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Bourges
A l'époque Gauloise, Avaricum (Bourges), est déjà une importante métropole régionale. La ville sera détruite par les légions de César, lors de leur descente sur Gergovie, au printemps 52. La justification du site n'est pas évidente. Certes sa position en légère éminence entourée d'étendues marécageuses lui assure une sécurité relative, mais si le caractère est intéressant, il n'est pas suffisant. Toute métropole a besoin pour vivre et se développer d'une assiette économique ainsi que des relations justifiées et bien établies entre la ville et son environnement rural. Au crédit du site, nous pouvons considérer une bonne position sur la haute vallée de l'Yèvre, affluent du Cher. C'est une petite rivière qui fut navigable avant le développement des barrages à moulins et les grandes barques à fond plat de l'époque gauloise pouvaient joindre Avaricum après avoir parcouru une bonne partie du Val de Loire.
Ce réseau fluvial, très dense, sera à nouveau développé à l'époque moderne, avec le canal du Berri. Ces embarcations gauloises manœuvrées à la perche, et qui naviguaient au plus près des berges dans la zone de moindre courant, pouvaient transporter de 3 à 5 tonnes avec un tirant d'eau n'excédant pas 35 à 40cm. Elles relayaient donc avantageusement des coques plus importantes, l'ancêtre de la gabare. Ce réseau économique assure le développement du site de Bourges, initialement fixé grâce à ses caractères défensifs. La ville draine alors des cheminements d'est en ouest qui vont contourner, au plus près, les difficultés représentées par le Massif-Central. Les voies romaines confirmeront ce cheminement. Du pont établi sur la Loire à La Charité, une voie stratégique secondaire rejoint Bourges puis se scinde en deux itinéraires, l'un vers Limoges, l'autre vers Poitiers. Au Moyen-Age, les pèlerins de Saint-Jacques reprendront cette voie pour rejoindre, à Saint-Martial de Limoges, le grand chemin de pèlerinage menant de Tours aux Pyrénées.
L'ordre romain confirmera la cité gauloise et l'urbanisation augustéenne se développe selon les coordonnées de la voie menant vers Poitiers, la levée de César. Le maillage urbain occupe alors l'ensemble du site et stabilise même une bonne partie des terres basses. Ce travail sera perpétuellement remis en cause par les barrages à moulins, les alluvions piégés et la montée du niveau des eaux. La ville romaine couvre alors 100 à 130ha, ce qui représente une population de 50 à 60.000 personnes en habitat permanent. Cette ville ouverte disparaît en 250/275 et, dans le siècle qui suit, l'essentiel de l'agglomération se replie derrière un périmètre défensif de 8ha environ, bientôt cerné d'une puissante muraille qui délimitera la cité jusqu'au XII°.
Les cathédrales successives
Comme le dit Amédée Boinet, le meilleur historien de la cathédrale de Bourges, l'histoire des églises qui ont précédé la cathédrale actuelle est extrêmement confuse et les quelques données, très vagues, ne reposent que sur la tradition ou sur les affirmations d'auteurs peu surs, mais il est cependant possible de dégager le vraisemblable.
Saint-Ursin arrive en Berri vers le milieu du III°. C'est une période trouble et si Léocade, gouverneur d'Aquitaine, lui permet d'élever un sanctuaire dans son palais de Bourges, ce ne fut qu'une chapelle mais pas une cathédrale. Nous sommes avant la Paix de l'Eglise et toute fixation chrétienne reste précaire. Bientôt viendront les persécutions de Dioclétien, les plus violentes que les chrétiens eurent à subir. La première église édifiée intra muros et digne d'être considérée comme le siège du diocèse fut l'œuvre de Saint-Palais I, vers 380 ou Saint-Palais II, vers 450. L'ouvrage est implanté en limite et en perpendiculaire de la muraille gallo-romaine, sans rapport aucun avec le maillage antique qui subsiste toujours à l'intérieur de l'enceinte. C'est un caractère de Basse Epoque mais nous avons là également confirmation d'un premier sanctuaire chrétien établi à l'intérieur d'un ensemble clos, le palais, sans rapport avec les quartiers bourgeois qui se rétablissent méthodiquement sur l'ancien maillage urbain. En résumé nous dirons: première cathédrale édifiée vers 450. C'est un édifice basilical qui intègre côté sanctuaire les vestiges de la chapelle du III° et c'est lui qui donnera l'alignement des cathédrales à venir.
La seconde cathédrale fut carolingienne. C'est Raoul de Turenne, archevêque de 840 à 866, qui programma la nouvelle oeuvre vers 850. le sanctuaire est alors développé côté muraille sur la surface présumée de la chapelle du III° et l'abside installée sur les bases d'une tour gallo-romaine. Ce n'est pas certain mais le caractère tronqué des vestiges carolingiens découverts semble confirmer l'hypothèse. L'œuvre mérovingienne avait été installée en retrait de l'antique sanctuaire alors traité en chapelle indépendante. Les programmes carolingiens et romans, eux, absorberont l'ensemble des vestiges antérieurs.
La période romane est tout aussi incertaine. Vers 1020, l'archevêque Gauzlin, frère de Robert II le Pieux, entreprend des travaux sur la cathédrale de Bourges. S'agit-il d'une totale reconstruction ou d'un aménagement partiel? Difficile à dire. La seconde hypothèse est plus vraisemblable. La campagne porta, semble-t-il, sur une nouvelle nef qui fixa à la fois le volume occidental repris par la cathédrale actuelle et la position en retrait du transept qui justifiera ensuite les deux portes romanes subsistantes. Elles s'ouvrent bien loin du mur pour s'articuler sur un ensemble oriental tel qu'on pouvait le concevoir en ce début du XI°. D'autre part, l'envergure de leur volume d'établissement semble bien trop grand pour une nef. Certes on peut argumenter que ces deux oeuvres (milieu XII°) furent déplacées ultérieurement mais cela est peu probable. D'une part, elles ne s'intègrent pas parfaitement à l'œuvre du XIII° et celle-ci connaît en ce point un léger changement de traitement, comme si le constructeur avait marqué là une pose au contact d'une oeuvre ancienne.
Que deviennent les parties orientales de la cathédrale de 1030 à 1200?. Des travaux y furent réalisés mais nous ignorons leur importance. C'est à ces campagnes que nous devons les deux portes et les porches déjà cités. C'est là que fut sacré roi Louis VII,le 25 décembre 1137, et le 25 décembre 1145. Il semble que la cathédrale de Bourges comptait alors deux corps distincts et deux transepts, comme à Cluny III et le dessin se retrouve également à Saint-Benoît sur Loire. Cette dernière remarque est intéressante puisque Gauzlin fut abbé de Saint-Benoît avant de devenir archevêque de Bourges. Il aurait alors développé son programme au-delà de l'édifice carolingien de manière totalement indépendante et c'est la cathédrale du XIII° qui aurait tout absorbé. Une remarque cependant. Selon cette hypothèse la cathédrale carolingienne ne faisait que 40m de long. C'est fort peu, mais nous pouvons préserver l'hypothèse si nous admettons que la campagne de Gauzlin a absorbé une partie de l'œuvre.
Dernière remarque préliminaire. Contrairement à Paris qui fut gauchi par la rencontre d'une oeuvre importante, la cathédrale de Bourges se développe de manière parfaitement régulière, ce qui suggère deux hypothèses. Ou bien l'œuvre ancienne fortement composite était parfaitement axée et c'est peu probable, ou bien l'importance et l'état de ses constructions n'étaient pas de nature à influencer le nouveau programme. Cette seconde explication aura notre préférence.
L'oeuvre actuelle
En 1172, Etienne de la Chapelle, fixe des contraintes sur les terrains situés au-delà du mur d'enceinte. Il a donc un projet à l'esprit mais, en 1195, son successeur Henri de Sully, archevêque de Bourges de 1183 à 1199, traite toujours des réparations à effectuer sur la vieille cathédrale qui en a bien besoin. La nouvelle campagne n'est toujours pas lancée. L'année suivante, en 1196, un ancien chanoine de Bourges, Eudes de Sully, devient évêque de Paris. Notre-Dame est alors en voie d'achèvement et les équipes formées sur les bords de Seine doivent rechercher un nouveau programme. Les relations étroites qui existent alors entre les deux évêchés les portent naturellement vers le Berri. Henri de Sully accepte un projet inspiré de Notre-Dame de Paris mais il meurt en 1199 et n'a guère le temps de voir les travaux sortir de terre. Nous pouvons cependant admettre que le choix du programme, le dessin au sol ainsi que les fondations hors l'enceinte, furent réalisées sur les dernières années du XII°. Comme nous l'avons souvent dit, programmes, plans et fondations sont des phases de l'œuvre qui ne marquent pas les contemporains et c'est au successeur d'Henri, l'archevêque Guillaume, 1199/1209 que reviendra le plaisir et le mérite de voir s'élever l’œuvre nouvelle.
Le plan reprend le dessin de Notre-Dame de Paris, avec double déambulatoire sans chapelle rayonnante. Seuls de petits édifices en poivrière seront ultérieurement installés sur les contreforts médians. Par contre, le programme est plus ambitieux. La largeur interne des cinq vaisseaux passe à 40m 85 contre 35m 10 à Paris, valeur mesurée à la première travée droite. Si cette largeur interne de Bourges reste pratiquement constante sur l'ensemble du programme, le vaisseau central, lui, passe de 14m 10 au chevet à 14m 90 côté façade (valeur à l'axe). C'est une disposition favorable à l'effet de perspective. Le découpage rayonnant de l'hémicycle est ici parfaitement régulier ce qui favorisera l'installation des arcs-boutants. Après une travée mineure destinée à contrebuter l'ensemble rayonnant, l'œuvre se développera sans rupture aucune sur six travées sixTE partite, la dernière, à l'ouest assurant maladroitement l'assise de la façade. Pour celle-ci nous sommes loin de la rigueur qui présida à l'implantation des tours occidentales de Notre-Dame et Bourges allait connaître, là, des problèmes sérieux. Ce seront les seuls. Le plan de Bourges est simple, rigoureux, c'est l'ensemble le plus rationnel réalisé et conçu au Moyen-Age.
La crypte
Depuis le Bas-Empire, l'accumulation des déchets intra muros et l'action de l'érosion hors l'enceinte avaient engendré un dénivelé de 6 à 7m en certains points de l'enceinte et notamment dans l'axe de la cathédrale, là où la nouvelle oeuvre devait se développer. C'était trop pour une liaison même aménagée et le problème fut résolu par l'édification d'une grande crypte dont le plan sera scrupuleusement repris au niveau supérieur. Le point d'épure est situé à 7m environ au-delà du mur gallo-romain ce qui accorde à la crypte une travée droite après les cinq travées rayonnantes. La partie centrale est formée d'une très puissante abside voûtée sur croisée d'ogives. C'est elle qui a complètement absorbée l'œuvre carolingienne établie sur les fondations de la tour. Par contre, les vestiges situés à l'intérieur du mur subsistent; c'est le caveau des archevêques. Il est lié à quelques substructures mérovingiennes qui peuvent dater de l'évêque Saint-Palais II.
Le premier déambulatoire de la crypte est coiffé de voûtes sur croisée d'ogives dont les nervures sont légèrement gauchies pour respecter le plan régulièrement rayonnant des colonnes qui flanquent les piles. Sur le déambulatoire externe, nous retrouvons, comme à Paris, des voûtAins triangulaires, ce qui implique un support périphérique intermédiaire, et c'est le contrefort correspondant qui reçoit les petites chapelles en poivrière. Les contreforts majeurs reçoivent, eux, les culées des arcs-boutants. Le dénivelé externe permet d'éclairer cette crypte avec un registre de grandes fenêtres dont la base se situe à 1m 50 du sol. Cette superbe crypte dont la hauteur sous voûte est de 8m 20 environ est une oeuvre en tout point remarquable. Commencée en 1200 sur un plan acquis et des fondations déjà établies, elle doit être achevée vers 1206/1208. En 1209, elle reçoit la sépulture de l'archevêque Guillaume.
L'accès à cette crypte se fera par deux longs couloirs voûtés établis sous le déambulatoire externe. Les escaliers perpendiculaires qui les desservent se trouvent au niveau de la sixième travée mineure, soit à proximité des porches latéraux du XII° ou de l'hypothétique transept du XI°. Comme ces deux couloirs d'accès semblent contemporains de la crypte, nous pouvons imaginer que les ouvrages anciens, situés de la deuxième à la cinquième travée actuelle, furent démolis avant 1208 ou bien étaient fort modestes et limités au terre plein central. En bonne logique, nous pouvons penser que le chantier a d'emblée pris possession des parties orientales situées au-delà de la cinquième travée. C'est une manière de faire qui va s'imposer au XIII°. Même si l'aménagement des parties hautes se fait toujours par paliers successifs, les dégagements et les fondations semblent d'emblée programmés sur une importante partie de l'édifice.
En 1209, les parties hautes étaient déjà bien avancées. L'archevêque Guillaume qui allait partir pour la croisade contre les Albigeois voulut exhorter ses fidèles dans le chœur de sa nouvelle cathédrale. Il prit froid dans les courants d'air, nous disent les chroniqueurs, ce fut la cause de sa mort. L'édifice était donc exploitable mais inachevé.
L'oeuvre en élévation
Dans le programme de la cathédrale de Bourges, le chœur et la nef ne sauraient se distinguer, nous allons donc traiter leur élévation dans une seule et même réflexion. Après Paris, ce fut le deuxième édifice avec double déambulatoire et la définition du parti se fit selon l'expérience acquise sur les bords de Seine. D'emblée, le maître d'œuvre rompt avec le parti XII°. Il conserve l'étagement général mais supprime le sol des tribunes. Ce faisant, il obtient un premier bas-côté dont la clef des arcs se situe à 21m 30 et les piles sont alors d'une grande hardiesse avec un niveau de tailloir situé à 17m. C'est une valeur encore jamais atteinte. Celles correspondant aux travées majeures ont un noyau de 1m 60 de diamètre, tandis que les intermédiaires (piles faibles) ne font que 1m 40 pour une hauteur égale. Ces noyaux sont flanqués de huit colonnettes engagées qui font office de raidisseur et correspondent aux retombées des nervures hautes. Les diamètres inscrits passent alors à 1m 95 pour les piles fortes 1m 76 pour les piles faibles.
Avec 21m 30, le premier bas-côté de Bourges est plus haut que les deux niveaux de Notre-Dame réunis tandis que le second bas-côté est moins important, 9m 50 contre 10m 20. Ceci montre que les nouveaux rapports étaient bien inscrits au programme et qu'il ne peut s'agir d'une modification décidée en cours de chantier. La disposition permet une ouverture plus grande de la fenêtre haute du bas-côté et l'éclairement du vaisseau central s'en trouve amélioré par l'augmentation de la surface vitrée, certes, mais également par l'absence de voûtes au niveau des tribunes. Cette disposition est plaisante mais ne va pas faciliter la distribution des arcs-boutants.
Au niveau du triforium, nous retrouvons l'étagement de Notre-Dame: 5m 40 séparent les tailloirs portant doubleau du niveau des voûtes du premier bas-côté et, comme à Paris, cette hauteur permet l'installation rationnelle d'un arc-boutant sous comble. Enfin, au niveau haut, la travée de Bourges est garnie d'une très grande composition formée de trois petites fenêtres en arc brisé surmonté d'un oculi. L'ensemble coiffé d'un arc majeur se développe sur 11m de haut pour un entraxe de piles supérieur à 7m. C'est la plus belle et la plus grande des fenêtres de caractère XII°.
Les arcs boutants
Pour bien comprendre l'évolution de ce palliatif qu'est l'arc-boutant, il faut en parallèle suivre l'évolution des voûtes et des effets qu'elles engendrent. Vers le milieu du XII°, les croisées d'ogives sont encore traitées de manière archaïque. Le pied est massif, garni de blocage et tant que l'ensemble garde son homogénéité, le comportement mécanique est simple. L'équilibre se fait par contact au sommet et la réaction de ce volume en encorbellement se concentre au pied. L'arc-boutant sous comble est donc bien approprié. Ensuite, vers la fin du siècle, les voûtes deviennent de plus en plus légères, les fenêtres s'agrandissent et dans la retombée qui subsiste, la part des structures appareillées l'emporte sur les volumes de blocage. Désormais, les plans de rupture peuvent se diversifier, un seul point de contrebutement ne suffit plus. A Bourges, nous voyons de chaque côté des fenêtres hautes des oculi destinés à éclairer les combles et cela prouve que les pieds de voûte ont été déchargés de leur blocage. Par contre, Notre-Dame qui disposait aux mêmes lieux d'un volume beaucoup plus important pourra se contenter d'un point de contrebutement unique. Il faut attendre Reims et Amiens pour que les constructeurs maîtrisent ce nouveau problème qui leur est posé. Les extrados des doubleaux seront alors traités en conséquence.
Le programme de Bourges se développe sur une période charnière. En cette fin du XII°, Notre-Dame de Paris fait références. Le volume des grandes voûtes est perçu comme à l'origine des poussées mais également considéré comme un composant homogène, sans exigence propre. Le contrebutement direct de ce quatrième niveau n'avait jamais été mis au programme. A Bourges, la présence du petit arc sous comble, au-dessus du premier bas-côté, nous assure que le constructeur avait admis de reprendre la résultante de pied avec des arcs-boutants hors les combles. Par contre, il refuse l'aménagement irrationnel réalisé par son collègue de Notre-Dame et dresse une puissante culée indépendante. Mais ces voûtes sont légères, leur comportement engendre des phénomènes nouveaux. Il faut maintenant les reprendre au quatrième niveau. La culée établie est insuffisante pour l'établissement d'un arc-boutant de dessin coutumier, mais les refaire est un gros travail. Le maître de Bourges décide donc de les exploiter tel quel en donnant aux arcs la pente nécessaire.
La formule n'est pas dépourvue d'intérêt. Le dessin choisi réduit l'action poids qui parfois dépasse l'effet à reprendre mais l'effet restant sera-t-il suffisant? Peut être pas. Par contre, un nouveau phénomène fortuit entre en jeu. La pente de l'arc est telle que les dalles en escalier venant coiffer les maçonneries de charge ne peuvent tenir. Elles sont alors remplacées par de grosses pierres appareillées qui vont constituer une membrure en compression et ce sont elles, désormais, qui assurent l'essentiel du travail. A partir de la culée, elles exercent non une poussée antagoniste mais une immobilisation rigoureuse de la voûte. De 1210 à 1230, l'arc poids va s'effacer devant cette composition nouvelle: la membrure en compression. Même si le constructeur n'a pas réalisé toutes les implications mécaniques de l'ouvrage qu'il vient de réaliser, c'est à Bourges que l'invention se fait. A la même époque, la nef de Laon reste fidèle à l'arc boutant poids.
Pour obtenir confirmation de cette modification en cours de chantier, nous pouvons tracer une droite dans le prolongement de l'arc-boutant sous comble supérieur. Nous tombons bien à la base du chaperon de la culée. Tel était, selon nous, le premier projet.
Voyons l'aménagement de Bourges. Le maître d'œuvre a choisi un point d'impact de manière très arbitraire et lance son arc sur un angle de 51° par rapport à l'horizontal. C'est une valeur qui ne sera jamais reprise. Le plan passe donc très au-dessus du mur du bas-côté. Il faut installer, comme à Paris, une pile intermédiaire. L'arc est à deux volées mais il faut également reprendre les effets collectés sous combles. Un deuxième arc établi sous le premier assure cette fonction et sa pente est supérieure à 52°. Enfin, le point d'impact du contrebutement des grandes voûtes apparaît trop haut. Il faut le définir en fonction de la pente, c'est ce que le constructeur de Bourges vient de découvrir. Il en installe donc un second en situation inférieure. Il vient d'inventer les arcs superposés (en batterie). Si ce programme a été établi en 1206/1208 comme on peut le penser, le constructeur de Soissons ne fait que reprendre le principe vers 1210.
Les fenêtres
Le choix des fenêtres qui semble du domaine architectural n'est pas toujours sans conséquence sur le comportement des parties hautes. Dans les premières compositions sur croisées d'ogives elles sont aménagées dans le volume du mur. Leur ouverture est suffisante pour éclairer mais pas trop afin de préserver un volume d'inertie face aux poussées éventuelles. Les constructeurs de Saint-Germer de Fly et de Notre-Dame de Paris resteront proches de ce principe. Cependant, très vite, il apparaît que l'ensemble des effets collectés dans les grandes voûtes se concentre dans le plan du doubleau. Il est donc possible d'ouvrir de grandes fenêtres sans risque majeur. Le constructeur des croisillons de Noyon fut le premier à franchir le pas. L'ouverture qu'il aménage au quatrième niveau va du bandeau inférieur à l'arc formeret et occupe pratiquement la totalité de l'espace entre les deux pieds de voûte. Le mur a disparu. Surpris sans doute de son audace, ou conscient que le plan en hémicycle engendre un sérieux dévers de l'arc porteur, il garnit cette baie qui demeure en plein cintre avec des structures géminées. La composition est satisfaisante. Ce sont les constructeurs champenois qui se heurtent aux plus sérieux problèmes avec, notamment, les hémicycles découpés en trois travées, comme aux croisillons de Soissons et, sans doute, au premier chevet de Laon. Trois travées au lieu de cinq donnent un dévers considérable à l'arc supérieur de la fenêtre et les Rémois optent pour une composition plus élaborée. L'arc majeur est garni de plusieurs petites fenêtres bien caractérisées. Saint Rémi de Reims et le croisillon de Soissons peuvent être cités en exemple.
Le maître de Bourges s'inspire des compositions champenoises. Le réseau de pierre qui joue le rôle de fenêtre est très léger et le sommet de l'arc est garni d'un oculi polylobé. C'est l'amorce de la rosace. Ce sont les dernières et les plus belles fenêtres aux caractères XII°.
Les grandes voûtes
Entièrement construite au XIII° mais considérée à juste titre comme la dernière cathédrale du XII°, Bourges choisit les travées alternées avec voûte sixte partite. Elles sont portées à 37m 20 sous clef. Selon le principe, doubleaux et formerets sont de profil brisé tandis que les ogives demeurent en plein cintre. Mais pour leur assurer une retombée à la verticale, sans ovaliser le profil comme le fit le maître de Notre-Dame, celui de Bourges abandonne le traditionnel dessin en tiers point pour un tracé proche du quart point. L'effet est superbe. L'ensemble est, à juste titre, considéré comme le chef d'œuvre du genre. D'autre part, ces grandes voûtes comme la cathédrale toute entière bénéficient d'un préjugé favorable. Elle est considérée comme "authentique", n'ayant jamais reçu de modifications. Si cela est vrai pour l'ensemble certains auteurs ont émis des doutes pour les grandes voûtes. Amédée Boinet fut parmi les premiers à signaler un texte qui fait état d'une campagne menée dans les parties hautes, au début du XIV°, mais nous pouvons nous demander quelle fut l'importance de ces travaux.
Lors de notre analyse générale, nous n'avons pas remarqué d'aménagements qui ne soient pas conformes aux caractères de l'époque considérée. Par contre, nous avons admis que les arcs-boutants avaient été revus en cours de campagne. L'impact du contrebutement haut se fait sur un volume de pied de voûte très allégé non conçu à cet usage. L'œuvre s'était donc privée, à ce point critique, du volume de blocage qui, selon l'école du XII°, devait assurer l'homogénéité et la tenue du volume. Là était donc le point faible et nous pensons que les travaux du XIV° ont remédié à ce fait. Il fallait, selon la technique du siècle, ré-appareiller totalement l'extrados des nervures. Il n'y a donc pas eu, à notre avis, intervention sur les nervures et les voûtAins sur l'architecture visible et cela doit rassurer les amateurs d'art.
La façade occidentale
Contrairement à Notre-Dame de Paris, où la façade est traitée de manière totalement indépendante, le constructeur de Bourges voulut lier son oeuvre à la dernière travée barlong. Cela permettait de respecter l'ordonnance interne et d'ouvrir une grande verrière dans la partie centrale correspondant à la nef mais c'était peut être également le moyen de clôturer, de manière abrupte, un programme long qui venait à manquer de moyens.
Les cinq vaisseaux de la nef voient leurs élévations épaulées par six puissants contreforts. Les cinq secteurs ainsi formés seront garnis de beaux portails historiés au premier niveau et d'un étagement de fenêtres et de baies aveugles dans les étages supérieurs. Dans l'esprit de celui qui programma l'œuvre, il s'agissait de composer une grande façade comme le fera ensuite le maître du dôme de Milan et les fondations conçues n'étaient pas de nature à supporter autre chose que la façade et son couronnement. En fin de campagne, l'audace l'emporte et contre toute raison, deux hautes tours sont édifiées sur les travées externes et portées à 58m de haut. Ce sont elles qui vont engendrer tous les problèmes à venir.
La tour sud, dite tour sourde, (sans cloches) va bouger dangereusement. Il faut l'épauler avec l'énorme structure additive que l'on voit aujourd'hui. Celle du nord ne résistera pas aux vibrations engendrées par un beffroi sans doute mal conçu. Il faut la démolir à la fin du XV°. L'œuvre actuelle fut entreprise en 1508 sur des fondations nouvelles. Haute de 65m elle déséquilibre l'ensemble. Cette façade occidentale est la partie la moins réussie de l'œuvre mais la décoration des cinq porches du premier niveau (datée du XIII°) se révèle d'une extrême richesse.
Chronologie
Décidée en 1198, implantée en 1199, et sortie de terre en 1200, la cathédrale de Bourges avance rapidement. En 1214, un règlement du chapitre fixe les modalités d'exploitation dans un chœur et sur des déambulatoires qui ne peuvent être que ceux de la cathédrale actuelle. Les parties orientales étaient déjà mises à disposition à cette époque et le fait se confirma par la translation, dès 1218, des reliques de Saint-Guillaume de la crypte à l'église haute. Dix huit années pour un chevet de cette importance, c'est très court. Alors, peut-on imaginer une mise à disposition des parties basses sous la protection d'un échafaudage avant achèvement des grandes voûtes. Cet aménagement expliquerait les courants d'air qui furent fatals à Guillaume, en 1209.
En 1266, soit 48 ans plus tard, les deniers de la fabrique sont toujours affectés à des travaux réalisés sur la nef et la façade occidentale n'est édifiée qu'en 1290/1300. L'artiste qui va sculpter les superbes porches du premier niveau est un dénommé Michel dont le nom est cité dans un acte de 1295. Enfin, c'est en 1313 que les subsides fournis par Philippe le Bel permettent d'exécuter les travaux de reprise sur les grandes voûtes. L'édifice semble donc pratiquement terminé en 1300 mais la dédicace par Guillaume de Brosse ne se fera que le 5 mai 1324. Les travaux du XIV° ne seront donc que des aménagements. C'est notamment Jean de Berri qui fit exécuter, à cette époque, le grand housteau, la verrière occidentale.