Soissons
Au temps de sa splendeur, sous le règne d'Auguste, Rome allait connaître une grande frayeur. Conduit par Antoine et Cléopâtre, l'Orient toujours fortement attaché à la culture Hellénique a fait sécession et la capitale d'empire se trouve coupée des greniers à grains d'Alexandrie. Le spectre de la disette plane alors sur les maîtres du monde et, dès ce jour, naît la ferme intention de diversifier les sources d'approvisionnement.
Si le cavalier barbu avait pu voir dans les yeux de sa royale maîtresse toute une mer immense où fuyaient les galères, (Heredia) sans doute n'aurait-il pas affronté le nouvel Auguste, mais la passion l'emporta et, dès le soir de la bataille d'Axium, Rome, délivrée de ses angoisses mais toujours fidèle à ses bonnes résolutions, lance un vaste programme d'aménagement des nouvelles terres conquises en Gaule. Il faut notamment mettre en état de rapport les riches plateaux céréaliers qui couvrent le nord du pays; la destinée de Soissons venait de se sceller.
Il est convenu d'attribuer à Agrippa le lancement du programme routier qui va couvrir la Gaule du nord et du nord-est, mais les tracés choisis reflètent si bien les problèmes rencontrés par César durant ces sept années de campagne (ainsi que les options prises par lui) que nous devrions dire le plan d'Agrippa selon César. Le vaste rameau de voies stratégiques mis en place prend racine en Méditerranée avec un tronc commun qui longe le sillon rhodanien avant de former trois branches majeures. La première est essentiellement d'intérêt militaire, il faut protéger les terres nouvellement conquises des peuples germaniques toujours hostiles. Cependant, le tracé ne choisit pas la voie la plus directe en joignant le Rhin par les Vosges, il monte vers Langres, Metz, traverse le massif des Ardennes par Trèves et va directement au contact des provinces du nord de l'Europe par Cologne et Xantène. Le danger n'est donc pas germain, il n'est pas franconien, il est saxon et cette remarque éclaire d'un jour particulier les vingt siècles d'histoire à venir.
Le second rameau est de caractère essentiellement économique. Partant de Langres, il joint Boulogne, le grand port Gaulois menant vers les Iles Britanniques, mais plus précisément vers la partie blanche, celle occupée par les Belges, selon César. Sur son tracé, la grande chaussée marque différents "casses" qui lui permettent de toucher les centres politiques des peuples du nord de la Gaule. Ce sera l'origine des villes de Châlons-sur-Marne, de Reims, Soissons et Amiens. De Soissons à Amiens, la voie tangente les terres du Vermandois, ce sera l'origine d'une cité totalement nouvelle: Noyon, et, là encore, le choix du tracé porte à réflexion. Il ne suit pas la grande voie économique traditionnelle que constitue la Seine mais la longe à une bonne centaine de kilomètres au nord-est. Il s'agit donc de desservir les riches terres céréalières des plateaux calcaires du nord et de confirmer ainsi les excellentes relations rapidement nouées avec des peuples que César apprécia, même s'ils furent parfois ses adversaires. Cette voie que les historiens ont parfois appelé la route de l'étain serait mieux désignée comme la route des grains.
Le troisième tronçon est de caractère plus politique. Partant de Lyon il traverse le Massif-Central jugé alors inhospitalier et joint les terres des rives de l'Atlantique, à Saintes. Il s'agit de prendre contact avec le seul peuple de l'ouest que César avait apprécié et c'est également une région à vocation agricole. A cette époque, les têtes pensantes de Rome, les Optimats, sont encore des grands propriétaires terriens et nous les voyons tendre la main à des peuples avec qui ils ont des affinités profondes. Les Gaulois sollicités accepteront sans arrière pensée et formeront le noyau de la future grande bourgeoisie gallo-romaine, celle qui fera la grandeur du siècle d'Auguste.
Après avoir pris contact avec la colline Saint-Rémi, le vieux centre politique des Rèmes situé à la pointe sud du vaste enclos néolithique, la Chaussée d'Agrippa engendre un carrefour routier qui se situe précisément au milieu de l'enclos. Ce sera le centre d'une nouvelle cité ouverte de caractère Augustéen avec une urbanisation rationnelle. A la sortie nord, la voie prend la direction de Boulogne et doit toucher le pays du Vermandois (Vermand, ultérieurement Saint-Quentin), puis celui des Atrébades (Arras), c'est le chemin le plus direct cependant une modification intervient. Partant du cardo, l'itinéraire majeur s'infléchit et suit pratiquement la vallée de la Vesle, ce qui est peu courant pour un tracé stratégique de la Haute Epoque. Une fois atteint les rives de l'Aisne, il oblique et suit la rivière sur dix kilomètres avant de la traverser. Ce faisant, il joint le centre politique des Suessions, les frères ennemis des Rèmes. Enfin, après avoir franchi le fleuve, la Chaussée choisit sans équivoque son nouveau point d'impact: ce sera Amiens au centre du pays des Ambianis. Soissons va donc être construit sur la Chaussée d'Agrippa en son point de franchissement avec l'Aisne, mais l'articulation gauloise du site n'est pas clairement fixée.
Le site
Au XIX°, les historiens semblent avoir livré trop hâtivement une synthèse réalisée à l'aide des nouvelles donnes fournies par l'analyse archéologique. Obnubilés par les commentaires de César et par des épisodes de la Conquête, telle la bataille de Gergovie, ils ont vu les centres Gaulois sur des oppidum bien caractérisés; c'était négliger les caractères de la Thène finale. Certes les hauts lieux politiques demeuraient sur les éperons barrés qui avaient marqué l'origine de la peuplade mais les activités économiques florissantes des derniers siècles précédant la Conquête avaient nécessairement justifié la fixation et le développement de centres d'échanges plus conformes aux besoins nouveaux. C'était le cas, nous l'avons vu, pour les Silvanectes. Le vieil oppidum de Toutevoies la Chaussée fut délaissé au profit d'un centre d'échanges, d'un lieu de marché bien situé aux confluents de l'Aunette et de la Nonette, et là sera le carrefour routier établi par l'ordre Romain. Le cœur du pays des Suessions a sans doute connu un phénomène semblable et nous avons tous les composants requis.
Pour le haut lieu historique et politique des Suessions, le regard des chercheurs s'est d'emblée porté sur le double oppidum situé au nord du fleuve, au-dessus du village de Pommiers. Des prospections archéologiques y furent menées et les découvertes faites jugées satisfaisantes. Dès lors, les plus convaincus donneront au lieu le nom de Soissons-le-Vieux, mais les autres sites potentiels ne manquent pas. A 10km à l'est, dominant la dépression du fleuve, nous trouvons Fort-Condé, l'éperon de Sainte-Marguerite, la Ferme de la Montagne et Bellevue et c'est vers eux que se dirigeaient le tronçon de la Chaussée d'Agrippa venant de Reims avant qu'il ne s'infléchisse pour longer la vallée de l'Oise.
Nous sommes donc bien au cœur du système socio politique mais il nous faut cependant rechercher le lieu d'échange qui sera favorisé par la poussée économique de la Tène finale, et le plateau bas qui marque le confluent de l'Aisne et de la Crise, nous semble tout indiqué. Vite dévalorisé par la présence de la grande cité Augustéenne établie à ses pieds, il ne sera sans doute jamais totalement abandonné. Devenu ensuite faubourg de l'agglomération fermée, son lieu de culte sera repris par la grande abbaye Saint-Jean-des-Vignes. A la lumière de ces différentes observations, nous pouvons donc résumer les choix du responsable romain de la manière suivante.
Du carrefour établi dans l'enclos des Rèmes, il lui faut gagner le cœur du pays des Suessions et donc suivre la vallée de la Vesle mais l'aval du confluent forme une grande plaine alluviale où les bancs sableux sont nombreux. Le terrain n'est guère favorable à l'établissement d'une chaussée, pas plus qu'à celui d'une cité nouvelle. Le tracé sera donc infléchi pour demeurer sur la rive sud, au pied des falaises calcaires et la boucle qui marque le confluent avec la Crise paraît toute indiquée pour le franchissement. D'autre part, le lieu de marché installé sur le bas plateau pourra servir l'économie de l'agglomération nouvelle qui sera construite à l'intérieur du méandre. Ensuite, le tracé reprendra la direction générale du pays des Ambianis et après le pont gravira le plateau nord par la dépression qui borde le vieil oppidum de Pommiers et c'est une coïncidence. Les caractères offerts par l'environnement du franchissement sont la raison primordiale.
Les voies romaines
Fixé par la Chaussée d'Agrippa et le pont sur l'Aisne, le site de Soissons va recevoir d'autres voies en convergence. La première identifiable vient de Senlis. De là nous la suivons jusqu'à Béthisy Saint Martin et Champlieu. Ensuite, quelques tronçons demeurent identifiables jusqu'en forêt de Pierrefonds et la direction générale semble être le Mont Berny, à + 132m, qui devait recevoir la balise. A l'opposé, partant de Pontarcher dans la vallée de l'Aisne, nous trouvons un autre tronçon de même direction mais parallèle, et le casse de raccordement se fait à la hauteur de Vichelles. Après la vallée de l'Aisne, ce tracé semble se perdre. Certes nous pouvons admettre qu'il devait rejoindre la Chaussée d'Agrippa en un point arbitrairement fixé mais c'est peu probable. L'analyse inverse nous paraît meilleure. Elle consiste à donner la traditionnelle voie sur berge reprise très tôt en tracé stratégique, menant vers Beauvais et, de là, deux tronçons discordants iront joindre Senlis. A l'appui de cette hypothèse, notons que c'est bien ce tracé qui donnera les coordonnées du maillage urbain de la ville nouvelle.
La seconde voie stratégique "accrochée" au site est un tracé nord-sud. Il vient d'Arras en passant par Vermand puis file vers le sud en par Château Thierry et Montmirail. La direction générale est celle de Troyes.
Reste un sixième itinéraire hypothétique qui pourrait prolonger l'axe est-ouest en se dirigeant vers un point indéterminé. Nous trouvons chez les Trévires et dans les Ardennes deux tronçons au raccordement incertain qui pourraient être concernés par cette sixième voie.
En résumé, Soissons, grande cité Augustéenne ne reçoit que six voies rayonnantes. C'est peu, mais la ville nouvelle est située à proximité de Reims, un énorme carrefour à dix voies et ce n'est pas surprenant.
La ville nouvelle
Le responsable du programme trouve selon l'axe est-ouest un terrain relativement plan que la Chaussée d'Agrippa traverse avec un angle voisin de 45°. Le tracé est récent mais il n'y a pas d'urbanisation en cours, le plan de la nouvelle ville va donc "casser" la grande chaussée et s'imposer selon un rectangle de 700 x 900m, soit 60ha. Ce rectangle est parallèle aux rives de l'Aisne et la surface choisie n'occupe qu'un versant du méandre afin de faciliter l'installation du réseau d'assainissement. Les deux extrémités de la Chaussée d'Agrippa seront donc raccordées avec ce dessin théorique. Au sud-est, le tracé romain qui est très évident jusqu'au pont sur la Crise se perd ensuite dans les aménagements ultérieurs mais, au nord-ouest, la grande Chaussée s'identifie parfaitement avec le faubourg Saint-Crépin.
A Chartres, nous avons vu l'évolution d'un site traditionnel avec une distribution étagée des activités. Ville bourgeoise sur le plateau, prémanufacturation sur les bords de la rivière et artisans et commerçants sur les voies de transit qui desservent l'espace urbain médian. Là, les aménagements à la romaine vont se superposer au tissu ancien et il fallut sans doute attendre un bon siècle pour que les notables de ces quartiers s'installent dans un cadre neuf aménagé à l'extrémité du promontoire. A Soissons, ville neuve, le contexte est totalement différent. C'est un espace urbain rigoureusement programmé et les dispositions comme les activités doivent se plier aux contraintes du système.
Les différents secteurs de l'économie seront répartis selon la proximité du forum et sur les quatre axes majeurs qui l'engendrent. Domaine politico-religieux, notables et boutiques de luxe s'attribuent le centre ville. Les commerçants s'installent sur les voies de grand passage et les artisans sur les îlots en retrait. Enfin, les activités liées à la batellerie se développent sur les bords de la rivière. Dans une agglomération de ce genre, les contraintes sont nombreuses et pesantes, les carrefours à angle droit gênent la circulation et concentrent les entrées et sorties sur les quatre axes majeurs qui sont vite saturés. D'autre part, l'espace est compté et tout développement en surface limité par le cadre rigide de l'îlot. Il faut donc organiser ses activités avec rigueur, limiter ses stocks, éviter tout amoncellement d'objets à utilité douteuse et se résoudre au développement en étage, si nécessaire. Seuls les îlots périphériques, soit moins de 20% de l'agglomération, conservent quelques facultés d'extension, mais là également, de nouveaux îlots se créent et les contraintes suivent.
La ville programmée impose donc une discipline rigoureuse mais qui n'est pas sans avantage. Les chaussées sont bien carrossées, les fontaines publiques nombreuses tandis que le réseau d'assainissement rend la vie plus facile et plus saine. D'autre part, les problèmes nés de l'urbanisation programmée et concentrée, stimulent l'imagination et le développement des techniques. Les citadins s'enrichissent. Les murs de pierre ou de brique, les bonnes charpentes ou les couvertures de tuile se substituent aux colombages et aux bardeaux. La ville devient plus propre et moins exposée aux incendies. Enfin, le centre de l'agglomération avec son forum et ses monuments de prestige impressionne la société provinciale et ce caractère ne nuit pas aux affaires, bien au contraire. Le pouvoir d'attraction de l'agglomération devient grand.
Il faudra un bon siècle à Augusta Suessionum pour saturer les 60ha initialement programmés et vider de son habitat gaulois le bas plateau du confluent de la Crise mais les basses terres situées à droite et à gauche de la Chaussée d'Agrippa venant de Reims ont sans doute conservé bon nombre d'activités de prémanufacturation dans un contexte urbain archaïque. C'était l'une des surfaces de "respiration" préservée, l'autre se situait sur les berges de l'Aisne au nord du maillage.
Aucune ville, même la plus riche, ne peut échapper au phénomène des banlieues et les réhabilitations des quartiers sont constamment dépassées. L'art en la matière est de conserver un juste équilibre mais la florissante société romaine n'échappera pas aux excès de tout genre.
Dès le second siècle, la politique de remembrement à outrance menée par les grands propriétaires terriens commence à faire sentir ses effets pervers. Les petits exploitants qui avaient trouvé un certain équilibre en se louant aux grandes fermes de plateaux à l'heure des récoltes connaissent maintenant des échéances critiques et ceux qui sont ruinés se dirigent alors vers la ville pour grossir le prolétariat urbain. Cette main d’œuvre disponible pour les travaux de manufacturations est d'abord un phénomène favorable à l'économie mais, passé un seuil raisonnable que les responsables de tout temps n'ont jamais su discerner, les nouveaux arrivants vont former un sous prolétariat dont la présence sera lourde de conséquences dès les premières difficultés économiques, dès les premiers troubles politiques.
Au temps des Antonins, Augusta Suessionum absorbera tant bien que mal les conséquences du phénomène socio-économique qui perturbe le monde rural. La ville ne s'enrichit plus, elle se "gonfle", le cadre urbain absorbe les individus dont il a besoin, les autres, tel un surplus, sont mis en souffrance et s'installent très sommairement le long des grandes voies rayonnantes, telle la Chaussée d'Agrippa, menant vers le nord-ouest ou la voie sur berge menant vers l'ouest. Les basses terres de la rive est recevaient également leur part de constructions sommaires. Seuls les quartiers nord favorables à l'extension du maillage urbain pourront recevoir un aménagement rationnel. Vers l'ouest, tout développement est gêné par la voie oblique, implantée de longue date. D'autre part, là, le sol est en pente inverse, ce qui interdit tout raccordement au réseau d'assainissement en place.
La population
Les 60ha primitivement maillés seront concédés en îlots ou en parcelles à des gallo-romains riches ou bien inspirés. La première implantation est très légère, une centaine d'habitants à l'hectare, ce qui fait 6.000 personnes pour la cité nouvelle. Ensuite, la ville commence sa lente évolution. Les parcelles se décomposent au gré des successions, les dessertes de revers deviennent de véritables rues et les immeubles de façade sont repris avec plusieurs étages ou surchargés de niveaux légers La saturation en ville ouverte est ressentie à partir de 250/300 personnes à l'hectare, ce qui donne pour la cité 15 à 18.000 habitants permanents. L'évolution ultérieure va se fixer dans les faubourgs périphériques. Dans ces quartiers mal urbanisés mais également mal perçus par les habitants de la cité l'occupation est instable et difficile à estimer. Dans les provinces du nord qui seront le plus touchées par les remembrements excessifs et la ruine des petits exploitants, les métropoles recevront de très gros afflux de populations déplacées. Soissons a sans doute connu des pointes à 35/50.000 habitants vers la fin du II° et ces gens deviendront un véritable fléau lors des troubles du milieu du III°. Les grandes invasions furent plus une conséquence que la cause des phénomènes tragiques qui vont frapper l'Occident au milieu du siècle.
Le bas empire et les chrétiens
Lors des "Années Terribles", 250/275, les grandes villas de plateau, les fermes céréalières, seront systématiquement détruites et la caste des propriétaires terriens mise à mal tandis que les métropoles sont également détruites. Il faut attendre la fin du siècle pour que la situation se stabilise. Les populations excédentaires qui s'étaient agglutinées autour des cités à l'époque faste, ont été balayées par le phénomène et comme la ville ruinée ne leur offre plus aucun moyen d'existence, ils retournent sur les terres de leurs ancêtres, et là, patiemment, reprennent la mise en culture des plateaux abandonnés depuis trois ou quatre décennies. A cette époque, Soissons peut renaître et même profiter à nouveau de son rôle de métropole. C'est la renaissance Constantinienne. Les citadins vont se fixer un quadrilatère de rétablissement correspondant sensiblement à la cité d'origine et le mettre en état de défense. Nous connaissons mal les diverses murailles qui protégeront Soissons, mais la bonne préservation du maillage augustéen laisse à penser que 50h environ seront constamment préservés.
Dès le III°, la société bourgeoise qui travaille activement à la restauration de la cité cultive sans doute un esprit ultra conservateur, non à la gloire des anciennes divinités tutélaires qui ont failli mais à la faveur d'un civisme à l'antique et naturellement à l'encontre de toute religion nouvelle. Il y a dans l'esprit de chacun une profonde aversion pour tout ceux qui viendront s'installer dans les faubourgs avec quelques velléités d'ingérence dans les affaires de la cité. Autant dire que le contexte n'est pas favorable aux chrétiens, même si ces gens pratiquent maintenant au grand jour. A la fin du siècle, la triste fin de Nicaise, qui fut martyrisé à Reims après avoir ouvert ses bras et la ville aux envahisseurs, n'incite pas les habitants de Soissons à changer de politique. A la fin du V°, en 486, 200 ans après les premiers travaux de restauration, la cité semble toujours réfractaire à toute prise en mains par l'église. C'est sous ses murs que Syagrius, le dernier des Romains, vient affronter le jeune roi des Francs parti de Tournai à la tête de ses guerriers. Le Barbare est vainqueur mais il est plus désireux de dominer que de détruire et sans doute a-t-il déjà pris contact avec celui qui sera son compère en politique, Rémi, le Rème.
La ville de Soissons pillée et occupée ne semble pas avoir trop souffert de la bataille. Vaste et toujours bien cernée de murailles, elle devient même la résidence préférée des nouveaux maîtres; c'est là que s'installe Clotaire Ier, roi de Neustrie, de 511 à 561. Mais les Francs se disent maintenant chrétiens et les notables de Soissons trouvent alors judicieux de cultiver la religion, le siège épiscopale et le contre-pouvoir que cela représente.
Sur moins d'un siècle, la cité va tenter de résorber son retard en christianisme et c'est sans doute à cette époque que l'évêque est admis intra-muros. Certes il existait depuis deux siècles des communautés chrétiennes installées dans les faubourgs et le patriarche élu pouvait revendiquer le titre d'évêque, mais ses pouvoirs religieux étaient bien modestes et son poids politique inexistant.
Peu après sa mort survenue en 560, Saint Médard, évêque de Noyon est transporté à Soissons pour être inhumé dans une église située sur la rive est de l'Aisne, à 1200m de la cité. Il s'agissait là sans doute d'un domaine familial ou ami. Rapidement, ses reliques deviennent objet de vénération et c'est l'origine d'une illustre abbaye mais Soissons n'a toujours pas de martyr. Il faut attendre 640/650 pour que Saint Eloi, de passage à Soissons, découvre dans une église du faubourg nord-ouest, sur la chaussée de Noyon, les sépultures de deux martyrs de la Haute Epoque: Saint-Crépin et Saint-Crépinien, venus évangéliser la cité vers la fin du III°. Ils se seraient faits cordonniers pour vivre et prêcher la bonne parole parmi les plus humbles. Leur légende les donnera martyrisés dans la région de Soissons mais la ville de Faveursham, en Angleterre, dans le Kent, affirme les avoir accueillis après leur fuite du continent.
Si les premières communautés chrétiennes installées à Soissons ont sans aucun doute connu de nombreux martyrs, Crépin et Crépinien étaient-ils du nombre? Impossible à dire. Cependant ils ne furent pas choisis comme Saint-Patron de la cité, la première cathédrale édifiée vers 520/550 sera dédiée à Saint-Gervais et Saint-Protais, deux chrétiens martyrisés sous Néron et dont les reliques seront découvertes par Saint-Ambroise, à Milan, en Juin 386. Cette première cathédrale orientée selon les coordonnées antiques fut construite à 150m, au sud de l'ancien decumanus, et les édifices successifs reprendront la position et l'alignement ainsi fixés.