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La cathédrale de Soissons
Nous n'avons aucune information sur les édifices qui se sont succédés à Soissons de l'an 600 à l'an 1150, seule certitude, les reprises et développements conserveront le même axe et s'articuleront autour de la croisée du transept. En règle générale, les grandes cathédrales septentrionales sont reconstruites à l'époque carolingienne, toujours sur le principe basilical mais sur un plan beaucoup plus vaste. Vers l'an 1000, les nefs sont reprises avec des élévations plus puissantes, comme à Saint-Rémi de Reims. Enfin, vers le début du XII°, les travaux portent sur les parties orientales avec la programmation de nouveaux chevets partiellement voûtés. Nous pouvons penser que la cathédrale de Soissons a connu une évolution générale conforme à la règle.
Une nef carolingienne, avec élévation légère et d'une surface sensiblement égale à celle que nous voyons aujourd'hui, doit laisser place vers 1120/1150 à une oeuvre plus puissante de longueur égale mais dont les bas-côtés sont d'un pas moindre avec voûtes d'arêtes ou berceaux perpendiculaires . L'édifice comporte des tribunes accessibles et les croisillons construits au milieu du XII° ont leur escalier d'accès côté est. Au niveau des tribunes, il y avait donc une liaison directe du narthex jusqu'au plan oriental du transept.
La question suivante concerne le chevet. Si nous acceptons l'hypothèse communément admise d'un ensemble à trois croisillons identiques édifié de 1155 à 1180, pourquoi deux tourelles d'escaliers liées aux croisillons et non en flanquement du chevet comme de coutume?. Ce dernier, premier construit devait être le premier servi. D'autre part, si les tourelles d'escaliers avaient été programmées avec les croisillons pourquoi une et non deux? Tel qu'il se présente, l'escalier conservé apparaît donc bien comme la desserte orientale d'un ensemble nef/transept.
Nous savons que le nouveau chœur du XIII° fut mis à disposition en 1212 selon une inscription encastrée dans la chapelle Saint-Protais qui se trouve à la hauteur de la troisième travée de la partie droite. Il est donc logique d'imaginer que là se situait l'arrêt momentané des travaux permettant la translation avant démolition de l'ancien chœur. Dans ces conditions l'espace restant nous semble trop court pour préserver un hémicycle entièrement voûté, comme celui conservé au sud. Ainsi l'hypothèse d'un chevet traité régulier, comme à Sainte-Marie du Capitole à Cologne soulève de sérieuses objections et mieux vaut s'orienter vers une composition non homogène, avec croisées totalement distinctes, comme à Tournai.
Enfin, dernière remarque. Apparenter le croisillon de Soissons aux chevets d'Ile de France est une filiation vite faite. Si l'élévation est traitée de manière semblable, le plan au sol ainsi que le découpage rayonnant est totalement différent. Il ne comporte pas cinq travées régulières mais trois travées majeures décomposées ensuite en trois travées mineures chacune. C'est un système unique. A l'abbatiale romane de Stavelot, aujourd'hui détruite mais connue par des fouilles et des gravures, il y avait une composition semblable mais avec quatre travées majeures et douze travées mineures. Il existait donc, en pays Liégeois, vers la fin du XI°, une école d'hémicycles distincte de ce qui s'était fait à Cologne et distincte également de ce qui se fera à Tournai. Le croisillon de Soissons en est l'unique témoignage et ceci nous amène à une hypothèse que nous résumons comme suit.
Vers 1060/1080, le constructeur de Soissons achève la nouvelle nef avec bas-côtés voûtés et tribunes accessibles. C'est un bel ensemble mais il vient buter sur le vieux transept carolingien et les deux partis ne sont guère compatibles, les niveaux du vaisseau perpendiculaire ne correspondent pas et surtout bloquent les nouvelles tribunes qui deviennent des culs de sac. Il faut trouver une composition orientale, transept et chevet, en rapport avec la nef. C'est un problème que rencontrent alors bon nombre de constructeurs. Le maître de Jumièges a réalisé une nef et un chevet avec tribune voûtée mais il lui manque la formule de liaison sur le transept. Son choix se porte sur un passage direct mais, ce faisant, il détruit l'unité du vaisseau perpendiculaire. A cette date, la meilleure formule mise en oeuvre est, sans conteste, celle qui prend corps en pays Liégeois et que l'on voit notamment sur la nouvelle abbatiale de Stavelot. Les croisillons du transept sont dotés de bas-côtés et la liaison se fait par des tribunes d'extrémité. Les normands qui cherchent toujours une bonne formule adopteront ces tribunes d'extrémité mais sans collatéraux sur les croisillons, d'où un étranglement dans les passages. La formule Liégeoise est vraiment la meilleure. Nous la retrouverons sur certaines grandes églises de pèlerinage comme à Saint Sernin de Toulouse, vers 1080 mais, dans les oeuvres romanes, les tribunes ne font pas le tour du chevet. Nous pouvons faire la même remarque à l'égard des filiations proposées avec Saint-Martin de Tours.
Fin XI°, le constructeur en charge du programme de Soissons reprend donc scrupuleusement la composition orientale des abbatiales Liégeoises: Stavelot, Malmédy et d'autres sans doute. Le parti comporte transept avec bas-côtés et hémicycle a trois travées majeures décomposées chacune en trois travées mineures. Son niveau de tribune fait donc le tour complet de l'édifice. C'est un objectif qui sera ensuite poursuivi par de nombreux constructeurs du XII° et réalisé notamment à la cathédrale de Laon.
Au début du XII°, l'idée d'installer également des hémicycles aux extrémités des croisillons fait son chemin en Île-de-France. Ceux de Tournai ont engendré, nous l'avons vu, une sérieuse perturbation dans le programme et le constructeur de Cambrai a trouvé plus sage de concevoir un ensemble homogène. Vers 1155/1160 les travaux reprennent à la cathédrale de Soissons pour la doter également de croisillons en hémicycle et le programme s'impose comme suit. Il faut démonter les travées d'extrémité qui couperaient la nouvelle perspective perpendiculaire et installer deux hémicycles avec déambulatoire dont le plan reprend celui du chœur mais avec une élévation qui s'inspire des nouveaux programmes lancés en Ile de France. Nous trouvons là quatre niveaux avec triforium caractérisé et le voûtement sera systématiquement réalisé sur croisées d'ogives. La partie centrale correspond au croisillon du XI°, mais déambulatoire et tribunes sont de moindre largeur que les bas-côtés de la travée contiguë. Lorsque ce programme s'achève, vers 1180, le chevet demeure avec tribune et chœur non voûtés. Ainsi, l'œuvre du XIII°, prolongée jusqu'à la chapelle Saint-Protais, ne lui faisait courir aucun risque.
Le croisillon sud
Ce superbe ensemble heureusement préservé au flanc sud de la cathédrale de Soissons est considéré par certains comme le chef d'œuvre du XII° gothique. Nous en acceptons l'augure mais proposons cependant de lui faire partager la palme avec celui de Saint-Rémi de Reims. Ces jugements d'ordre esthétique une fois établis, voyons le traitement de l'ouvrage.
Le plan à trois travées majeures et neuf travées mineures avec voûtes sous entend un déambulatoire étroit. La disposition fut sans doute conçue à l'usage d'un berceau annulaire, comme à la cathédrale de Fulbert, avant de recevoir doubleaux et petites voûtes d'arêtes en blocage. Enfin, avec des voûtes sur croisées d'ogives les effets engendrés sont faibles, ce qui permet d'avoir des supports très graciles. A Soissons, les supports majeurs sont constitués d'un noyau carré de modeste importance flanqué de quatre colonnes engagées, tandis que les travées faibles sont basées sur de fines colonnes monolithiques en délit. L'ensemble est d'une superbe légèreté. Par contre, la disposition alternée des supports impose un découpage rayonnant irrégulier si l'on veut conserver des arcs internes de même valeur. Malgré la très faible largeur du bas-côté, les travées rayonnantes sont en plan trapézoïdal accentué et les arcades internes sont fortement surhaussées. Ce sont des caractères que le XIX° a classé dans le style lancéolé. Le découpage donne naturellement trois fenêtres externes, ce qui supprime les problèmes de déversement, l'étage des tribunes reprend strictement la composition du premier niveau mais avec une moindre hauteur.
A l'extérieur, les travées majeures sont confortées par un contrefort de bonne taille, tandis que l'inertie du mur est à juste titre considérée suffisante pour absorber les réactions des travées mineures.
Au troisième niveau, nous trouvons un triforium à six arcatures, deux par travées mineures, l'équilibre est donc respecté. A cette époque, les pentes choisies pour les combles des tribunes sont voisines de 1 x 2, mais la hauteur peut être diversement distribuée entre l'arcature et l'embrasure des fenêtres hautes. Au quatrième niveau, la composition respecte toujours le découpage en trois travées majeures avec chacune trois fenêtres hautes, deux petites aux ailes et une plus grande au centre. Les moulurations très soignées sont directement inscrites dans le mur, il n'y a donc pas d'arc de décharge pour l'ensemble sinon le formeret de la voûte. Celle-ci est installée sur croisée d'ogive et forme trois voutins très ouverts. L'épaulement des grandes voûtes est assuré par des murs pignons sous combles, comme il est de règle en cette fin du XII°. Les arcs-boutants que nous voyons aujourd'hui sont des aménagements ultérieurs adaptés sur le glacis des contreforts.
Aujourd'hui, cet ensemble en hémicycle est prolongé d'une travée droite de même composition mais la présence d'une pile forte, en clôture, rendait le découpage en trois peu satisfaisant. Bas-côtés et tribunes seront donc découpés en deux travées d'inégale valeur et les troisième et quatrième niveaux retrouveront respectivement six arcatures et trois fenêtres, mais en partie haute il s'agit d'un programme de raccordement réalisé au XIII°.
Le programme du XIIIe
A la fin du XII°, la cathédrale de Soissons se présente comme celle de Tournai à la même époque: une nef du XI°, une croisée remaniée selon la facture XII° et les croisillons en hémicycle légèrement postérieurs, enfin le chevet est toujours celui du XI°. C'est la partie jugée la plus archaïque, même si elle a déjà reçu quelques remaniements et c'est là que vont commencer les travaux de la campagne du XIII°.
Le nouveau chevet sera implanté à bonne distance afin de préserver le vieux sanctuaire. Son centre sera situé à 35m du point de croisée tandis que celui du chœur existant ne devait pas excéder 18 à 19m. Le nouveau programme doit respecter un minimum de compatibilité avec l'existant, même largeur à l'axe, 13m 10, et les bas-côtés doivent s'aligner sur le plan externe de la travée droite des croisillons. Enfin la hauteur du nouveau bas-côté doit correspondre aux deux premiers niveaux de l'œuvre existante, soit 14m 10 au bandeau. C'est la contrainte la plus délicate à respecter. Ces nouveaux collatéraux sont hauts et étroits avec une élévation portée sur une pile à tambour très gracile de 1m 14 de diamètre pour une hauteur au tailloir de 9m 20.
Le chevet
Les travaux commencent vers 1203/1204. Le rayon d'implantation du sanctuaire, comme celui des chapelles rayonnantes, est donné par les impératifs de compatibilité et le découpage choisi sera classique: cinq travées de 36° ouvrant chacune sur une chapelle rayonnante. La référence régionale est alors le récent chevet de Saint-Rémi de Reims où la chapelle axiale est plus profonde mais, à Soissons, elles seront toutes de même dessin. Le responsable du programme est un géomètre rigoureux, habile au compas certes, mais également parfaitement conscient des problèmes qu'il va rencontrer en élévation et soucieux d'en préparer les répercutions au sol. Son tracé d'épure est un modèle du genre. Après le rayon du sanctuaire établi sur 6m53, il trace un second cercle sur un rayon de 11m62, ce sera l'axe des grosses colonnes engagées destinées à recevoir les doubleaux rayonnants mais également le point d'épure du rayon des chapelles. De là il trace des perpendiculaires donnant un polygone qui va s'imposer au programme. Ce dessin, va se révéler très rationnel.
L'objectif suivant est de fixer le découpage rayonnant des chapelles et là, ce sont les impératifs architectoniques qui vont s'imposer. La surface de base jugée nécessaire pour les contreforts donne une assise de 145 x 120 environ et ces valeurs tomberont à 120 x 80 au niveau fonctionnel. C'est la superposition de ces deux tracés, dans le plan moyen, qui donnera la valeur angulaire de la travée aveugle, soit 28° environ. Le secteur restant sera découpé en trois parties d'égale valeur. Le plan fut donc dessiné avant réalisation sur une planche de bois comme il était d'usage à l'époque. C'est le début de la conception rigoureuse, l'origine de la chambre des traits (le bureau de dessin).
Restait un dernier problème à régler, celui des culées. En ce début du XIII°, il apparaît clairement que la plupart des édifices réalisés au siècle précédent sont à risques et les opérations de sauvegarde qui consistent à lancer des arcs-boutants externes sur le glacis des contreforts n'est pas rationnel. Le maître de Bourges vient d'admettre le principe d'une culée spécifique, celui de Chartres s'est engagé dans une reprise d'importance et le responsable du chantier de Paris va également reconsidérer l'épaulement des grandes voûtes de la nef. Le constructeur de Soissons choisit donc de fonder des culées jugées maintenant comme indispensables, elles seront intégrées au massif formé par la superposition des contreforts bas et leur épaisseur fonctionnelle équivaut à la diagonale du carré de superposition. Nous sommes déjà dans une démarche géométrique très moderne. La surface exploitable qui peut aller jusqu'au revers de la colonne engagée destinée aux doubleaux, sera de 1m18 x 4m40 à la base et de 1m x 3m70 à la sortie du comble des tribunes, après les ressauts successifs.
Après des fondations tracées au compas, et le passage au polygone sur plan d'épure, le chevet de Soissons conservera ce dessin et ces avantages sont considérables. Désormais, les arcs des fenêtres ne sont plus soumis au déversement ils peuvent donc s'agrandir sans risque, le réseau de pierres qui les garnit n'a plus de fonction portante.
En 1206, les chapelles sont pratiquement achevées. Elles sont voûtées sur cinq travées rayonnantes comme le veut le découpage de base, tandis que la travée du déambulatoire reçoit des voutins triangulaires liés à la clé de la chapelle. C'est le dessin que nous avons rencontré à Chartres et nous pouvons nous demander quel est celui des deux maîtres qui a inspiré l'autre, mais avec l'empirisme qui prévaut à Chartres et la rigueur qui s'impose à Soissons, notre choix est sans équivoque. Cependant, là, nous devons nous souvenir que le plan polygonal avait déjà été adopté par le maître de Cluny à Paray-le-Monial, un siècle plus tôt, preuve que l'architecture romane et gothique se sont côtoyées sans se connaître.
Chapelles et déambulatoire de Soissons seront couverts sous un comble commun appuyé sur un haut triforium de 4m, plus l'embrasure de la fenêtre, soit 5m environ. La pente est donc voisine de 1 x 2. Restait maintenant à définir les parties hautes. Nous avons vu le maître de Chartres innover en dégageant le pied de voûte du niveau du triforium et cette fois il semble bien que ce soit l'homme de Soissons qui ait copié sur son collègue de Beauce. Le niveau des tailloirs qui reçoit la retombée des grandes voûtes se trouve à 4m au dessus du sommet du triforium. Nous avons là un volume de maçonnerie formant pile critique mais il est loin d'avoir l'inertie perpendiculaire considérable que nous avions remarquée à Chartres. De surcroît, il est percé d'une ouverture de communication pour la galerie de circulation ce qui l'affaiblit davantage. Dans ces conditions, l'élévation est incapable de maintenir la poussée des arcs-boutants afin de constituer une ensemble auto-stable, comme ce fut le cas dans les édifices du XII°. Il faut maintenir la totalité des échafaudages en place, jusqu'à la fermeture complète du système, grâce à la clef de voûte. Ce traitement sera désormais systématique dans toutes les oeuvres qui vont suivre.
A Soissons, les arcs-boutants du chevet sont au nombre de deux. De facture puissante, ils sont établis selon un angle d'action de 35°. Celui du bas travaille au niveau du pied de voûte sur une hauteur de 2m 60 environ, tandis que le second fait porter son action à 2m 80 au-dessus, mais sur une hauteur moindre, 2m 30, il agit donc sur le blocage d'extrados. Au-dessus du rouleau porteur nous trouvons tangentiellement et en protection contre les ruissellements, un fort chaperon en continu. Ce système qui remplace peu à peu les anciennes dalles annonce la membrure en compression, mais sur le chevet de Soissons s'agit-il du traitement d'origine réalisé vers 1208 ou d'une reprise ultérieure? Le doute est permis.
La clef de voûte du chœur sera portée à plus de 30m, ce qui donne des fenêtres de 11m de haut sur 2m40 de large sans garniture de pierre. A l'origine, le comble était traité selon la mode XII°, sans gouttière et le glacis de pierre que l'on trouve au sommet du comble du bas-côté était destiné à absorber l'impact des égouttures et son exploitation en galerie de circulation est une opportunité. Enfin, comme l'hémicycle est rigoureusement sur axe, les cinq travées rayonnantes des grandes voûtes seront contrebutées par une demi-voûte établie sur la première travée droite. C'est la composition du XII°.
Le chevet, partie droite
Les travées droites reprendront scrupuleusement la composition établie sur l'hémicycle, cependant nous avons vu le maître d'œuvre profiter des structures mitoyennes des chapelles pour établir des culées dont le plan de base était considérable 1,18m x 4,40m et il eut quelques scrupules pour programmer le même volume sur les travées droites. Ces énormes contreforts allaient faire saillie sur plus de 3,40m hors le nu du mur. C'était du volume perdu et il eut la judicieuse idée de repousser les fenêtres de 2m par rapport au plan du formeret créant ainsi la première chapelle latérale, une composition qui allait connaître une grande fortune aux XIV° et XV°.
Les parties basses avancent rapidement. En 1212, le chantier qui atteint la 4ème travée droite est au contact du sanctuaire ancien et le temps est venu d'assurer la translation du tabernacle. Les grandes voûtes ne sont probablement pas achevées mais toutes les parties hautes seront traitées au-dessus d'un niveau de charpente qui doit protéger les occupants, c'est du moins ce que le maître d'œuvre affirmera aux chanoines prenant possession de la nouvelle oeuvre
Après la première travée affectée au contrebutement de l'hémicycle, les grandes voûtes sur croisées d'ogives retrouvent le plan barlong qui s'est imposé à Chartres mais cette fois les fenêtres sont grandes. Avec un pas moyen supérieur à 5m, leur largeur est voisine de 3m 60, il faut donc un meneau central avec un oculi polylobé au sommet. C'est le dessin de Chartres mais placé sous un arc brisé. Soissons donnera ainsi le modèle de la fenêtre gothique de transition dont le parti sera repris vingt années durant. Enfin, comme sur l'hémicycle, le grand comble est toujours avec larmier.
La croisée
La nouvelle croisée s'aligne sur les hémicycles XII°. Son plan est donc rectangulaire, pratiquement 11m x 13m. La cinquième et dernière travée droite est plus longue afin de prendre en compte le volume des grosses piles de croisées, arcs et fenêtres restant de même importance. Ces dispositions ont été fixées dès la première travée droite. Nous sommes dans un programme préalablement dessiné. Les projets réalisés avec piquetage au sol ne sont jamais rigoureux. Si l'espace est occupé par un édifice antérieur la mise en concordance des cotes internes et externes demande impérativement des mesures et un tracé.
Les piles sont en structure croisée régulière avec trois rouleaux superposés dans les plans cardinaux et une seule colonnette engagée en diagonale. Au sud, l'arc majeur longitudinal apparaît distinctement au-dessus du voile de maçonnerie qui permet le raccordement du croisillon. Le programme du XIII° s'est donc développé sans tenir compte des impératifs de liaison et nous pouvons penser que le premier projet prévoyait une travée de raccordement alignée sur l'œuvre du XIII° (+ 30m). Un contrefort perpendiculaire établi sur la culée voisine et destiné à recevoir les arcs-boutants de cette travée semble le confirmer. Mais le maître d’œuvre travaille toujours sous une certaine contrainte imposée par le client. Il doit justifier au mieux l'usage des deniers qui lui sont alloués et la tentation est grande de faire utile. Ainsi a-t-il forcé sur le programme de la nouvelle nef et laissé en souffrance les liaisons avec les croisillons. Peut être avait-il déjà le secret espoir de les remplacer comme ce fut fait au nord dès le siècle suivant. Le raccordement se fera donc au plus simple avec une travée alignée sur les niveaux anciens et reprenant sensiblement la facture XII°, ce qui imposa, côté nef, le voile de clôture établi en sous oeuvre de l'arc majeur.
La nef
Le parti choisi pour les travées droites du chevet avait donné toute satisfaction, il était logique de le reprendre sur la nef. Ce fut fait avec cependant quelques modifications de peu d'importance. Ici la largeur du vaisseau central reste la même mais le pas des travées est plus grand, variable, voisin de 7m. Sur certaines oeuvres nous observons parfois quelques indices permettant d'imaginer une concordance des pas avec l'œuvre ancienne mais, dans le cas de la nef de Soissons, c'est peu probable. Nous ne voyons aucun signe et, d'autre part, la hauteur supposée du premier niveau roman, 7m 80 (aligné avec celui des croisillons) donne un rapport peu favorable avec un pas de 7m. Peu probable, certes mais pas impossible, d'autant que le niveau du dallage roman pouvait se trouver nettement plus bas côté nef.
A l'ouest, nous remarquons une septième travée plus grande que les précédentes et dans une oeuvre rigoureusement programmée il y a la sans aucun doute une contrainte que l'on peut attribuer à un ancien narthex.
En élévation, les piles des grandes arcades, comme le triforium et les fenêtres hautes, reprennent le parti choisi pour les travées droites du chevet. Les grandes voûtes sont également sur plan barlong. La composition sixte partite disparaît définitivement dès le début du XIII°. Pour le contrebutement externe, le maître d'œuvre accepte de réduire la profondeur de la culée et abandonne ainsi la formule de la chapelle latérale. Pour ce faire, il augmente le débordement qui passe de 1m 80 à 2m 10 et "triche" avec l'aplomb de la colonne interne, ce qui lui permet de conserver une surface utile de 1m x 3m 50 à la sortie du comble. L'inertie demeure suffisante. Les arcs-boutants sont également différents. Celui du bas maintient le pied de voûte sur une hauteur de 2m 60 et selon un angle de 40°. Le second dont l'angle d'action est plus faible (voisin de 25°) est plus ponctuel, situé à 3m au-dessus du précédent, sa surface d'action se développe sur 1m 60 de haut. Il correspond toujours au volume de blocage interne et l'angle plus faible permet d'éviter une éventuelle résultante qui porterait à l'éclatement de ce blocage vers le haut.
Le chantier de la nef qui avance rapidement a tôt besoin d'un épaulement occidental pour stabiliser les grandes voûtes et le maître d'œuvre choisit une puissante façade harmonique, comme dans les cathédrales voisines. Le volume des tours qui déborde l'alignement de la nef se décompose en deux niveaux. Le premier correspondant au bas-côté ouvre sur trois porches profonds qui exploitent les quatre culées occidentales. C'est le traitement de Laon mais en beaucoup plus austère. Le second niveau destiné à épauler la grande voûte centrale monte, lui, jusqu'à la hauteur du mur gouttereau. Ses faces sont ouvertes de grandes fenêtres à meneaux et oculi polylobé, mais la base est rectangulaire et les fenêtres latérales sont curieusement excentrées. Le gros oeuvre s'arrêtera là, nous sommes alors au milieu du XIII°. La fine balustrade qui couronne les tours sera réalisée au début du XIV°, peu après la reprise du croisillon nord. La tour sud ne fut achevée que tardivement, vers 1400, et celle du nord, alors en chantier, ne le sera jamais.
Chronologie
Pour cette belle cathédrale, les dates sont incertaines. Le seul point "d'accrochage" que nous ayons est la mise à disposition du chevet, en 1212, mais ce n'était pas l'achèvement de l'ensemble de la partie droite. Le chantier ne doit pas aborder la croisée avant 1215/1218 ce qui donne 1220 pour les premiers travaux de la nef, il reste alors vingt années pour achever l'édifice avec le massif occidental. 1240 nous semble donc une date convenable pour fixer l'achèvement des parties fonctionnelles, deuxième étage des tours compris. D'autre part, comme il est difficile de faire remonter le début des travaux avant 1204/1205, cela fait moins de 40 années pour réaliser l'ensemble de l'œuvre. C'est une durée convenable en ce début du XIII°. La ville de Soissons est alors une cité florissante et le parti choisi est homogène avec des travées répétitives, enfin la facture est rigoureuse et belle, mais sans décor excessif, sans surcharge architecturale, ce qui peut confirmer la courte période retenue.
S'agit-il de l'œuvre d'un seul homme? L'unité du programme nous incite à le penser. Imaginons un jeune apprenti talentueux ayant fait ses premières armes sur le chantier de Chartres durant huit à neuf ans. Le temps d'assimiler les techniques anciennes et de fixer les grandes lignes du nouveau programme qui vient d'être mis en oeuvre sur la nef, l'homme a 25/28 ans. Il part alors pour Soissons et travaille le reste de sa vie sur les bords de l'Aisne mais en conservant des échanges périodiques avec ses anciens collègues de Beauce. C'est une hypothèse qui s'argumente fort bien.