmeront l'importance économique de la cité tandis que l'adduction d'eau et l'assainissement y rendent la vie plus facile. Enfin, à ce confort vont s'ajouter services et plaisirs que l'on trouve dans les thermes, les théâtres et les hippodromes. Tout cela fera vite oublier la sévère discipline qui doit gérer toute activité en milieu urbain programmé. Et si le petit peuple n'a pas d'emblée accès à ce nouveau mode de vie, les marchands, les propriétaires et les notables ont souscrit à cette profonde mutation. Là se situe le troisième facteur de réussite socio-économique en Gaule romaine.
Cependant, il ne suffit pas de bousculer les vieilles coutumes isolationnistes et de créer des voies et des cadres urbains nouveaux, il faut aussi donner vie et raison d'être à l'ensemble. Pour ce faire, les îlots et parcelles de la nouvelle agglomération seront offerts aux investisseurs gaulois et pour ceux bien inspirés qui vont acquérir des parts dans ce cadre d'avenir, la fortune est assurée. Ainsi se forme une bourgeoisie qui est partie prenante dans la grande mutation en cours et c'est elle qui sera désormais le moteur du changement.
Le Mans, ville romaine
La métropole des Cénomans ne fut sans doute pas parmi les premières à recevoir la marque romaine. La société rurale très disséminée selon le mode celtique, ne se prêtait guère à l'édification de grosses fortunes susceptibles de s'investir dans un cadre nouveau et le caractère bicéphale de l'agglomération était également de nature à troubler l'établissement d'un programme homogène. C'est finalement l'infrastructure routière de seconde génération, les voies rayonnantes, qui va fixer l'avenir de cette métropole apparemment négligée par le maillage stratégique.
Contrairement à une idée préconçue et bien ancrée l'ordre romain n'a pas négligé la Bretagne, bien au contraire. Très tôt, un centre stratégique est créé au cœur de la péninsule, ce sera Carhaix, et la ville est à l'origine d'un réseau très dense qui couvre toute la péninsule. Ce nœud routier sera relié en droite ligne à la voie économique que forme la Seine, par une chaussée stratégique passant par Chartres et Rennes. A la hauteur du Maine, elle se situe à Bellème évitant ainsi la métropole des Cénomans. Cette négligence administrative n'empêche pas les notables de la province de sacrifier à la mutation en cours et c'est le site d'Allonnes qui fut, semble-t-il, le premier aménagé mais la population installée à proximité de la Roche Blanche va également s'engager dans le mouvement. Là, des artisans développent une petite agglomération très ouverte, au sud-est du promontoire. Le caractère bicéphale demeure, rien n'est encore fixé.
A cette époque, rapidement reconstruite sur un plan vaste et régulier, la ville d'Orléans retrouve les avantages de sa position privilégiée au sommet de la grande boucle de la Loire, au point de convergence de tous les cheminements naturels venant du Nord. L'agglomération se développe et de là partira un itinéraire stratégique qui doit également mener vers la Bretagne. C'est lui qui, le premier, touche le site du Mans avant de rejoindre l'axe Chartres/Rennes à la hauteur de Laval. Pour des erreurs de balisage, sans doute, cet axe arrive sur le site à 1000m environ en amont de la Roche Blanche et joint en patte d'oie une voie locale en aménagement qui traverse la plaine alluviale du confluent pour mener vers le gué d'Allonnes. C'est le premier tracé de caractère urbain et c'est lui qui va, en partie, fixer la nouvelle agglomération. Il sera ultérieurement prolongé vers Nogent-le-Rotrou au nord-est et vers Nantes au sud-ouest.
Une fois atteint ce tronçon urbain qui joint les deux pôles de la métropole, la voie stratégique venant d'Orléans doit poursuivre vers la Bretagne en franchissant la Sarthe, et le pied de la Roche Blanche situé en amont des zones de dépôt formés par le gué sera choisi pour l'ouvrage. Ce pont sera à l'origine d'un second tronçon urbain croisant le premier à angle droit. Tous deux formeront le cardeau et le decumanus de l'agglomération nouvelle. Les autres voies semblent avoir des caractères rayonnants évidents. Au nord, l'une se dirige vers Lisieux, l'autre vers Corseul. Trois autres mèneront vers le sud, en direction générale de la Loire, l'une vers Angers, la seconde vers Tours et la troisième en direction de Blois.
Dans la vaste dépression qui servait de lieu de rencontre aux Cénomans, le carrefour routier ainsi formé se trouve au pied de la Roche Blanche et c'est là que vont se fixer les nouveaux arrivants avant de s'intégrer dans une agglomération programmée, mais le promontoire d'Allonnes gardera une occupation de caractère plus bourgeois.
La société occidentale
Pour l'analyse d'une ville romaine d'Occident, nous devons naturellement exploiter les textes et découvertes archéologiques mais c'est là un fond en constante évolution et parfois certaines découvertes commanderaient des révisions déchirantes. Nous allons donc placer cette analyse en second rang, la première démarche étant d'ordre socio-économique.
Les hommes font parfois ce qu'ils veulent mais uniquement dans le cadre du possible, et les folles entreprises qui prétendent en imposer à l'ordre naturel des choses n'ont qu'un temps. Le village, le bourg et la ville sont des niveaux logiques dans l'articulation socio-économique et leur importance doit s'accorder avec les besoins. Tout développement artificiel est un affront à la logique et ne peut résister à l'épreuve du temps. Le rôle et l'importance de ces trois niveaux varie donc avec la courbe démographique mais également selon l'articulation rurale. C'est elle qui engage et règle les échanges entre le milieu rural et les agglomérations.
La province du Maine se trouve au cœur du domaine de caractère celtique. C'est un pays où l'exploitation du sol est soumise à la cellule familiale. Les terres sont constamment partagées entre les héritiers et la grosse majorité des propriétés se situe au voisinage du seuil minimum, celui qui permet de faire vivre ou survivre une famille de base composée du père, de la mère, de trois enfants en moyenne et d'un aïeul à charge. Trois personnes sur la courbe ascendante, trois sur la courbe descendante. Afin d'assurer en bouches ce que la terre peut nourrir, l'exploitation se stabilise à 4/5 ha. Dans ce contexte où la chaumière et l'étable coiffées par un même comble sont installés au centre des terres, les chemins carrossés sont inexistants et les moyens de transport également: c'est le règne de l'exploitation de première catégorie.
Parfois il arrive qu'un domaine bien géré par une maisonnée temporairement disciplinée rassemble 8 à 12ha de terres. La famille peut alors se doter d'une paire de bœufs, d'une charrue à soc de fer et d'une charrette à roues bandées de métal. C'est l'exploitation de deuxième catégorie mais, tôt ou tard, le patrimoine sera dépecé par le sens coutumier. Parfois, un patriarche à la poigne de fer maintient l'homogénéité d'une importante famille dont les exploitations regroupent 20 à 30 ha. Le phénomène permet l'aménagement d'une infrastructure rudimentaire avec une mare pour les bêtes, un puits profond sommairement maçonné, un four à pain collectif et des embryons de chemins menant de la ferme aux champs. Cependant l'articulation s'est faite en foyers indépendants disposés autour d'une cour commune: c'est le hameau. Les avantages qu'il offre assureront sa pérennité même après que tout lien de famille ait disparu.
Cette occupation est beaucoup trop disséminée pour fixer commerçants et artisans et ceux-ci vont se rassembler en un lieu favorable, à proximité d'un point de franchissement ou d'un carrefour de cheminement traditionnel. Au monde rural d'aller vers eux. Ainsi se forme le bourg. Son assiette économique se limite à un rayon de 12 à 15 km, soit le parcours que la clientèle peut effectuer dans la journée. Le marché qui reçoit également les commerçants itinérants se tient une ou deux fois par semaine. Cette bourgade constitue donc un échelon économique satisfaisant dans la grosse majorité des cas et la métropole qui va coiffer un plus vaste ensemble ne peut être qu'une bourgade qui s'est développée grâce à des conditions particulièrement favorables.
Le mécanisme sous entend une population d'une certaine importance et sur nos vingt siècles d'histoire la pérennité de ces métropoles et des trois niveaux d'agglomération correspondants prouve que sur les terres d'Occident situées entre Rhin, Alpes et Pyrénées, la population n'est jamais descendue en dessous d'un seuil critique qui marquerait l'éclatement du système, soit 4 à 5 millions d'habitants. A ce point, toute articulation doit s'estomper et les métropoles sont les premières à disparaître. Ainsi aux périodes les plus sombres, il restait au moins 6 à 8 millions d'individus sur la surface considérée et 10 à 12 quelques générations plus tard. La période faste du Moyen Age, XII°, XIII°, a sans doute vu la société occidentale passer de 20 à 35 millions d'individus. A cette époque l'occupation qui nous est donnée par le nombre et l'importance des lieux de culte était semblable à celle que nous allions retrouver sous Louis XV.
Subdinum : ville nouvelle
L'étendue et la permanence des caractères celtiques régnant dans les provinces de l'Ouest sont attestées par les vides que nous trouvons dans la disposition des métropoles et des évêchés. Le premier se dessine au sud de la Loire, délimité par les villes de Tours, Poitiers, Angoulême, Limoges, Bourges et Orléans. Le second, situé au nord du fleuve et marqué par Tours, Orléans, Chartres, Evreux, Lisieux, Bayeux, Rennes et Angers, avec au centre une métropole qui va s'imposer, Le Mans. Il s'agit en fait d'un ensemble unique traversé par le grand fleuve dont le transit économique a justifié la fixation de trois centres importants: Orléans, Tours et Angers, ainsi que d'un quatrième hors logique: Le Mans. Cette ville est donc bien une bourgade qui a réussi. Voyons le potentiel économique dont elle pouvait disposer.
Une bourgade qui coiffe au mieux un domaine de 15 km de rayon représentant 700 km2 peut, en domaine celtique, où la population à l'hectare est toujours inférieure à 0,5 habitant, tabler sur une assiette rurale de 30.000 personnes. Comme l'agriculture est archaïque et l'élevage dominant, les produits manufacturés nécessaires à l'exploitation sont en grande partie réalisés sur place et fabriqués en bois. Là également s'effectue la majorité des traitements de la laine et des peaux donc la part réservée à l'artisanat spécialisé fixé en contexte urbain sera faible; inférieure à 10%. La bourgade peut donc compter sur 2.000 personnes au mieux et c'est le potentiel de base que l'on peut accorder à la ville du Mans. A cela nous devons ajouter les activités liées au grand négoce. C'est un volume économique qui va d'abord transiter par les vallées puis se développer considérablement grâce aux caractères de nœuds routiers que l'infrastructure romaine accorde au site. Ces activités pouvaient faire vivre 2.000 personnes dans le cadre gaulois, et 5.000 au début du second siècle. A cela il faut ajouter une petite communauté agricole et maraîchère exploitant les riches terres basses du confluent.
La Pax Romana va donc confirmer la condition de métropole provinciale déjà acquise par la cité et porter sa population de 5/6.000 à 10/12.000 habitants mais c'est insuffisant pour occuper convenablement la centaine d'hectares que devait représenter la nouvelle cité programmée. L'agglomération a donc bénéficié d'une politique volontariste.
A notre époque, il existait encore de grosses bourgades où toutes les portes et volets se fermaient dès huit heures du soir et, seules les villes d'une certaine importance peuvent dégager un marché permanent et un volant d'oisifs et de nantis qui donne son faste à la cité. Les gallo-romains avaient déjà défini ce seuil en dessous duquel une ville est une agglomération ordinaire et sans attrait. Pour donner vie au forum et pour faire fonctionner des thermes, un amphithéâtre, un hippodrome il faut une population minimum et les gallo-romains exploitant l'expérience acquise dans l'empire avaient fixé ce seuil à une centaine d'hectares urbanisés à l'usage de 30.000 personnes. Ainsi fut fait et l'agglomération nouvelle au maillage régulier avec fontaines et réseaux d'assainissement sera implantée au revers de la Roche Blanche avec pour centre le carrefour où se croisent la voie de franchissement et celle qui longe la berge. Là devaient logiquement se tenir le forum et la basilique civile.
Pour développer une ville au-delà de son point d'équilibre naturel la recette est simple, il faut inciter à des transferts de richesse et les premiers à vouloir profiter des nouvelles installations mises en place seront les propriétaires terriens qui ont fait fortune grâce au remembrement des terres. Ces nouveaux riches se feront construire une demeure en ville et la génération suivante sera déjà romanisée et adepte du nouveau cadre de vie. Encore deux à trois générations et les descendants seront de véritables citadins vivant bourgeoisement des revenus fermiers dont ils ignorent parfois la provenance. Parallèlement, les commerçants qui avaient acquis des îlots à bon prix vont rentabiliser ces surfaces, porter hors le cadre urbain les activités de pré-manufacturation et construire des demeures de rapport. De nouvelles façades seront installées sur les dessertes médianes, présentes sur la majeure partie des îlots. Maintenant il suffit à ces gens de louer boutique et de changer d'habit pour se hisser au rang de notables.
Au second siècle, et grâce à ce programme bien conçu, la nouvelle cité a sans doute saturé la centaine d'hectares initialement urbanisés. Les quartiers périphériques ont été dégagés des activités bruyantes et nauséabondes qui sont maintenant refoulées dans les faubourgs rayonnants. La ville a atteint son niveau maximum avec 30 à 40.000 habitants sur l'ensemble de l'agglomération et c'est là, sans doute, que la dérive commence. Les "lumières de la ville" frappent l'imagination des jeunes ruraux que le lopin de terre familial fait tout juste survivre et nombreux sont ceux qui tentent leur chance dans l'univers urbain toujours avide de main d’œuvre à bon marché. Ces gens s'installent dans les faubourgs et c'est l'amorce d'une couronne plébéienne qui va se développer au-delà de toute logique pour finalement ruiner la cité dès les premiers troubles du III° siècle. Au cours des "Années Terribles", l'opulente cité du Maine disparaît comme tant d'autres dans la tourmente et les invasions extérieures ne furent sans doute que le détonateur du phénomène.
La cité du bas empire
Dès les premiers troubles du milieu du III° siècle, les cités d'Occident prennent conscience de leur vulnérabilité, et comme toujours en pareil cas, la population se décante en groupes d'intérêts. Au Mans, nous trouvons, comme ailleurs, les hommes de pouvoir dernier rameau d'une administration romaine avide et corrompue qui tente de gérer la situation. Mais comme tout se désagrège, leur volonté est sans effet. Les ordres lancés se perdent dans le désordre et comme ces maîtres du jeu vivent depuis plusieurs générations dans la plus totale inconscience, ils tenteront sans doute d'exploiter à leur profit les soldats dévoyés et les bandes armées que les troubles ont jeté sur le terrain; c'est la pire des politiques, celle qui donne au mal la bannière du droit. Il y a également les masses déplacées, les gueux de l'Empire avec leurs meneurs, les maîtres à penser de la facilité et du désordre. La cité les avait imprudemment accueillis, exploités un temps, supportés ensuite et subis enfin. Après avoir vécu d'aide et de petits travaux saisonniers, mais parfois des surplus et déchets de la faste cité, ils ont maintenant le ventre totalement vide, l'esprit ulcéré et strictement rien à perdre. Tout lieu ruiné ou seulement saccagé devient leur domaine de survie. Face à eux, la ville ouverte est devenue invivable et les survivants se replient alors sur la Roche Blanche.
Qui sont ces gens? Nous trouvons là tous ceux qui s'étaient investis dans la cité, quelques propriétaires certes mais surtout la masse des petits artisans et commerçants dont certains avaient travaillé dur sur une ou plusieurs générations pour accumuler un modeste patrimoine. C'étaient leur logement, leur boutique, leur rue, leur quartier et tout cet univers se trouvait maintenant livré au désordre et au pillage. L'idée de fuir, d'aller s'installer en d'autres villes moins exposées ne les effleurait même pas. En famille, en groupe, ces braves gens sur qui reposait l'état romain vont se fixer sur le promontoire facilement défendable, sur cette Roche Blanche qui fut naguère à l'origine de la cité.
Dans tout groupe humain, il y a les pleurnichards, les fuyards et les combattants. Quelques centaines d'hommes maintenant armés et menés par des leaders sortis du rang vont prendre en main les destinées de la population réfugiée sur l'acropole du Maine. Les groupes de défense sont formés. Les responsabilités et corvées partagées et l'aménagement du site commence. Les rues montantes et les larges escaliers qui facilitaient les mouvements entre ville basse et ville haute sont barrées de murs défensifs. Toutes les ouvertures des constructions hautes donnant sur l'extérieur sont murées et toute bâtisse située au pied du rocher qui pourrait servir à l'approche des assaillants est démolie. Les matériaux ainsi récupérés sont exploités pour cette première mise en défense. Enfin, un mur solide doublé d'un fossé va couper l'éperon du plateau attenant.
Ce que recherchent ces gens qui ont désormais totalement abandonné la grande agglomération basse livrée aux bandes incontrôlées et aux gueux affamés, ce n'est pas une citadelle pour s'enfermer mais un espace sûr pour vivre et se réorganiser. La défense va donc englober la portion de berge qui se trouve au pied de la ville haute. L'espace ainsi fermé, long de 450m et large de 250m en moyenne, représente 11ha environ. Ce fut suffisant pour accueillir de très nombreux fugitifs aux heures sombres mais après redistribution des parcelles et réorganisation des échoppes et des boutiques, en vie courante, il est difficile de dépasser les 500 habitants à l'hectare. La population repliée sur le périmètre défendu va donc se stabiliser autour de 6.000 individus, soit pratiquement le retour à la population permise par l'articulation socio-économique de base: 2.500 pour la fonction bourgade, 2.500 pour la fonction grand négoce et quelques centaines d'individus liés au statut de métropole.
La renaissance constantinienne
La crise qui frappe l'Occident est profonde et la convalescence sera longue. Hors toute considération de grande politique, et faute d'informations précises sur les provinces septentrionales en général et sur le Maine en particulier, nous pouvons tenter de cerner les plus sérieux problèmes que la société gallo-romaine du Bas-Empire doit affronter, dès le retour d'un ordre sans doute relatif.
A l'intérieur des périmètres de défense établis au cœur des cités dévastées, les artisans ont préservé leurs outils et leur savoir-faire. Même aux heures les plus sombres de la crise, ils ont travaillé et produit afin d'acquérir en milieu rural les denrées alimentaires indispensables. Même si le volume d'échanges s'était considérablement réduit, les circuits ne furent jamais rompus, il faut bien manger chaque jour. Pour ces gens de métier, le programme est simple. Afin d'acquérir les produits élaborés de leur fabrication, le monde rural leur apporte des peaux, de la laine et du lin. Les ateliers se développent à nouveau et les métiers s'activent. Certes le fer doit manquer mais en attendant la reprise des activités en zone de métallurgie, les circuits de récupération pourvoient à l'indispensable, le soc de charrue se réduit à une simple lame armant le bois et les bandages des roues de voiture sont étroits et minces, mais ces étapes pauvres sont suffisantes pour relancer la machine économique.
En milieu rural, les grandes propriétés qui avaient permis les transferts de richesses vers la cité ont été dépecées par une paysannerie trop longtemps soumise aux rudes disciplines imposées par les maîtres, et la majorité des terres est de nouveau exploitée par de petites cellules familiales, selon le mode ancestral et archaïque. Le niveau de production a considérablement baissé et les transactions vers les bourgades et la cité métropole se limitent souvent aux besoins en outillage et produits de grand négoce. Le monde rural va donc se rétablir rapidement mais dans les zones de meilleures conditions, à proximité des rivières. Sur les plateaux, les terres naguère déboisées et exploitées en cultures céréalières ou affectées à de grands troupeaux abreuvés grâce à des puits et citernes, ont été abandonnées et retournent à la futaie. Ainsi à la chute de rendement qui frappe les exploitations, s'ajoute la réduction des espaces cultivés: le mode celtique s'impose à nouveau.
Reste un troisième groupe social, le plus pitoyable et le plus nocif: les déracinés des campagnes venus travailler dans la cité où vivre à ses dépens et que l'économie convalescente ne peut reprendre en charge. Transplantés depuis de nombreuses générations, ils ont totalement oublié leurs origines rurales mais n'ont pas accédé au corps de métier relativement fermé où le maître transmet savoir et patrimoine à ses seuls enfants. Ces gens forment donc une population socialement marginalisée et seul un fort développement économique permettrait de les réinsérer dans le système mais la société gallo-romaine n'aura ni le temps ni la capacité de le réaliser. Le plus rationnel serait que ces gens s'en retournent aux activités rurales de leurs ancêtres mais conditionnés au milieu urbain ils y rechignent. D'autre part, les terres qui restent disponibles sont les plus ingrates.
Quelle est l'importance de cette plèbe marginalisée entre ville et campagne?. Difficile à dire. Chaque groupe de la société a payé un lourd tribu de sang lors des troubles, et 50 à 70% de la population occidentale a sans doute péri dans la tourmente mais la natalité galopante qui suit les grands massacres comblera partiellement le déficit. Cependant, la misère aidant, la mortalité retrouve un niveau élevé. Dans ces conditions, la Gaule romaine qui avait atteint la barre des 30 à 35 millions d'habitants chute brutalement au niveau de 10/12, et remonte péniblement vers 15 millions d'individus. La population du Maine dont les caractères sont redevenus typiquement celtiques a retrouvé un certain équilibre dans sa répartition démographique avec 88 à 90% en domaine rural et 10 à 12% en domaine urbain dont 2 à 3% dans la métropole. Il s'agit là de la population fixée. La masse des errants, variable selon les saisons et les régions, doit être supérieure à la population urbaine qui ne peut les intégrer. Comment vivent ces exclus? Ceux qui s'étaient transformés en bandes armées ont été massacrés, ceux qui sont tentés de vivre de rapine sont violemment chassés dès lors qu'ils se rassemblent en nombre menaçant, seuls les mendiants sont tolérés en divers lieux, mais toujours situés hors les murs. Quelques décennies plus tard, Saint-Martin sera leur apôtre. C'est à l'un deux établi aux portes d'Amiens qu'il donnera la moitié de son manteau, et c'est avec ceux établis dans les caves bordant la vallée du Clain, au sud de Poitiers, qu'il fondera la communauté de Ligugé.
Sur ce monde occidental qui a totalement brisé son cadre ancien et tente péniblement de se rétablir sur un état qui annonce déjà celui du Moyen Age, l'emprise impériale s'applique de nouveau lourdement. L'économie doit subvenir aux besoins d'une soldatesque issue d'un recrutement peu scrupuleux. Aux citoyens en armes des légions d'antan ont succédé les mercenaires de tout poil aux motivations incertaines. Les centres urbains doivent également supporter des fonctionnaires avides. Là les aventuriers courtisans qui ont fait carrière à l'ombre de la caste impériale ont remplacé les serviteurs intègres imprégnés de sens civique qui avaient fait la grandeur de la Rome antique. Comme l'empereur est souvent promu par la soldatesque, c'est elle qui finalement distribue les cartes sans pour autant contrôler le jeu politique qui s'ensuit; dans cette caste empanachée de titres et de pouvoir, on peut trouver le moins bon comme le pire, mais rarement le meilleur. D'autre part, tout pouvoir local qui jouit d'une grande autonomie trouvera aisément sur place des serviteurs ambitieux et dépourvus de toute conscience, serviles aux ordres et féroces avec le justiciable. Enfin, dans les temps difficiles que traverse l'économie, les privilèges que peuvent concéder les maîtres vont tenter bien des affairistes peu scrupuleux.
Pour ceux qui font du colbertisme plus une religion qu'une formule de gouvernement à manier avec circonspection, la restauration du pouvoir impérial est une sérieuse rémission dans la décadence occidentale, mais ce retour en force de la caste dirigeante qui avaient déjà précipité l'Occident dans le désastre un siècle auparavant, n'accordera à cette civilisation finissante qu'une ultime illusion. Les vices fondamentaux qui caractérisent le système le mènent inexorablement vers une issue fatale.
La défense du bas-empire
Si les murailles qui s'élèvent maintenant autour des cités d'Occident peuvent parer à un climat d'insécurité, comme aux risques d'invasions extérieures, elles témoignent surtout d'un grand désordre social. L'Occident est devenu totalement incapable d'assurer une levée d'hommes en armes comme les Gaulois l'avaient fait face à César. La troupe de métier qui s'est réservé le droit de porter les armes et les chrétiens qui pensent que tenir un glaive voue son homme à la damnation éternelle, ne sont pas suffisants pour expliquer ce phénomène. Une grande lâcheté collective s'est abattue sur cette population accoutumée depuis trois siècles à se fier et à faire référence au système.
D'autre part, le tracé des enceintes nous informe sur le contexte qui présida à l'établissement du programme. Les murs en quadrilatère régulier, installés conformément à l'ancien maillage urbain comme Orléans, Amiens, Troyes, Nantes et Bordeaux semblent dessinés et mis en place par une société bourgeoise et commerçante prospère et bien rétablie sur les îlots et parcelles anciennes. Les enceintes elliptiques, centrées sur le cœur de la cité comme Bourges, Reims, Senlis, Sens et bien d'autres, sont le signe d'une métropole rurale qui tente de préserver le cœur de son ancien établissement dans un contexte difficile où la province a considérablement réduit ses besoins et ses échanges avec la cité. Par contre, lorsque un ancien oppidum celtique, comme la Roche Blanche, se trouve cerné de murailles, les critères socio-économiques ne sont pas prépondérants.
Au Mans, la surface haute très solidement défendue couvre dix ha. environ et l'espace peut abriter 3.500 à 4.000 personnes. Cependant, comme le lieu ne peut convenir qu'aux commerçants et notables, un bon équilibre sous-entend 8 à 12.000 personnes liées à l'artisanat et aux servitudes; c'est apparemment beaucoup plus que la province ne peut faire vivre à cette époque. Le programme de mise en défense a donc été dicté par une volonté strictement politique et l'évolution de la cité sur les six siècles à venir confirmera cette analyse. Les parallèles à faire sont peu nombreux. Nous pouvons citer Verdun, mais également Carcassonne. Du IV° au X° siècle, la cité du Maine et celle du Languedoc ont connu des évolutions très semblables. Nous retrouvons la même articulation, ville haute, ville basse, fleuve de moyenne importance avec un pont et un itinéraire économique très fréquenté. A l'intérieur de l'enceinte, même disposition avec une cathédrale côté plateau et un domaine comtal sur le revers. A Carcassonne, le premier du genre se trouvait à l'emplacement de la porte Narbonnaise.
La muraille
Cette enceinte puissante qui suit au plus près le dessin du promontoire est très caractéristique du Bas-Empire. Le mur épais de 3,50m à 4,20m en moyenne est ponctué de tours massives d'un diamètre de 7 à 8m, seule la partie dominant la courtine est aménagée pour la défense. Ces tours au nombre de 30 environ, sont espacées de 28 à 29m en moyenne. Les accès sont peu nombreux. Une porte amont, côté plateau, une rampe tangentielle côté ville ouverte qui sera ultérieurement absorbée par le domaine comtal et trois poternes. La plus importante, donne vers le quartier Saint-Benoît, en aval, et deux autres ouvrent sur le quartier des tanneurs et des meuniers établis sur les berges de la Sarthe.
La construction traitée de manière soignée est essentiellement réalisée avec des matériaux récupérés sur la ville basse. Après un lit d'assise formé de gros blocs soigneusement adaptés à la roche, nous trouvons une base maçonnée avec parements de bonnes pierres. La partie supérieure également en blocage est chaînée de briques et parementée de petites pierres cubiques où se manifeste parfois un subtil souci de décoration.
Au sommet, le mur garni de créneaux de pierres forme une large allée de circulation dallée. C'est un aménagement défensif à l'antique dérivé des camps légionnaires. Les assaillants qui arrivent par petits groupes se trouvent face à trois rangs de défenseurs munis de boucliers et armés de lances et de javelots. Il leur est difficile de se maintenir et c'est là que la décision se fait. Pour cela il faut concentrer 200 à 300 défenseurs face au point d'attaque et la large courtine permet un déplacement rapide. C'est une tactique totalement opposée à celle qui sera exploitée au Moyen-Age où l'escalade est rendue très difficile et la courtine étroite confiée à un petit nombre de défenseurs.
Conçue comme une citadelle et sans doute confiée à des troupes régulières, l'Acropole du Mans devait contrôler la ville et la province, la défense de la cité n'étant que l'ultime recours, et les quartiers bas n'avaient pas de protection particulière. Mais, dès la fin du IV° siècle, l'armée impériale s'évapore et les bourgeois qui prennent la situation en mains vont également protéger les zones d'activités situées le long de la rivière et notamment le quartier aval ainsi que les abords du pont.
L'articulation nouvelle
Bien qu'incluse dans le domaine de Syagrius, le dernier des Romains, la métropole du Maine doit vite abandonner tout espoir de recours auprès des institutions d'empire et vivre selon sa condition comme un centre socio-économique au service de sa province. La nouvelle articulation urbaine, très concentrée, reçoit les notables, les commerçants dans la cité haute et les ateliers en bordure du fleuve. Nous sommes là dans l'agglomération des métiers. Par contre, la voie nord-sud qui passait au centre de l'ancienne ville ouverte et menait de la Normandie au Val-de-Loire reste très fréquentée, d'autant qu'elle dessert le franchissement d'Allonnes. Là se rassemblent, en milieu ouvert, les agriculteurs et les éleveurs, le lieu est favorable pour les marchés aux bestiaux et pour la commercialisation des produits du terroir: c'est le domaine de la culture. Les populations installées autour du carrefour ont fixé leur lieu de culte et la petite agglomération se définit comme une paroisse dont nous avons perdu le nom du Saint Patron. Mais, avec le développement et la multiplication des sanctuaires, la ville prend le nom de sa fonction, La Culture qui deviendra La Couture, appellation définitivement fixée par l'abbaye.
Ce volume économique qui représente la part "bourgade" prise en compte par la métropole, est susceptible de faire vivre 1500 personnes. Là également nous trouvons des boutiques qui ont choisi de s'installer hors de toute protection mais en un point de grand passage et cette composante porte la population à 2.000, voire 2.500 personnes.
Vers 500, le faubourg de La Culture a acquis son articulation optimum. L'angle sud-est du carrefour est concédé à quelques mendiants inspirés, c'est l'amorce de l'abbaye. Là se forme un vaste enclos où vont s'activer religieux et laïques charitables, c'est une halte pour les voyageurs démunis, un refuge pour les malades sans ressource, un lieu de bonne parole et de soupe maigre. L'espace reçoit également tous ceux dont le comportement serait de nature à inquiéter la bonne société du faubourg. L'évêque doit logiquement coiffer les activités religieuses de la fondation mais cela sous-entend des dîmes qui risquent d'être dérivées au profit de l'église cathédrale et la population d'en bas entend s'en défendre. Elle reconnaît la préséance de l'homme à la crosse mais veut négocier les charges que cela implique, autant dire que les rapports se limitent aux déférences et politesses d'usage. Par contre si un prélat veut bien se souvenir des véritables devoirs de sa charge, et se soucier des pauvres de ce monde, le faubourg lui laissera bien volontiers la gestion de l'enclos des oeuvres. Ce fut sans doute le cas de Saint-Bertrand, évêque vers 600/615, à qui, dorénavant les scribes du diocèse attribueront la fondation de l'abbaye. L'arrivée de l'esprit bénédictin apportera quelque rigueur dans la gestion et fixera les devoirs des résidents. La règle déterminera les trois lieux de culte traditionnels à cette époque. Enfin, c'est la profonde mutation de l'ordre amorcée au Carolingien qui donnera à la fondation de La Couture sa première étiquette d'abbaye comme nous l'entendons.
Au-delà du pont sur la Sarthe, la voie romaine menant vers la Bretagne a justifié dès le second siècle l'établissement d'un faubourg mais les terres du méandre, mal stabilisées et toujours inondables vont longtemps limiter l'habitat aux axes de voies formant digues, les terres basses des alentours demeurant en pâturage. Là se développe également un lieu de culte bientôt flanqué du domaine des oeuvres. C'est l'amorce d'une abbaye qui évoluera pratiquement comme sa grande sœur de La Couture. La fondation ultérieurement prise en mains par les Bénédictins reçoit le nom de sa situation: l'abbaye des Prés.
Les chrétiens
La société Celtique fut, de tout temps et plus que d'autres, fortement attachée à ses croyances ancestrales et les divinités reconnues ainsi que les rites pratiqués avaient le plus souvent un caractère éminemment fonctionnel. Par contre, la pensée judéo-chrétienne des premiers temps de l'Empire interpelle les individus à un niveau très différent, et les deux courants religieux pouvaient donc co-exister. Aux inquiétudes de chaque jour, allaient se superposer celles concernant l'éternité mais ce n'était pas un terrain facile pour les messagers venus de Rome et de Méditerranée orientale. Les premières communautés chrétiennes vont donc se former au sein de la plèbe urbaine, vers 260/300 à l'époque où la société du temps était confrontée aux pires difficultés. C'est également la période où leur implication en politique et leur condamnation sans appel de tous les cultes de Rome vaudront aux chrétiens les pires persécutions. Ils sont sans doute présents au sein du petit peuple qui s'active au pied de l'acropole mais dans la plus totale clandestinité et en petit nombre.
Dès 313/315, la Paix de l'Eglise donne aux chrétiens la liberté d'exercer au grand jour et la masse des déracinés que l'économie convalescente ne peut absorber est pour eux une bonne clientèle potentielle. Mais ce développement dans les couches très marginales de la société leur barre sans doute l'accès à la cité haute. Les quelques sanctuaires nouvellement fondés doivent se situer en ville basse et l'église Saint-Benoît est bien placée pour avoir été développée sur un sanctuaire primitif. A la fin du IV° siècle, les Edits de Théodose sont sensés imposer la religion nouvelle à tous et justifient ainsi le transfert de l'église cathédrale au cœur de la cité haute. Mais cette décision intervient à la veille d'une nouvelle période de troubles et il est peu probable qu'elle fut suivie d'effet. L'esprit bourgeois et conservateur qui doit régner sur la société de l'acropole du Maine voit d'un mauvais oeil l'introduction en ses murs d'un mouvement religieux où les tendances anarchistes demeurent présentes. Même si le transfert s'est fait, la nouvelle église n'a rien de majestueux. Au Mans, comme à Angers, l'emplacement des cathédrales est situé à l’extrémité de l'enceinte, côté plateau, afin que les petites gens du faubourg puissent accéder à leur nouveau sanctuaire sans traverser la cité.
Au V° siècle, toute structure d'empire ayant disparu, les notables de l'acropole, très opportunistes, adoptent le cadre religieux comme moyen de gouvernement et la cathédrale devient le temple de la cité, c'est désormais une église bien différente. Le phénomène doit se produire vers 450/500 et se confirme dès que les cavaliers Francs commencent leur chevauchée en Occident. Ils sont maintenant chrétiens et un évêque bien installé est de nature à leur imposer le respect.
Faute d'information précise, c'est le schéma de référence que nous pouvons adopter; il est bien approprié au contexte occidental, en général.