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La cathédrale de Reims
Afin de restaurer un ordre social bien perturbé, Constantin accorde la liberté de culte aux chrétiens par l'édit de Milan, en 313, mais il n'était que religion admise comme tant d'autres. Les temples demeuraient très fréquentés par des pratiquants sans grande conviction, certes, mais en guise de reconnaissance au sein du milieu traditionaliste. Cependant, cohabiter ne semble pas du goût des chrétiens de l'époque qui entreprennent une lente et méthodique pénétration du système administratif impérial et les effets pervers du phénomène ne tardent pas à se faire sentir. En 375, l'année même de la mort de Valentinien, la garde tombe à nouveau sur le Limes de Germanie et des bandes armées saccagent une fois encore la Gaule septentrionale. L'année 392 marque l'échéance suivante. Théodose donne l'exclusivité aux chrétiens et interdit par loi tout autre culte ainsi que toute hérésie qui pourrait se manifester à l'encontre de la nouvelle religion maintenant officielle. Les prêtres saccagent les temples et les Dieux dans leurs niches n'ont plus que les hiboux pour compagnie nous dit Saint Jérôme. D'autre part, des moines fanatiques commencent à poursuivre et à martyriser ceux qui sont restés trop ostensiblement opposés à leur église. Ce fut la triste destinée de la belle Hypatie, philosophe néo-platonicienne enseignant à Alexandrie. Elle fut emmenée dans une église et massacrée par des religieux fanatisés.
Capitale des Gaules depuis Dioclétien, le grand pourfendeur de chrétiens, Trêves a supplanté Reims et c'est sans doute sur ordre de l'administration de Théodose que les Rémois doivent accepter un évêque chrétien dans la cité. L'homme s'appelle Nicaise. Il vient sans doute du faubourg voisin et commence rapidement l'édification de la première cathédrale située intra-muros. Il lui reste huit années pour le faire. Le lieu choisi n'est pas ostentatoire et se situe en zone périphérique. L'édifice est de modeste importance, c'est une basilique de caractère constantinien avec transept saillant et nef munie de bas-côtés, l'abside en hémicycle est installée sur une crypte. Nef et bas-côtés font 23 m X 30 m et le transept 9 m X 35 m. Ce plan fut identifié lors des fouilles menées par H. Deneux, de 1920 à 1930.
La cathédrale de Nicaise est à peine achevée que l'Occident connaît, en 401, une nouvelle et ultime période d'invasions. L'évêque des Rèmes, un homme sans doute naïf et peut être sincère est intimement persuadé que la bonne parole et l'amour de son prochain constituent la meilleure sauvegarde. Face aux vandales qui approchent il déconseille la mise en défense de la ville et accueille les envahisseurs, les bras ouverts, sur le parvis de sa cathédrale. Le geste est généreux mais le message ne passe pas. Nicaise est attaché sur une roue de charrette et bientôt massacré par des barbares qui ne comprennent que la force, puis la ville est mise à sac. Les Rémois qui viennent de payer cruellement la naïveté de leur pasteur chassent sa dépouille qui sera récupérée par les chrétiens de la colline voisine et inhumée en bonne place; le lieu deviendra l'abbaye Saint-Nicaise. L'emplacement où l'évêque fut martyrisé sera constamment marqué dans les édifices successifs. Au Moyen-Age, un bas-relief dit rouelle de Saint-Nicaise consacrait l'emplacement.
Après ces mésaventures, les habitants de Reims ne vont pas rompre avec l'église mais avec certains chrétiens. Les successeurs de Nicaise seront de bons gestionnaires liés à la bourgeoisie locale et très soucieux des intérêts de la ville.
Remi, le Rèmes
Le second personnage qui va s'illustrer sur le siège archiépiscopal de Reims est Saint Rémi. L'homme naît à Laon, vers 450. A l'âge adulte il gagne la métropole et se fait connaître par ses prêches et ses écrits. Vers 475, Sidoine Apollinaire, le félicite pour son savoir et ses talents d'écrivain. Qu'en est-il? Nous ne possédons que quatre lettres de lui et si elles dénotent un tempérament plein de vertu chrétienne, le style en est fort médiocre. Peu de temps après, en 481, lorsque Childéric, le roi de Tournai meurt, le plus ambitieux de ses rejetons, Clovis qui a grandi dans la vieille cité Gallo-Romaine, prend le pouvoir de manière violente. Le nouveau roi est très jeune, 18 ans, peut être 15 et, dans les années qui vont suivre. Celui qui deviendra pour l'histoire le fier Sicambre doit batailler ferme pour affirmer sa position. Il a un sens politique aigu et comprend fort bien que la position du chef de guerre hissé sur le pavois demeure toujours précaire et que seule la maîtrise des cités permet de régner. Toutes les villes fortifiées d'Occident sont alors aux mains des évêques. Il lui faudra donc traiter avec eux mais l'idée de se faire chrétien ne l'a sans doute pas encore effleuré.
En 486, il part vers le sud à la tête d'une force nombreuse mais avant la bataille de Soissons où il doit rencontrer et vaincre son principal adversaire, Syagrius, il a occupé l'acropole de Laon et c'est là peut-être qu'il a pris contact avec un homme d'église aussi ambitieux que lui, Rémi le Rèmes. Si leurs destinées ont été divergentes, les deux hommes resteront compères en politique. C'est aux tractations de Rémi que la ville de Reims doit d'avoir échappé au saccage des cavaliers francs mais l'homme n'est pas encore évêque de la cité et son audience semble beaucoup plus grande dans le faubourg chrétien, qui portera désormais son nom, que dans l'agglomération fermée.
Sur les dix années qui vont suivre, les deux personnages tracent leur chemin. Clovis conquiert l'Occident et Rémi s'impose à Reims où il est nommé évêque mais la date demeure imprécise. Vers 490, il prend sous sa protection une jeune princesse Burgonde, Clotilde, dont la famille a été massacrée par le roi en place, Gondebeau. C'est une fervente chrétienne et Rémi trouve judicieux de la proposer en mariage à Clovis. Les noces ont lieu à Soissons, en 496. L'évêque de Reims a maintenant une ambassadrice de talent à la cour des Francs. Le roi, alors maître d'une bonne part de l'Occident, se doit d'affermir sa position et l'idée d'une conversion fait son chemin. Clotilde s'y emploie activement. L'affaire de la bataille de Tolbiac, aujourd'hui Jülich, sur la voie romaine menant de Mäastrich à Cologne, est sans doute une belle légende imaginée par les chrétiens et reprise par Grégoire de Tours. D'autre part, nous n'avons aucune certitude sur la date de la conversion du roi et de son baptême à Reims. Les historiens ont proposé tour à tour: 496 (la plus communément admise) mais également 498, 499 et même 506. La cérémonie s'est naturellement déroulée dans le baptistère situé au flanc Nord de la cathédrale de Nicaise mais l'ouvrage découvert en 1925 date du milieu du VI°, le précédent était sans doute une construction légère et circulaire comme il était courant au Bas-Empire. Ensuite, la cérémonie se poursuit dans la cathédrale où 3.000 guerriers auraient accompagné le roi dans sa conversion. C'était, nous l'avons vu, un édifice de 1000 m2 environ qui devait être archi comble. Dès cette époque, Reims allait tenir une place de choix dans le royaume des Francs.
Rémi va vivre très vieux. Il meurt vers 530 mais les gens de la cité ne semblent pas l'avoir tenu en grande estime. Comme celle de Nicaise, sa dépouille sera exilée sur la colline qui va désormais porter son nom. Il est inhumé dans un petit sanctuaire ultérieurement englobé dans une grande abbatiale.
Comme nous le voyons, les faits marquants des temps passés sont souvent mal connus et l'histoire achevée du XIX° a parfois "fabriqué" des vérités avec des hypothèses, certes vraisemblables, mais non confirmées. Grégoire de Tours, notre principal informateur en la matière a lui-même souvent pioché, sans esprit critique, dans des textes peu crédibles.
La cathédrale carolingienne
Bien que légère et naturellement fragile comme toutes les constructions de caractère basilical, la cathédrale de Nicaise semble avoir tenu quatre siècles environ. Le programme suivant date de l'époque carolingienne mais, si la campagne de fouilles menée par Henri Deneux de 1920 à 1930 a bien dégagé les structures de cette époque, le plan de l'édifice est difficile à cerner.
Nous avons d'une part des fondations relativement puissantes qui semblent envelopper les croisillons de Nicaise et ceci témoigne de la reprise du transept. Nous trouvons également des structures longitudinales et perpendiculaires en avant de la nef du IV° mais leur fonction n'est pas évidente. Cependant, comme les cathédrales successives ont toutes repris le même axe, avec des fondations d'un volume sans cesse croissant, il est naturel que les structures longitudinales essentielles pour fixer le volume de l'édifice, aient disparu. Nous pouvons donc imaginer des fondations carolingiennes englobées par celles du XII° et cet amalgame fut ensuite complètement éliminé par les très puissantes bases gothiques descendant jusqu'au sol de tuf.
La cathédrale carolingienne comportait donc une nef nouvelle, légèrement plus large que celle de Nicaise, mais surtout prolongée de 20m environ. La composition demeurait basilicale. En parties orientales, il est peu probable que cette campagne du IX° ait porté sur une abside simple, même agrandie. Les fouilles réalisées en auraient montré la trace au-delà de la crypte de Nicaise. Nous pouvons donc imaginer pour la cathédrale carolingienne une abside profonde avec hémicycle, comme à Saint-Riquier, et ces fondations seront absorbées par les aménagements internes du grand chevet XII°. Enfin, cette abside profonde a-t-elle reçu des tourelles d'escalier ou des absidioles en flanquement? Impossible à dire, rien ne fut découvert lors des fouilles. Cependant, les fondations du XII° qui représentent très rigoureusement les bases d'un chevet à cinq chapelles rayonnantes deviennent irrationnelles en partie droite, comme si le chantier avait rencontré, là, un important volume existant, rapidement démoli, pour laisser place aux travaux à venir.
L'œuvre romaine
Comme sur la plupart des édifices septentrionaux, les travaux reprennent à Reims dès le XI°. A la fin du siècle, la façade carolingienne semble recevoir deux tours dont les fondations sont légères et nous pouvons imaginer deux barabans, comme à Chartres. La nef est sans doute reprise également mais les témoignages découverts sont peu évidents. Cependant nous pouvons reprendre ici l'analyse faite au sujet du carolingien. Les alignements se sont constamment superposés et les énormes fondations du XIII° ont détruit toutes les maçonneries établies antérieurement. A l'est, par contre, toute nouvelle fondation en hémicycle est nécessairement distincte des précédentes et les témoignages sont très clairs.
Le nouveau chevet à grand développement reprend l'abside profonde du carolingien et la double d'une couronne comportant six redents internes. La forme convient parfaitement à cinq chapelles rayonnantes conjointes qui semblent relativement profondes mais le découpage rayonnant n'est pas conforme à l'hémicycle, les cinq travées ne couvrent que 160° environ. C'est un trait d'archaïsme que l'on ne retrouvera plus dans les compositions d'Ile de France toutes postérieures à 1140. Le chevet de Reims pourrait donc figurer parmi les toutes premières réalisations du genre et peut être constituer l'origine du parti. D'autre part, si nous considérons le dessin des chapelles, ce ne sont pas de petits hémicycles accolés comme à Senlis et à Saint-Germer de Fly, mais des volumes plus amples comme à Saint-Denis et à Saint-Germain des Prés, et nous avons admis qu'il s'agissait là d'une école distincte où les tribunes étaient accessibles mais non voûtées. En résumé, le chevet à cinq chapelles rayonnantes de Reims pourrait dater des années 1120/1140 et se situer ainsi à l'origine des deux lignées qui vont se développer en Ile de France. De cette époque, il faut l'imaginer avec des voûtes en cul-de-four sur les chapelles et des voûtes d'arêtes sur le déambulatoire. Les premières croisées d'ogives auraient donc été installées dans un parti déjà établi et bien approprié. Le plan septentrional se distingue de toute autre composition romane par des chapelles conjointes.
Les fondations de la partie droite qui suit seraient de nature à former un double déambulatoire terminé par deux volumes correspondant à des tourelles d'escaliers. Nous aurions là confirmation de l'hypothèse des tribunes accessibles mais preuve également que le vaisseau perpendiculaire était toujours celui de l'époque carolingienne. Il avait servi de liaison aux diverses campagnes d'aménagement ce qui était alors une option courante.
La cathédrale du XIIIe
Dans la nuit du 6 mai 1210, la cathédrale de Reims est gravement endommagée par un incendie. Ces grands sinistres, courants à l'époque, ont des origines diverses et variées. Souvent ce sont des tentures qui, poussées par un courant d'air viennent lécher un porte-cierge allumé et prennent feu. Parfois c'est un brasero installé sur les combles et utilisé par un couvreur pour fondre son plomb qui se renverse et met le feu aux charpentes. C'est ainsi que Saint-Paul hors les murs fut détruite au XIX°, mais le feu peut également venir des bâtiments annexes à la cathédrale. A Reims, l'incendie eut des effets considérables, une partie de la ville fut également sinistrée.
Pour être ainsi ruinée, la cathédrale était sans nul doute couverte sur charpente apparente, ces pièces de bois garnies de la suie des cierges sont toujours très inflammables. Selon nos hypothèses nous pouvons imaginer l'édifice de cette manière. Une nef, fin XI° début XII°, avec des bas-côtés voûtés mais tribunes et grande nef toujours sous charpente. L'accès aux tribunes se faisait par les escaliers internes des barabans. Un transept d'origine carolingienne, plusieurs fois repris, réaménagé et couvert sur charpente. Enfin, le chevet à grand développement début XII°, lui aussi avec un premier niveau voûté, mais tribunes accessibles et sanctuaire toujours couverts sur charpente apparente. Un édifice de ce genre peut cruellement souffrir du feu . Une fois les poutres calcinées, les lourdes couvertures de tuile s'affaissent et déversent les parties hautes des murs qui, dans leur chute, ruinent les tribunes, seul le premier niveau voûté est alors sauvegardé. Le spectacle offert doit être désolant, suffisamment du moins pour que la population de Reims soit convaincue de la nécessité d'une oeuvre nouvelle malgré les fortes charges financières que cela implique.
Au cours de l'été qui suit, l'édifice est nettoyé de ses cendres et gravats. Les élévations sont sommairement réparées pour obtenir un alignement et, nef et transept, sont alors couverts d'un bardage en bois. L'espace ainsi aménagé peut à nouveau recevoir les fidèles et la campagne nouvelle commence donc par l'Est, par le chevet. La première pierre est symboliquement posée par l'évêque Aubri de Humbert, le 6 mai 1211, jour anniversaire de la catastrophe. Cette action symbolique porte sans doute sur les énormes fondations rendues nécessaires par l'importance du projet.
A cette époque, le modèle tout indiqué est le beau chevet de la cathédrale de Soissons toute proche. L'ouvrage se trouve déjà bien avancé puisqu'il sera livré au culte l'année suivante. L'œuvre de Reims comporte donc un déambulatoire ouvrant sur cinq chapelles rayonnantes et le plan d'épure est, sans conteste, inspiré de celui de Soissons mais les chapelles seront plus profondes, ce qui doit permettre de dissocier les systèmes de voûtement. Les structures en élévation seront de plan polygonal mais les fondations demeurent d'un dessin circulaire.
Après avoir fait piocher abondamment, le maître d'œuvre juge que les trois mètres de remblai accumulés depuis l'époque romaine ainsi que les trois mètres de terre qui formaient le sol de l'enclos celtique ne sont pas dignes de confiance. Il va donc baser ses assises sur le sol de tuf, ce qui représente six mètres de maçonnerie à empiler. D'autre part, comme les points de retombée sont nombreux et rapprochés, la galette sera homogène ce qui représente pour un hémicycle de 27m 50 de rayon environ 7.000 m3 de maçonneries brutes flanquées de parements et au sein desquels nous trouvons des pyramides appareillées destinées à recevoir les bases des supports. Nous avons là sans doute l'une des premières raisons du retard considérable que vont prendre les travaux, mais c'est une bonne cause.
En dessinant des chapelles profondes, le constructeur a sans doute répondu aux souhaits du maître de fabrique mais il n'a pas mesuré toutes les conséquences que cela implique. Dans ce cas de figure deux options se distinguent. La première consiste à traiter les chapelles avec partie droite rectangulaire ce qui permet de réserver un espace médian pour la culée qui se trouve alors contre le déambulatoire et les arcs-boutants n'ont qu'une seule volée, comme à Soissons. L'autre formule consiste à privilégier le volume des chapelles qui, agrandies, forment alors un léger fer à cheval et la culée est reportée à l'extérieur du système. Elle s'écarte alors du point à contrebuter et deux solutions s'offrent au maître d'œuvre. Choisir un volume de maçonnerie étroit et profond, comme ceux que l'on voit à l'abbatiale Saint Rémi, mais à la cathédrale, avec les 37m sous voûte, l'option est risquée. La stabilité d'un voile haut et mince n'est pas assurée et les contreforts en croix ne sont pas encore envisagés. Reste alors la culée puissante avec des arcs de grande portée, comme à la nef de Notre-Dame de Paris ou bien le système en batterie avec support intermédiaire, ce sera le choix du maître de Reims. C'est une composition complexe et coûteuse. D'autre part, la stabilité de la culée est assurée sur les travées rayonnantes où elle coïncide avec le mur médian des chapelles mais l'aménagement est plus délicat sur les travées droites avec le double déambulatoire. Mais toutes ces conséquences semblent avoir été découvertes en cours de travaux.
Le chantier lancé à la fois sur l'hémicycle et sur la partie droite porte d'abord sur les substructures. Ces énormes fondations doivent être achevées vers 1215/1216, commence alors l'édification proprement dite.
Reims, élévation
A Reims, la largeur du vaisseau central est de 14,70 m contre 13,06 m à Soissons. Le bas-côté est plus vaste également, 7,60 m contre 5,80 m. Dans ces conditions, les réactions des doubleaux des bas-côtés sont grandes et il serait dangereux d'opter pour la colonne à tambours. Le maître d'œuvre choisit le noyau cylindrique flanqué de quatre colonnes engagées. C'est l'option de Chartres mais les supports de l'hémicycle sont toujours des colonnes avec colonnettes internes donc fidèles au modèle initial (Soissons). Le choix de la pile forte se fera au contact de la partie droite, là où l'option avec double bas-côtés s'impose.
Les tailloirs sont portés à 11,80 m et la largeur des collatéraux qui commande la hauteur du système d'arcs porte le bandeau du premier niveau à 18 m. Le comble qui doit couvrir de profondes chapelles ou le double bas-côté impose, lui, un triforium conséquent, 5,60 m de haut contre 4 m à Soissons. Enfin, la largeur du vaisseau central donne des doubleaux très importants et la pile critique qui sépare le sommet du triforium des bases de la grande fenêtre se trouve réduite (H= 3,20m contre 4m à Soissons) pour une hauteur sous voûte de 37,80 m contre 30,60 m. L'élévation de Reims se présente donc comme une oeuvre sérieuse et robuste où le triforium demeure aveugle. Le constructeur installe encore un glacis à la base des fenêtres hautes qui se transforme en galerie de circulation. A ce niveau, le responsable de l'œuvre n'a pas encore admis qu'il choisira une gouttière et non un larmier pour le grand comble. La fenêtre haute reprend le dessin imaginé à Soissons mais avec un traitement beaucoup plus soigné. Elle est insérée dans un arc brisé, très puissant, de 2,10 m d'épaisseur ce qui supprime les conséquences des petits déséquilibres longitudinaux qui se manifestent entre deux fenêtres d'inégale importance. Cette option permet également d'avoir un pied de voûte conséquent et le fait sera pris en compte lors de l'établissement des arcs-boutants, il n'y aura pas de contrebutement bas comme à Soissons, les arcs feront porter leur action au niveau médian et au niveau très haut, ce qui implique un voile perpendiculaire.
Ces options prudentes, choisies dès le chevet, seront ensuite reprises sur la nef ce qui confirmera la robuste constitution de l'édifice. De Soissons à Reims, pas de rupture, mais une évolution rationnelle où les structures se développent selon de bons rapports, seules les chapelles profondes vont commander de nouvelles options qui seront prises dès l'hémicycle.
Traitement externe
De l'aplomb externe de la culée à l'axe de la colonne qui reçoit le doubleau du déambulatoire, la distance est de 11,50 m, c'eût été la profondeur d'une culée selon le mode de Soissons et c'était inconcevable. Le choix d'une double batterie d'arcs était donc plus satisfaisant. Cependant, le traitement des culées qui privilégie le décor sur la fonction va peser dans le comportement d'ensemble.
Pour la culée externe, après le gros volume de maçonnerie intégré au mur mitoyen des chapelles, le constructeur veut faire oeuvre d'art. Au dessus d'un socle dont le noyau est allégé par des arcatures externes, il construit une importante niche destinée à recevoir une grande statue d'ange. La face avant de cette niche est portée par des colonnes monolithiques hautes de 4,60 m et l'ensemble est surmonté d'une pyramide hexagonale creuse flanquée de quatre petites pyramides carrées. Ce chaperon haut de plus de 7 m travaille, certes, en tas de charge mais c'est une composition à risque. Le volume de la culée proprement se trouve au revers de la niche mais il est modeste. C'est cette base qui va recevoir les réactions de la double batterie d'arcs-boutants avec piles internes. La portée de chacune des volées est légèrement inférieure à 7 m. Les deux arcs internes travaillent sur un angle voisin de 35° tandis que les deux situés à l'extérieur sont disposés selon des angles et des points d'action dissociés de la batterie interne. C'est une disposition sans aucune justification architectonique. Cette maladresse a sans doute pour cause un changement de programme en cours de travaux. D'autre part, les chapelles à grand développement impliquent un double bas-côté et si le choix des arcs-boutants à deux volées se révèle judicieux sur l'hémicycle, la pile intermédiaire qu'il impose va, dès la première travée droite, porter sur la colonne interne. A cette époque, c'est audacieux. Ce que fait le constructeur de Reims, celui de Paris le démonte afin de lancer les grands arcs-boutants à une seule volée que nous voyons aujourd'hui sur la nef. Au préalable, il avait jugé bon de renforcer la colonne de base avec un faisceau de colonnettes toujours en place.
Au début du XIII°, le traditionnel larmier et le glacis qui reçoit l'impact des égouttures ne sont plus suffisants, les fenêtres sont trop grandes et les coups de vent amènent des ruissellements sur les vitraux où l'eau attaque les joints et surtout les armatures métalliques nécessaires afin d'éviter l'affaissement des encadrements de plomb. D'autre part, le petit larmier qui double généralement les moulurations de la fenêtre est notoirement insuffisant alors, le constructeur de Reims opte d'abord pour une embrasure négative. C'est une bonne mesure et la disposition prouve que la gouttière n'était toujours pas au programme. Mais après tous ces palliatifs, il apparaît que seule une collecte des eaux à la base du grand comble résout définitivement la difficulté, reste à évacuer l'eau collectée par cette gouttière et là les solutions seront nombreuses et variées.
Les premières évacuations se font avec des gargouilles. Celle du sommet crache son eau vers une dalle de réception d'où elle est ensuite évacuée vers un nouveau déversoir mais ces dalles d'impact mettent en cause les couvertures traditionnelles qui sont alors remplacées par des combles en pyramide, disposition qui permet également d'ouvrir le triforium. Une autre solution consiste à utiliser l'arc-boutant comme gouttière d'évacuation mais cette fonction l'expose à des infiltrations qui le font souffrir, alors des garnitures de plomb viendront utilement le protéger. Le problème n'est pas simple. Tout au long du XIII°, les constructeurs feront assaut d'ingéniosité pour le traiter. A Reims, dans la première formule, la gargouille haute crache directement sur les arcs-boutants qui font office de brise-jet, l'eau est ensuite recueillie par une gouttière basse et dirigée vers une nouvelle gargouille qui crache, elle, sur le pavé extérieur. C'est une demi-mesure. Les dégagements offerts par les gouttières hautes et basses ont permis aux constructeurs d'élever des balustrades en fines arcatures, ce qui donne un décor exceptionnellement riche.
La gouttière est mise en oeuvre vers 1225/1230 et les cathédrales de Chartres, Reims et Amiens sont candidates au brevet d'invention, mais la palme est difficile à décerner.
Voyons enfin les grandes voûtes du chevet. Le plan en hémicycle régulier permet un traitement selon le mode XII°, avec un doubleau mineur et quatre nervures rayonnantes que viennent contrebuter une demi-voûte établie sur la première travée droite, la travée suivante retrouve le plan barlong.
Le premier programme de Reims s'était limité à deux courtes travées droites afin de préserver le transept et la nef ancienne, toujours affectés au culte. Ce chantier s'achève vers 1241 et le chapitre prit possession du chevet le 7 septembre de cette même année. Les travaux avaient duré trente ans et c'est particulièrement long si nous comparons cette période aux autres programmes alors menés en Île-de-France. Certes, l'édifice est de grande taille et le traitement particulièrement riche, mais ces explications ne suffisent pas, il faut nous rendre à l'évidence, Reims était alors une ville de grand prestige mais relativement pauvre. La vieille cité, cernée de murailles à qui revenait l'essentiel de la charge souffrait notamment de la coupure qui remontait au Bas-Empire. A la même époque, le bourg Saint Rémi travaille sur un édifice également riche et de bonne taille, l'abbatiale Sain Nicaise, c'était autant de deniers en moins pour l'œuvre de la cathédrale.
Le transept
Au XII°, le vaisseau perpendiculaire n'est plus systématiquement inscrit au programme. La cathédrale de Fulbert fut la première à rompre avec la coutume et Sens, Senlis et Bourges exploiteront ce procédé qui offre l'avantage de la simplicité. Cependant les Anglo-Normands restent fidèles au transept et une certaine école septentrionale le maintient tout en lui assurant une évolution importante. Pour être compatible avec les nefs et les chevets maintenant dotés de tribunes, le vaisseau perpendiculaire reçoit également des collatéraux mais nous ignorons quelle fut la genèse de la composition. Nous la trouvons en condition achevée, à Laon, sur le second tiers du XII°, les croisillons sont alors flanqués de deux tours alignées sur les façades, elles assurent l'épaulement d'un passage en tribunes sur le revers, il est ainsi possible de faire le tour complet de l'édifice au premier niveau. Cette ingénieuse disposition qui permettait d'augmenter considérablement les capacités d'accueil disparaît dès le retour aux trois niveaux choisi par le maître de Chartres, mais il conserve les bas-côtés du transept ainsi que les deux tours de flanquement sur les façades des croisillons. Cette nouvelle composition se retrouve également à Rouen et c'est elle que choisira le maître de Reims. Transept et bas-côtés occupent donc un volume équivalent à quatre travées, mais cette seconde campagne ne devait pas interférer avec la vieille nef et c'est sans doute pour cette raison que la partie droite du chevet fut réduite à deux courtes travées.
A partir de l'hémicycle, les fondations ne sont plus en galette homogène mais en longrines correspondant aux murs et aux élévations. Nous trouvons le même principe sous les croisillons. Le sous-sol de la nef reste donc dégagé sauf une petite longrine transversale au niveau de la première travée orientale de la nef. Sur ces bases qui sont à toute épreuve, s'élève un transept non débordant, dont le vaisseau principal est moins large que la nef, 12,50 m contre 14,65 m. Sur les croisillons, la première travée s'aligne sur le bas-côté tandis que la seconde qui doit assurer un plan carré aux tours de façade est supérieure au pas courant.
L'élévation du vaisseau perpendiculaire respecte la facture déjà exploitée sur les travées droites. Premier niveau massif et puissant avec partie haute allégée et très richement traitée. Les façades des croisillons sont établies sur une épaisseur de 3,70 m et les quatre contreforts qui la structurent portent l'assise à 6 m. La puissance de ce premier niveau justifie l'hypothèse de Viollet le Duc qui voyait Reims programmé avec un couronnement de flèches de pierres sur les quatre tours des croisillons. Par contre, dès le troisième niveau, les contreforts d'angle sont réduits pour laisser place aux grandes niches sur colonnettes que nous avons vues au sommet des culées. Elles seront finalement programmées sur l'ensemble du périmètre de l'édifice. D'autre part, les faces des quatre tours sont ouvertes de grandes fenêtres semblables à celles du niveau haut. Elles permettent un éclairement de la nef, l'effet est remarquable mais il condamne toute flèche de pierre. Même si les volumes d'angle restent suffisants, les liaisons ne sont plus assurées de bonne manière.
Cette partie de l'édifice sera réalisée sur la seconde moitié du XIII°. La maîtrise technique est acquise et le traitement s'oriente maintenant vers un luxe et un grand raffinement dans les détails qui feront la splendeur du gothique. La stabilité offerte par les deux tours d'encadrement permet d'alléger à l'extrême les façades des croisillons, celle du Sud qui donne sur la cour de l'évêché sera traitée la première d'une manière assez austère mais celle du Nord qui constitue alors l'accès principal à la nouvelle oeuvre, côté ville, sera d'un grand luxe. Au niveau haut, chacun des pignons reçoit une belle et grande rosace.
L'élévation interne respecte strictement l'ordonnance générale de l'œuvre. Bas-côtés, triforium et fenêtres hautes s'alignent et s'harmonisent avec ceux de la nef tandis que les grandes voûtes sur plan barlong demeurent fidèles au canon du début XIII°, avec la totalité des arcs en profil brisé et des doubleaux relativement puissants. A l'extérieur, la présence des tours d'angle sur un transept non débordant supprime les problèmes dus aux croisements d'arcs, ceux-ci s'appuient directement sur le volume de la tour.
En cette fin XIII°, les structures hautes des cathédrales deviennent trop légères pour supporter d'importants couronnement de pierres mais les charpentiers et couvreurs proposent maintenant des aménagements de bois et de plomb particulièrement légers et fiables. Les feuilles de plomb coulées sur une plaque de bronze polie et maintenue à température moyenne sont fines et régulières, elles remplacent avantageusement les tuiles en couverture et permettent de garnir ouvrages, décor et figurines de bois. Désinfecté au feu puis travaillé et enveloppé de plomb martelé, le bois acquiert une grande longévité , par contre ces couronnements sont sensibles à la foudre et peuvent être ruinés par le feu. La croisée de Reims reçoit une flèche de bois garnie de plomb qui disparaît lors de l'incendie du 24 juillet 1481, par contre, il est très peu probable que les tours des croisillons aient reçu des flèches de même nature.
La seconde campagne portant sur le transept fut, comme celle du chevet, coûteuse et longue. Les travaux ne s'achèveront qu'avec le siècle, 1290/1295.
La nef
La troisième campagne de Reims portera sur la nef, le chantier se met en oeuvre vers 1299 et l'arrivée sur le siège épiscopal de la ville, d'un nouveau titulaire Robert de Courtenay, n'est sans doute pas étrangère à cette reprise. Dans une charte datée de cette même année, il est dit que le prélat cède "bénévolement" un espace pris sur la cour de son palais épiscopal pour le stockage des pierres destinées à l'ouvrage.
Malgré le retard considérable pris par le chantier, la nef de Reims restera strictement fidèle au parti initialement choisi. Sur l'élévation, bas-côtés, triforium et fenêtres hautes restent en alignement et de même traitement. Le constructeur de l'époque reprend les piles flanquées de quatre colonnes engagées dont le choix fut fait un siècle plus tôt. Sur les voûtes des bas-côtés, nervures et moulurations ne changent pas. Les fenêtres du premier niveau comportent toujours, à la base, une galerie de circulation, ou galerie des flambeaux. Il faut dire cependant que Reims a participé à l'élaboration et à la fixation du style gothique treizième, dit classique, dont le règne va se prolonger sur plus d'un siècle. Les formes sont jugées excellentes, pourquoi en changer, les quelques modifications notables se trouvent à l'extérieur.
Ici la base des culées est plus importante, 2,80 m X 4,40 m mais le traitement reste le même. Puissant et austère, sur la hauteur du premier niveau, il devient léger et luxueusement traité en parties hautes. Là, nous retrouvons la facture découverte sur le chevet mais nous sommes maintenant dans une oeuvre à simple bas-côtés et la pile intermédiaire disparaît. Les deux arcs-boutants établis sur un angle de 35° conservent le même point d'application. Leur portée est légèrement plus grande, 7,80 m mais la facture reste identique: membrure en compression bien caractérisée avec une arête garnie de crochets et un arc support tangent, soigneusement mouluré. Le dessin fait que le remplissage de liaison se trouve fortement réduit, ainsi donc, le constructeur n'a pas fait totalement confiance à la membrure en compression mais il a modéré l'action poids. Il faut dire que la faible inertie de la culée haute, richement décorée, ne s'y prêtait guère, l'augmentation de portée n'aura donc pas de répercussion.
Sur le vaisseau central, la structure haute a toujours une épaisseur supérieure à 2 m, ce qui permet l'établissement d'une gouttière confortable tandis que les fenêtres dont le réseau interne est d'une épaisseur de 80 cm environ, conservent leurs embrasures négatives. Les grandes voûtes sont toujours de facture XIII° (classique) et le point d'action des arcs-boutants demeure médian et très haut. Ce dernier implique toujours une structure perpendiculaire, autrement dit, un cloisonnement de la travée.
Comme sur les parties orientales, le pied de voûte, en majorité appareillé mais puissant et convenablement chargé de blocage sur l'extrados des voûtes travaille en encorbellement. Il prend ainsi une bonne part des réactions hautes. Cette judicieuse composition n'est pas étrangère à la bonne tenue des culées privées d'inertie par leur luxueuse décoration. Nous n'irons pas jusqu'à dire que la cathédrale de Reims pourrait se priver d'arcs-boutants mais leur participation est modeste. Rappelons que la hauteur (H) de la pile critique qui va du sommet du triforium au tailloir des grandes voûtes est, ici, de 3 m. Elle sera de 6 m à Amiens et de 9 m à Beauvais. Dans ce dernier édifice, le triforium ouvert donne une hauteur critique réelle de 16 m.
Comme pour les campagnes précédentes, les fonds sont difficiles à trouver et les travaux traînent en longueur. En 1328, pour le sacre de Philippe IV, la cour de l'archevêché est toujours encombrée de matériaux en préparation destinés à la nef. Il faut dégager l'espace pour la cérémonie et empiler les pierres ainsi accumulées entre les contreforts de la tour voisine du croisillon. A cette époque, la ville regroupe ses deux pôles et construit une vaste muraille de 6 km 500 de développement. La Guerre de Cent Ans ralentit encore la progression du chantier de la cathédrale, il faut attendre 1406 pour que les travaux portent sur l'achèvement des tours occidentales et c'est l'incendie de 1481 qui va stopper l'édification des flèches de façade déjà bien amorcées. Nous pouvons donc estimer la fin de la troisième campagne comme suit: nef achevée vers 1360, la date de 1400 pouvant être considérée comme la fin du gros oeuvre. La façade est alors au niveau de la galerie des rois.
Il a fallu deux siècles environ pour réaliser cette superbe cathédrale et ceci représente la campagne homogène la plus longue mais aucun autre édifice ne fut traité avec un pareil luxe dans les détails et la décoration. L'école de Reims a profondément marqué l'art du Moyen Age. C'est ici que les styles nouveaux prennent leur essor et que se trouvent les chefs-d'œuvre de l'époque.
Les maîtres d'œuvre
Les hommes qui ont dirigé le chantier de Reims sont connus. Voici selon Louis Demaison, leur nom et leur période de responsabilité. Le premier maître, celui qui fixa le parti et réalisa l'essentiel du chevet, fut Jean d'Orbais, de 1211 à 1231. Viennent ensuite, Jean Leloup, 1231/1247. Gaucher de Reims 1247/1255. Bernard de Soissons, 1255/1290. C'est lui qui réalisa l'essentiel du transept et sans doute les premières grandes rosaces. Robert de Coucy gère le chantier de 1290 à 1311. Maître Colard lui succède, sa période de fonction est mal connue mais elle doit s'achever vers 1330/1335. Viennent ensuite Gilles le maçon et Jean de Dijon. Ils doivent achever la nef et entreprendre la façade. Enfin, Colard de Givry, travaille sur l'œuvre durant 36 années mais tous ont respecté le parti fixé par Jean d'Orbais. C'est donc à lui que nous devons la cathédrale de Reims.