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Sens
Dès la conquête romaine, le pays des Sénons, à cheval sur la vallée de l'Yonne se trouve desservi par un itinéraire de seconde catégorie qui, de Lyon par la Bourgogne joint la vallée de la Seine. Certes, selon le plan d'aménagement des Gaules et les critères administratifs qu'il engendre, la voie majeure est la chaussée d'Agrippa qui mène à Boulogne par Reims mais le développement économique qui caractérise le second siècle, le siècle des Antonins, servira l'itinéraire secondaire et fera la fortune des villes qui jalonnent son parcours. Deux cités bien établies au centre de zones économiques riches et caractérisées vont se distinguer: celles des Senons et des Parisii.
Sens, bien située sur les bords de l'Yonne sera d'un aménagement aisé, tandis que la métropole des Nautes située à proximité du confluent de la Marne se révèle peu favorable à l'articulation rationnelle du réseau routier. Paris va donc prendre quelque retard sur Sens, les autres villes comme Meaux et Senlis demeurant cités secondaires. A Sens, la ville ouverte se développe sur un espace de faible dénivelé faisant face aux hauts fonds qui ont fixé le franchissement dès l'époque Gauloise. L'urbanisation augustéenne qui s'établit primitivement sur un rectangle de 800 X 1000m, soit 80 ha, absorbe ensuite d'importants faubourgs nord et sud qui portent la surface occupée par l'agglomération à 120 ou 140 ha. Ceci lui accorde une population de 50 à 70.000 personnes.
Une civilisation refuse toujours d'admettre sa période de déclin et occulte les maux qui la condamnent à plus ou moins long terme. Après la crise de 250/275, la vie reprend dans le cadre ancien et chacun veut se persuader que le pire est passé. La Renaissance Constantinienne semble confirmer cet optimisme mais le sens civique qui assurait la grandeur de l'Empire a disparu et les travers qui avaient rongé la société antique dès le III° reprennent leur progression sournoise. La ville de Sens doit abandonner un cadre qu'elle n'est plus en mesure d'exploiter convenablement et se replier sur un étroit périmètre qui sera mis en défense. Cet espace de 35 à 36 ha, centré sur l'ancien forum, se trouve alors cerné d'une puissante muraille ponctuée de 30 tours. C'est elle qui constituera la limite de l'agglomération jusqu'à la Révolution. Selon ses observations M. Nicolle datait cette muraille des années 380/400, non faite en urgence mais traitée avec des matériaux soigneusement récupérés et triés dans les quartiers abandonnés. Nous partagerons cette opinion. L'hypothèse se confirme en bien d'autres villes pour les enceintes elliptiques. Par contre, les défenses quadrangulaires semblent avoir été fixées dès le début du IV°.
Cette cité forte peut compter de 15 à 20.000 habitants ce qui fait d'elle une agglomération importante pour le Bas-Empire. Après le développement des premières communautés chrétiennes, dans le cadre des paroisses fondées sur les premiers lieux consacrés, la cité bourgeoise choisit un sanctuaire majeur établi dans le centre de l'agglomération à proximité du forum: ce sera la cathédrale. Le premier édifice est construit selon, le maillage antique, en bordure du decumanus, à proximité du cardo, et sa position ne changera plus tout au long des siècles.
Les cathédrales successives
La première cathédrale de Sens déjà dédiée à Saint Etienne, était flanquée d'un baptistère au nord et d'une église vouée à Notre-Dame, au sud. Même si le lieu de culte peut être antérieur, son édification doit correspondre à la fin du IV°. La seconde église identifiée selon les textes fut carolingienne, construite par Wenilon, archevêque de Sens, de 840 à 865. Elle sera détruite par un incendie en juillet de l'année 968. L'archevêque Archambaud entreprend les travaux de la nouvelle oeuvre dès le mois d'août de la même année. Son successeur, Anastase, poursuit les travaux et à sa mort, survenue en 977, l'édifice semble bien avancé. C'est l'archevêque Seguin qui célèbre la dédicace de cette troisième cathédrale, le 5 octobre 982. La campagne a donc duré 14 ans. A cette époque c'est une période suffisante pour l'édification d'une grande cathédrale de structure basilicale mais il est peu probable que les deux chapelles orientées, typiquement romanes, reprises par la cathédrale actuelle, proviennent de cet édifice. Il y eut donc une campagne menée sur la seconde moitié du XI° dont nulle trace écrite ne subsiste.
Les contraintes de chantier
Le superbe édifice gothique que nous voyons aujourd'hui fut voulu et entrepris par Henri Sanglier, archevêque de Sens, dès 1122. Avant d'aborder l'étude de l'édifice il est intéressant de mener quelques réflexions sur le contexte socio-économique de l'époque et sur les contraintes pesant sur les responsables. Certes, c'est l'archevêque qui décide d'édifier une nouvelle cathédrale mais il lui faut choisir un programme et trouver un financement. Les évêchés sont alors relativement riches mais, comme toute organisation humaine qui vit selon un rythme de croisière, le chapitre de Sens engage des dépenses correspondant aux recettes et même un peu plus. Il faut donc trouver de nouveaux moyens. Réduire les budgets de fonctionnement engendre toujours une levée de boucliers. C'est donc la ville qui supportera la quasi totalité du poids des travaux.
Pour traiter avec les paroissiens, les bourgeois et commerçants, l'évêque nomme un maître de fabrique. C'est généralement un laïque, bien introduit dans les milieux commerçants, mais il lui faut connaître l'enveloppe annuelle approximative et donc fixer le projet à mettre en oeuvre. Ce sera la charge du troisième personnage, le maître d'œuvre.
Sur les huit siècles qui vont de La Paix de l'Église à l'an 1000, le parti basilical régnait et l'éventail des options était réduit. Mais, avec la période romane et les débuts des procédés gothiques, les problèmes se compliquent singulièrement. Quel projet choisir et à qui confier la charge délicate de le mener à bien? Le client, l'archevêque, et le promoteur, le maître de fabrique, sont tentés de faire confiance à un homme d'expérience mais l'évolution des procédés est si rapide que celui-ci risque d'avoir vingt années de retard face au dernier projet en cours. Parmi les clients, certains feront preuve d'audace, iront à la pointe du progrès et choisiront ce qui n'a jamais été concrétisé. Comment le maître d'œuvre va-t-il convaincre les décideurs? Avec un dessin peut-être? Mais la représentation graphique n'est pas accessible à tous et les images en perspective sont très fantaisistes. Le plus sur moyen semble la maquette en bois. Elle servira à convaincre le client mais permettra également au maître d'œuvre de préciser son projet et de fixer ses proportions. En ce domaine, Henri Sanglier fit preuve d'une grande clairvoyance. Le parti choisi était totalement nouveau et si les risques étaient grands, la réussite fut exemplaire. Ce sera, avec Chartres, le seul programme qui fera un réel pari sur l'avenir.
D'autre part, au Moyen-Age, la cathédrale est un édifice éminemment fonctionnel. Il abrite plusieurs offices et de nombreux sacrements chaque jour. Il ne faut pas que le chantier engendre une gêne excessive mais avec le progrès les moyens mis en oeuvre sont de plus en plus conséquents. Il faut isoler par un bardage l'œuvre nouvelle de l'édifice ancien toujours en service et pratiquer par étapes. Généralement le programme commence par un nouveau chevet tandis que l'ancienne nef sert à l'exercice du culte. Il faut ensuite mettre à disposition les parties orientales afin d'entreprendre la nouvelle nef et la croisée servira de point de liaison. Enfin, le client, l'évêché, n'est jamais assuré de pouvoir aller jusqu'au bout du programme il faut donc prévoir les modalités de raccordement de l'œuvre nouvelle à l'ancienne. (Les deux parties de Saint-Germain des Prés ne seront définitivement liées que quatre siècles après le commencement du nouveau chevet).
Le maître d'œuvre n'a pas une totale liberté. Il doit faire nouveau et fiable mais en préservant les alignements, voire les niveaux et les entrecolonnements afin d'assurer le meilleur raccordement provisoire en cas d'arrêt du chantier. Le constructeur de Sens va "récupérer" deux chapelles orientées existantes, celui de Bourges deux porches de l'ancienne cathédrale et celui de Soissons un croisillon complet de l'ancienne oeuvre. D'autre part, le chevet de la cathédrale du Mans et celui de l'abbatiale Saint Etienne de Beauvais seront astucieusement raccordés sur la tour lanterne de l'œuvre précédente. Ainsi, de très nombreux édifices qui nous apparaissent aujourd'hui parfaitement homogènes ont progressé dans un faisceau de contraintes et les gauchissements ou maladresses apparentes sont autant de témoignages de difficultés rencontrées.
La cathédrale actuelle
La cathédrale de Sens commencée par l'est comporte un hémicycle avec déambulatoire mais sans chapelle rayonnante. En 1130, c'est le parti minoritaire. On le trouvait à Jumièges, vers 1060, probablement avec tribunes et peut être à l'abbatiale du Mont-Saint-Michel, vers 1040, mais sans tribune. Tous deux ont disparu, mais nous voyons la composition à Tournai, avec tribunes, établie dès 1120. Nous sommes tentés d'écrire l'histoire à l'aide des édifices subsistants ou bien connus, mais Jumièges, ainsi que Tournai, ont peut être pris modèle sur une oeuvre septentrionale inconnue. Un chevet établi sur la cathédrale de Soissons vers 1030/1040 conviendrait fort bien et c'est pour former un ensemble homogène que furent programmés les croisillons du XII° dont l'un subsiste. Cependant, à la même époque, la composition se trouvait également à Cologne, à Sainte-Marie du Capitole. Il est donc bien difficile de retracer le genèse de ce parti et nous reprendrons le sujet dans une étude spécifique.
Le sanctuaire de Sens exploite des supports alternés. C'est une composition couramment pratiquée sur les nefs mais jamais retenue pour les hémicycles. Les voûtes projetées ont sans doute justifié ce choix. D'autre part, les supports faibles sont constitués de colonnes jumelées et c'est, semble-t-il, une innovation. Certes, il existait en Bourgogne du sud, non loin de Paray-le-Monial, une petite église, Bois-Sainte-Marie, dont le sanctuaire, entouré d'un déambulatoire sans chapelle rayonnante, est porté par des faisceaux de quatre colonnettes monolithiques, mais c'est apparemment un édifice trop modeste pour avoir inspiré la prestigieuse cathédrale de Sens, et nous pouvons reprendre l'hypothèse de l'édifice inconnu. Il existait sans doute en Bourgogne, vers 1100, un chevet qui servit de modèle à Sens et à Bois-Sainte-Marie. Ce fut sans doute un programme où le constructeur disposait de colonnes antiques récupérées, supports trop graciles pour être incorporés dans une nef romane mais qui, par paire, pouvaient fort bien convenir à l'hémicycle. Auxerre, proche de Sens, Autun et Nevers, toutes vieilles cités antiques constituent de bonnes candidates potentielles. Mais, s'il en était ainsi, la cathédrale de Sens va, par sa puissance et son audace, "déconsidérer" le modèle en question.
Chevet et nef de Sens font 15m 25 à l'axe. C'est une portée considérable pour un édifice destiné à recevoir des voûtes. Les programmes qui vont suivre, Senlis, Noyon et Saint-Germer de Fly seront beaucoup plus modestes. Il faut attendre le début du XIII° pour que la nef de Chartres offre une plus grande portée mais elle le fera pour respecter les fondations de la grande cathédrale de Fulbert. Nous pouvons donc logiquement penser qu'il en fut de même à Sens. Un chevet non voûté du XI°, dont il restera deux chapelles orientées, a sans doute donné l'implantation de l'œuvre actuelle. D'autre part, avec 6m 70, le déambulatoire et les bas-côtés sont également de grande largeur relative pour l'époque. Avec une pente satisfaisante le comble fait environ 4m de haut et cette valeur ajoutée aux 12m 10 des bas-côtés (12m 80 au bandeau) nous donne aujourd'hui 17m 60 à la base des fenêtres hautes et 24m 40 pour les grandes voûtes.
Cette composition a trois niveaux fut un choix prudent. Si le constructeur avait ajouté un étage de tribunes, l'option aurait représenté 8m de plus, soit une hauteur sous voûte voisine de 33m. Sens eut alors été proche de la valeur mythique des 100 pieds déjà choisis par Cluny III et le Kaiserdom de Speyer. C'était peut-être le projet initial du constructeur mais il ne sera pas retenu, pour ne pas prendre de risques excessifs, certes, mais aussi pour s'harmoniser avec une nef existante. Le rapport 15 X 24m est proche des 2/3 que l'on trouve dans les grandes compositions basilicales de l'an 1000 (18 X 27 à Chartres, dans la nef de Fulbert). Le respect du volume existant était une contrainte omniprésente en ce début du XII°.
Si la genèse des colonnes jumelées reste mal définie, les puissantes piles majeures de Sens sont d'inspiration Anglo-Normande. C'est la seule école qui offre alors des compositions équivalentes. Voyons Durham, mais également Ely et Peterborough. Du support majeur de Sens, nous pouvons extraire le volume de la pile d'Ely avec une colonne engagée axiale et quatre colonnettes de flanquement. A Ely, le constructeur exploitera logiquement ses trois plans d'assise avec une archivolte et deux rouleaux de décharge, la puissante pile ronde intermédiaire le permettait, mais, à Sens, les colonnes jumelées condamnent le second rouleau de décharge.
A Sens, le niveau médian haut de 4m environ, était accessible par deux escaliers encadrant la petite chapelle axiale mais non exploitables. Les belles baies géminées qui le garnissent côté nef étaient obturées côté combles. Elles seront rendues "ouvertes" à une époque indéterminée, grâce à l'adoption d'une couverture en dalles, à faible pente, que les restaurateurs du XIX° vont trouver en place.
Le voûtement
Sur ces bases, dont l'inspiration se trouve Outre-Manche, les voûtes sur croisées d'ogives établies sur les bas-côtés sont également de caractère anglo-normand avec des arcs et des nervures en plein cintre, seule l'archivolte donnant sur la nef adopte le profil brisé qui règne alors dans l'architecture clunisienne. Par contre pour les grandes voûtes, le constructeur de Sens innove et fait preuve de caractère.
Sur l'hémicycle, la distribution des supports alternés va lui poser un dilemme. Six supports constitués de colonnes jumelées auraient fort bien fait l'affaire mais pour être fidèle au principe qu'il s'était fixé, il se croit obligé d'intercaler deux piles fortes qui encadrent les deux supports faibles de la travée axiale. Dès lors, les deux supports qui se trouvent sous le doubleau de clôture sont également faibles. Lors des travaux menés au niveau inférieur, la composition ne semble pas préjudiciable mais, dès l'élaboration des grandes voûtes, il apparaît que le doubleau de clôture qui doit recevoir la pression des ogives rayonnantes, comme à Tournai ou à Saint-Germer de Fly, se trouve à l'aplomb d'une pile faible. Difficile dans ces conditions de lui accorder la puissance requise. Alors, le maître de Sens a une idée astucieuse. Plutôt que d'absorber l'action des ogives avec l'inertie d'un volume, il décide de compenser l'effet par l'action d'une demi voûte sixte partite établie sur les piles fortes suivantes. L'équilibre est presque parfait. C'est la naissance de la composition classique XII°.
Ogives et doubleaux seront de profil brisé, tandis que les voûtains indépendants seront infléchis pour encadrer de petites fenêtres dont le sommet ne dépasse pas la moitié de la hauteur de l'arc et, là, nous pensons immanquablement à la composition improvisée de Tournai. D'autre part, pour assurer un niveau de charpente qui n'interfère pas avec les voûtes, le constructeur ajoute au-dessus des fenêtres hautes un niveau avec galerie d'arcatures faisant office de tas de charge, comme dans les compositions clunisiennes. Les grandes fenêtres aménagées au XIII° laisseront subsister quelques traces de ce décor. Cette forme de voûtains sera naturellement reprise sur la nef dans les voûtes sixte partite et la composition est nouvelle. Les Normands n'avaient, a priori, jamais traité ce problème des voûtains rayonnants.
La chronologie de la cathédrale de Sens reste incertaine. Les travaux hors fondations doivent commencer vers 1130, et les structures portantes vont prendre une sérieuse avance puisque les retombées externes des ogives ne sont pas prévues pour les voûtes des bas-côtés. Celles ci peuvent être datées des années 1135 et le voûtement de l'hémicycle des années 1138/1140. Des hypothèses basses marquées du sceau de la théorie Ile de France donnent une date plus avancée, vers 1145, mais nous ne la retiendrons pas.
Dès l'achèvement des voûtes de l'hémicycle, le parti de Sens est définitivement acquis. Il suffit maintenant d'achever l'œuvre au modèle. Les options prises: voûtains bombés, petites fenêtres hautes et niveaux d'arcatures se retrouveront sur la partie droite du chevet et même sur l'ensemble de l'édifice. Le constructeur ne peut revenir à la composition normande sans une rupture d'harmonie d'autant que les élévations ont du prendre une certaine avance.
Le parti de Sens est impressionnant de puissance et les volumes préférentiels bien traités devaient assurer à l'édifice une existence sans problème. Cependant, des arcs-boutants seront installés dès la fin du XII°. Deux erreurs de traitement peuvent être incriminées. D'abord un lit d'assise trop pénétrant qui "coupe" le blocage interne et prive l'élévation de son homogénéité mais, dans ce cas, les mouvements seraient apparus d'abord au niveau des tailloirs et un épaulement sous comble aurait constitué la première mesure. Il n'en est rien. Les problèmes se sont donc manifestés plus haut, au point où les voûtes s'accrochent sur l'élévation. C'est un mal qui survient lorsque les deux parties n'ont pas été réalisées de concert et cette fois encore, nous avons là une raison de penser que le gros oeuvre de l'édifice avait pris une certaine avance sur le voûtement.
La nef
Après l'édification du chevet, les options suivantes doivent se décider au contact du transept de l'œuvre ancienne. A Sens, si le doubleau de clôture avait bien reçu une pile forte comme il était de coutume à la Haute Époque, le pas choisi devait accorder deux travées sexpartites à la partie droite et donner une pile forte à la croisée ancienne marquée par les deux chapelles orientées romanes. La répartition des piles sur le sanctuaire va modifier le projet et lorsque l'œuvre nouvelle arrive au transept ancien, c'est sur une pile faible. Il est ainsi des options mineures qui bousculent tout un programme. Le responsable du chantier qui doit être talonné par son client l'archevêque et son maître de fabrique, propose alors d'oublier le transept et de poursuivre l'œuvre de manière homogène. L'option est peu orthodoxe mais Fulbert l'a choisie à Chartres et la composition est du plus bel effet. Plus simple et plus économique la formule doit également séduire le maître de fabrique toujours à la recherche de subsides. La proposition est acceptée. Cela explique en partie la rapidité avec laquelle l'œuvre sera menée à son terme, 40 années environ. Ce changement de programme doit intervenir vers 1155/1158, ce qui permet une mise à disposition des parties orientales et une consécration en 1164. Dès lors, il est possible de démolir l'ancienne nef et de lancer la seconde partie du programme qui doit couvrir la période 1158 à 1175.
La nef homogène est rationnelle mais l'esprit religieux refuse d'abandonner les espaces consacrés correspondant aux croisillons. Ils seront donc exploités par des chapelles latérales mais cette travée et ses additifs disparaissent en 1492 pour laisser place au transept que nous voyons aujourd'hui. C'est une oeuvre de caractère flamboyant réalisée par la dynastie des Chambiges. Lors des restaurations du XIX°, deux hypothèses voient le jour: l'une considère une seule chapelle latérale l'autre trois tandis que deux seraient plus logiques pour occuper l'espace de l'ancien croisillon.
Les tours occidentales
Au début du siècle, certains auteurs ont considéré que la consécration de 1164 portait sur l'ensemble de l'édifice. Aujourd'hui cette hypothèse est jugée peu probable. Les quatre travées occidentales furent certainement livrées au culte vers 1175, au plus tôt 1170. Il faut maintenant clôturer l'édifice. Ce sera fait avec une façade constituée de deux puissantes tours comme il est alors de tradition dans les régions septentrionales. Le narthex imaginé à l'époque carolingienne et qui a longtemps régné s'est effacé devant la façade harmonique imaginée par les constructeurs normands et notamment par le maître d'œuvre de Saint Etienne de Caen. Le parti s'est imposé en Ile de France et les cathédrales de Sens, Senlis ainsi que Notre-Dame en Vaux de Chalons peuvent revendiquer la plus ancienne façades élevée dans le domaine royal, mais Sens a de bons arguments pour obtenir la palme. En effet, il est difficile d'imaginer la dernière voûte sixte partite sans ses piles orientales et ce sont elles également qui portent les tours. Nef et façade sont imbriquées de telle manière qu'il n'est pas possible d'achever l'une sans avoir entrepris l'autre. Nous donnerons donc à la structure de base des tours occidentales une période d'édification de 1175 à 1180, mais les aménagements architecturaux et le couronnement couvriront la période 1185/1200. Il existe des chronologies dessinées qui prétendent dissocier la grosse pile interne des maçonneries de base des tours. C'est une hypothèse très aventureuse.
Les fondations et les premiers niveaux de ces tours supporteront mal le poids excessif des aménagements et couronnements qui leur seront imposés. Très vite des mouvements apparaissent. Il faudra obturer les arcades externes correspondant à la nef, mais, pour la tour sud, la mesure ne suffit pas. Le 5 avril 1267 elle s'écroule entraînant dans sa chute une bonne partie des travées occidentales. Le reconstruction commencée en 1289 se poursuit au début du XIV° et ne s'achève que vers 1370. Les siècles qui vont suivre amèneront leur lot d'aménagements divers, modifications des fenêtres hautes début XIII° et construction de chapelles rayonnantes à diverses périodes, mais l'œuvre préservera bien son caractère XII°.