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Les cathédrales de Beauvais
Avant d'aborder l'étude de la grande cathédrale du XIII°, voyons d'abord les édifices antérieurs. C'est un sujet fort mal connu et les hypothèses sont diverses et contradictoires. Nous résumerons assez bien la question en définissant deux démarches générales. Pour les uns il faut s'en tenir aux certitudes, exploiter au mieux les constructions actuelles ainsi que les fondations découvertes lors de fouilles archéologiques. C'est une opinion conventionnelle qui semble donner toute garantie d'objectivité, cependant il est présomptueux d'imaginer posséder l'ensemble des données du problème et toute découverte susceptible d'être faite; telle est l'opinion contraire. Alors, que peut-on faire sans information précise? D'abord se référer au contexte qui nous est offert par les autres cités épiscopales. Nous n'aurons pas davantage de certitudes mais la démarche nous permet de placer les connaissances acquises en bonne place afin de définir les hypothèses de travail.
L'énorme cathédrale du XIII° siècle a progressivement absorbé l'édifice antérieur, dit la basse œuvre, dont il ne reste aujourd'hui que les trois travées occidentales. C'est une construction de caractère basilical avec collatéraux. Les parements sont presque essentiellement constitués d'un petit appareillage cubique d'origine gallo-romaine récupérés sur les ruines antiques; c'est le pastoureau du Moyen-Age. Nous trouvons également de fins chaînages de briques sur l'élévation et des claveaux de même nature dans l'encadrement des grandes fenêtres en plein cintre. Ce sont des caractères Bas-Empire, mais l'élévation interne portée sur des piles rustiques témoigne pour une époque ultérieure. Après quelques datations liées au Mérovingien, la majorité des auteurs s'est ralliée à une origine Carolingienne. Les estimations les plus récentes donnent seconde moitié du X° siècle, soit 950/980, et des fouilles récentes nous ont livré une partie du plan ancien, actuellement situé sous l'œuvre gothique. La nef comportait neuf travées débouchant sur un très vaste transept, mais le chevet demeure inconnu.
Si telle était la cathédrale de Beauvais et si nous nous en tenons à ces informations, un grand nombre d'interrogation demeure. Dans quel édifice s'est déroulé le Concile de 845? D'autre part, la basse oeuvre fut toujours considérée comme telle et la dédicace à Saint-Pierre n'apparaît jamais à son sujet. Alors, quelle était la nouvelle oeuvre précisément dédiée à Saint-Pierre et dont l'évêque Hugues posa la première pierre en 949?. L'existence de cet édifice fut confirmée en 996 par l'évêque Hervé qui lui accorda les revenus de deux moulins.
Certes il est possible de trouver un moyen terme. L'enveloppe de la basse oeuvre est bien de l'époque Carolingienne, vers 800/850 mais l'élévation centrale, ainsi que la façade, furent refaites au X° siècle afin de substituer de bonnes piles rectangulaires aux colonnes monolithiques de récupération qui engendraient quelque souci. Quant à la nouvelle oeuvre entreprise par Hugues, elle pouvait être située sur le même axe, mais plus à l'est et ses bases furent ensuite totalement absorbées par les volumineuses maçonneries du XIII° siècle. Il suffisait que le sanctuaire soit achevé pour que la dédicace à Saint-Pierre se justifie, mais toutes ces hypothèses ne sont pas satisfaisantes pour autant. Quel fut l'édifice du Bas-Empire élevé lors de l'installation du premier évêque établi intra muros? Si ces premières constructions étaient très modestes, leur reprise à l'époque Mérovingienne est courante et les églises de ce temps laissent généralement quelques traces. Finalement, cette démarche qui remonte dans le temps, n'est pas rationnelle et risque de masquer les bonnes interrogations.
Situer le palais épiscopal de la Haute Époque là où il se trouve aujourd'hui, à 200m du sanctuaire probable de la première cathédrale, est quelque peu aberrant. La forteresse occupée par l'évêque au Bas Moyen-Age n'était autre que l'ancienne demeure comtale. Les bourgeois de la cité désireux de se débarrasser du prétendant noble et de sa soldatesque eurent l'idée de donner les murs à l'évêque à l'occasion d'une succession douteuse et le prélat crut bon de s'y installer dans la période troublée de la fin du Moyen-Age. L'évêché primitif, naturellement lié au sanctuaire de la première cathédrale devait se trouver à la hauteur du chœur actuel avec, éventuellement l'espace côté muraille en guise de jardin. Remarquons également que la quasi totalité des églises du Moyen-Age, toujours existantes au XVIII° siècle, se trouvaient orientées selon les coordonnées Augustéennes la cathédrale et la basse oeuvre étant les seules à transgresser la règle. Leur axe d'implantation est infléchi vers le nord, par rapport au decumanus toujours en place, comme si le programme ainsi lancé voulait préserver une oeuvre ancienne établie parallèlement à la voie.
Là, cependant, nous devons faire une remarque. Rares sont les lieux de culte abandonnés et le fait est plus exceptionnel encore lorsqu'il s'agit d'une église-cathédrale. Aucune règle ne l'interdit mais les églises sont si fortement impliquées dans la vie sociale du Moyen-Age que toute démolition engendre naturellement une grande inquiétude et une levée de boucliers; il n'est pas un paroissien qui n'ait eu, en ce lieu, un vœu exaucé et la démolition lui apparaît comme un acte à haut risque. Cependant, nous pouvons avancer une hypothèse très simple. La cathédrale du Bas-Empire, qui fut délaissée dès l'établissement de la basse oeuvre, sera ensuite absorbée par un agrandissement du Palais épiscopal et le sanctuaire transformé en chapelle à l'usage de l'évêque. Il devenait ainsi un lieu de culte privé auquel la population n'était plus attachée et sa démolition ne souleva aucune objection.
En résumé, une cathédrale du Bas-Empire, refaite au Mérovingien et intégrée dans l'évêché vers 950, dès que la nouvelle oeuvre voulue par Hugues eut bousculé les bâtiments du prélat, et enfin la totalité de la demeure épiscopale détruite par l'incendie de 1225 constituerait une hypothèse très satisfaisante. C'est le grand chantier gothique qui forcera l'évêque à émigrer à 200m du sanctuaire et ce sont les difficultés du XIV° siècle qui l'empêcheront de reconstruire sa demeure en un lieu traditionnel et plus pratique. Certes, tout cela n'est qu'hypothèse mais la démarche nous semble intéressante.
L'œuvre du XIIIe
Entreprise par un maître non dénué de talent mais aimant jouer avec le risque, et poursuivi par des responsables de chantier tout aussi aventureux mais maladroit, la cathédrale de Beauvais fut, durant son édification, l'objet de très nombreux problèmes et connut deux accidents majeurs qui vont ruiner, chaque fois, une bonne part de l'œuvre réalisée tout en ébranlant sérieusement les parties subsistantes.
Cependant, celle qui fut la honte du genre français et qui, sans doute, brisa la confiance que la société du temps avait en ses maîtres d'œuvre fut chaque fois reprise avec obstination et plus ou moins d'aménagements. Il est donc facile d'analyser l'ouvrage tel qu'il est aujourd'hui mais il est peu commode d'en dégager le programme initial pour définir précisément quel fut sa place dans le développement de l'architecture du XIII° siècle. C'est le sujet que nous allons aborder.
Le chevet
Sur la construction des cathédrales, les informations disponibles sont peu nombreuses et presque toujours indirectes, ce sont souvent des chartes et des chroniques traitant des problèmes financiers ou administratifs en rapport avec l'œuvre, mais jamais un état rigoureux du chantier. Ainsi, toute chronologie établie est-elle justifiable de critique et parfois objet de mise en cause. D'autre part, en ce domaine, nous nous laissons parfois embarquer dans le petit train de la certitude. Derrière un auteur illustre qui fait office de locomotive, des analystes de second rang s'accrochent à l'avis du maître et cela donne ce qu'il est convenu d'appeler une opinion communément admise. Tout esprit critique doit la considérer comme telle, sans plus.
Après diverses hypothèses non satisfaisantes, le chevet de la cathédrale de Beauvais sera lié à l'incendie survenu en 1225, ce qui mettait chronologiquement l'œuvre en quatrième position, après Soissons 1204/1206, Reims 1212/1214, et Amiens 1220. Mais c'est une classification beaucoup trop sommaire. Beauvais fut, comme Soissons et Reims, commencé par le chevet, tandis que la cathédrale d'Amiens était entreprise par la nef, nef que Beauvais ne reçut jamais. Une bonne filiation doit donc placer Beauvais avant Amiens dont les parties orientales ne furent fondées que vers 1235 et l'analyse architectonique que nous allons mener confirmera bien que le maître à qui nous devons le superbe chœur d'Amiens a su tirer grandement profit de la démarche aventureuse menée à Beauvais.
En 1225, les hémicycles de Soissons et de Reims sont achevés et dans cette lignée majeure, le découpage en plan comporte cinq travées rayonnantes de 36° chacune, établi sur axe. Les grandes voûtes sont alors compensées par une demi voûte de contrebutement établie sur la première travée droite. C'est un parti qui remonte au siècle précédent; il est alors parfaitement maîtrisé et le maître de Beauvais pourrait jouer la sécurité et s'en inspirer mais il va innover et choisir un plan a sept travées rayonnantes établi sur un hémicycle prolongé. La composition donne alors cinq angles de 28°,30" et deux angles de 37° sur les ailes du système afin de rejoindre le doubleau de clôture. C'est un découpage totalement nouveau et qui se révèle beaucoup trop subtil pour être le fruit d'une fantaisie. Il s'inscrit parfaitement dans le cadre d'une recherche destinée à obtenir un meilleur équilibre relatif au sein des grandes voûtes du sanctuaire.
Nous trouvons également le même dessin au chevet du Mans mais les datations de ce dernier sont incertaines et la rigueur du découpage en plan observée à Beauvais nous incite à le placer à l'origine de la filiation. Le dessin sera également repris à Coutances, vers 1235/1238 et maladroitement exploité à Limoges vers 1275.
Nous allons résumer l'évolution antérieure et préciser les problèmes rencontrés mais avant, notons qu'un bon équilibre relatif dans le système des grandes voûtes du sanctuaire implique des fenêtres de portée équilibrée. Si un arc de grande portée voisine avec un petit, sa résultante latérale passera très au-dessous de celle de son voisin et le phénomène va déséquilibrer la pile critique. C'est un problème qui n'apparaît pas avec les premières constructions où le mur demeure présent et les fenêtres petites. Il est négligeable avec des piles critiques courtes et des murs virtuels épais, comme à Reims, mais il va se révéler crucial avec l'allègement des structures et l'escalade en hauteur.
A Reims, Jean d' Orbais avait sans doute déjà pris la mesure du problème et sa première travée droite est nettement plus courte que la seconde, ce qui amortit les différences entre les fenêtres rayonnantes et droites. La mesure était excellente et cependant il crut bon de s'assurer avec un mur virtuel très épais. Le constructeur de Beauvais a sans aucun doute suivi la démarche et réfléchi sur la question. Pour faire plus haut et plus léger, il fallait imaginer un plan offrant naturellement un meilleur équilibre au sein des grandes voûtes alors pourquoi pas un système de compensation inclus dans un hémicycle prolongé, ce qui donnait naturellement sept chapelles rayonnantes. L'idée est remarquable en soi mais elle demande une mise au point et ce que le constructeur de Beauvais n'a su obtenir, son collègue d'Amiens le réalisera superbement quinze à vingt années plus tard.
Après avoir réfléchi, dessiné et sans doute matérialisé son projet sur une maquette en bois, le maître de Beauvais entreprend son élévation. Ses chapelles rayonnantes sont inscrites dans un rectangle. Il revient donc au dessin de Soissons évitant ainsi le piège du fer à cheval où Jean d'Orbais s'était engagé. Mais avec un déambulatoire relativement étroit, 7m 08 et un angle de 28°,30", il obtient des chapelles de petite taille: 6m 90 de large au nu du mur et pour conserver un rapport acceptable selon l'ordre esthétique, la hauteur sera limitée à 8m au tailloir et 12m 40 à la clé. C'est bien peu en rapport au volume de l'œuvre projeté et le constructeur décide de dissocier le niveau des voûtes du déambulatoire de celui des chapelles. C'est une composition également nouvelle dans l'œuvre gothique. Certes nous pouvons faire un rapprochement avec Bourges mais il est peu probant. L'étagement est celui d'un édifice à tribune avec suppression du premier niveau. Par contre, un siècle et demi plus tôt, le maître de Cluny avait déjà pris la même option sur la grande abbatiale de Saint-Hugues où le chevet comportait également un découpage en sept travées rayonnantes établies hors axe, avec de petites chapelles et déjà le maître avait dissocié les voûtes du déambulatoire de celles des chapelles.
A Beauvais, nous trouvons une petite galerie qui correspond aux combles des chapelles puis un niveau de fenêtres éclairant directement le déambulatoire, ce qui porte les tailloirs à 16m, ce sera également la hauteur des piles du sanctuaire. Sur ces bases, le système de voûte donne une hauteur de bandeau (théorique) de 22m.
En développant son étude, le maître d'œuvre n'avait pas manqué de découvrir la difficulté majeure que l'on rencontre avec sept travées rayonnantes. La valeur angulaire réduite donne à l'arcade ouvrant sur la nef une faible portée. Il faut donc surélever l'arc et la couronne en compression se trouve alors très au-dessus du point d'application des résultantes concentriques issues des doubleaux rayonnants. Ce n'était pas nouveau. Le maître de Cluny s'était confronté au même problème et avait déjoué le piège en dissociant les voûtes des arcades, par contre, sur les grands chevets des églises de pèlerinage, le mal est endémique. A Saint-Léonard de Noblat nous allons trouver toutes les faiblesses techniques qui guettent la composition. Les piles du sanctuaire ont alors, sous les effets concentriques, déversé vers l'intérieur, c'est un problème que nous avons analysé dans "LE GRAND SIECLE BOURGUIGNON". Cependant, à Beauvais, la puissance des piles et la légèreté des voûtes rendaient le risque négligeable, il fallut l'impardonnable maladresse de la pile intermédiaire en porte à faux pour transformer un ensemble bien équilibré en composition à haut risque. Ce fut sans doute l'œuvre d'un successeur inconscient. Nous trouvons trop de rigueur dans la composition d'ensemble pour attribuer pareille faute au concepteur.
Après avoir établi le déambulatoire et la couronne de chapelles, restait à édifier les parties hautes et la nous ignorons si la réalisation fut conforme au projet initial ou alors développée pour répondre à une folle concurrence. La hauteur portée à 47m sous clé va dépasser toutes les réalisations contemporaines. Le triforium représente 7m de haut et la pile critique atteint 9m, ce qui porte les tailloirs des grandes voûtes à 38m. D'autre part, le chœur de Beauvais fut sans doute le premier à recevoir un triforium ouvert. Dans cet aménagement le mur extérieur où venait s'appuyer la charpente du comble est remplacé par une seconde arcature externe garnie de vitraux et la couverture, maintenant en feuilles de plomb, doit se contenter d'une très faible pente. Ultérieurement, nous trouverons là des combles en pyramide qui assurent un meilleur écoulement des eaux sans gêner la pénétration de la lumière mais cette forme de couverture impose des gouttières sur trois côtés et les risques d'infiltration deviennent grands. En fonction architectonique, ces deux fines galeries qui remplacent l'ancien mur n'offrent plus aucune inertie et nous pouvons considérer que la hauteur ainsi traitée vient s'ajouter à la valeur de la pile critique qui passe alors à 16m. Enfin, à Beauvais, pour tenter le diable encore davantage, le constructeur va flanquer la section haute de cette pile de colonnes monolithiques en délit destinées à soutenir le point d'impact de l'arc-boutant. Rapidement il faudra condamner la composition et noyer cette colonne dans un contrefort de maçonnerie mais les anciens chapiteaux intégrés dans l'appareil de renfort sont toujours en place.
Sur des bases graciles à l'extrême, les grandes voûtes du sanctuaire respectent naturellement le plan tracé au sol, les cinq voutins rayonnants sont convenablement équilibrés par les deux ogives compensatrices et le doubleau de clôture répercute les effets ainsi collectés sur deux culées très puissantes. L'ensemble de l'hémicycle se comporte donc de manière auto-stable comme le constructeur l'avait prévu et l'avenir le confirmera. Lors de l'écroulement des grandes voûtes de la partie droite du chevet survenu en 1284, le sinistre s'arrêtera à l'hémicycle qui ne bougera pas.
Les culées et les arcs boutants
Pour répondre à la hauteur des voûtes, les piles qui font office de culée pour les arcs-boutants sont portées à plus de 44m au chaperon et si la section de base était confortable 1m 45 X 4m à la sortie du comble, la hauteur atteinte et les décrochements successifs les rendent finalement très graciles. La section haute qui reçoit les arcs-boutants ne fait plus que 3m 10 X Om 85. La hauteur et la légèreté du chœur de Beauvais ont sans aucun doute impressionné les contemporains mais l'ouvrage a également fait peur à certains maîtres d'œuvre. A la même époque, le constructeur du chevet du Mans qui dispose d'une structure basse sensiblement équivalente, soit 22m au bandeau, juge prudent de supprimer le triforium et de se contenter d'une pile critique de 5m 60, ce qui lui donne une hauteur sous voûte de 34m. Cependant il faut préciser qu'une implantation basse mal conçue avait privé l'œuvre de fondations pour culées et que les aménagements en Y réalisés alors durent se contenter d'assises additives.
A ce point de l'analyse nous devons nous poser la question suivante: avec la culée de première facture telle que nous l'avons décrite, pouvait-on maintenir les grandes voûtes du sanctuaire de Beauvais avec des arcs-boutants à volée unique? La portée entre la culée et le volume sur colonne destiné à recevoir l'arc est de 8m. Ce n'est pas une valeur excessive. Quelques années plus tôt, le constructeur chargé de reprendre la nef de Notre-Dame de Paris avait lancé des arcs-boutants uniques d'une portée de 11m avec un plan d'application haut de 3m 50 environ, ce qui prévenait tout risque de basculement. Pareil contrebutement eut été réalisable à Beauvais et aurait même dispensé l'ouvrage du contrefort très haut dont la fonction est discutable mais, à cette époque, cet additif de sauvegarde maintenant admis dans les programmes est à un tournant de sa carrière.
Dans ses premières applications il se comporte en structure poids et se trouve protégé des infiltrations par des dalles en escaliers ou en glacis. Ensuite, ces recouvrements seront remplacés par un alignement de chaperons et, très vite, les constructeurs comprennent qu'ils ont là une membrure en compression qui assure la totalité de la fonction mais il fallait l'arc porteur et les maçonneries de liaison pour la maintenir en place. Toutefois, l'arc ainsi chargé engendrait toujours sur le pied de voûte une poussée qui pouvait dépasser les besoins. Il fallait donc recharger le blocage d'extrados des voûtes afin de rétablir l'équilibre. La composition traditionnel avait atteint ses limites.
C'est le constructeur du chœur d'Amiens qui trouva la parade en remplaçant les lourdes maçonneries de liaison par une fine arcature prenant appui sur l'arc et maintenant la membrure en position. Cette réalisation constitue le chef d'œuvre du genre, mais à l'heure de son choix, vers 1233/1235, le constructeur du chœur de Beauvais n'a pas l'imagination de son collègue de Picardie. Cependant, l'arc-boutant traditionnel sur 8m de portée lui fait peur alors il va choisir la plus mauvaise solution: une pile intermédiaire maladroitement établie sur les reins de la voûte des bas-côtés. C'est une faute inconcevable en ce début du XIII° siècle où les règles de la mécanique statique sont alors bien appréhendées.
Cette pile en porte à faux représente avec les résultantes issues des arcs, environ 120 tonnes de charge appliquées sur un pied de voûte de traitement gracile et les conséquences ne se font pas attendre. La pile écrase le doubleau qui déverse du côté de moindre résistance, vers l'extérieur. Dans ce premier temps, l'inertie de l'élévation qui représente environ 220 tonnes au niveau du tailloir sauvegarde les piles du sanctuaire et la première parade choisie consiste donc en un très court et très puissant arc-boutant qui va du pied de la pile à la culée. Mais cette parade est absurde. Elle a pour effet d'établir un point fixe qui fait basculer la résultante du côté opposé, vers la pile du sanctuaire et celle-ci se met à "flamber" vers l'intérieur. Il faut en améliorer l'inertie dans le plan rayonnant avec trois colonnes engagées internes et sans doute "chaîner" avec des ancrages métalliques. Par contre, l'aménagement permet de réaliser une batterie d'arcs-boutants de courte portée et de bonne tenue. Ceux du bas interviendront au niveau médian, les autres, plus légers, s'appliquent au niveau très haut et sauvegardent ainsi une niche destinées à une grande statue sur socle, comme celle que nous avons rencontrée sur les culées de Reims. Nous voyons là les impératifs techniques se plier aux caprices de l'artiste, c'est la voie de tous les risques.
Les travées droites
Après un chevet bien dessiné au sol et convenablement élevé, si ce n'est la malencontreuse pile intermédiaire, la partie droite reprend le plan de Reims avec deux travées à double bas-côté, la troisième étant liée au transept. Par contre, Beauvais renoue avec les croisillons débordants, dotés de tours de flanquement sur les façades. Ce sont leurs structures puissantes qui vont limiter latéralement la catastrophe de 1284 et permettre la reprise des travaux par Martin Chambiges en 1500/1503.
L'ensemble ainsi formé est parfaitement homogène ce qui nous incite à penser que les fondations et la totalité des bases furent si non achevées du moins programmées et implantées très tôt et sans doute par le premier maître, le concepteur. Le dessin est empreint de logique. Après un hémicycle prolongé, ou la conception des structures devait lui assurer une parfaite stabilité il se vit libéré de toute contrainte liée aux différences de portée des arcs coiffant les fenêtres hautes et, par conséquent, libre de concevoir de très grandes travées droites. Les portées choisies sont de 8m 85, par contre, la troisième travée liée au programme du transept sera plus courte.
Les supports
La conception primitive des supports était homogène. Sur le sanctuaire les piles rondes d'un diamètre de 1m 34 étaient flanquées d'une colonne interne destinée aux retombées des grandes voûtes. Sous le plan de clôture dont la fonction était primordiale dans le système le programme comportait une pile de l'école de Reims formée d'un noyau cylindrique de 1m 50 de diamètre et flanqué de quatre colonnes engagées. Enfin sur les travées droites, le concepteur avait également choisi des piles de l'école de Reims mais légèrement plus puissantes où le noyau, d'un diamètre de 1m 60, était flanqué de quatre colonnes engagées de 0m 56 de diamètre. Ces piles courantes s'inscrivaient dans un cercle de 2m 34. C'était une valeur confortable mais, portées à 16m au tailloir, elles vont flirter avec le risque. Les piles de la nef d'Amiens d'un dessin semblable, et dont le cercle d'inscription est légèrement inférieur à 2m 30 sont, elles, limitées à 14m au tailloir. Sur ce premier développé, tous ces supports seront repris ultérieurement mais les travées donnant sur le transept nous ont préservé deux piles d'origine.
Sur le second développé, le programme comportait des supports de deux types. Dans le plan mitoyen des chapelles, comme dans celui du doubleau de clôture, nous trouvons un support gracile fait d'un noyau de 0m 70 de diamètre flanqué de trois colonnes d'un diamètre de 0m 32. Par contre, sur les travées droites, là où s'appliquait la retombée des piles intermédiaires, le support retrouve le dessin exploité sur la nef, mais avec une moindre hauteur pour cause de conception générale. Là le tailloir est à 8m 40. Cette différence de traitement qui est conforme à la logique semble témoigner que les piles intermédiaires aux arcs-boutants étaient parfaitement admises sur les travées droites mais nullement prévues sur l'ensemble rayonnant, même pas sur le plan de clôture puisque nous trouvons là une énorme culée qui semble attendre un arc-boutant de portée exceptionnelle, 9m 60 environ. Une conception sans doute comparable à celle que le maître avait pu voir sur la nef de Notre-Dame de Paris. Sur ce second développé, les supports côté sanctuaire sont toujours en place mais ceux des travées droites ont été repris ultérieurement, et, là encore, celle liée aux bas-côtés du transept témoigne du traitement d'origine.
Composition perpendiculaire
A l'extérieur des travées droites, les bases des culées débordent le mur de 3m 10. Avec l'épaisseur de ce dernier, il était donc possible de trouver 4m 50 de profondeur tout en demeurant dans le volume des structures. C'était nettement inférieur à Reims où la valeur équivalente est de 6m mais c'était pratiquement égal à ce que maître d'Amiens réalisait alors sur sa nef. Cependant, dès cette époque, il est admis parmi les constructeurs de porter le volume de la culée jusqu'à l'aplomb de la colonne interne et même de prendre un léger porte à faux. C'est ce que faisait alors le constructeur de la nef de Soissons. Mais si ce porte à faux logiquement équilibré par la réaction de l'arc-boutant est sans grand danger dans une conception où les bas-côtés sont alignés sur les chapelles latérales, il peut engendrer des effets pervers dans une composition étagée comme à Beauvais.
Avec des voûtes alignées comme à Reims et Amiens, la pile intermédiaire tombe à l'aplomb de quatre arcs équilibrés qui diffusent équitablement la charge mais dans le cas de Beauvais, elle arrive sur une composition étagée où les réactions du doubleau du bas-côté peuvent déséquilibrer la maçonnerie portante. Pour parer à cet effet, nous avons vu de courts et puissants arcs-boutants installés sur les travées rayonnantes et le constructeur des travées droites n'avait pas manqué d'appliquer la même parade. Nous avons là sans doute une des raisons des premières difficultés rencontrées sur l'œuvre.
Les parties hautes
Sur ces bases de conception discutable, le constructeur va lancer les parties hautes les plus audacieuses jamais réalisées. Les grandes voûtes de facture classique à quatre voutins sont portées, comme celles du sanctuaire, à 47m sous la clé et les fenêtres hautes représentent une surface proche de 110m2, soit presque le double de celles d'Amiens. Le triforium d'origine était-il ouvert? C'est peu probable. L'ensemble actuel est une réfection du XIV° siècle avec une forte structure médiane destinée à la décomposition de la fenêtre en deux registres. L'ensemble de cette galerie sera obturé de nouveau en 1586 lors de l'installation d'un nouveau comble en charpente couvert de tuiles à crochets. Ce sont les travaux de la fin du XIX° siècle qui vont dégager l'arcature externe du sanctuaire et imposer la réfection sommaire de celle de la partie droite.
Pour maintenir en place des grandes voûtes de 120m2, le maître d'œuvre comptait sur des culées de première facture sans doute comparables à celles que l'on voit sur le doubleau de clôture, mais avec la section interne en moins. La batterie d'arcs-boutants était nécessairement à double volées avec une pile intermédiaire de section polygonale, comme sur l'hémicycle. Ce pouvait être satisfaisant en travée courante mais la proximité du transept allait amener la retombée des arcs perpendiculaires et c'est sans doute les difficultés engendrées par ces structures croisées, mal appréhendées dans le programme, qui vont ralentir, sinon bloquer les travaux vers 1270/1275.
Dès 1250/1260, le chantier de Beauvais semble marquer le pas. De nombreux mouvements inquiétants se sont déjà manifestés dans les parties réalisées et peut-être ont-ils justifié des reprises importantes. C'est une hypothèse digne d'intérêt que nous retrouverons ultérieurement. A cette époque, les responsables de l'œuvre doivent émettre de sérieuses réserves sur son avenir mais, comme toujours en pareil cas, là où les maîtres rigoureux déclinent, les ambitieux et les inconscients se précipitent pour relever le défi. Sur les trois siècles de son édification la cathédrale de Beauvais semble avoir cruellement souffert des aventuriers du bâtiment.
En ce milieu du XIII° siècle, l'œuvre atteint le niveau oriental du transept. Le vaisseau perpendiculaire a-t-il été entrepris? C'est peu probable, mais plans et maquettes étaient nécessairement établis afin de pouvoir réaliser en partie basse les structures nécessaires à l'épaulement des grandes voûtes et, là, nous pouvons considérer trois secteurs bien distincts.
Voyons la vue en plan. Sur le croisillon débordant, les structures puissantes destinées à la tour de flanquement suffiront à l'épaulement des parties hautes. A la croisée, c'était naturellement la nef qui devait épauler les voûtes et sur le vaisseau central l'ouvrage n'est définitivement stabilisé qu'une fois atteint le massif occidental. Cette remarque logique sera faite par de nombreux spécialistes appelés en consultation vers 1560, à l'heure où le transept flamboyant, à peine achevé, manifeste déjà des mouvements inquiétants. Enfin, entre croisillons et croisées, il est deux travées et un plan mitoyen où le contrebutement des grandes voûtes du transept allait se révéler particulièrement délicat, voire même irréalisable, avec les parties orientales en place.
Dans ce plan à haut risque, la première volée d'arcs-boutants tombe naturellement sur la pile intermédiaire. Sans doute était-il prévu de les assurer sur une petite structure engagée semblable à celle qui reçoit les arcs perpendiculaires et le plan de la pile était bien conçu à cet effet. Mais les travées de base sont rectangulaires et les arcs longitudinaux sont plus grands que les perpendiculaires. Sans doute conscient de l'erreur d'implantation ainsi réalisée à Beauvais le constructeur du chœur d'Amiens reviendra au plan carré. Dans le cas de Beauvais deux solutions: redresser la pente de l'arc pour faire coïncider les plans de contrainte, c'est l'option le plus logique ou bien conserver la même pente et dissocier les points d'application des contraintes. Le constructeur de Reims avait déjà choisi cette solution sur ses travées rayonnantes. La formule offre un avantage certain dans le cas des structures croisées où elle permet de rapprocher la résultante finale des volumes de base puisque faute de culée ce sont eux qui doivent absorber les effets. Ce fut sans doute la solution imaginée par les responsables successifs de Beauvais, mais voyons les conditions de réalisation.
Avec l'angle de 30° choisi et une portée longitudinale voisine de 8m, la membrure en compression de l'arc supérieur arrive sur la pile au niveau de 21m 40 (à l'axe) et la membrure inférieure à 14m 80. L'ouvrage gracile était donc incapable d'assurer l'épaulement, il fallait prolonger le contrebutement avec une seconde batterie et là, dans le cas du double déambulatoire, pas de culée puissante mais une seconde pile aussi grêle que la première. Avec une portée plus accentuée et la pente toujours constante, nous obtenons des hauteurs d'impact de 16m 60 pour la membrure supérieure et de 10m pour la membrure inférieure. Là encore la pile gracile pouvait-elle tenir sous la charge? Certainement pas. Le constructeur qui reprit l'ouvrage au XIV° siècle placera là une structure croisée qui se résume en une portion de mur, la stabilité latérale étant assurée par les arcs-boutants eux-mêmes.
Le plan de Beauvais menait donc à une impasse mais, à la décharge du concepteur, notons qu'il était le premier à réaliser des croisillons débordants avec un chevet à double bas-côtés. A Soissons le maître d'œuvre avait récupéré les croisillons anciens et à Reims les tours de flanquement se trouvaient en bonne place pour absorber les résultantes croisées. Certes Chartres offrait les même difficultés mais là les arcs-boutants en question semblent avoir été aménagés tardivement en s'inspirant d'Amiens, où le maître avait parfaitement pris la mesure des problèmes et traité son ouvrage en conséquence.
Nous ignorons quels furent les effets externes de la catastrophe de 1284 mais la culée est aujourd'hui reprise dans une facture XIV° siècle, avec raidisseur perpendiculaire. La pile intermédiaire est également refaite selon une structure en croix qui privilégie grandement le sens longitudinal afin d'offrir une bonne inertie aux futurs arcs-boutants venant du transept. Le maître qui travaillait au XIV° siècle avait donc l'intention de poursuivre les travaux. Cependant, côté croisée, toute chronologie demeure incertaine. Lors de sa campagne menée après 1500, Martin Chambiges a repris bon nombre de parties hautes jugées par lui peu sûres.
Le sinistre de 1284
Lors de tout incident survenant en milieu complexe, il est bien difficile de préciser quels furent les phénomènes déterminants et les effets répercutés. A Beauvais, même si la cause majeure du sinistre de 1284 fut un arrêt intempestif du chantier et un manque d'épaulement côté croisée, les premières et secondes travées furent grandement impliquées et leurs structures basses parmi les plus atteintes. La faiblesse intrinsèque de leur plan mitoyen en était responsable.
Aujourd'hui, à la croisée la pile nord nous apparaît entièrement refaite selon une facture XVI° et celle du sud reprise au niveau du triforium. Le déversement des grandes voûtes s'est donc développé côté transept mais avec un phénomène latéral conjugué et le scénario du phénomène est simple à concevoir. Lors d'un arrêt de chantier et sous l'effet d'un déboisage intempestif, les piles de la croisée fléchissent et les grandes voûtes amorcent un mouvement longitudinal. Ce déplacement provoque une cassure dans les arcs-boutants et les grandes voûtes ainsi libérées amorcent leur déversement latéral et entraînent vers l'extérieur, piles intermédiaires et culées qui vont s'écrouler hors l'œuvre. Par contre les maçonneries du mur gouttereau doivent tomber sur les bas-côtés et pour le moins détruire les voûtes. Les reprises que nous voyons aujourd'hui en parties basses correspondent-elles à un pareil phénomène? Apparemment oui. Mais si l'écroulement des grandes voûtes a bien détruit le triforium ultérieurement repris en deux registres, c'est que les effets perpendiculaires furent très profonds et, dans ce cas, que reste-t-il des parties basses sur les deux travées critiques? Nous pouvons émettre diverses hypothèses.
En condition extrême, tout était détruit ou ébranlé, c'est peu probable, la pile intermédiaire qui va permettre de doubler les supports de l'élévation s'intègre bien sous l'arc majeur épargné.
En seconde hypothèse, l'élévation subsiste mais la chute des parties hautes a ruiné les bas-côtés. C'est acceptable puisque les piles du second rang semblent avoir été refaites, notamment au nord, mais, dans ces conditions, pourquoi avoir traité le nouveau doubleau en sous oeuvre? D'autre part, côté chapelle, la voûte semble avoir été sauvegardée puisque la demi nervure porte une maçonnerie qui se distingue de l'ancienne.
Ces constatations nous suggèrent une troisième hypothèse. Tous ces aménagements des parties basses avaient déjà été réalisés avant 1284, en sous oeuvre, afin de combattre les nombreux symptômes inquiétants qui se manifestaient. Dans ces conditions le sinistre n'a touché que les parties hautes, grandes voûtes, piles intermédiaires et culées, mais là nous rejoignons la remarque initiale. Comment imaginer un déversement de toute l'élévation haute sans une destruction quasi totale des voûtes du bas-côté et des chapelles. Mieux vaut admettre que les grandes fenêtres, ainsi que le triforium avaient déjà été décomposés en deux registres et que les dégâts dans les parties hautes furent de peu d'ampleur et ceux occasionnés aux parties basses réparés à l'identique. Dans ce cas, piles intermédiaires et culées ne furent pas détruites mais ébranlées et reprises à cette occasion.
Si les divers aménagements aujourd'hui visibles sur les parties basses furent destinés à parer à des mouvements propres, et cela indépendamment des causes qui vont engendrer la destruction des grandes voûtes, nous pouvons envisager un cheminement localisé avec, pour origine, un décollement partiel de la partie basse de la culée. La poussée ainsi engendrée chemine par le petit arc-boutant bas et agit sur le doubleau du bas-côté. L'effet peut être mineur mais il va se conjuguer avec l'action d'ogive de grande portée et la résultante ainsi obtenue aboutit au sommet de la pile la plus gracile jamais réalisée. D'autre part, tout mouvement dans les bases de la pile intermédiaire risque de la déséquilibrer et les effets ainsi engendrés vont alors s'ajouter à ceux précédemment analysés.
La première parade va donc porter sur la pile majeure. A la structure de l'école de Reims qui s'inscrit dans un cercle de 2m 34 de diamètre, va s'ajouter un faisceau interne de trois colonnettes engagées qui porte le rayon à 1m 37. D'autre part, la colonne engagée externe était retaillée et réduite pour masquer l'effet de courbe. La parade était-elle suffisante? Sans doute pas dans des structures où des amorces de rupture étaient nombreuses. La seconde intervention portera sur l'élévation. Les travées sont décomposées en deux par l'introduction d'une pile intermédiaire dont le plan totalement déséquilibré favorise comme il se doit l'inertie perpendiculaire. Au nu des colonnes engagées nous trouvons 1m 40 en interne et 0m 88 en externe. Ce sont les résultantes internes qui sont combattues, la leçon fut bien comprise.
Ces piles additives portent des doubleaux mineurs qui transforment les voûtes du bas-côté en composition sixte partite mais sans modification du volume initial. Entre le doubleau mineur et la voûte, nous trouvons des oculi polylobés du plus bel effet mais dont la fonction architectonique est discutable. Le second développé reçoit également un support intermédiaire qui porte le doubleau mineur ainsi qu'une demi ogive destinée aux voûtes du second déambulatoire. Ici la membrure additive modifie radicalement le volume ancien, le choix contraire eut été plus astucieux. Enfin, côté nef, les nouvelles piles donnent des arcs brisés réduits et les raccords de maçonnerie sont nettement visibles au nord. Au sud, le constructeur a introduit dans l'espace à masquer un oculus polylobé. C'est encore une dangereuse concession faite à l'esthétique dans un édifice qui avait surtout besoin d'aménagements concrets.
Dès 1285, les travaux de réfection commencent mais il s'agit plus de sauver l'existant que de renouer avec le programme. Une fois les parties essentielles refaites, l'ouvrage doit être sauvegardé par des épaulements provisoires, comme ceux que nous voyons aujourd'hui à l'ouest. Il faut attendre 1324 pour que les paroissiens jugent les réparations satisfaisantes et acceptent une reprise du culte dans certaines chapelles.
Les travaux ne reprendront qu'en 1500 avec pour objectif l'achèvement du transept. L'ouvrage confié à Martin Chambiges sera achevé vers 1560 par Michel Lalyct. Il s'agit là d'une oeuvre flamboyante exemplaire mais qui sera ruinée par la folle entreprise de Jean Vast qui élève sur la croisée une flèche dont le sommet culmine à plus de 150m. Sa vie sera brève, elle s'écroule en 1573. Nous analyserons cette campagne, ultérieurement dans son contexte. A cette époque, le plan critique entre première et seconde travée pose problème à nouveau, il faut refaire la pile sud et obturer le second déambulatoire à l'aide d'une puissante cloison. Enfin des actions de sauvegarde se poursuivent aujourd'hui encore sur les structures occidentales du transept.
Résumé et chronologie
Faute d'informations précises, toute datation concernant les grands programmes gothiques peut se faire par estimation logique dans le cadre d'une fourchette admise, mais tout devient aléatoire si le chantier connaît des difficultés et des reprises comme ce fut le cas à Beauvais. Si le programme est bien consécutif à l'incendie de 1225, comme tout semble le confirmer, les fondations et l'ensemble des parties basses peuvent demander 15 à 20 années environ, soit 1225/1245. C'est l'ouvrage que nous devons au concepteur. A cette époque, l'hémicycle est au niveau du bandeau et les bas-côtés de la partie droite attendent leurs voûtes, mais le maître disparaît et le programme doit connaître un certain flottement. C'est alors que s'engagent les aménagements inconsidérés. Les structures de l'hémicycle sont surélevés de 6m environ par rapport au programme primitif. Le niveau du mur gouttereau est atteint vers 1250 mais l'ensemble est fragile et des arcs-boutants uniques de trop grande portée risqueraient d'écraser les voûtes. C'est l'origine des piles intermédiaires. Le couronnement de l'hémicycle qui forme une structure auto-stable est achevé vers 1255 mais la pile intermédiaire engendre des mouvements qu'il faut combattre. A cette époque, les travées droites dépassent le bandeau qui couronne le premier niveau. Cette partie de l'œuvre intègre également la pile intermédiaire.
Vers 1260/1265 les reprises de l'hémicycle sont achevées et la partie droite arrive au niveau des grandes voûtes qui sont amorcées, mais là également les piles intermédiaires développent leurs effets pervers et des mouvements se manifestent dans les parties basses. Vers 1265, à l'heure de la mise en place des grandes voûtes, le "flambage" de l'élévation interne est tel qu'il faut reprendre les piles de l'élévation et les doubleaux en sous oeuvre. C'est sans doute à cette époque que les fenêtres hautes furent décomposées en deux registres, mais les grandes voûtes doivent rester à quatre voutins.
Vers 1270/1275, ces reprises sont achevées, le responsable aborde la croisée et l'élévation occidentale du transept. C'est lors de ces travaux, en 1284, qu'un déboisement intempestif engage le déversement des piles de la croisée et le sinistre se communique aux grandes voûtes qui s'écroulent en partie. Les dégâts sont considérables mais le phénomène a heureusement épargné les parties basses. Cependant les mouvements ont engendré de nombreuses ruptures d'homogénéité ainsi que des fléchissements dans les élévations et piles intermédiaires. Il faut les démonter entièrement et les reconstruire. (Si elles s'étaient écroulées, elles auraient ruiné les bas-côtés). Au cours de cette dernière campagne, les piles basses sont doublées, les voûtes des bas-côtés passent en composition sixte partite, les grandes fenêtres sont définitivement décomposées en deux registres et les piles intermédiaires refaites selon une structure en croix. Commencés vers 1285, ces travaux sont essentiellement destinés à sauver ce qui peut l'être mais la ville de Beauvais a pour l'heure perdu ses illusions sur les grands programmes. Celui de la cathédrale s'essouffle lentement et sera clôturé dans un provisoire qui prend des allures de définitif, vers 1350.