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Morienval
A l'époque romaine, les Morini forment un peuple bien caractérisé, voisin des Atrébattes. Ils occupent les terres qui bordent la Manche et l'une de leur métropole est Therouanne. Au cours du IV°, bousculés par les Francs et d'autres émigrants, peut-être des Frisons, bon nombre d'entre eux partent vers le sud, à la recherche de terres qui soient favorables à leur mode d'exploitation, la polyculture. Ils peupleront les rives de deux cours d'eau qui deviendront le petit et le grand Morin. D'autres s'installent sur un affluent de l'Automne, à quelques distances de l'ancien conciliabula romain de Champlieu. Le lieu deviendra le Val des Morins, Morienval. Dom Berland, voit les premières colonies de Morins déjà installées à l'époque de la conquête. Ce n'est pas contradictoire, bien au contraire.
La fondation de l'abbaye doit remonter au début du VII°, vers 620 sous Dagobert. Pour Mabillon, analyste selon les textes, et rigoureux en la matière, cela est "pure conjecture" mais à la lumière des découvertes archéologiques récentes, cette datation est parfaitement logique. Dès le VI°, les Francs ont organisé un semblant de pouvoir, mais le cadre social est inexistant et nombreux sont ceux qui cherchent des références morales et quelques institutions. L'église peut répondre à cette attente, c'est le temps des fondations. C'est sans doute à un couple de riches propriétaires terriens que nous devons l'abbaye du Val des Morins.
Sur les deux siècles qui vont suivre, la fondation reste modeste mais la mutation qui se développe à l'époque carolingienne doit la servir comme beaucoup d'autres. A cette époque, les abbayes cessent d'être un lieu de repli, de sauvegarde et prennent en charge la population environnante. Dès lors, elles se forgent un patrimoine et reçoivent des dotations. Ainsi il n'est pas étonnant que le premier texte concernant l'abbaye soit un diplôme de Charles le Chauve, 840/877, venant confirmer les acquis et privilèges de la fondation. Il faut se prémunir contre l'avidité des laïques.
A cette époque, Morienval est une abbaye mixte formée de deux communautés, hommes et femmes, et le lieu de culte, uniquement desservi par les hommes, est commun. Ce caractère remonte-t-il à la fondation? C'est probable. Mais dès la mutation carolingienne, les charges qu'elle engendre pour la communauté, permet à des séculiers, chanoines et chapelains, de constituer un petit chapitre canonial qui gère l'abbaye.
L'abbatiale
La plus ancienne église identifiée fut découverte par des fouilles menées en 1907. C'était un édifice à nef unique d'une largeur interne de 10m mais la longueur nous est inconnue. Elle fut identifiée sur 18m environ mais nous ignorons qu'elles en étaient les parties orientales, sans doute un chevet rectangulaire. Ce dessin très en vogue en l'an 1000 a nécessairement connu sa genèse sur de petits édifices qui n'avaient pas contact avec Rome et la tradition de l'abside. Ce fut également la règle dans le parti primitif rural.
Vers 1000/1020, une tour est implantée dans le volume occidentale de la nef et servira de base au clocher XII° que nous voyons aujourd'hui. Vers le milieu du siècle, le volume de la cella orientale est repris. Une abside en hémicycle et deux collatéraux sont établis à la parie est tandis qu'un transept avec deux chapelles orientées est édifié entre ce nouveau sanctuaire et l'ancienne nef. Une fois cette oeuvre achevée, la vieille nef paraît bien archaïque et, vers la fin du XI°, une nouvelle est mise en chantier. Elle comporte un vaisseau central réduit à 7m 60 de portée (mesurée à la première travée) et deux bas-côtés qui donnent une largeur interne de 15m 45 (à la première travée également). Gêné par la tour occidentale, ce programme sera limité à trois travées. A la fin du XI°, seule l'abside, la partie droite, les deux collatéraux et les chapelles orientées sont voûtées, les unes en cul-de-four, les autres en berceau plein cintre. Transept et nef sont couverts sur charpente et les travées des bas-côtés sont "marquées" par des arcs diaphragmes. Le bas-côté sud est toujours en l'état.
Début XII°, la mode est aux tours et clochers. La communauté de Morienval va sacrifier à la coutume. Deux tours sont entreprises sur les collatéraux du chevet. Déjà voûtés, ils sont jugés aptes à recevoir la surcharge. Au nord, tout se passe bien mais au sud où le terrain est en forte déclivité, le nouvel édifice s'écroule entraînant dans sa chute une bonne partie du croisillon. La reprise se fera avec de nouveaux soutènements qui ont pour effet de gauchir d'avantage cette partie de l'édifice. Au cours de la même campagne, vers 1100/1115, les travées du bas-côté nord sont aménagées avec des voûtes d'arêtes. La partie sud de la nef sur la zone en dévers qui engendre des inquiétudes, ne sera pas modifiée.
En 1125, l'abside, sans doute ébranlée par la chute de la tour sud, s'écroule à son tour. Elle est rapidement remplacée par l'hémicycle avec déambulatoire que nous voyons aujourd'hui. C'est une oeuvre innovatrice en son temps et du plus grand intérêt. Les fondations sont puissantes et le déambulatoire découpé en quatre travées rayonnantes relativement étroit: 1m 65 de l'axe de l'hémicycle au nu du mur périphérique. Pareille implantation conviendrait fort bien à un berceau annulaire mais les piles du sanctuaire sont graciles et pour ne pas risquer des réactions concentriques, le constructeur choisit les voûtes d'arêtes. Mais le plan est peu favorable et les arêtes qui vont subir des contraintes différentielles, risquent d'éclater. Pour parer aux risques, le constructeur adopte ce nouveau procédé né en Normandie et qui se propage en Ile de France: les nervures de soutien ou croisées d'ogives. Le maître d'œuvre fut sans doute le premier à pratiquer de la sorte sur un déambulatoire; c'est du moins la plus ancienne réalisation du genre conservée. Ce déambulatoire se "colle" sur le volume des collatéraux, sans communication. Ces derniers portent maintenant les tours occidentales et nul n'ose y toucher.
Le sanctuaire doit recevoir un cul-de-four nervuré, du moins ce fut l'avis des restaurateurs du siècle dernier, tandis que le berceau de la partie droite était démonté pour laisser place à une voûte sur croisée d'ogive. Achèvement de ces voûtes vers 1135. L'édifice avait alors pratiquement acquis son volume actuel et c'est le milieu du siècle qui verra le couronnement des tours.