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Laon
Entre les hautes vallées de l'Aisne et de l'Oise, le site de Laon occupe une des nombreuses collines qui parsèment la région. La position forme un cirque naturel que l'histoire décomposera en trois parties distinctes: la cité avec sa cathédrale, la butte Saint-Martin qui lui est liée par un étroit passage et la butte Saint-Vincent qui ferme le cirque. Toutes trois enserrent une forte dépression, la fosse Saint-Vincent. L'ensemble qui culmine à 174 et 178m domine les vallées environnantes de plus de 100m et constitue une position très forte mais les difficultés d'approvisionnement en eau vont sélectionner les activités à exercer et le développement de l'artisanat et de l'économie restera limité. Par contre, la position forte, exceptionnelle dans une région où les conflits furent nombreux, donnera à la ville une situation stratégique de premier plan et la cité, resserrée sur un étroit promontoire et dominée par sa cathédrale, a reçu à juste titre, le nom d'acropole du Nord.
Sommairement occupée dès l'époque Gauloise, la hauteur semble déconsidérée davantage encore sur les derniers siècles qui précèdent la conquête romaine. A cette époque, les grandes métropoles se développent en des lieux plus ouverts, là où les artisans disposent d'eau courante et peuvent assurer une production qui amorcera puis soutiendra les échanges établis avec le monde rural environnant.
C'est un phénomène qui débute à la période gauloise et qui va s'accentuer durant la Pax Romana. La voie stratégique secondaire, menant de Reims à Vermand, passe au pied de la colline et son tracé reste parfaitement identifiable à Athies-sous-Laon, à 4km au nord-est de l'acropole. A cette époque, l'agglomération haute qui peut compter 1000 à 1500 personnes doit vivre comme une modeste bourgade. Sans doute déjà dénommée Laon à l'époque gauloise, elle deviendra naturellement Laudunum.
Dès 250, avec les grandes invasions et la période de troubles endémiques qui suit, la situation forte de l'acropole retrouve tout son intérêt et les nombreuses activités qui s'étaient développées en milieu ouvert, le long de la voie romaine, rejoignent la hauteur. Les 16 à 18 ha, offerts par le promontoire de la cité suffisent alors amplement à les accueillir et l'espace facilement défendable avec ses abords escarpés, sera fermé par une muraille établie à la hauteur du resserrement menant vers la butte Saint-Martin. Avec le développement ultérieur de l'agglomération, cet espace deviendra le faubourg artisanal. L'abbaye dont l'origine semble remonter au VII° sera reprise et développée par les moines de Prémontré au XII°.
Au IV° et V°, la cité s'organise. L'extrémité du promontoire devient domaine comtal et l'urbanisation se développe sur une articulation qui peut remonter à l'époque romaine. L'espace est desservi par une voie majeure qui mène de la porte ouvrant dans la muraille au domaine comtal et ce decumanus est complété par trois voies parallèles: une au nord, deux autres au sud. Comme dans toute agglomération du Bas-Empire, les lieux de culte sont nombreux et modestes mais l'un d'entre eux, situé au cœur de la cité et au nord de la voie principale va se distinguer et prendre statut de collégiale puis de cathédrale.
C'est avec Saint-Rémi, illustre évêque des Rèmes et compère de Clovis, que Laon prend son essor. Certains historiens pensent que Rémi est né dans la ville. C'est possible, mais c'est à Reims qu'il fera carrière. Cependant, sur la fin de ses jours, inquiet d'avoir à gérer un trop vaste domaine et conscient de l'importance stratégique de Laudunum, il en fait le siège d'un évêché, mais ce sera au profit de son neveu Genebeau. Le prélat s'installe naturellement dans l'église majeure, au centre de la cité, et c'est là que les futures cathédrales se superposeront tout au long des siècles à venir. Parallèlement les monarques francs s'assurent du domaine comtal qui devient citadelle mais lorsqu'ils résident en la cité, c'est dans un palais situé sur le petit promontoire sud à proximité de la porte de Reims ou porte d'Ardon. C'est aujourd'hui l'abbaye Saint-Jean.
En ces temps troublés, la cité bien défendue par ses escarpements confirmés de murs de soutènement est une pièce stratégique majeure sur l'échiquier politique septentrional. La situation de l'évêque est enviable et ses pouvoirs se renforceront encore avec Hugues Capet. A cette époque, l'homme à la crosse devient de plein droit Duc et Pair du royaume. Ainsi l'agglomération va vivre les cinq siècles qui séparent le Bas-Empire de l'an 1000 comme une métropole de plein droit. Elle est devenue totalement indépendante de ses puissantes voisines, Reims et Soissons, et son domaine religieux peut se développer vers la vallée de la Serre, au nord-est. L'assiette économique est alors suffisante pour faire vivre sans problème les 6 à 8.000 personnes qui constituent l'habitat moyen des 18 ha de l'acropole.
Les cathédrales successives
Nous n'avons aucune information écrite sur les édifices qui se sont succédés des temps Mérovingien à l'époque romane mais le secours de rares informations et l'analyse de l'édifice contemporain peuvent nous permettre quelques hypothèses; résumons-les.
En avril 1112, l'évêque Gaudri, un personnage avide et tyrannique annule la charte communale que le roi vient d'accorder aux bourgeois de la cité. La colère gronde et les "communiés" s'insurgent, attaquent la maison du Trésorier du Chapitre et l'incendient. Le feu se propage et atteint la cathédrale toute proche. L'édifice en partie couvert sur charpente est encore garni des tentures déployées pour les fêtes pascales. L'ensemble s'embrase et rien ne peut arrêter la marche du feu qui s'éteindra naturellement lorsque tout ce qui est combustible aura été consumé. Il ne restait alors que les murs dont les parties hautes étaient fortement endommagées. Enfin, le quartier nord avait également souffert du sinistre et l'on comptait dix églises détruites. L'évènement eut un profond retentissement en France septentrionale.
Dans les semaines qui suivirent, l'édifice fut débarrassé de ses cendres et l'archevêque de Reims vint procéder aux formalités de réconciliation rendues nécessaires par l'effusion de sang dont il avait été témoin. L'exercice du culte put reprendre, sans doute sous un bardage provisoire. Dès l'automne, les travaux de restauration commencent et comme les moyens propres à la cité s'épuisent rapidement, le nouvel évêque Barthélémi de Jur part, avec ses chanoines, à la recherche de subsides dans les autres villes du royaume. Tours, Angers, Chartres, Le Mans furent successivement visitées et les quêteurs vont même traverser la Manche pour solliciter les évêques britanniques. Les provinces anglo-normandes sont alors en pleine prospérité. Tous ces deniers rassemblés permettent d'avancer en besogne et la nouvelle consécration eut lieu le 6 août 1114. Les travaux avaient duré 28 mois et cette période relativement courte nous permet d'imaginer l'édifice concerné.
La cathédrale construite à l'époque Mérovingienne par Genebeau était nécessairement de structure basilicale et ses oeuvres sont irréparables après un sinistre important. Nous pouvons tirer les mêmes conclusions d'un édifice construit à l'époque carolingienne. Il s'agissait donc d'une construction relativement récente avec, sans doute, des niveaux bas voûtés. Deux chapiteaux cubiques décorés, provenant de cette oeuvre et conservés au musée de Laon, donneraient une date fin XI°, début XII°. D'autre part, l'analyse contemporaine, commencée vers 1160 par l'évêque Gautier de Mortagne, 1155/1194, nous fournit des informations qui peuvent confirmer ces dates. Le chevet, le premier construit, est gauchi par rapport à la nef. Il a donc repris l'alignement et peut être les fondations de l'œuvre antérieure. D'autre part, les structures de l'ancienne nef étaient suffisamment puissantes pour préserver également son alignement. Le gauchissement était donc antérieur à l'œuvre incendiée en 1112.
A l'aide de ces informations, nous pouvons échafauder l'hypothèse suivante. Pour confirmer le nouveau statut de la cité, Genebeau fait construire une église cathédrale conforme au parti mérovingien. Elle est de structure basilicale et de taille moyenne. Sur les deux siècles qui vont suivre, la cité profite de son siège épiscopal et prospère mais le contexte n'est guère favorable au lancement d'un nouveau programme. C'est sans doute à l'époque carolingienne que l'on reconstruit une nouvelle cathédrale avec une nef beaucoup plus vaste, mais la campagne se fait en deux temps, et le chevet traité ultérieurement. Les parties orientales, momentanément préservées, avaient acquis leur gauchissement. Enfin, au XI°, vient l'édifice incendié en 1112. Il comporte une nouvelle nef avec, pour la première fois, des bas-côtés voûtés d'arêtes, mais tribunes et vaisseau central restent couverts sur charpente. L’œuvre édifié sur le milieu du siècle peut être à mi-chemin entre Saint-Rémi de Reims et la cathédrale de Tournai. Quant au nouveau chevet il comportait, nous dit la chronique du temps, une crypte et deux tours. Ces informations nous permettent d'imaginer un sanctuaire rectangulaire avec de nombreuses annexes en flanquement, comme à Verdun, Nivelle, Soignies. Ce sont ces structures latérales qui peuvent expliquer sa bonne tenue au feu de charpente. Mais, rappelons le, tout cela est pure conjoncture. Cependant, si, en l'absence de texte et considéré isolément tout édifice disparu reste totalement mystérieux, l'analyse méthodique de l'œuvre contemporaine et le recours au contexte architectonique du temps permettent des hypothèses qui peuvent être satisfaisantes.
Le parti de Laon
Comme pour la plupart des oeuvres du XII°, le parti de Laon reste fidèle aux options du XI°: vaste volume avec élévation à quatre niveaux, bas-côtés, tribune, triforium et registre de fenêtres hautes. C'est la composition déjà exploitée à Saint-Rémi de Reims, un siècle plus tôt, mais, tribunes et vaisseau central sont maintenant voûtés grâce au nouveau procédé sur croisées d'ogives. Les transepts restent débordants et seuls les chevets ont quelque peu évolué. Ils tendent maintenant au grand développement avec hémicycle, déambulatoire et chapelles rayonnantes, mais l'archétype tarde à se fixer. Il sera issu d'une synthèse entre deux courants distincts, celui avec un haut triforium et niveau accessible mais non voûté où les chapelles rayonnantes sont profondes, comme à Sens, Saint-Germain des Prés, Saint-Denis et peut-être Noyon dans sa version première, et celui issu des croisillons de Tournai, avec tribune voûtée, où l'on adapte maladroitement des chapelles peu profondes, comme à Saint-Germer de Fly et Senlis. C'est le maître de Saint-Rémi de Reims qui fera la bonne synthèse.
En 1160, lorsque le constructeur de Laon dessine son plan au sol, ces partis en expérimentation ne le tentent guère et il opte pour la composition alors classique avec déambulatoire et tribune voûtée, mais sans chapelles rayonnantes. Le maître de Soissons a sans doute fait le même choix, quelques années auparavant; le croisillon subsistant en témoigne. C'est une composition qui dut connaître une diffusion importante mais sa genèse reste mal connue. Le plus ancien chevet du genre identifié se trouve à Jumièges (vers 1155). Quelques années plus tard, s'élèvent les parties orientales de Saint-Etienne de Caen mais l'œuvre d'origine est incertaine. S'agit-il d'une abside simple comme à Cerisy-la-Forêt ou bien d'une adaptation du parti de Jumièges avec trois niveaux seulement et l'étage de tribune non voûté? Les reprises gothiques nous privent de toute information. L'ordonnance interne du chevet de Norwich pourrait être une réplique du premier chevet de Caen mais il date de 1096/1098 et comporte déjà des chapelles rayonnantes. En résumé, comme nous l'avons déjà dit, l'origine normande semble peu convaincante et mieux vaut considérer Jumièges comme distincte de l'école provinciale et dérivée d'un courant septentrional.
Pour Laon, la filiation avec des oeuvres comme Sainte-Marie du Capitole et la cathédrale de Tournai semble plus satisfaisante, mais les chaînons manquants sont trop nombreux pour restituer méthodiquement la genèse du procédé. Que les constructeurs soient passés sans transition de Tournai à Saint-Germer de Fly et Senlis, même en faisant abstraction des chapelles accolées, paraît peu probable. Le premier hémicycle de la cathédrale de Cambrai qui, comme à Tournai, laissera la place à un grand chevet du XIII°, a du jouer un rôle important. D'autre part, l'école Liégeoise, qui fut brillante à cette époque et dont rien ne subsiste, a sans doute joué un rôle important. Selon les fouilles menées à l'abbatiale de Stavelot, nous trouvons là, dès le milieu du XI,°le plan avec déambulatoire, décomposé en trois travées majeures, elles mêmes découpées en trois arcades mineures. C'est le dessin que l'on retrouve au croisillon de Soissons.
Le premier chevet de Laon
L'hémicycle de Laon, commencé vers 1160, disparaît au début du XIII° pour laisser place au chevet rectangulaire que nous voyons aujourd'hui. La modification apportera sept travées supplémentaires qui respecteront scrupuleusement le parti initial. Son plan comportait cinq travées rayonnantes avec déambulatoire mais sans couronne de chapelles; c'est le dessin de Tournai. L'élévation était portée par des piles à tambours avec chapiteaux à crochets, d'un dessin très harmonieux. Nous les retrouvons dans les trois premières travées droites ajoutées. La courbure des tailloirs en témoigne. Le déambulatoire était sans nul doute sur croisées d'ogives semblables à celles conservées sur les trois travées droites. Les arcs sont brisés selon le principe du tiers point et les ogives sont en plein cintre. C'est la composition caractéristique du milieu du XII°.
Le niveau des tribunes était également voûté sur croisées d'ogives mais le constructeur semble avoir été gêné dans son développement et peut être conditionné par l'existant. Les arcs qui coiffent les belles baies géminées donnant sur le vaisseau central sont à peine brisés et parfois en plein cintre, comme sur le transept. Ce sont des remarques de ce genre qui soutiennent l'hypothèse d'une précédente nef fort semblable à celle de Tournai. Ce niveau de tribunes faisait également le tour du sanctuaire. Au niveau du comble des tribunes, le triforium, bien dessiné, comporte des arcs également proches du plein cintre. Enfin, le vaisseau central est directement éclairé par un registre de fenêtres hautes et voûté sur croisées d'ogives. Les cinq travées rayonnantes se trouvaient contrebutées par une demi-voûte sixte partite, tandis que les deux travées mineures suivantes, toujours en place, sont, elles coiffées de voûtes sixte partites classiques.
A l'extérieur, les niveaux des bas-côtés et tribunes sont épaulés par de puissants contreforts à ressaut et nous pouvons imaginer que l'hémicycle l'était également. A cette époque, l'arc-boutant n'est pas encore au programme. Les grandes voûtes de Laon sont simplement confortées par un mur pignon sous combles percé d'une arcature de communication.
Venue quelques années après les chevets de Saint-Germer de Fly et de Senlis, l'œuvre de Laon n'apporte aucune innovation majeure et demeure classique en son temps mais le constructeur abandonne les traditionnelles colonnes monolithiques de récupération et l'excellente pierre de taille que l'on trouve dans de nombreuses carrières de la région lui permet de réaliser un traitement de qualité exemplaire. Les appareillages sont rigoureux et les colonnettes monolithiques nombreuses et harmonieusement disposées. C'est l'œuvre de Laon qui a sans nul doute servi de modèle au maître de Paris mais le parti choisi sur les rives de Seine comporte un double déambulatoire et la composition sera à la fois lourde de conséquences architectoniques et propice aux innovations.
Le chevet de Laon semble dégager tous les bénéfices des programmes antérieurs, Noyon, Saint-Germer de Fly et Senlis. Le gauchissement observé dans l'œuvre s'arrêtera avec elle. Transept et nef sont homogènes.
Le transept
Au sujet de Laon, nous ferons souvent référence à Tournai et le plan du transept confirme la filiation. Comme à la cathédrale établie sur les rives de l'Escaut, le vaisseau perpendiculaire sera flanqué de quatre tours aux extrémités, mais cette fois il ne s'agit plus d'une adaptation empirique. La composition est parfaitement dessinée au sol et la formule donne tout naturellement un transept avec bas-côtés, ce qui n'avait jamais été réalisé en Île-de-France. Chacun des croisillons comporte quatre travées: celles correspondant aux bas-côtés, ensuite deux travées courantes qui sont égales au sud, inégales au nord et enfin une quatrième travée qui correspond à l'implantation des tours.
Sur ce plan harmonieusement lié au chevet, il était logique de reprendre l'élévation initiale avec tribunes. Celles de l'est et de l'ouest seront reliées à l'extrémité des croisillons par deux travées voûtées ce qui permet une totale liberté de circulation à ce niveau. La conception de l'ensemble chevet-transept fut homogène et très précoce puisque les tribunes du sanctuaire ne disposaient pas d'escaliers, les premiers construits se trouvant aux angles occidentaux du transept.
Ce vaisseau perpendiculaire, dont l'élévation est en tout point semblable au chevet, permet d'obtenir une croisée régulière et la superbe tour-lanterne de Tournai qui fut, nous l'avons dit, difficilement aménagée sur trois élévations distinctes, sera reprise ici, en plus modeste certes, mais selon une composition exemplaire. A Tournai, les voûtes de la croisée se trouvent à 45m avec un carré de base de 13m X 11,50m. A Laon, la hauteur sous voûte est de 40m pour une base régulière de 12m X 12m. Le traitement architectonique est également plus élaboré. Un projet conçu dès l'établissement des parties basses ainsi que la régulière disposition de celles-ci, permet d'établir douze contreforts à l'étage des fenêtres hautes. Les huit situés aux angles disposent de bases rationnelles mais, ceux que l'on trouve dans l'axe des faîtages reposent, eux, sur le sommet des arcs. C'est particulièrement osé mais leur présence fut jugée nécessaire pour la voûte à huit nervures. Il faut préciser que cette voûte de la tour-lanterne de Laon sera réalisée dès l'origine, tandis que celle de Tournai fut aménagée ultérieurement. Toutes deux se sont inspirées de celle de Saint-Etienne de Caen, elle-même dérivée de Jumièges. Ce sont les anglo-normands qui seront le plus attachés à la composition.
Les bases des quatre tours sont d'inégale importance; celles du nord sont plus vastes. S'agit-il d'une programmation distincte ou bien d'une sage précaution sachant que ces dernières sont proches de l'abrupt avec, de surcroît, un sous-sol garni de nombreuses cavités naturelles et artificielles. Nous ne savons que dire. Il nous faut signaler les très belles chapelles orientées à deux niveaux et trois registres de fenêtres qui sont contiguës aux tours orientales. Nous retrouvons là, en plus modeste, le traitement des croisillons de Noyon. D'abord limitées au niveau du grand comble, les tours seront reprises ultérieurement, probablement au début du XIII° mais, seules celles du couchant seront achevées.
Comme il était impossible de lancer la voûte sixte partite de la partie droite du chevet sans avoir réalisé l'élévation orientale du transept, certains auteurs, comme Lucien Broche, voient une première campagne regroupant chevet et partie orientale du transept. C'est logique mais ce qui l'est moins c'est d'imaginer une interruption des travaux à ce stade. Les légères nuances architecturales reconnues ne constituent qu'un maigre argument. En tout état de cause, l'ensemble perpendiculaire commencé vers 1170 était probablement achevé vers 1180/1185. Par contre, il convenait d'avoir au minimum deux à trois travées droites sur la nef pour épauler convenablement la forte réaction engendrée par la tour lanterne. Cette dernière fut donc aménagée avec un certain retard. Les travées des croisillons étant inégales, il était difficile de les doter de voûtes sixte partites; le constructeur revient donc au plan barlong qui fut à l'origine du procédé. Signalons enfin que les pignons des croisillons seront garnis de rosaces archaïques constituées d'une combinaison d'oculus polylobés, l'un au centre, les autres en couronne. Celle du nord subsiste et c'est le premier stade dans l'élaboration de ces oeuvres. La composition suivante se trouve sur la façade occidentale de Chartres.
La nef
Après la mise à disposition des nouvelles parties orientales, qui put se faire vers 1185/1190, et l'achèvement des deux escaliers d'accès aux tribunes établies dans les volumes d'épaulement des tours orientales du transept, les travaux peuvent reprendre sur la nef. Comme nous l'avons suggéré, c'était sans doute la partie la plus récente et la plus robuste de l'édifice incendié en 1112 restauré puis remis en service pour 45 ans environ. Nous avons pour cette nef de la fin du XI° proposé un rapprochement avec les oeuvres de la vallée de l'Escaut et nous pouvons la situer à mi-chemin entre Soignies et Tournai. L'élévation était sans doute sur travées alternées comme à Soignies et le principe en sera sommairement repris dans les deux premières travées majeures de la nef où les piles correspondantes sont flanquées de cinq colonnettes en délit. Rien de semblable n'avait été envisagé pour les travées droites du chevet. Mais cette velléité d'alternance est bien vite abandonnée. Les six travées mineures qui vont suivre recevront également des voûtes sixtes partites mais tous les supports sont semblables et nous retrouvons là les belles piles à tambour qui règnent sur les parties orientales
Ces menus détails mis à part, l'œuvre reprendra scrupuleusement le parti du chevet et du transept. Même composition, même niveau, même traitement cependant les amateurs d'art distinguent un changement d'ordre esthétique dans la taille des chapiteaux. Bas-côtés et tribunes sont toujours voûtés sur croisée d'ogive où le tracé en tiers point reste la référence pour les arcs de cloisonnement tandis que les ogives sont en plein cintre. Le niveau du triforium est toujours garni de trois arcatures sur colonnettes et, là, le dessin brisé devient plus franc. Enfin, les fenêtres hautes en tiers point s'inscrivent dans un formeret et se trouvent garnies d'arcature sur colonnettes: une à l'intérieur, deux à l'extérieur. Ce sont là les fenêtres classiques du milieu du XII° et nous les retrouverons à Notre-Dame de Paris. Le chantier des bords de Seine commencé avec quelques années de retard, semble ensuite coïncider avec celui de Laon.
Les voûtes établies sur la nef respectent scrupuleusement la règle sixte partite et les faisceaux de colonnettes qui reçoivent les retombées sont à l'avenant. Doubleaux mineurs et formerets trouvent trois colonnettes sur la pile faible, tandis que le doubleau majeur, les ogives et les formerets en trouvent cinq à leur point d'application. Comme dans toutes les compositions de ce genre, les cinq colonnettes ont quelques difficultés à trouver leur place sur le tailloir des chapiteaux.
Le chantier avance rapidement. Il est même possible que l'ensemble des dix premières travées ait été entrepris de concert puisque les contreforts sont d'égale importance et très homogènes. Comme sur les parties orientales, leur action est transmise aux voûtes par un mur pignon sous combles et en cette fin du XII°, la disposition est toujours jugée suffisante. Il faut cependant remarquer que la disposition des volumes d'inertie et les rapports sont ici beaucoup plus satisfaisants qu'à Paris et Bourges. Les arcs-boutants que nous voyons aujourd'hui furent aménagés ultérieurement. Basés à la fois sur le glacis du contrefort et sur le mur des tribunes, ils sont constitués de deux rouleaux de claveaux et leur point d'application s'est substitué à l'ancien glacis de protection coiffant le raidisseur constitué de colonnes engagées. Le rouleau inférieur s'aligne sur le chapiteau de la composition antérieure et là, sans doute, se trouve l'origine de la composition que l'on retrouvera sous les arcs-boutants classiques du XIII°. Ces contreforts de Laon peuvent être rapprochés de ceux de Saint-Germain des Prés de Paris qui sont, eux, à simple rouleau. Tous deux constituent des compositions exemplaires et peuvent être datés des années 1195/1200, l'origine du procédé se situant, comme nous l'avons dit, à Notre-Dame de Paris où le constructeur devait conforter les grandes voûtes devenues menaçantes en franchissant le second bas-côté. Une filiation Notre-Dame, Saint-Germain des Prés et Laon sur la période 1195/1205 paraît logique, les arcs-boutants que nous voyons à Sens sont de même facture mais uniquement basés sur le mur extérieur, ce qui réduit l'inertie de la base.
Les dix dernières travées mineures de la nef de Laon furent sans doute achevées, voûtées et confortées d'arcs-boutants avant 1210 mais l'édifice antérieur devait comporter un massif occidental et la onzième travée, ainsi que la façade, seront traitées distinctement.
L'ensemble occidental
Nous ignorons comment se présentait la partie occidentale de l'édifice du XI°. Comportait-elle transept et abside à la manière carolingienne ou bien une puissante tour de façade flanquée de deux tourelles d'escalier. Nous l'ignorons mais la seconde hypothèse paraît plus vraisemblable. En 1200, la nouvelle cathédrale possède un vaste ensemble de tribunes pouvant contenir 1500 à 1800 personnes et les seuls accès réalisés lors des travaux sont les deux petits escaliers à vis installés dans les contreforts des tours occidentales du transept. L'accès principal devait donc se faire par des tourelles d'escaliers existantes et nous pouvons imaginer que les liaisons des anciennes tribunes et de la nouvelle oeuvre furent constamment préservées. Ceci est l'ultime argument en faveur de l'hypothèse d'une nef du XI° avec tribune non voûtée. C'était une oeuvre à inscrire dans la filiation Saint-Rémi de Reims, Soignies, Tournai.
Ces compositions occidentales issues du carolingien vont s'effacer début XII° devant le modèle normand avec deux tours de façade, comme à Saint-Etienne de Caen. Le constructeur de Laon va suivre la mode. Après une onzième travée de liaison, il établit une puissante façade flanquée de deux tours. Leur surface au sol est modeste, elle ne déborde guère le volume du bas-côté et la composition qui doit être contemporaine de celle de Senlis paraît mieux maîtrisée. Cependant, la réduction des surfaces au sol ne facilite guère l'implantation des escaliers. L'un sera introduit dans le contrefort nord-est, l'autre au sud-est.
Ces grandes façades sont naturellement soumises à un effet de fond engendré par les travées de la nef. Pour parer à ce problème, les constructeurs de Senlis et de Noyon ont donné aux bases de leur tour une importance considérable et les mêmes proportions se retrouvent à Paris mais la façade de Laon parut insuffisante, d'où les puissants contreforts qui seront ensuite coiffés des beaux porches voûtés que nous voyons aujourd'hui. Cette harmonieuse disposition architecturale masque quelque peu la fonction des massifs.
L'essentiel de l'œuvre doit être achevé vers 1220/1225 mais les finitions vont tarder. Les constructeurs sont coutumiers du fait. Seules, quatre des six tours recevront leur couronnement et les traitements dénotent des époques légèrement différentes. Au Moyen-Age elles étaient couronnées de flèches en charpente; l'état actuel est moderne.
A cette époque, vers 1210/1215, le sanctuaire en hémicycle doit poser quelques problèmes d'ordre architectonique. Il sera démonté pour laisser place au grand chevet plat que nous voyons aujourd'hui. Cette partie de l'édifice avait sans doute tardé à recevoir des arcs-boutants comme sur la nef. Ceux qui furent adaptés vers 1220 sont toujours de composition poids mais le dessin est plus évolué. La pile de base reçoit un tas de charge couronné d'un chaperon. Sur ces travées nouvelles, le constructeur a conservé l'épaulement sous combles et la mesure n'est pas "superfétatoire" comme l'ont pensé certains auteurs. Ce volume de maçonnerie neutralise convenablement la résultante externe engendrée par un éventuel basculement du pied de voûte. Ce sera la fonction de l'arc-boutant inférieur qui se généralisera au XIII°.
Conclusion
Si la composition à tribunes n'incite pas aux grandes envolées comme celles réalisées par les maîtres du XIII°, l'étagement confère aux élévations des dimensions et rapports harmonieux, à l'échelle humaine. Ce sont des oeuvres qui séduisent plus qu'elles n'impressionnent et l'effet est particulièrement réussi à Laon. Commencée dans la période féconde du milieu du XI° et achevée par des maîtres soucieux de préserver l'unité du parti, cette cathédrale constitue le chef d'œuvre de la première génération. Il faut la voir au soleil couchant, du sommet de la butte Saint-Vincent et oublier le temps présent.