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Notre-Dame de Paris
A l'époque romaine, la cité des Nautes est un centre économique actif mais c'est une cuvette marécageuse située à proximité du confluent de la Marne et l'endroit n'est guère favorable au développement d'une grande urbanisation rationnelle, de caractère augustéen. D'autre part, la Chaussée d'Agrippa qui joint Boulogne passe par la cité des Rèmes et le vaste polygone primitivement cerné d'une levée de terre situé au nord de l'oppidum historique est apparu d'emblée favorable à l'édification d'une très grande cité. Ce sera également une faveur accordée aux Rèmes en souvenir de leur comportement amical durant les Guerres de Conquête. Reims apparaît désormais comme la grande métropole du nord de la Gaule, une capitale en puissance. A la même époque, Paris n'est qu'un point de franchissement sur le fleuve et la ville prend un certain retard dans son développement. Vers la fin du siècle, la colline Sainte-Geneviève est urbanisée, c'est une agglomération d'importance moyenne. Gêné par le confluent, le fond marécageux et l'importance des méandres, l'itinéraire sur berge évite la cité, ce qui prive Lutèce d'un certain potentiel économique. La ville fut choisie par les Nautes pour ses caractères nautiques et un aménagement à la romaine y rencontra de réelles difficultés.
Au Bas-Empire, l'essentiel de l'agglomération se replie derrière les murailles de l'Ile de la Cité, tandis que les Nautes reprennent leurs habitudes d'antan. Ils s'activent sur les grèves du bras nord, sur le cours indirect, encombré d'obstacles, avec un écoulement lent, favorable à la batellerie. Mais le réseau de voies romaines continue de faire son office et la colline Sainte-Geneviève, avec ses ruines antiques offre un site favorable aux artisans que l'étroit périmètre de la cité ne peut contenir. Ils vont s'y fixer nombreux, lors des premières périodes de calme relatif et Clovis, roi des Francs, voit là une bonne position pour fixer sa cour au centre de son domaine. Tournai n'est plus pour lui qu'un souvenir de jeunesse, quant à Reims, la ville du sacre, elle admet sa couronne mais ne lui accorde toujours pas droit de cité. C'est la politique de toutes les villes-fortes gallo-romaines. Ainsi l'agglomération satellite qui s'est développée sur la colline Sainte-Geneviève lui semble un excellent choix et Paris peut désormais rêver d'un rôle de capitale, mais le titre n'existe pas.
A cette époque l'Occident septentrional voit l'émergence d'une caste de très grands propriétaires terriens qui disposent de la puissance militaire et règnent sur les campagnes mais ces gens n'ont aucune notion politique, ils ignorent ce que doivent être les bases d'un royaume, d'un état. De ce fait ils négligent les cités, méconnaissent l'importance des phénomènes socio-économiques et du rôle moteur que peuvent constituer des relations équilibrées entre la métropole et son environnement rural. Rien n'est fait en ce domaine et les cités d'Occident vont longtemps végéter , frileuses derrière leurs défenses. Malgré sa flamboyante ascension, la famille d'Héristal ne pourra échapper au contexte et Charlemagne, lui-même, malgré sa réelle intelligence et la puissance accumulée entre ses mains continuera de vivre et de gouverner à cheval, certes, mais surtout en perpétuel mouvement, dispersant son énergie et ses moyens de fondations éphémères en nouveaux champs de batailles. Le vaste domaine carolingien n'aura jamais de centre politique, ce qui justifiera en partie l'éclatement du système, dès la mort de l'empereur. Le vide politique ainsi créé laisse libre cours à la féodalité.
Dès l'an 1000, à l'aube d'une nouvelle renaissance, les vieilles cités et leurs évêchés ne font que renforcer leurs prétentions à l'égard de l'environnement rural se privant ainsi de tout partenariat. Le champ est libre pour le développement des grands ordres monastiques. Dès le début du XI°, ils vont prendre en charge des provinces entières isolant ainsi les cités de leur assiette économique. Chacune d'elle va réagir selon ses moyens et Paris, bien centré sur les possessions du domaine royal, rêve à nouveau d'un rôle de capitale. La fonction n'existe ni dans les textes ni dans les esprits alors, pourquoi ne pas l'instaurer dans les faits? C'est sans doute la raison qui va pousser les Parisiens à entreprendre la plus grande cathédrale septentrionale.
L'ouverture symbolique du chantier se fit en 1164 mais le dégagement du terrain et l'établissement des fondations occupe une année ou deux. Le programme est déjà fixé dans l'esprit du constructeur, mais l'œuvre ne sera visible hors de terre que vers 1166/1168. Dès lors, elle peut jouer son rôle de référence dans le contexte gothique naissant. La métropole des Nautes a fait un pari sur l'avenir. La couronne a certes des droits sur le domaine comtal situé sur la pointe aval de la cité mais, pour les monarques, ce n'est guère plus important que leur pied-à-terre de Senlis. Cependant, la grande cathédrale qui s'élève va jouer le rôle qu'en espéraient les Parisiens. Les monarques réalisent que se fixer dans une grande ville apporte un prestige nouveau, et, peu à peu, l'ensemble fortifié qui a succédé au domaine comtal du Bas-Empire se transforme en palais royal. La ville a réussi son pari, elle a rang de capitale sans toutefois en avoir le titre mais cela deviendra un fait au fil des siècles.
Les cathédrales successives
Le haut fond marneux qui forme l'assise de l'Ile de la Cité est de peu d'ampleur et, vers l'an 1000 ce sont, en grande partie, des remblais urbains entassés derrière la muraille du Bas-Empire qui forment le sous-sol. Ce sont des terres mal stabilisées et les puissantes fondations impliquées par la nouvelle cathédrale feront sans doute disparaître la totalité des vestiges antérieurs. Cependant, nous savons que le 19 mai 1182, le nouveau chœur achevé et livré au culte permet le déplacement des saintes reliques et la mise en cause de l'édifice antérieur. Il est donc logique d'imaginer une première cathédrale Notre-Dame correspondant sensiblement à la nef actuelle. Le plan confirme cette hypothèse, le gauchissement majeur ainsi que le changement d'entraxe constatés dans la cathédrale actuelle se situent à la croisée, au niveau probable de l'ancien chevet roman.
Après l'ensemble oriental édifié sur un entraxe de 13m 20 à 13m 40, la croisée prend une forme trapézoïdale pour lier l'œuvre nouvelle à la nef ancienne et l'entraxe passe à 14m 35. La cathédrale romane de Paris était donc un édifice d'importance, même si elle ne comportait qu'un seul bas-côté comme la quasi totalité des oeuvres septentrionales de cette époque.
Viollet le Duc a beaucoup travaillé sur Notre-Dame de Paris mais, de son temps, les fouilles sous dallage n'étaient pas d'usage. Elles seront surtout pratiquées à la fin du siècle, après que des découvertes fortuites nous en aient révélé l'intérêt, pensons notamment aux fouilles dites du calorifère, pratiquées à la cathédrale de Clermont-Ferrand, et qui révélèrent la crypte romane ainsi que les structures carolingiennes attenantes. Ces fouilles seront pratiquées à grande échelle lors des importantes restaurations qui vont suivre les désastres de la Guerre 1914/1918, comme à Reims où les fondations de tous les édifices antérieurs ont été mis à jour. Elles seront également pratiquées après les destructions de 1939/1945, comme à Rouen où l'on mis à jour le chevet roman et à Nivelle où l'ensemble des substructures antérieures ont été dégagées. Cependant, à Paris, la nature du terrain laisse peu d'espoir de découvertes et seuls des sondages à proximité de la croisée auraient quelque chance de nous informer sur le caractère du chevet ancien.
Le programme actuel
Les cathédrales du XIII° passeront de 35 à 48m pour une largeur interne pratiquement constante (entre 14 et 16m). A l'usage d'un homme de 1m 70 en moyenne, c'est beaucoup. Cette escalade en hauteur valorise le maître d'œuvre, flatte l'orgueil de la cité mais compromet l'équilibre des volumes. Au XII°, par contre, les constructeurs se maintiennent dans des dimensions et proportions "plus humaines". La portée des nefs se maintient dans la fourchette des 12/14m et les bas-côtés respectent des valeurs en rapport avec l'entraxe (5 à 6m de large). Avec 7m de large et 12m sous voûte, le bas-côté de Sens peut être considéré comme une oeuvre de très grande taille mais l'édifice est sans tribune et les rapports restent harmonieux. Ainsi, lorsque le constructeur de Notre-Dame veut faire très grand, il n'ose pas rompre avec le module coutumier et choisit de doubler les bas-côtés. Chacun fait 6m de large pour une hauteur de 12m. La tribune demeure en rapport avec le premier niveau ce qui donne environ 20m à la base du triforium. Si le programme s'était maintenu dans les rapports coutumiers, 3m suffisaient pour obtenir une pente convenable sur la tribune, ce qui faisait environ 2m au tailloir plus 6m pour un registre de fenêtres hautes. Le maître d'œuvre obtenait donc un niveau sous clef, voisin de 28m, ce qui lui conférait déjà le record de l'époque. Mais il va développer les niveaux hauts, triforium et registres de fenêtres, qui sont les plus critiques pour la composition mécanique. Il porte ses voûtes à 33m, la valeur mythique de 100 pieds que seuls Cluny III et le Kaiserdom avaient osé. Ainsi faisant il déséquilibre l'ensemble de l'œuvre et s'expose aux pires ennuis; mais ce n'était peut être pas une bravade inconsidérée.
A Saint Rémi de Reims, unique témoignage conservé des grands édifices à quatre niveaux du XI°, le sommet de l'arc des tribunes représente 57% de la hauteur totale. C'est le rapport que nous trouvons à Notre-Dame de Paris où le sommet de l'arc des tribunes représente 57% de la hauteur sous voûte et 58% de la hauteur primitive. Le constructeur respecte donc une distribution qui était traditionnelle en son temps et qui était peut être celle de la vieille cathédrale Notre-Dame.
Cette escalade dans les parties hautes ne sera pas la seule faiblesse de l'édifice. Les doubles bas-côtés interdisent l'établissement de hauts contreforts, comme à Noyon et à Laon. Le programme était donc fort mal engagé. Cependant l'ouvrage avance rapidement et bénéficie pour un temps de la cohésion des liants et volumes de blocage mais l'édifice était condamné à brève échéance. Ainsi, 3/4 de siècle durant, les responsables de l'œuvre vont se battre à coup de reprises, de contreforts, de culées additives et d'arcs-boutants pour maintenir cette cathédrale debout. Ce faisant, ils innovent et créent des procédés appelés à de brillantes destinées. Paris devient le plus grand chantier expérimental du domaine royal mais les équipes qui ont travaillé sur l'édifice avaient pris conscience des erreurs commises et pour défendre l'honneur de la profession ils iront construire à Bourges une cathédrale presque semblable mais beaucoup mieux réussie.
Le chevet
Le plan de Notre-Dame comporte un hémicycle allongé et le dessin engendre un découpage rayonnant irrégulier qui sera lourd de conséquences. Avec les croisées d'ogive, le poids des voûtains repris par les nervures rayonnantes (les ogives) engendre des effets qui seront transmis aux doubleaux des tribunes et des bas-côtés. Ainsi, toute irrégularité dans le découpage dirige les forces issues des grandes voûtes hors du plan des structures basses qui sont chargées de les épauler.
D'autre part, les constructions du XII° sont graciles et les compressions fortes, le grand appareil l'emporte sur le blocage qui, trop sollicité, se fissure. Des mouvements apparaissent. La parade est trouvée en fin de siècle: ce sera l'arc-boutant. Basé entre les chapelles il doit contrebuter directement les grandes voûtes mais, dans le cas de Notre-Dame le problème demeure. La rupture des plans rayonnants fait que l'arc n'est pas aligné sur les ogives qu'il doit contenir, d'où une dangereuse compression latérale qui va s'exercer sur la fenêtre haute. Au XIII°, les arcs-boutants de deuxième génération vont s'appliquer plus haut que les fenêtres, sur une ceinture en compression formée par l'entablement, mais le mal était déjà fait, et nous voyons toujours en place un chaînage métallique de sauvegarde.
Nous pouvons cependant imaginer une explication. Vers 1160, certains chevets étaient encore conçus avec une pile forte dans le plan du doubleau de clôture. Ce dernier, alors traité en puissance, recevait les ogives sur une grosse demi-clef comme à Saint-Germer de Fly. Le projet initial de Notre-Dame de Paris était sans doute dessiné de cette manière et l'adoption d'une pile faible va profondément modifier la composition. Certes les conséquences auraient été moindres si les pieds des ogives rayonnantes ne s'étaient trouvé trop éloignés de leur épaulement naturel, le volume des voûtes des tribunes. A cause du développement inconsidéré du troisième niveau, cette valeur est de 1m 60 à Noyon, et 4m 50 à Paris.
Hormis cette erreur de distribution, le plan est riche d'innovation et d'un traitement remarquable. Le double déambulatoire donne aux travées rayonnantes un périmètre sans cesse croissant. Le constructeur implante alors trois supports sur le cercle médian et quatre appuis sur le mur périphérique puis coiffe l'ensemble avec des voûtains triangulaires. Le choix est excellent. Le sanctuaire est porté par de grosses piles rondes à tambour que l'on retrouve sur l'ensemble de l'édifice, même chose pour la couronne et le plan médian où les piles rondes seront de plus faible diamètre. Cette disposition donne à Notre-Dame un rapport surface d'appui/volume-construit qui sera le meilleur de toutes les réalisations gothiques. Sur ces piles nous trouvons de beaux chapiteaux traités à la manière Ile de France (à crochets) et des voûtes sur croisée d'ogives où tous les arcs sont de profil brisé et les voûtains parfaitement appareillés. L'homme qui a géré le chantier est sans doute un médiocre technicien mais c'est un artiste de talent, un orfèvre de la pierre.
Au deuxième niveau, les grandes baies des tribunes sont en arc brisé, garnies de baies géminées portées par de très fines colonnettes monolithiques (en délit) dont la tenue mécanique est exemplaire. Enfin, les niveaux supérieurs ont aujourd'hui perdu leur caractère XII°. La fenêtre haute modifiée au XIII° a, en partie, absorbé, le volume correspondant au triforium et l'état initial est incertain. Trouvait-on face aux combles des tribunes les grandes rosaces qui subsistent à la croisée ou un simple mur aveugle? Viollet le Duc semble opter pour le mur aveugle et nous trouverons ultérieurement de bons arguments en faveur de cette hypothèse.
Les archivoltes qui portent l'hémicycle sont de faible épaisseur. Cette disposition réserve sur le tailloir une surface convenable pour les retombées des voûtes du déambulatoire ainsi qu'une surface d'appui pour les trois colonnettes qui vont filer jusqu'à la base des grandes voûtes pour recevoir ogives et formerets. Tout cela est traité avec un grand souci des rapports et un soin exemplaire. C'est très beau et l'œuvre a du, sans aucun doute, faire grande impression sur les contemporains. Sanctuaire et partie droite seront traités de même manière.
Au niveau des grandes voûtes, l'effet des ogives rayonnantes se trouve contrebuté par une demi-voûte sixte partite; c'est la composition de Sens que l'on retrouve sur toutes les oeuvres de la seconde moitié du XII°. Les quatre travées mineures qui suivent sont traitées en deux travées majeures avec voûtes sixte partite. Notons cependant que la dernière travée mineure est beaucoup plus grande que les autres. Là se sont révélées les difficultés dues à la liaison avec l'existant. Ainsi, arrivé au contact du transept ancien, le chevet de Notre-Dame est considéré comme terminé. Deux tourelles d'escaliers sont installées afin d'accéder aux tribunes. Nous sommes en 1182, l'œuvre peut être livrée au culte. Cet ensemble monumental a demandé seize années de travail et les options choisies semblent donner satisfaction. Le parti sera donc repris sur la nef et c'est probablement sur la décade suivante que les premiers mouvements apparaissent, justifiant les additifs de sauvegarde. Nous traiterons le problème des arcs-boutants en fin de sujet.
La croisée
L'ensemble oriental gauchi de l° 30' par rapport à l'ancienne nef rejoint l'alignement de cette dernière au niveau de la quatrième travée mineure et la cinquième, plus longue, couvre sans doute la surface d'un hémicycle ancien. Là sera implantée la nouvelle croisée de plan trapézoïdal qui doit s'ouvrir de 0m 90 environ pour joindre l'entraxe de la nef qui reprend, semble-t-il, les fondations et l'alignement d'une oeuvre ancienne. Les gauchissements sont également importants dans le plan perpendiculaire. Ici, contrairement au chœur, les perpendiculaires ne sont pas à 90°, et les croisillons nord et sud sont également gauchis pour respecter les irrégularités d'un transept antérieur.
Nous pouvons faire un intéressant rapprochement avec l'abbatiale voisine de Saint-Germain des Prés qui connut une histoire assez proche. Là également nous trouvons une croisée trapézoïdale destinée à lier une nef et un chevet de programmation différente. L'abbaye du faubourg connut des difficultés financières et l'œuvre nouvelle pratiquement contemporaine de Notre-Dame fut raccordée à la vieille nef ce qui incita les archéologues à chercher et à trouver l'ancien chevet.
Ainsi, à Notre-Dame, seuls l'hémicycle et les quatre travées qui lui font suite furent programmés hors contrainte donc au-delà de l'œuvre ancienne et ceci nous donne approximativement son développement. C'est sans doute ce transept fort mal venu qui interdit au maître d'œuvre de réaliser un superbe vaisseau unique comme le feront ses successeurs à Bourges. Contrarié sans doute, il accepte d'absorber la grosse majorité des désaxements avec un volume perpendiculaire afin de repartir sur des bases plus saines. Ce n'est pas un transept au vrai sens du terme. Il est formé de trois travées, une pour la croisée, deux autres pour les croisillons mais ces derniers se trouvent pratiquement alignés sur le volume externe du chevet. C'est au milieu du XIII° que les grandes façades actuelles seront réalisées hors oeuvre et enfin raccordées à l'aide d'une travée barlong qui porte distinctement la marque de son époque. Les croisillons sont alors débordants mais ils seront bien vite rejoints par l'alignement des chapelles latérales établies entre les contreforts.
Les piles de la croisée sont traitées selon le principe de la structure en croix mais relativement graciles. Il n'était pas prévu de tour lanterne. Les deux piles situées côté nef seront renforcées ultérieurement. Enfin , les trois travées sont dotées de voûtes sur croisée d'ogive, classiques pour la croisée, sixte partite pour les croisillons.
Nef et façade
Comme le transept, la nef de Notre-Dame reprend alignement et fondations d'un édifice antérieur et en subit toutes les contraintes. L'œuvre est établie sur un axe qui forme un angle de 2° avec l'ensemble oriental. D'autre part, au-delà du transept, le plan de liaison forme deux casses distincts et le gauchissement sera répercuté sur l'ensemble des travées avec cependant une légère atténuation progressive. Ces déformations en plan sont sans effet sur les compositions basilicales où les structures perpendiculaires sont peu nombreuses et limitées à la croisée. Mais elles vont devenir gênantes à la fin du XII° avec l'action des arcs-boutants hauts qui s'exercent alors dans un plan irrégulier. Enfin, elles sont inacceptables au XIII° où les effets des arcs-boutants se rejoignent au sommet. Mais lors de son implantation au sol, le maître de Notre-Dame n'envisageait pas de contrebutement haut et cette contrainte acceptée peut en témoigner.
Faute d'avoir pu obtenir l'unité de volume désirée, les responsables des équipes qui travaillent sur Notre-Dame demeurent fidèles à l'unité de traitement facteur d'harmonie. La nef va donc reprendre rigoureusement l'élévation de la partie droite du chevet. La programmation se fait sur quatre travées majeures avec voûtes sixte partite. Cependant, nous remarquons quelques légères différences de traitement dans le détail. L'archivolte est plus épaisse avec mouluration sur deux rouleaux, les baies des tribunes se trouvent garnies de trois arcades sur colonnettes contre deux côté chevet et là, sans doute, seront installées les premières rosaces ouvrant le mur du troisième niveau avec peut être effet rétroactif sur certaines travées du transept. Par contre, les fenêtres hautes restent semblables à celles des parties orientales et l'entablement demeure homogène avec les étages de modillon qui subsistent encore sous les aménagements des murs gouttereaux du XIII°. Vers 1190/1195, le chantier aborde le massif occidental. Flanqué de deux tours identiques il n'est sans doute pas le plus riche mais sans conteste le plus harmonieux réalisé à l'époque gothique.
Le volume de la nef sera préservé entre les deux tours et celles-ci sont implantées avec suffisamment d'ampleur pour fermer les deux déambulatoires. Avec un dessin au sol de 15m x 13m 50, ce sont alors les plus importantes jamais fondées et le bon rapport entre l'assise et la hauteur de l'œuvre leur assurera une existence sans problème. L'élévation fut dessinée de main de maître et sans grand rapport avec la nef donc, sans contrainte; seule la grande rosace du deuxième niveau s'inscrit bien dans le volume du vaisseau central, mais les trois portes monumentales, la galerie des rois, le second niveau, la grande colonnade et les tours proprement dites, sont traitées de manière totalement indépendante. L'équilibre ainsi obtenu donne une impression de force et de pureté que l'on ne retrouvera nulle part ailleurs dans les façades gothiques.
Les fenêtres
De 1130 à 1160, les maîtres d'Ile de France restent fidèles au parti du siècle précédent mais tentent d'exploiter au mieux le nouveau procédé venu de Normandie, la croisée d'ogive mais composée avec l'arc brisé emprunté à l'architecture bourguignonne. Il permet notamment d'aligner archivoltes, doubleaux et formerets afin de conserver aux croisées d'ogives le profil adéquat. Par contre, les arcs qui ne sont pas justifiables de cette mesure demeurent en plein cintre et c'est le cas des fenêtres. D'autre part, le traitement simple et fonctionnel qui caractérisait les oeuvres basilicales de l'an 1000 se retrouvent dans les constructions de la première moitié du XII°, à Soignies, à Saint-Germer de Fly ou à Senlis, les fenêtres sont toujours en plein cintre et sans mouluration aucune, comme au siècle précédent. C'est probablement au constructeur de Saint-Germain des Prés et de Notre-Dame de Paris que revient le mérite d'avoir créé une fenêtre de profil brisé avec mouluration soignée, portée par deux colonnettes. C'est la fenêtre Ile de France qui va s'imposer sur la seconde moitié du XII°.
A Notre-Dame, le souci d'harmonie était très présent à l'esprit des constructeurs. Les fenêtres du second bas-côté et du déambulatoire, comme celles du registre haut, étaient identiques. Avec un rapport voisin de 2 X 5 et sous un profil brisé, nous trouvons une mouluration constituée d'un plan d'encadrement qui file jusqu'à la base et d'un plan de parement où l'arc formé de gros claveaux et d'un larmier repose sur des colonnettes avec chapiteaux et tailloirs. La taille de l'édifice donne des ouvertures d'une dimension supérieure à 2 x 5m et si la hauteur ne gène guère, la largeur implique pour les vitraux des raidisseurs métalliques qui, trop longs et trop chargés, peuvent fléchir et déformer la verrière. Cette fenêtre de Paris se retrouvera ensuite dans les très nombreux édifices de l'Ile de France mais avec des tailles plus modestes. A Notre-Dame, celles du niveau haut seront modifiées au XIII° tandis que celles des bas-côtés disparaîtront avec l'installation des chapelles latérales.
Au niveau des tribunes, le problème était plus complexe. Dans un premier traitement l'ouverture était en arc brisé, sans mouluration ni colonnettes et de petite taille pour assurer une pente satisfaisante aux combles du second bas-côté. Ensuite, elle sera développée vers le haut grâce à une modification du voûtin externe et la plupart seront reprises au XIII° et largement ouvertes selon la mode du temps. Mais le traitement ne fut sans doute pas le même sur la nef et sur le chevet. Dans ses restaurations, Viollet le Duc qui n'a pu se résoudre à choisir, représente plusieurs hypothèses qui vont de la rosace à la fenêtre à triple arcature. La question reste ouverte.
Au XIII°, la surface des fenêtres qui ne cesse de s'agrandir, doit être décomposée par un réseau formé de piles et d'arcs secondaires, bientôt additionnés de rosaces. La réduction des surfaces ainsi obtenues permet une meilleure tenue des raidisseurs horizontaux indispensables aux verrières.
Les arcs boutants
L'œuvre gothique semble aujourd'hui bien connue mais, dans l'analyse rationnelle entreprise au siècle dernier, subsiste un domaine sensible et controversé c'est celui des arcs-boutants hors les combles. Selon l'Ecole du XIX°, et sans doute avec l'aval inconscient de Viollet le Duc, ces arcs sont à considérer comme partie intégrante de l'art nouveau. Ils sont par conséquent contemporains des ouvrages qu'ils confortent. En pratique cette démarche refuse au procédé toute période d'élaboration liée aux problèmes à résoudre. Il est donc impossible de les exploiter en tant que témoignage dans une évolution technique rationnelle. C'est en fait l'antithèse de la démarche analytique et un sérieux facteur de sclérose.
De l'arc-boutant sous combles à la membrure en compression basée sur une culée considérée comme facteur d'inertie en passant par l'arc poids parfois maladroitement basé à cheval sur le mur et sur le glacis du contrefort, nous avons là des réponses à des problèmes architectoniques précis mais également les bases d'une échelle chronologique qui peut utilement confirmer ou infirmer des hypothèses de datation. Comme nous l'avons souvent dit, le choix des formes architecturales demeure totalement libre mais l'adoption d'un procédé sous-entend qu'il a été inventé et expérimenté.
Les chronologies antagonistes sont les suivantes: pour les tenants de la première école, les arcs-boutants sous combles ou hors les combles naissent conjointement de 1120 à 1160. C'est simple mais peu convaincant. Pour les analystes qui entendent lier le procédé aux problèmes à résoudre, les choses sont naturellement plus complexes. La version sous combles voit le jour à Durham, vers 1110/1130. C'est un arc diaphragme côté chevet mais déjà un demi arc de contrebutement bien caractérisé, côté nef. Ensuite, il est repris en Bourgogne, vers 1160/1170 à Pontigny, puis à Montréal et enfin gagne l'Ile de France vers 1170 et c'est là que le procédé s'affiche et sort du comble vers 1185/1190. C'est Notre-Dame de Paris, la cathédrale superbe et fragile qui, la première, semble nécessiter pareil confortement. L'escalade dans les niveaux hauts et la présence d'un double bas-côté qui interdit le développement du contrefort viennent de créer des difficultés jamais rencontrées auparavant et nous pouvons imaginer l'enclenchement des faits de la manière suivante.
Comme nous l'avons vu, les bas-côtés et les tribunes de Notre-Dame respectent un étagement traditionnel et c'est au niveau du triforium que l'escalade commence. Le constructeur de Noyon triche avec la hauteur du comble pour ne laisser que 1m 60 entre le volume d'inertie constitué par les voûtes des tribunes et la base du grand doubleau. Le maître de Notre-Dame néglige toute prudence et porte cette valeur à 4m 50 environ. Avec une portée de grande voûte supérieure et un volume de contrefort qui reste sensiblement égal, c'est une audace inconsidérée. Les problèmes apparaissent rapidement. Nous sommes alors vers 1175/1180. La première parade qui s'impose est un arc-boutant sous le comble des tribunes qui existe toujours et c'est sans doute pour bien disposer les maçonneries assurant la charge que le mur extérieur est surélevé d'environ 2m 40 par rapport à un alignement fonctionnel.
Mais l'arc poids est un contrebutement, une force antagoniste non un épaulement par inertie. Il collecte des effets, les transporte puis les concentre en un autre lieu. Les constructeurs du Moyen-Age vont découvrir ces problèmes de mécanique statique. Les effets ainsi collectés au niveau des grandes voûtes de Notre-Dame, se trouvent maintenant concentrés au sommet des tribunes et, là, rien n'est de nature à les contenir. Le système, voûte et arcs sous combles du second bas-côté sont trop éloignés, et le raidisseur externe insuffisant. Dans le catalogue des parades alors connues, rien n'est satisfaisant il faut donc innover. Ce sera l'arc-boutant hors les combles. A Notre-Dame, c'est encore un additif de sauvegarde aménagé sur l'existant. Il est maladroitement basé à cheval sur le mur et sur le glacis du contrefort bas et porte son impact à la hauteur des voûtes des tribunes. De caractère, c'est une composition poids et les constructeurs de l'époque ont simplement repris ce qu'ils avaient coutume de réaliser sous combles et la charge est naturellement représentée par les rangs de maçonnerie horizontaux destinés à obtenir la pente du comble. Ils ont ainsi transporté le procédé hors de son contexte d'origine mais n'ont sans doute pas totalement assimilé toutes les implications mécaniques de l'ouvrage.
Cette première combinaison de sauvegarde, fut réalisée vers 1185, sur l'ensemble des travées alors terminées et la parade se révèle, semble-t-il, suffisante côté le chevet. Ceci confirme l'hypothèse de murs aveugles au niveau du triforium, leur volume assurant un apport d'inertie non négligeable. De ce côté, les grands arcs-boutants à une seule volée que nous voyons aujourd'hui ne seront établis qu'à la fin du XIII° et nous ne voyons nulle trace d'une composition intermédiaire. Par contre, côté nef, où le constructeur avait ouvert dans le troisième niveau de grandes rosaces dont il subsiste quelques exemplaires, le manque d'inertie sera préjudiciable et des mouvements apparaissent de nouveau dès le début du XIII°.
C'est probablement vers 1210/1220 que sont installés les éléments d'un nouveau contrebutement uniquement établi sur les travées majeures. Il est constitué d'une énorme culée montant au-delà de la voûte des tribunes et d'un arc-boutant externe à deux volées prenant son appui intermédiaire sur une pile élevée au droit du contrefort des tribunes. A cette époque, les arcs-boutants sont toujours traités selon la formule poids et ne comportent aucune membrure située dans l'axe de la force à contenir, et tout développement des poussées hautes qui dépassent l'effet poids compriment les arcs et font éclater des maçonneries de charge vers le haut. Face à ce problème qui les déconcerte, les constructeurs adoptent diverses parades et notamment un angle négatif entre les deux volées. Selon les dessins de Viollet le Duc, cet artifice fut choisi à Notre-Dame de Paris mais la disposition engendrait une résultante perpendiculaire qui s'appliquait sur la pile intermédiaire des bas-côtés. C'est cet effet et la surcharge déjà mentionnée, qui imposa le renforcement de cette dernière par le faisceau de colonnettes que l'on voit aujourd'hui.
Dès que la culée indépendante fut admise, il était plus rationnel de confier la tenue des grandes voûtes à une membrure en compression qui s'installe au sommet des maçonneries poids. Dès lors, ces dernières vont perdre leur fonction et seront peu à peu remplacées par de fines arcatures destinées à lier l'arc porteur à la membrure supérieure.
Vers 1235 commencent les aménagements de prestige. On installe les premières chapelles latérales entre les culées nouvellement construites et bientôt les deux volées des arcs sont remplacées par une seule. Vers 1250 les croisillons sont repris, allongés d'une travée, et mis en l'état actuel. Les travaux se poursuivent ensuite sur le chœur et la fin des aménagements peut se situer vers 1330/1340. Notre-Dame a alors acquis son aspect actuel.