Angers
Dès le néolithique, les déplacements des pasteurs et de leurs troupeaux sont importants sur les bords de Loire et les points de passage peu nombreux. Au confluent avec la Maine un haut fond sableux et caillouteux laissé par les grandes crues de la fin du Wurm, impose au fleuve des courants nombreux et de faible profondeur. C'est un excellent gué naturel, exploité à chaque saison sèche. Il sera ensuite aménagé en passage permanent selon un tracé tangentielle établi au niveau de l'île aux chevaux. Enfin, au Moyen-Age, le passage devient perpendiculaire, ce sont les Ponts de Cé. Très tôt une agglomération se fixe sur le confluent de la Loire et de la Maine. C'est un triangle de 3km 500 de côté, protégé côté plateau par une défense de terre levée. Le site était toujours occupé à la période de la Tène.
La voie romaine qui longe le grand fleuve ne s'engage pas dans ces terres constamment menacées par les crues. Le tracé oblique vers le nord et le responsable du chantier recherche un point favorable pour franchir la Maine. Il le trouve à 8km au nord au premier rétrécissement de la courbe des 20m, à proximité d'un petit promontoire bien caractérisé sur la courbe des 40m. Là sera le pont romain. Au siècle d'Auguste, la cité de Juliomagus (Angers) se développe selon un maillage urbain régulier établi à cheval sur cette voie qui devient le decumanus mais la dénivellation importante de 20 à 40m va gêner la bonne articulation des îlots. Commerçants et artisans s'installent en bordure de rivière tandis que la cité des bourgeois et des notables se développe de manière ouverte côté plateau. Cette urbanisation couvre environ une centaine d'hectares, ce qui représente un habitat permanent de 35 à 45.000 personnes. La densité d'occupation peut varier considérablement entre les ruelles qui bordent les quais et les quartiers résidentiels du plateau. C'est là que se situe l'amphithéâtre.
Comme tant d'autres villes, la Juliomagus impériale et fastueuse disparaît dans la tourmente du III°. Dès la brève renaissance constantinienne la vie urbaine se réorganise et comme il est bien difficile d'admettre la fin d'une grand époque, la reconstruction se fait selon le plan ancien mais sur une moindre surface et sans le luxe d'antan. Les activités économiques essentielles sont rétablies en priorité et les commerçants et artisans retrouvent leur quartier sur les berges de la Maine mais la nouvelle agglomération a-t-elle encore les moyens d'entretenir une composante bourgeoise établie sur le plateau, comme naguère, on peut en douter?
La cathédrale est implantée sur l'axe d'une voie augustéenne qui, venant des berges, aborde le plateau. Le tracé aboutit en un lieu qui pourrait être le parvis ou l'accès à l'atrium et ceci à la hauteur d'une voie perpendiculaire également d'origine augustéenne. L'édifice respecte donc les coordonnées de la ville ouverte, partiellement ré-exploitées au début du IV°, ce qui peut suggérer pour ce lieu de culte une implantation très précoce. Résumons l'hypothèse.
Vers 340/350, avec la Paix de l'Eglise concédée par l'Edit de Milan, les chrétiens d'Angers établissent un sanctuaire sur le plateau alors faiblement peuplé. L'édifice occupe une position de choix, au sommet d'une voie qui deviendra la Montée Saint-Maurice et coupe ainsi définitivement son débouché côté plateau. D'autre part, si la population s'est déjà concentrée en situation défensive sur le promontoire au siècle précédent, le calme partiellement revenu a permis de bousculer cette contrainte et la puissante muraille du Bas-Empire n'est pas encore fixée. Cette défense entièrement identifiée par Michel Provost dans son étude parue dans "LES CENT VILLES", prend la forme d'une olive et semble relier deux points forts. Le premier sur les berges de la Maine deviendra le château et le second, côté plateau, formera le domaine épiscopal avec la cathédrale. La ville bourgeoise s'étend entre ces deux pôles. Le domaine défendu, large de 240m et long de 530m, contiendra l'essentiel de l'agglomération jusqu'au XII°.
Nous pouvons également envisager une hypothèse basse. Dans ce cas, c'est la muraille qui coupe la rue de plateau et la cathédrale s'installe ensuite. Mais alors quel est l'ensemble important que la défense rejoint en ce lieu? C'est une construction de caractère civil puisque son tracé respecte l'alignement des voies. Dans le cas d'un bastion, la muraille aurait simplement rejoint ce môle comme sur la pointe aval. Reste alors l'hypothèse d'un petit édifice religieux, intégré dans un ensemble civil où la fonction épiscopale se serait imposée ensuite. En tout état de cause, cette position amont qui se fixe entre 330 et 380 était suffisamment importante pour déplacer de 120m environ, la nouvelle sortie de plateau la porte de la vieille Chartre; c'est de là que partiront deux voies nouvelles tracées en patte d'oie menant vers Tours et Poitiers.
La dédicace de la cathédrale ne nous informe pas davantage. Maurice et son compagnon Candide, officier romain de la légion thébéenne et fervent chrétien, ont été massacrés avec bon nombre de leurs disciples pour avoir refusé de sacrifier aux idoles païennes. Le fait s'est passé à proximité de la ville d'Agaunum, aujourd'hui Saint-Maurice en Valais (Suisse). C'était au temps de Maximilien.
Les cathédrales successives
La voie perpendiculaire qui débouche sur la porte Saint Laud, toute proche, est une artère essentielle et la muraille du Bas-Empire constitue également un obstacle infranchissable. Entre les deux la distance est de 55m et c'est dans ces limites que nous devons imaginer la cathédrale du Bas-Empire. L'œuvre primitive fut sans doute une petite basilique à nef unique, longue de 35 à 38m environ et précédée d'un atrium. La totalité de la surface disponible sera ensuite occupée par une église plus vaste avec nef à trois vaisseaux, large de 20 à 24m. Cette dernière peut être une oeuvre de l'époque mérovingienne. Les reconstructions des églises métropoles sont nombreuses alors et l'illustre Saint-Aubin, évêque d'Angers de 538 à 550 pourrait en être le promoteur. C'est lui également qui fonde la grande abbaye hors les murs qui portera son nom. Elle fut implantée à cheval sur les deux voies menant vers Tours et Poitiers. A l'intérieur de la défense du Bas-Empire, voie perpendiculaire et muraille fixeront les limites du domaine ecclésiastique jusqu'aux abords de l'an 1000.
Sur le premier tiers du XI° l'évêque Hubert de Vendôme construit une nouvelle cathédrale avec une abside, deux absidioles, un vaste transept et une nef avec bas-côtés. C'est le premier programme qui peut dépasser l'alignement de la voie perpendiculaire. L'œuvre est consacrée le 6 août 1025. C'est elle qui recevra, un siècle plus tard et par additions successives, les diverses parties de la cathédrale que nous voyons aujourd'hui.
La cathédrale actuelle
C'est l'évêque Ulger (1125/1145) qui entreprend, vers 1135, l'édification d'une nouvelle nef unique formée de trois travées rectangulaires avec de puissants contreforts au droit des doubleaux et un cloisonnement relativement mince. Cela peut suggérer un projet avec file de coupoles. L'option semble se confirmer en élévation. Le premier niveau reçoit un arc de décharge, de profil brisé, portant une corniche avec galerie de circulation. Un étroit passage traverse le volume des piles. Le deuxième niveau est constitué par un puisant formeret en arc brisé, fermé d'une cloison mince avec deux grandes fenêtres en plein cintre. Tout semble conforme aux besoins d'un programme à file de coupoles, comme à Angoulême. Cependant, le volume et la structuration des piles qui vont porter le grand doubleau se distinguent radicalement.
Dans le parti d'Angoulême, la retombée des deux pendentifs impose une pile quadrangulaire et le doubleau respecte ce volume. Il est en outre soutenu par un arc de décharge qui retombe sur deux colonnes engagées. Les formerets respectent également les caractères de la retombée. Nous avons donc, implanté au sol, ce qui est strictement nécessaire à la coupole sur pendentifs. A Saint-Maurice d'Angers, par contre, pas de pile quadrangulaire mais une composition qui annonce, sans équivoque, les besoins d'une croisée d'ogive. Il y a là une puissante colonne engagée axiale qui porte un doubleau (modeste) 1m 20 contre 2m 40 à Angoulême. Ce support axial est flanqué de deux colonnes engagées établies en retrait. Plus petites, elles sont destinées aux retombées des croisées d'ogives. Enfin, deux autres colonnes également en retrait porteront le rouleau supérieur du formeret, le rouleau inférieur retombant, lui, directement sur la corniche.
Nous avons donc un plan au sol parfaitement conforme aux besoins de la voûte sur croisée d'ogive qui va couronner la travée. Pour confirmation, voyons les piles de l'abbaye aux Dames de Saintes, des abbatiales de Souillac, Solignac et Fontevraud, ainsi que de la cathédrale de Cahors. Toutes ont des piles et doubleaux conformes aux besoins des coupoles et pendentifs. Ajoutons à cela que les travées de Saint-Maurice d'Angers sont légèrement rectangulaires, dessin peu convenable pour une coupole classique et nous avons acquis la certitude que le programme fut, dès les fondations, conçu à l'usage d'une voûte sur croisée d'ogive. Les rapprochements, très généraux, faits à la fin du siècle dernier par Corroyer et son école ne sont pas convaincants. L'univers des formes est trompeur, l'analyse architectonique, elle, est rigoureuse et sans équivoque. Les voûtes également n'ont que l'apparence de coupole, volume et traitement des voûtains sont bien ceux d'une croisée d'ogive et non d'une coupole dotée de nervures.
La nef d'Angers est une oeuvre originale et remarquable. L'achèvement des voûtes est attribué à l'évêque Normand de Doué de 1149 à 1153, mais doubleaux et formerets étaient sans doute déjà en place. Les voûtes de Saint-Maurice seront dites angevines de première génération pour les distinguer de celles du XIII° qui, sur les mêmes bases et dans le même volume auront un traitement plus élaboré. Cependant, le titre est peut être usurpé. Des voûtes semblables lancées sur la vieille nef de la cathédrale du Mans sont fort mal datées et peut être antérieures. La nouvelle nef d'Angers pénètre légèrement le volume de l'ancien transept. Les travées voûtées qui reprendront ultérieurement les croisillons ne sont pas convenablement alignées avec le doubleau qui clôture la travée orientale de la nef.
Vers 1180, l'évêque Raoul de Beaumont, (1177/1197) entreprend la nouvelle croisée et le croisillon sud. Les travées sont de même nature que les précédentes mais les voûtes reçoivent des nervures plus fines ainsi que des liernes, membrures qui courent au sommet du voûtain. L'ensemble de ces structures est également plus pénétrant dans les maçonneries. Ce sont les voûtes angevines de seconde génération. Croisée et croisillon sont achevés vers 1210/1220 et les voûtes sont donc du XIII°. En 1236, Guillaume de Beaumont neveu du précédent, entreprend l'édification du croisillon nord qui sera terminé vers 1240/1245. La nouvelle cathédrale est alors bien avancée, seul subsiste le chevet du XI°.
Il faut attendre 1274 pour que les travaux reprennent sur l'édifice. Charles Ier, comte d'Anjou, donne la permission d'abattre la vieille muraille gallo-romaine et d'en exploiter le terrain pour construire une cinquième travée qui formera le chœur de l'édifice. Enfin, de 1285 à 1300, une belle abside en hémicycle vient clôturer l'ensemble. Elle comporte cinq travées rayonnantes prolongées d'une partie droite où deux nervures viennent assurer l'équilibre du système. C'est toujours le principe du XII°, innové à Sens. La belle composition parfaitement équilibrée du chevet d'Amiens n'est pas parvenue en Anjou.
Le parti angevin
En 1150, les travées voûtées de Saint-Maurice d'Angers ont une avance considérable sur les oeuvres contemporaines élevées en Île-de-France et seule la cathédrale de Sens est alors digne d'être considérée comme un modèle. Mais le parti basilical a quatre niveaux est trop puissamment implanté pour s'effacer devant une autre composition et c'est lui qui va tirer profit de toutes les nouvelles techniques mises au point au XII°. Dès la fin de ce siècle, le parti Ile de France apparaît souverain, dominateur et la composition angevine pourtant pleine de promesses sera marginalisée. La coupure politique qui se fait alors entre le domaine royal et celui des Plantagenêt, n'arrange pas les choses. Les voûtes orientales de Saint-Maurice (seconde génération) se retrouvent à l'abbatiale de La Couture, au Mans, à Sainte Radegonde de Poitiers et dans de nombreux édifices secondaires. Parfois le procédé est utilisé pour coiffer une nef à file de coupoles mal réalisée, comme à Saint Avit Seigneur, mais le principe de la travée ne change pas.
Seule la nef de la cathédrale de Toulouse innove et dépasse les mesures communément admises. Construite de 1200 à 1213, elle porte la largeur interne à 19m mais limite la hauteur à 20m par suppression du premier niveau. Par contre, les voûtes respectent le volume de la composition angevine mais avec un traitement beaucoup plus rustique.
Bien que le volume de la nef de Saint-Maurice soit harmonieux et suffisamment vaste pour faire impression, l'édifice reste de petite taille face aux grandes cathédrales septentrionales et extrapoler cette travée aboutirait à des volumes de maçonnerie considérables. Il fallait donc juxtaposer les compositions, c'est ce que fera le constructeur de la cathédrale de Poitiers, quelques années plus tard.