Reims
Le haut lieu du pays des Rèmes, la colline Saint-Rémi, n'offre aucun caractère stratégique évident, sa fortune vient donc d'une conjoncture économique favorable. Le site lui-même est formé d'un bas plateau crayeux dominant les rives de la Vesle. La rivière, et un petit affluent venu du Nord aujourd'hui canalisé, forment un carrefour de voies économiques naturelles. L'assiette rurale est bien partagée. Nous trouvons, d'une part, les plateaux céréaliers du Nord-Est et, d'autre part, la montagne de Reims au Sud-Ouest dont la vocation est plus pastorale. Enfin, dans le domaine politique couvert par la cité, nous trouvons également la haute vallée de l'Aisne toute proche et celle de son affluent, la Suipppe.
Le pays des Rèmes qui s'insère entre les provinces de Châlons-sur-Marne et de Soissons forme un rectangle orienté Nord-Est/Sud-Est de 45km X 80/90 km. Cette superficie de 400.000 ha, permet, en condition saturée, les populations suivantes: 150.000 personnes en exploitation pastorale, 250 à 300.000 en exploitation mixte et 400.000 environ en condition de fort développement céréalier. Les Rèmes n'étaient donc pas parmi les grandes peuplades gauloises mais l'équilibre du système et leur forte cohésion sociale va leur permettre de jouer un rôle de premier plan dans l'histoire de la Gaule septentrionale.
L'enclos celtique
La permanence du site sera très vite fixée par un vaste enclos de caractère celtique. Son périmètre est de 9.500m environ et la surface enclose voisine de 600ha. La défense est constituée d'une levée de terre de 6 à 8m de haut sur 15 à 20m de large. Le dénivelé, côté fossé, fait plus de 12m et l'emprise au sol de l'ouvrage représente environ 40m. L'aménagement de cette défense varie selon l'occupation du site. A l'origine elle était destinée à protéger des intrusions et également à maintenir les bêtes lors des grands mouvements saisonniers. Le sommet de la levée est alors garni d'une puissante haie vive renforcée d'épineux et la garde se fait sur un simple chemin de ronde extérieur. La pente côté fossé est garnie d'arbustes constamment arasés afin de préserver l'action des racines qui maintiennent la levée mais sans offrir de couvert facilitant l'approche adverse. En condition normale, l'enclos peut contenir 20 à 30.000 bêtes et autant d'individus. Cette occupation peut dégager 5 à 6.000 défenseurs, soit moins d'un homme au mètre linéaire et c'est trop peu pour être efficace, le système est donc prévu pour le repli des populations environnantes. Dès lors avec 60 à 80.000 occupants et 15 à 18.000 défenseurs sur le périmètre, soit 3 combattants au mètre linéaire, la défense devient efficace. Mais ce sont là des conditions extrêmes et l'enclos est sans doute plus un argument en faveur de l'hégémonie du site qu'un recours usuel.
Cet état de choses correspond à la suprématie du pastoral sur le céréalier. Dès que les champs seront labourés, ensemencés, les exploitants sont fixés sur place. En région septentrionale, le point de basculement se situe entre 1200 et 800 avant notre ère. Dès la période de la Tène, vers 600 av. JC, la diffusion de l'outillage de fer et l'exploitation du cheval de trait permettent un grand développement des cultures, mais ces nouveaux moyens s'acquièrent sur le marché du grand négoce et les exploitations d'importance, les premières servies, vont accentuer leur avance. La ferme moyenne passe alors de 10 à 25/30 ha et le maître de ferme dispose d'une domesticité directe, ainsi que de commis agricoles établis en famille, c'est un cavalier. Lui et ses semblables vont pouvoir mener une défense active avec engagement en rase campagne. Dans les affaires sérieuses, ils se feront assister par des fantassins recrutés au sein de leur maisonnée, c'est l'origine de la "lance". Dans ces conditions, le repli sur l'enclos devient impensable et celui-ci perd sa fonction stratégique. Cependant, les exploitations et villages disséminés ont besoin d'un centre d'échange et l'agglomération qui gérait l'enclos devient métropole régionale.
La population artisanale et marchande qui forme le noyau actif de la cité n'a plus besoin des 600 ha et se concentre alors sur le lieu d'hivernage où la viabilité est bonne. A Reims, ce sera la colline Saint-Rémi dont l'enclos demeure occupé par une fraction agricole et sert, occasionnellement, à de grands rassemblements, des foires aux bestiaux, des assemblées. La ville proprement dite n'occupe plus qu'une surface de 50 à 60 ha environ, avec 10 à 15.000 habitants, soit moins de 4% de la population globale. Certains villages ont déjà développé un artisanat intégré qui fixe, sur place, les échanges courants. C'était probablement l'état du peuple et de la métropole des Rèmes à l'heure de la conquête Romaine.
La quasi totalité des 600 ha cernés par la levée de terre sont situés sur un sol de tuf qui se trouve aujourd'hui à 7 m sous le dallage de la cathédrale. A l'époque gauloise, il y avait 2 à 5 m de terre sur le tuf (3m à la cathédrale). Le site est bien fourni en eau. Nous trouvons une nappe phréatique à 1,60 m sous le tuf. Ainsi la moitié Sud-Ouest de l'espace fermé pouvait être alimenté en eau par des puits d'une profondeur moyenne de 5 à 6 m. C'était un sol sain, bien pourvu en eau, et particulièrement favorable à l'établissement d'une grande cité à la romaine, les aménagements gaulois avaient, en quelque sorte, bien choisi et préparé le terrain.
Les profondeurs données sont confirmées par un puits primitivement situé sur le parvis de la cathédrale de Nicaise et aujourd'hui préservé dans la troisième travée du bas-côté Sud de la cathédrale gothique. La margelle du bas empire se trouve à 5 m au-dessus du tuf et le fond du puits à 1 m 40 en dessous de la nappe, soit une profondeur de 3 m environ dans la couche de tuf. Nous pouvons donc estimer la surcharge due à l'occupation des cinq siècles romains à 1 m 50 environ. Les fondations des grands monuments romains s'établissaient sur le sol de tuf, celles de la cathédrale gothique également.
Les Rèmes et César
La Gaule profonde n'était sans doute pas hostile à l'emprise de Rome. Certes, il y avait la caste des petits seigneurs et hommes de guerre qui appréhendaient la fin d'une époque et la mise en cause de leurs privilèges, mais les négociants et gens d'affaires qui commerçaient déjà avec la province de la Narbonnaise, voyaient dans l'intégration au sein de l'empire un cadre beaucoup plus favorable aux transactions et la promesse de nouveaux marchés. Enfin, la majorité des petites gens désiraient, comme toujours, voir venir. C'est l'esprit de résistance imposé par la caste des cavaliers qui va rendre la tâche difficile à César, et la faiblesse relative de ses forces va pousser le Conquérant à des actions violentes qui réveilleront le nationalisme Gaulois, mais ce vaste pays n'avait pas la cohésion nécessaire pour faire front.
César a toujours trouvé des alliés et, aux premiers rangs de ceux-ci, les Rèmes. Il y eut d'emblée respect mutuel entre les Romains descendant de Remus et de Romulus et les Rèmes ancêtres de Rémi. La même passion des bonnes terres bien cultivées, le même respect du patrimoine foncier au sein d'une structure familiale solide et enfin l'esprit cavalier rapprochent ces deux peuples auxquels l'analyse historique donne des origines fort différentes. Cependant n'oublions pas que les latins furent des étrangers en Etrurie. D'où venaient ces gens qui s'installèrent sur les sept collines au début du premier millénaire? Nous l'ignorons. Quoi qu'il en soit, la métropole des Rèmes sera choisie comme point d'impact de la grande chaussée stratégique menant vers Boulogne et la ville nouvelle de Durocortorum, métropole e la Gaule Belgique, allait devenir la plus grande et la plus belle cité septentrionale.
Les voies romaines
La Chaussée d'Agrippa menant vers Boulogne est un tracé essentiellement stratégique. Le caractère est aisé à cerner mais en certains tronçons les conditions d'application sur le terrain ne sont pas toujours évidentes. La voie doit se distinguer des cheminements empiriques qui suit trop étroitement les vallées mais il lui faut également, pour assurer sa pérennité dans le temps, joindre des centres de convergence, des métropoles afin de collecter un trafic qui justifiera son existence. Le géomètre romain chargé du tracé Langres/Chalon s'est trouvé confronté à un dilemme de ce genre. Les deux villes se trouvent sur le haut cours de la Marne et la vallée a, de tout temps, constitué un cheminement économique naturel très fréquenté. Il fallait donc éviter de le suivre par principe mais la distance à parcourir est grande, 140 km en ligne droite et sur les régions à traverser, aucun centre digne d'intérêt ne s'est jamais distingué, sauf Chaumont mais il est très voisin de Langres. Il lui fallait choisir entre diverses solutions dont aucune n'était vraiment satisfaisante. Longer la Marne à 10 ou 15 km de la vallée et confirmer un itinéraire fortement pratiqué aurait sans doute justifié la création de villes de moyenne importance mais c'était créer plus de 100 km de route dans la profonde forêt de Haute-Marne, le Der, et s'engager dans la dépression du haut cours de l'Aube, choix à priori irrationnel. L'option ne fut pas retenue. Le tracé sera dévié vers l'Ouest, par Bar-sur-Aube et Brienne-le-Château. Ce faisant, il joignait une autre voie menant de Troyes à Chalons. La formule était conforme à la règle mais elle sera démentie par l'usage. L'itinéraire de la vallée toujours pratiqué doit être aménagé et sera bientôt rejoint par une rocade partant de Bar-sur-Aube. Cet itinéraire atteint Châlons par la rive Nord-Est et s'identifie aujourd'hui avec le N 44, il traverse des lieux symptomatiques, comme la Chaussée-sur-Marne.
Ceci montre bien les difficultés d'une programmation à très long terme intervenant dans les circuits économiques fixés de longue date. La démarche demande une subtile réflexion. Il faut contrarier ces circuits sans les heurter, il faut également les servir sans les subir.
Après avoir desservi la nouvelle ville de Durocatalonum, Châlons-sur-Marne, la chaussée se dirige vers le pays des Rèmes, atteint la vallée de la Vesle, à 10 km environ du site et le dernier tronçon se dirige alors sans équivoque vers la colline Saint-Rémi mais, là, un nouveau problème apparaît. Le nouveau tracé théorique chevauche le cours de la rivière sur 4 à 5 km et c'est peu rationnel pour l'aménagement. Alors une rocade franchira le petit cours d'eau pour rejoindre un itinéraire déjà programmé et venant de Verdun. Ce dernier suit le plateau sur la courbe des 100 m et son ultime tronçon joint également la colline Saint-Rémi. De Chalons à Reims, le tracé romain est toujours en usage.
Une fois dans la place, la chaussée s'engage dans le vaste enclos celtique et prend la direction de Vermand, ce sera le decumanus de la grande cité projetée. Le cardo, lui, s'inscrit moins bien dans le plan général. Vers le Sud-Ouest il ne sera pas exploité et vers le Nord-Est, il donnera un axe menant vers le pays des Trévires (Trèves). La voie allant en direction de Vermand, prolongée ensuite vers Arras, permettait de joindre Boulogne au mieux, mais une considération d'ordre politique intervient. Les Suessions et les Ambiamis (Amiens) sont considérés comme des partenaires plus prometteurs et la chaussée sera déviée vers ces deux lieux. Le tracé part du cardo Sud-Ouest et longe la vallée de la Vesle jusqu'à Soissons, nous l'avons vu précédemment. La Chaussée d'Agrippa menant de Langres à Boulogne fut donc un itinéraire hautement considéré sur le plan administratif mais son tracé est loin d'être rigoureux et le pays des Rèmes semble avoir été le seul contact essentiel.
De Reims, d'autres voies vont rayonner. Du cardo Nord/Est menant vers Trèves, deux voies bifurquent, celle de droite ne sera pas poursuivie et celle de gauche rejoint Cologne. Enfin, de la sortie Nord de l'enclos, une bifurcation engendre un tracé très régulier menant vers un grand carrefour routier en formation, Bavay. Au centre de l'enclos se dessine un vaste rectangle de 70ha qui sera le cœur de la nouvelle cité.
Les villes augustéennes
La ville programmée est une fondation ou un aménagement nouveau, c'est généralement l'œuvre d'un conquérant qui l'offre à des vétérans venus s'installer en famille. Le cœur du système est le forum ou l'agora avec, en bonne place, la marque des nouveaux maîtres, un temple dédié à une divinité tutélaire issue de son panthéon. Philippe de Macédoine semble avoir été l'instigateur du système. La programmation d'Olinthe date de son règne mais c'est Alexandre qui va généraliser le procédé sur le vaste empire nouvellement conquis. Cependant, il est fort possible que ce soit une coutume également propre aux romains.
Comme nous l'avons vu lors de l'étude de Soissons, l'agglomération n'est pas sans désagrément pour l'usager, cependant ses caractères de bonne viabilité, fontaines, assainissement l'emportent. D'autre part, en Gaule où ces cités nouvelles sont offertes en parcelle à des commerçants ou notables bien disposés à l'égard de Rome, l'investissement ainsi réalisé est prometteur. Celui qui acquiert une bonne place sur le forum, quelques parcelles dans les îlots périphériques avec eau courante pour ses manufacturiers ainsi que des intérêts dans les aménagements portuaires et dans la batellerie fait le bon choix. Certes il s'engage dans des investissements considérables mais il est assuré d'avoir les meilleures parts dans le développement à venir et donc fortune garantie pour lui et ses descendants.
Au XIX°, lorsque les archéologues ont découvert en Gaule septentrionale de nombreuses villes ainsi programmées, ils ont pensé un temps à des fondations de caractère colonial destinées à des populations d'origine Romaine mais de très nombreuses dédicaces découvertes sur des monuments nous assurent que les investisseurs étaient Gaulois. Par ces constructions de prestige ils remercient Auguste de leur avoir ainsi offert une si bonne opportunité. C'est vers les années 1920/1930 que l'appellation "ville coloniale" cède la place à la définition plus objective de cité augustéenne puisque la programmation remonte souvent au temps d'Auguste.
A L'époque de la conquête, la Gaule représente une population considérable au sein de l'Empire et les travaux envisagés sont énormes, aussi seront-ils modulés selon les régions et selon les articulations socio-économiques reconnues dans chacune des provinces. Souvent, la programmation est modeste, fonctionnelle. Le maillage au pas de trois actus, avec desserte médiane, semble la valeur la plus fréquemment retenue. L'îlot se découpe en lotissements réguliers avec les parcelles moyennes de 72 pieds. Les voies comportent chaussée roulante et accotement large, les trottoirs sont des protections imaginées par des commerçants face à leur étal. La largeur des voies varie mais les standards les plus courant sont 24,36 et 48 pieds. Le forum est une place de marché entourée de constructions légères, occupant un îlot ou deux mais ce premier aménagement sera souvent remis en cause au second siècle, au temps de la mutation économique qui caractérise le siècle des Antonins.
Reims, ville romaine
A l'opposé de ces fondations modestes et fonctionnelles, la nouvelle cité de Durocortorum se développe sur un plan très ambitieux. Ce n'est pas un maillage régulier d'îlots destinés à fixer le commerce local mais un très vaste programme avec de larges avenues et de nombreux monuments de prestige. La ville nouvelle se présente donc comme la métropole de Gaule Belgique, une région agricole qui va figurer parmi les plus riches de l'Empire. Au centre de l'espace programmé nous trouvons le cœur de la cité nouvelle délimité par quatre arcs monumentaux dont l'un subsiste: c'est la porte de Mars. La surface est de 1190 X 660 m. Les voies majeures sont programmées très larges, 100 pieds et plus, ce qui permet de réaliser une piste roulante et de vastes accotements destinés aux manœuvres et aux arrêts. En Gaule, les voies nouvelles vont se révéler de grandes artères économiques, le tonnage véhiculé devient considérable et les responsables prennent en compte les lourds véhicules qui doivent pouvoir pénétrer en ville. Les accotements de 10 à 12m de large deviennent courant. Le même esprit se retrouvera dans les villages établis le long des routes de poste au XVIII°.
A Reims, l'espace réservé au forum est installé au Nord du cardo, il coupe le decumanus et forme un rectangle de 250 x 450 m. C'est l'équivalent de la place de la Concorde. Nous trouvons là un château d'eau, une large voie en hémicycle qui assure la dérivation du decumanus et le forum proprement dit. Ce dernier est constitué d'une vaste cour carrée de 90 m de côté entourée de bâtiments dont l'implantation au sol est voisine de 30 m, la façade externe semble donner sur une terrasse surélevée. De cet énorme ensemble nous avons conservé une partie des cryptoportiques. Enfin, à l'opposé du château d'eau se développe un corps de bâtiment à usage administratif avec un vaste hémicycle où se trouve symboliquement le siège du pouvoir impérial et sans doute un hôtel offert à la divinité tutélaire. Il ne s'agit pas d'un forum banal mais d'un grand centre de négoce où doivent se traiter sous le contrôle de l'administration impériale des transactions très importantes. Le marché ordinaire réservé aux commerçants locaux se trouve à 100 m au Nord et représente un rectangle de 200 x 250 m.
Les surfaces affectées au négoce couvrent donc, avec les dessertes environnantes, 16 ha sur les 78 du centre ville, et ce rapport définit d'emblée la fonction socio-économique attribuée à la nouvelle métropole des Rèmes. Ce devait être, et ce fut, la plus grande place de négoce des Gaules et la réussite du programme va permettre l'édification d'un nouveau quartier avec, également, de grands monuments. Sur cet espace d'une centaine d'hectares, nous trouverons l'amphithéâtre, deux stades, un odéon, un grand temple et une résidence impériale. Les thermes et les basiliques avaient trouvé place dans le premier programme.
Fondations initiales et développement ultérieurs représentent 175 ha environ (2.200 x 800m). C'est la résidence des propriétaires fonciers, des négociants et des fonctionnaires d'empire. Ces notables et leurs familles ne sont qu'un petit nombre, 10 à 15.000, mais ils sont servis par une domesticité nombreuse, ce qui doit représenter 40 à 50.000 occupants sur la surface considérée. D'autre part, l'entretien de la cité et de ses installations, les services publics en général, justifient un personnel nombreux, 30 à 40.000 personnes avec leur famille. L'ensemble de ces gens, 70 à 90.000 personnes vivent directement ou indirectement du statut de métropole acquit par la cité. Nous pouvons donc les considérer distinctement des artisans et commerçants liés à l'assiette rurale. Ces derniers sont au nombre de 25 à 35.000 personnes, ce qui porte la population globale de la cité à 100 ou 130.000 individus en condition optimum stabilisée. Au début du second siècle, l'ensemble de l'agglomération régulièrement urbanisé à partir du maillage initial peut couvrir une superficie de 1000 x 3000 m, soit 300 ha, et ceci inclus une partie de la colline Saint-Rémi.
A quelle époque Reims, comme tant d'autres villes d'empire, cesse-t-elle de se développer harmonieusement pour se gonfler outrageusement? Difficile à dire mais le phénomène doit s'amorcer vers le milieu du second siècle. Il se développe alors sournoisement et justifie de nombreuses tentatives de rétablissement mais les populations déplacées par les remembrement agricoles arrivent en nombre sans cesse croissant. A cette époque, les grands propriétaires terriens qui rencontrent de plus en plus de difficultés à trouver du personnel lors des récoltes doivent sans doute avoir recours à des actions administratives pour vider les faubourgs surchargés mais les travailleurs ainsi déplacés sont difficilement contrôlables, il faut les enchaîner la nuit, c'est ce que montrent les découvertes de R. Agache. Dès lors l'agriculture s'appauvrit et la métropole également par voie de conséquence. Le problème du sous prolétariat urbain, agglutiné autour des villes, rentre alors dans une phase vraiment critique. C'est le début du III°.
A cette époque, l'habitat de Reims a sans doute largement débordé le cadre primitivement urbanisé. On trouve une occupation sommaire dans les terres basses qui bordent la Vesle, le long des voies rayonnantes et notamment au Sud de la colline Saint-Rémi. Nous avons là probablement 150 ha supplémentaires, ce qui porte la surface occupée à 450 ha mais la population s'est accrue dans des proportions incontrôlables, peut-être 200/250.000 habitants. A l'orée de la grande crise, vers le milieu du III°, l'Occident est alors fin prêt pour sa ruine. Les années terribles selon A. Vatinel allaient balayer la plus illustre des civilisations.
Le bas empire
Si l'on en juge par les implantations nombreuses et précoces réalisées dans les anciennes colonies phéniciennes de Tunisie et d'Andalousie, les chrétiens recrutent surtout parmi les émigrés du bassin oriental de la Méditerranée, et plus particulièrement parmi les populations urbaines où la condition d'émigré était plus durement ressentie. Si nous acceptons cette analyse, le nombre des chrétiens installés au III° dans les régions septentrionales était fort réduit et leur responsabilité dans les tragiques évènements du milieu du siècle pratiquement nulle, mais le climat social engendré par les troubles généralisés va les servir. La nouvelle croyance prône le sens du partage plutôt que celui de la propriété et du patrimoine. Elle prêche l'égalité plutôt que le respect du cadre hiérarchique et l'inspiration fraternelle entre souvent en conflit avec les règles et les lois en vigueur, mais tout cela n'est pas original en religion. Par contre, les chrétiens sont monothéistes et donc persuadés que toute autre croyance est dans l'erreur. La vérité est l'un de leurs arguments majeurs et cette démarche qui les pousse à nier toute autre analyse que la leur mène à l'ingérence en politique.
Ce discours chrétien prêché par des émigrés venus de pays pauvres n'avait que peu d'impact dans une société gallo-romaine florissante mais les connotations incluses dans le message vont s'imposer dès les heures de crise venues. D'autre part, les divinités tutélaires auxquelles la société romaine s'était vouée ont failli et tout autre message religieux passe mieux. Ainsi donc, contre toute règle idéologique, et sans doute contre l'avis de leurs principaux pasteurs, les chrétiens sont devenus une force contestataire et la coupure qui s'amorce alors dans la société a des ressorts essentiellement politiques.
A l'opposé de cette communauté chrétienne nous trouvons non des païens mais des traditionalistes attachés au respect d'un cadre où sens des responsabilités et devoir civique sont des valeurs essentielles. Ce sont elles qui ont fait la grandeur de la société romaine mais elles ont également failli et les arguments même raisonnables avancés par les tenants de la tradition ne sont plus convaincants, la coupure est profonde. A Reims, comme dans tant d'autres villes les deux communautés se replient sur deux agglomérations distinctes et, comme les chrétiens qui prétendaient faire le bonheur de tous, vont également échouer dans leur entreprise, le clivage demeure.
A la fin du III°, la société Rémoise a perdu ses attributs et privilèges de grande métropole septentrionale. Elle est donc totalement incapable de faire vivre les 100 à 200.000 personnes qui peuplaient la grande cité de naguère, il ne lui reste que son rôle de métropole régionale. Dans un contexte où la population rurale se rétablit difficilement, cela fait sans doute moins de 20 à 25.000 personnes et le centre ville marqué par les quatre arcs monumentaux suffit alors amplement. Les 75 ha couverts reçoivent une population moyenne de 300 habitants à l'hectare et la cité va se mettre en état de défense.
La première muraille établie au cœur de la cité des Rèmes était sans doute rectangulaire et légère. Appuyée sur les quatre arcs monumentaux, elle préservait donc l'intégralité du maillage urbain contenu dans le rectangle. C'est sur ce plan que doit se développer la brève renaissance constantinienne. Durant les décades tragiques, les Rémois ont survécu dans les ruines de leur cité et les familles tentent de reconstituer un espace privé, un fragment de parcelle naturellement aligné sur les voies toujours en service. Ensuite, dès le début du IV°, la reconstruction se fait sur la propriété ainsi distribuée. Mais l'espace manque et les demeures de façade "mangent" le large accotement naguère préservé, cependant l'alignement de la voie matérialisé par le réseau d'assainissement demeure en place. Les fontaines sont toujours exploitées et les aqueducs provisoirement remis en service. Par contre, les dessertes médianes et toutes voies qui n'étaient pas fixées par une infrastructure importante seront bousculées par le nouvel établissement.
Sur les ruines du grand complexe de l'époque augustéenne maintenant détruit, un nouveau forum est édifié mais il ne couvre qu'un îlot, soit moins de 10 % de l'espace naguère réservé aux affaires. D'autre part, l'ensemble Nord de la ville avec les arènes, le temple, les stades, l'odéon et le palais royal est lui définitivement abandonné.
La muraille qui fermera la cité du Bas-Empire est de forme elliptique mais toujours basée sur les quatre arcs monumentaux et la surface ainsi protégée est voisine de 60 ha. A quelle date fut-elle fixée? Nous l'ignorons mais les perpendiculaires sauvegardées aux deux extrémités de l'ellipse témoignent que le tracé de la défense s'est imposé dans un contexte urbain reconstruit où les îlots étaient déjà bien fixés par le nouvel habitat. Dans ces conditions, la période probable se situe entre 330 et 400. En règle générale, les défenses de forme elliptique sont plus tardives que les rectangulaires.
Si la société traditionaliste des Rèmes enferme ses vaines espérances derrière une puissante muraille, les chrétiens, eux, se rassemblent sur le haut lieu historique que constitue la colline Saint-Rémi. C'est là que les premiers apôtres, tel Saint-Sixte, (vers 260) ont prêché la bonne parole et leurs tombeaux deviennent lieu de vénération. C'est là également que furent donnés les premiers sacrements, fixés les premiers autels et les lieux de culte et cette petite agglomération satellite est en voie de devenir le second pôle de la métropole. Fidèles à leurs options et refusant de porter les armes, les chrétiens ne vont pas construire de défense caractérisée mais les risques sont tels qu'ils accepteront bientôt des enceintes de sauvegarde autour de leurs sanctuaires les plus vénérés. La cité des Rèmes a commencé son existence bicéphale et les deux agglomérations ne seront reliées qu'au XIV°.