Le siècle des Plantagenets

LES COUPOLES ROMANES


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A l'époque où les bâtisseurs d'Occident découvrent les coupoles orientales, elles ont déjà plus de 1000 ans d'histoire. Les grandes réalisations intègrent des briques dont la tenue avec le mortier de chaux est remarquable et, pour en assurer l'étanchéité, les réalisations de prestige utiliseront des feuilles de plomb mais cette couverture est étanche et retient l'humidité interne, d'où l'ouverture au sommet avec ou sans lanternon. Mais probablement les bonnes options architectoniques ont vu le jour sur des édifices petits et moyens qui avaient choisi la tuile maçonnée sur l'extrados dont l'étanchéité est relative. D'autre part, les briques romaines ne sont pas partout présentes et des constructeurs adopteront le blocage ce qui nous ramène au caractère du monolithe reconstitué. Cependant, des infiltrations d'eau à travers les tuiles et des coups de gel peuvent fissurer l'ensemble et cette fragmentation est impossible à modéliser, il faut donc traiter la diffusion des effets issus du sommet. L'arc (A) sous l'effet de la charge (P) est soumis à éclatement (E) et la solution viendra naturellement des petits édifices où la surcharge de base (S) imposée pour la pente des tuiles transforme la composition mécanique. L'arc se réduit à (A') et le rapport de courbure avec l'épaisseur de la coquille devient plus favorable. La stabilité obtenue par la surcharge (S) permet même d'ouvrir une couronne de fenêtres à la base (F). C'est la formule majeure qui sera concrétisée à Saint Sophie de Constantinople. Toutefois, en Occident, personne ne songe à copier un édifice aussi grandiose et le modèle de coupole importé préservera les caractères architectoniques comme à Saint Etienne de la Cité, mais sans couronne de fenêtres.


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Aujourd'hui, la culture mathématique est grandement répandue mais son usage peut réserver des surprises. Paul Painlevé, l'illustre mathématicien, avait coutume de dire que l'art en la matière était de bien poser le problème, ensuite il était possible de le confier aux cancres du fond de la classe qui, avec un bon formulaire, pouvait le résoudre. Cette sage réflexion est bien entendu valable pour la tenue des édifices et particulièrement ceux utilisant des structures en encorbellement, telle la coupole sur pendentifs. II faut d'abord distinguer les modes d'ouvrage comme le faisaient déjà les Romains. Les pierres appareillées ont une excellente tenue à la compression mais fort peu sous les sollicitations obliques où le liant se décolle, par contre, le mortier bien traité, ou le blocage de même nature, résistent convenablement à ces sollicitations mais leurs aptitudes en compression sont par contre limitées. Ainsi, l'art de bâtir consiste à mettre chaque matériau à sa juste place: grand appareil dans les parements, les pieds droits et les arcs et blocage en interne. Ceci fait nous constatons que de nombreuses parties de l'édifice vont se comporter tel un monolithe reconstitué.
Ceci admis, nous allons décomposer la base d'une travée coupole en quatre éléments à partir de ses points les plus faibles, les premiers appelés à se rompre, figure I, et nous voyons qu'ils vont basculer sur leur base (B) sous l'effet de l'encorbellement et du déséquilibre qu'il engendre. Nous obtenons donc quatre éléments antagonistes (C) dont les effets s'annulent et nous dirons que la composition est autostable. Maintenant, si nous observons la figure II et prenons en compte l'un de ses quatre éléments de base avec son effet (C) et son secteur de coupole correspondant, qui engendre, lui, une réaction R (antagoniste), la composition est toujours autostable.


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Au début du XII°s. lorsque le constructeur chargé d'aménager la nef de Saint Etienne de la Cité, choisit les coupoles orientales établies en file, le procédé sort de son contexte traditionnel, il doit innover. Son option se porte naturellement sur une travée carrée aménagée de quatre arcs brisés. Les perpendiculaires (A) formeront doubleau et les longitudinaux (B) formerets. Ces derniers seront clôturés d'un mur léger (C) percé de fenêtres (D). A partir du plan (E), les maçonneries internes partent en encorbellement incurvé et forment le pendentif (F), ainsi le plan (G) offre une assise circulaire dans une structure carrée, c'est elle qui va recevoir la coupole brisée (H) de modèle oriental. La coupe X,X' montre l'ouvrage en perpendiculaire et Y, Y' en diagonale. Sur le plan architectonique nous verrons que cette composition, bien traitée, est d'une tenue exemplaire et six siècles d'expérimentation en Orient l'attestent. Fort de cela, le maître de Périgueux suit scrupuleusement son modèle de coupole. Le profil est brisé selon le rayon ( R) et la couverture réalisée en matériaux maçonnés sur l'extrados (J). Pour obtenir une pente régulière, le sommet est surchargé (K) et reçoit un lanternon (L). Cette coupole est également chargée de maçonnerie sur ses reins (M) et ce ressaut est favorable à la tenue. La composition impose une couverture à faible pente sur les angles (N). En Orient, les petits édifices reçoivent des tuiles maçonnées mais les ouvrages de prestige sont dotés de revêtement en feuille de plomb ou de cuivre, ce qui bloque l'évaporation et c'est la raison de l'ouverture au sommet (P). Ces deux premières travées de Périgueux ont disparu mais la troisième, plus grande, est là pour témoigner. Sur cette dernière les structures sont plus puissantes; (Q) représente environ 35% de (S) contre 30% sur les deux premières.


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Si Périgueux, avec les trois premières travées de Saint Etienne de la Cité, et plus tard l'abbatiale Saint Front, demeurent fidèles au parti oriental, il faut admettre que la composition est peu propice à l'installation en file et d'autres constructeurs vont rechercher un aménagement. La première option fut celle de la figure II où les quatre arcs brisés demeurent de règle mais la base de la coupole située sur le plan (E) est conforme à la perpendiculaire coupe Y, Y'. De ce parti, il ne nous reste que la coupole de la croisée de la petite église de Fléac, près d'Angoulême. Son volume descend dans la croisée (coupole intégrée). Cela va donner des idées au constructeur de la cathédrale d'Angoulême qui améliore la composition en établissant une coupole en calotte figure III, dont la base est légèrement variable mais proche de F. Nous retrouvons la rupture de courbe de la figure I (G) mais très atténuée, ce sera la composition semi intégrée, création typiquement occidentale qui sera couverte sous charpente ce qui permet de réduire les maçonneries d'extrados.


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Dans l'architecture occidentale, c'est la coupole, sur trompes réduites ou non, qui assure toute la période archaïque. La composition sur pendentifs importée d'Orient débute dans les provinces de l'ouest, vers 1100/1105, et chacun s'accorde à reconnaître la primauté des deux travées aujourd'hui disparues à Notre Dame de la Cité d'Angoulême.
A la fin du X°s., et sur les deux premiers tiers du XI°s., la coupole sur trompes ne se rencontre que sur les petits édifices aux structures puissantes et la composition est sans problème. Sur les grands programmes avec croisée régulière, les constructeurs adoptent la tour de croisée ou tour lanterne comme sur les églises normandes et c'est vers 1090/1100 que la facture clunisienne nettement plus évoluée s'imposera et sera même appliquée en file sur les nefs comme au Puy en Velay et à Saint Hilaire de Poitiers.
L'Auvergne, elle, restera fidèle au traitement archaïque et la coupole sur trompes réduites qui coiffe la croisée de l'abbatiale d'Issoire peut être considérée comme le chef d'œuvre du genre. Les arcs perpendiculaires sont en plein cintre, les diagonaux sont en ellipse et les huit secteurs de transition passent par les profils intermédiaires. Enfin, le sommet se trouve aplati. Ce sont la les caractères requis par le coffrage archaïque.


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Dans la coupole sur trompes de facture clunisienne, c'est le tracé géométrique qui s'impose. La pyramide est formée de quatre secteurs en arcs brisés tandis que les angles sont abattus à partir des trompes. Le plan de base est donc polygonal et le dessin sera respecté jusqu'au sommet. Aucune velléité de passer au plan circulaire, à la coupole approchée. C'est une démarche rationnelle et naturelle à concevoir pour un charpentier expert. Il suffit d'établir huit formes en demi arcs brisé, de les installer aux angles des trompes et de coffrer les huit secteurs ainsi constitués de la base au sommet et cette fois c'est bien la forme à construire qui se plie à un traitement géométrique facile à maîtriser par le charpentier.
En poussant le raisonnement à l'extrême, il eut été plus simple encore de supprimer les trompes et de réduire le nombre des cintres et des plans à quatre mais ce volume n'était pas favorable au traitement architectural du sommet de la tour qui devait passer au plan polygonal régulier. Dans le dessin clunisien, la valeur de l'angle abattu formé par la trompe reste faible; en projection il représente de 20 à 23% du côté du carré et cette forme interne se marie convenablement avec les glacis externes qui assurent le passage du carré au polygone.
Certes il y a un volume excédentaire dans le plan diagonal par rapport au plan perpendiculaire mais nous retrouvons ici la marque magistrale du maître de Cluny puisque l'éventuelle réaction engendrée à sa base par ce système se trouvait convenablement épaulée par les murs gouttereaux disposés à 90°. 11 était donc préférable de provoquer cette réaction sur le plan diagonal où elle rencontrait de bonnes conditions réduisant ainsi les effets en perpendiculaire simplement épaulés par les voûtes en berceau qui deviennent de plus en plus légères au cours du XII°s.


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Sur un plan carré comme celui de la croisée, la voûte d'arête convient fort bien et cependant elle ne fut que très rarement exploitée. Aujourd'hui nous la trouvons à Saint Savin sur Gartempe. C'est la coupole sur trompes qui va s'imposer et pourtant son volume très complexe, géométriquement irrationnel, est difficile à coffrer. Sur ses axes longitudinaux et perpendiculaires, la forme est en plein cintre mais devient elliptique sur les diagonales. Enfin, sur les 45° qui séparent ces deux tracés, nous trouvons toutes les formes intermédiaires, autant dire que c'est un jeu déroutant et surtout inutile. Dans ces conditions, il faut rechercher une explication logique et nous arrivons à la conclusion suivante: c'est le type de coffrage qui a engendré la forme.
Pour arriver au résultat le plus simple est de réaliser une structure en dôme avec des rondins de bois disposés en carrés dégressifs, ensuite, sur cette base, une forme approchée sera obtenue avec des baliveaux entrecroisés et le tout sera surface avec de l'argile traité à la taloche. Cette forme sera ensuite garnie de fine paille ou de feuilles séchées et l'excédent enlevé d'un coup de balai. Voilà notre forme prête à recevoir le blocage de maçonnerie. Après séchage de la coupole, il suffit de déboiser puis de fixer l'argile jusqu'au niveau de la paille ou du lit de feuilles mortes et enfin boucher les quatre réservations qui avaient permis de poser les poutres maîtresses inférieures. Les plus belles réalisations du genre se voient à la croisée des églises romanes d'Auvergne. En un temps où les lames de scie forgées étaient rares et de petite dimension, où la presque totalité du travail de charpentier se faisant à l'herminette ou au doloir, il était naturel de concevoir un système de coffrage impliquant un minimum d'interventions sur les pièces de bois.


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Sur la coupole semi intégrée, l'arc (X) Fig. A devient faible et la combinaison des forces s'équilibre pratiquement. Forts de cet acquis, les constructeurs de l'Ouest adopteront pour elles, le grand appareil ce qui change la statique fondamentale. Les effets (Y,A) se transforment en poids (P) Fig. A sur les arcs porteurs et engendre les forces collectées (f, f ). Sur la Fig. B, ces composantes aboutissent en résultante externe (r ). Elles engendrent à leur tour la résultante (R ) de la Fig. B' bien absorbée par le volume d'inertie (Z), ce qui permet d'avoir sous les arcs latéraux de simples cloisonnements (C ). En élévation, sur la Fig. A (P,r) donnent une résultante (R) pratiquement incluse dans le volume d'inertie. Le blocage interne (Z) avec son parement (P) ainsi que le volume des pendentifs nous restituent les conditions de la statique fondamentale. Les coupoles sur murs épais, comme à Chartre, impliquent une toute autre analyse.