image0



LES ARVERNES

Au temps de la Conquête des Gaules, ce peuple qui occupe le moyen cours de l'Allier fait son entrée dans l'Histoire par la grande porte. Les affrontements qui vont opposer Vercingétorix, son héros, à César, seront même considérés comme l'acte fondateur de notre nation. Cependant, les Arvernes avaient déjà, et sans aucun doute, une longue existence et, sur cette période que l'Histoire selon les textes nomme pré-histoire, il nous faut aborder le sujet d'une manière particulière. La vie de toute société humaine se trouve conditionnée par le cadre géographique où elle se fixe ainsi que par les conditions d'exploitation des sols offertes par la civilisation du moment. Sur cette période, nos classifications de référence sont le Néolithique, le Bronze et le Fer.

Le cœur du pays Arvernes est constitué d'une haute plaine sédimentaire d'un niveau moyen de + 300m enserrée entre la chaîne des Monts Dore et un autre système moins caractérisé formé par les monts du Livradois et du Forez. Ce paysage fut taillé par l'érosion des massifs éruptifs environnants et l'ensemble repose sur un seuil cristallin primitif. Cette action naturelle s'est développée sur des temps géologiques très longs et le paysage n'a guère changé sur les cinq millénaires précédant notre ère, soit du Néolithique à la fin de la période de la Tène. Ces temps peuvent être considérés comme la première période historique des Arvernes à distinguer de l'infinie préhistoire.

La plaine des Arvernes, la Limagne, est arrosée par de multiples petits cours d'eau descendant des monts environnants et se jetant dans l'Allier ce qui en fait une terre bien arrosée et fertile. Sur cette haute période elle était, dès la fonte des neiges, parsemée de nombreux lacs, tel celui de Sarliève, qui se sont peu à peu saturés d'alluvions avant de disparaître. L'ensemble représente environ 250.000 hectares exploitables auxquels il faut ajouter 50.000 hectares répartis sur les petites plaines alluviales situées en amont.

Sur les trois ou quatre millénaires précédant notre ère et qui furent les prémices de notre civilisation, les hommes ont été constamment présents dans la province des Arvernes mais les critères offerts par le Néolithique, le Bronze et le Fer, ne nous renseignent guère sur la vie des sociétés humaines d'autant que certains outillages ont donné crédit à des visions plutôt pauvres du cadre d'existence de nos ancêtres. Nous avons dans nos fascicules fournis des exemples de constructions très satisfaisantes réalisées avec murs en torchis ou pierres empilées et couvertures de charpente de bois travaillées au feu et ligaturées avec couvertures en roseaux. Quant au travail de la terre, il faut le voir sur plusieurs générations avec mise en pâturage après pourrissement des racines et destruction systématique des rejets, ensuite vient le travail de l'araire. Enfin il faut plusieurs années pour éliminer systématiquement l'ivraie avant les premiers semis. C'est ainsi que nos ancêtres ont pratiqué la mise en culture des sols d'Occident. Patience et longueur de temps valent autant que gros moyens. Ces remarques, ainsi que d'autres que nous ferons en cours d'analyse, vont nous porter, comme de coutume, vers une approche socioéconomique où nous pourrons planter nos informations d'ordre archéologique en juste place.


image1

Le moyen cours de l'Allier et de ses affluents coule sur diverses plaines dont la plus vaste est la Limagne formée de sédiments arrachés au massif montagneux éruptif, de l'est (A) et de l'ouest (B). L'ensemble repose sur un sol cristallin. L'altitude moyenne de ces plaines est de 300m et les nombreux petits cours d'eau qui descendent des hauteurs en font des terres fertiles. Il y a là 300.000 ha qui ont toujours tentés les agriculteurs. D'autre part, la haute vallée du fleuve mène vers la passe de la Bastide permettant de communiquer avec les terres méditerranéennes. Un cheminement traditionnel (C,D) longe le cours d'eau et les diverses voies venant du nord se concentrent à la hauteur de l'actuelle ville de Clermont pour se glisser ensuite entre l'oppidum de Merdogne (E) et le lac de Sarliève (F) aujourd'hui asséché. Ceci procure des avantages économiques aux installations du voisinage et l'oppidum des Côtes (G) sans doute Gergovie, put ainsi se distinguer. A l'époque romaine, une voie est/ouest, (H,J) viendra confirmer la primauté du site.

LES PRE CELTIQUES

Sur la première moitié du XX0 siècle, certains chercheurs ont évoqué une civilisation pré celtique mais l'accent fut mis sur les caractères morphologiques de certains groupes ethniques européens et la démarche sera fort mal perçue par les intéressés. C'était l'époque où les petits écoliers abordaient la géographie du monde avec une classification des races. Il y avait la Blanche, la première citée, puis la Jaune, la Noire et enfin la Rouge. D'autre part, comme Darwin jouissait alors d'un certain crédit, les Blancs se plaçaient naturellement au sommet de l'évolution. Il fallait donc, dans chaque groupe ethnique, rechercher les états successifs de l'évolution et, en Europe, le terme pré celtique sera jugé satisfaisant pour désigner des groupes humains dont les caractères apparemment archaïques subsistaient. Ils furent identifiés chez certains individus du chaînon Centre Europe et une salle leur fut consacrée au Musée de l'Homme. Ces groupes ont été identifiés en Aragon, au nord de la Dalmatie, dans les monts Tatras mais également en Auvergne, d'où la colère des intéressés. C'était le temps du chemin de fer et de la modernité triomphante et tous se voulaient acteurs du progrès. Aujourd'hui, les réflexions ont évolué. Chez certains amateurs de folklore, empreints de culture régionaliste, l'idée d'avoir été les premiers et ensuite refoulés par les grandes invasions étrangères, Celtiques, Germains, Francs, n'est pas pour déplaire aux intéressés. Pour les Auvergnats, la bourrée est même l'héritière d'une danse guerrière pratiquée par des hommes uniquement, s'affrontant en joute avec leurs fourches de bois, un nécessaire entraînement avant d'affronter les envahisseurs.

A la fin du néolithique, les hautes terres du chaînon Centre Europe sont déjà partiellement dégagées de la forêt par les cervidés sauvages; c'est le phénomène que nous avons constaté de manière généralisée dans la grande prairie du centre des États Unis au XVIIIe siècle. Sur ces surfaces propices, des tribus se sont installées et exploitent des troupeaux de chèvres ainsi qu'un petit nombre de moutons cependant, la chasse et la pêche demeurent un appoint non négligeable et la cueillette se fait maintenant sur des végétaux sélectionnés où les coudriers (noisetiers) occupent une place privilégiée.

Ces moyens d'existence sont peu importants et la population à l'hectare doit se situer près du seuil de notre échelle, soit 0,1 occupant à l'hectare. Leur habitat reflète leurs us et coutumes. Ils vivent en groupe familial au sens large, soit 30 à 50 individus et le hameau qu'ils ont construit est constitué d'un certain nombre de petites huttes circulaires ou ovales avec murs en pierres sèches et couvertures de roseaux ou de genêts. Certaines sont réservés aux hommes les autres affectées au bétail. Les castros découverts en Galice, que nous avons abordés dans notre premier fascicule, nous donnent une idée satisfaisante de ces petits hameaux mais il s'agit, là d'une installation défensive. Hors de toute menace, l'habitat se développera en installation ouverte. Dans les années 50/60, il existait encore en Grèce, dans la chaîne des Pindes, des installations de ce genre qui se combinaient avec des huttes circulaires de baliveaux et de branchages dont les bases étaient calées par des pierres. Ces dernières étaient destinées aux bergers menant les troupeaux en pâturage à la belle saison. Ainsi, comme nous l'avons souvent évoqué, l'archéologie de la préhistoire nous fait découvrir des constructions qui sont toujours en usage en d'autres lieux; l'archaïsme est toujours relatif.

Parmi ces gens existait-il quelques groupes ethniques au caractère archaïque poussés là par un flux migratoire? C'est probable mais ils ne constitueront pas le phénomène dominant dans l'évolution de la société.

LES CELTIQUES

Par convenance, nombreux sont ceux qui énoncent un terme avant d'en livrer les applications; c'est le syndrome du dictionnaire. La logique implique d'analyser le phénomène avant de rechercher le terme le plus adéquat pour le qualifier et, naturellement, cette seconde démarche est plus ardue. Celtique est une définition héritée de l'antiquité greco-romaine et son exploitation contemporaine a donné cours à de nombreuses interprétations discutables. Voyons la trame historique et tentons de la comprendre dans ses caractères socioéconomiques. La période qui suit le pré celtique sera caractérisée par l'arrivée des grands troupeaux de bovidés. Ces animaux bien domestiqués sont originaires du Proche Orient mais rien ne dit que la nouvelle civilisation ainsi mise en place vient, elle aussi, des terres d'Orient. Les habitants du chaînon Centre Europe vont d'abord les exploiter en vastes troupeaux de plusieurs centaines de bêtes gérés collectivement avec un lieu de repli hivernal et de petites implantations satellites permettant de récolter le fourrage d'hiver. Cette période correspond également à l'âge du Bronze mais ce métal n'était pas suffisant, à lui seul, pour justifier une mutation socioéconomique de cette ampleur. Les premières applications de cet alliage furent naturellement militaires et c'est à cet usage qu'il va s'imposer. Ensuite, il sera exploité par les agriculteurs et la faucille de bronze fut sans doute l'instrument primordial du progrès en permettant la récolte du fourrage sur une plus grande échelle.

Sur les oppidum du chaînon Cantre Europe, la période hivernale permet aux hommes relativement inactifs d'aménager un habitat indépendant et de concevoir des outils de plus en plus performants où le bronze prend une place toujours plus grande. Limité à l'origine aux rares régions d'Europe où l'on trouve les deux composants cuivre et étain, soit les terres d'Anatolie mais surtout le sud de l'Espagne, le bronze sera ensuite manufacturé en tout lieu où le grand négoce amènera en lingots les deux métaux, puis l'alliage lui même. Les voies ainsi ouvertes par les marchands seront également favorables au développement.

L'outillage de bronze et les grands troupeaux seront les caractères dominant de la première civilisation celtique mais les troupeaux vont se multiplier de manière anarchique et l'espace va manquer. Les tribus vont donc s'engager dans une vaste marche les menant vers l'Occident mais les modalités de ce phénomène qui va durer plus d'un millénaire seront très diverses.

LA CHRONOLOGIE

Cette civilisation dite celtique connaît diverses périodes. Le phénomène commence sans doute de manière sporadique, vers le milieu du troisième millénaire, soit 2.700/2.500 avant J-C. Quelques siècles plus tard, la grande migration vers l'Occident commence et le phénomène va perturber les petites exploitations du néolithique final. Les heurts sont nombreux et les pasteurs nomades choisissent une fuite en avant qui va les mener jusqu'aux Pyrénées puis en Galice. Enfin, ils traverseront la Lusitanie pour arriver dans la vallée du Guadalquivir où leur route s'arrête vers 2200 avant J-C. C'est le pays des Tartessiens, le domaine du mythique roi Gérion avec qui les navigateurs de la Méditerranée vont prendre contact après avoir franchi les colonnes d'Hercule. Pour eux, ils sont dans le pays des Atlantes puisque installés sur les rivages de l'Atlantique. C'est une région riche dans le contexte du temps puisqu'elle dispose à la fois de mines d'étain sur les rives du Guadaléte et de cuivre dans les contreforts de la Sierra Morena. Après avoir exporté chaque minerai séparément les Atlantes fabriquent du bronze et l'exportent avec leurs propres embarcations que nous avons étudiées dans la navigation antique. Cette route maritime qui va vers le Bassin Oriental de la Méditerranée va choisir une escale intermédiaire établie sur une île volcanique de la mer Egée, Terra ou Santorin pour les contemporains. Cette île occupée par les Atlantes devient l'Atlantide d'où une confusion qui se perpétue aujourd'hui encore.

Sur le chaînon Centre Europe, l'arrivée de ces bovidés parfaitement domestiqués se révèle du plus grand intérêt mais il faut abandonner les déplacements irrationnels et les intégrer dans des exploitations permettant de contrôler leurs mouvements et de les parquer périodiquement, ce qui sera fait dans des enclos de haie vive. Cette nouvelle organisation correspond également à la fin du IIP millénaire, vers - 2.200 environ et les trois ou quatre siècles qui vont suivre marqueront l'apogée de l'Age du Bronze. Ce sera une civilisation brillante.

Au cours de cette première période, les voies de communication empruntées par le grand négoce des produits stratégiques, ainsi que les marchés régulièrement approvisionnés par une caste de négociants, se sont développées de manière ouverte et cette richesse offerte va faire des envieux. Des envahisseurs vont pénétrer en Europe Centrale et gagner les côtes méditerranéennes. D'où viennent-ils? De l'Est peut être mais plus sûrement de Scandinavie, l'Histoire les connaît lors de leurs pérégrinations finales dans le bassin Oriental de la Méditerranée, comme les peuples de la mer. Les ravages engendrés par ces invasions dépasseront de beaucoup les destructions matérielles. Une période sombre va suivre qui sera caractérisée par un repli sur des oppidum puissamment fortifiés tandis que dans les plaines du Nord les enclos de haie vive laissent place à de puissantes levées de terre, telles celles reconnues à Chartres et à Reims.

Nous ignorons les modalités de cette sclérose mais elles paraissent semblables à celles qui suivirent la crise du Bas Empire. Ce fut le temps des hommes d'armes, petits seigneurs installés sur les lieux stratégiques fortifiés de puissantes murailles de pierres empilées. L'Histoire reconnaît là des appareils cyclopéens et ces constructions seront, par filiation, désignées comme mycéniennes. Parallèlement, des bandes en armes sévissaient en tout lieu. Les échanges sont devenus très difficiles et l'économie est exsangue. En Méditerranée, les actions de piraterie des peuples de la mer ont ruiné la navigation de commerce reliant les bassins occidentaux et orientaux et les marchands vont chercher de nouvelles voies pour leur négoce.

De cette époque datent les premières routes trans-Européennes ouvertes après l'abandon des échanges maritimes. Les peuples égéens qui avaient connu une période faste avec le Bronze et les grands troupeaux de Crête et de Thessalie vont tenter de renouer avec la source des ces richesses, la vallée du Guadalquivir au-delà des colonnes d'Hercule. Une route difficile monte alors par les vallées du Vartar et de la Morava pour rejoindre le Danube qui assure traditionnellement les liaisons Est-Ouest. La voie quitte ensuite ce grand fleuve, franchit la passe de Belfort, atteint la vallée du Doubs puis descend le long du Rhône pour suivre ensuite la côte méditerranéenne et traverser le Sud de la péninsule ibérique. Les Grecs tenteront à maintes reprises, mais en vain, de rétablir cette communication et la tâche sera finalement confiée au héros mythique Héraclès. Les Romains qui avaient souvenance de cette grande aventure accordaient toujours le nom de via Herculae au cheminement longeant la côte méditerranéenne d'Espagne. D'autre part la Grande Bretagne et notamment la Cornouailles avaient de riches mines d'étain, produit qui sera acheminé vers le Continent par bateaux sur la Manche puis par voie terrestre vers le grand itinéraire trans-Européen, les transporteurs longent la Seine, gagnent la Bourgogne et joignent la vallée du Doubs. Ce commerce doit également emprunter la vallée de l'Allier pour atteindre le Languedoc par la passe de la Bastide et ce cheminement qui traverse la Limagne était communément exploité à la belle saison par les Gaulois. César l'utilisera pour surprendre les Arvernes lors de l'hiver 52, un sujet que nous avons traité dans le premier fascicule.

LA VALLEE DE L'ALLIER

Sur cette période d'un millier d'années qui couvre partiellement le Bronze final, les populations Arvernes découvrent avec quelque retard les grandes mutations que nous avons évoquées. Les troupeaux remontant le fleuve se sont installés dans la plaine de Limagne et les nouveaux venus ne chassent pas les autochtones, ils les bousculent seulement en se réservant les terres les plus favorables. Les premiers occupants doivent donc se soumettre aux nouveaux venus ou se replier sur les hautes terres. Il y eut des affrontements, à n'en pas douter, mais pasteurs nomades qui se sont installés dans de grands enclos légers apportent un mode de vie plus satisfaisant.

Bousculés dans leurs installations ancestrales, les Arvernes découvrent et admettent les mérites de ces bovidés domestiqués. Ils vont également découvrir les possibilités des outils de bronze et introduire ces avantages dans leur exploitation des hautes terres. Quelques siècles plus tard, les différences initiales seront estompées et les deux populations mêlées vont se considérer comme des Arvernes. Les acquits obtenus permettent de nourrir un plus grand nombre d'individus. Sur cette période, la plus faste du Bronze, située entre 2.000 et 1.800 avant J-C, les éleveurs installés dans la Limagne tirent également profit du cheminement longeant la vallée de l'Allier et menant au col de la Bastide, mais cette voie restera secondaire face à celle du bassin Rhodanien. Cependant, comme les Arvernes contrôlent 200 à 250 km du cours de l'Allier, ce cheminement est parfois plus acceptable pour les voyageurs que les contraintes imposées par les très nombreuses tribus qui se partagent les rives du Rhône. La crise qui sévit sur l'Europe et la Méditerranée dans les premiers siècles du deuxième millénaire, vers 1800/1700 avant J-C, touche naturellement les Arvernes. Avec l'insécurité chronique qui s'est abattue sur l'Occident les installations ouvertes seront abandonnées et les populations se replient sur les oppidum périphériques nombreux sur le pourtour de la Limagne. Ces sites seront mis en défense et les protections naturelles seront peu à peu renforcées de murets de pierre parfois additionnés de bois et de terre. Ces oppidum, sans doute au nombre d'une douzaine, offrent une sécurité relative mais, en période sèche, l'eau devient rare et juste suffisante pour les hommes et la vie va s'organiser là, comme nous l'avons déjà évoqué dans les généralités. La solution découle du simple bon sens. Chaque oppidum devenu une petite entité politique et économique va se réserver une partie de la plaine où les troupeaux iront en stabulation contrôlée durant la belle saison tandis que les meilleurs pâturages seront coupés à la faucille et stockés pour la période la plus dure de l'hiver. A cette époque, les bêtes rejoignent les hauteurs où elles sont parquées en divers groupes derrière des murets de pierres empilées. Chaque enclos est muni d'un abri rustique où le cheptel est nourri artificiellement. Durant cette période hivernale, les pasteurs se rassemblent en un lieu particulier où les constructions sont plus élaborées. Dans ces conditions, la gestion des bêtes cesse d'être totalement collective, seul l'intérêt général impose une discipline d'ensemble.

Cette organisation hivernale demande des oppidum de grande taille. Si nous prenons pour exemple le plateau de Merdogne devenu celui de Gergovie au XIX° siècle, la surface de 1.500 x 550m, soit 85 hectares environ peut être organisée de la manière suivante. Les hommes se réservent 12 à 15 hectares pour leur usage et l'entretien des petits animaux domestiques, il reste 70 hectares pour les bêtes et 50 environ une fois comptées les allées de circulation. Pour simplifier le calcul, nous allons considérer 50 enclos d'une surface moyenne d'un hectare ce qui peut convenir pour 100 à 150 bêtes. C'est le chiffre qui nous paraît optimum pour traiter distinctement les vaches, les génisses et les veaux mais également pour faire rentrer et sortir le bétail sans désordre et sans risque. Ceci nous amène à un cheptel d'environ 6.000 bêtes gérées par 2.500 à 3.000 personnes.

A la belle saison, les troupeaux descendent dans la plaine de Limagne et pour la tribu de Merdogne, 15 à 20.000 hectares de pâturage sont nécessaires, soit 7 à 8% de la superficie totale qui en compte 250.000. Enfin, nous pouvons multiplier par 15 ou par 20 les 2.500 habitants de chaque unité socioéconomique pour aboutir à une population Arvernes de 50.000 personnes environ, non comptés les occupants des monts périphériques. Cependant, de nombreuses terres basses se trouvent trop éloignées de la couronne des oppidum pour leur être attribuées en particulier. Sans doute seront-elles gérées collectivement. Sur chacun des oppidum, le nombre des occupants qui est de 2.500 à 3.000 au plus fort de l'hiver chute à moins de 500 à la belle saison. Nous pouvons donc assimiler cette population hivernale à celle d'une bourgade et son urbanisation doit correspondre aux mêmes critères. Le lieu choisi sera dominant pour éviter que les écoulements des étables ne polluent l'espace de vie et l'habitat devenu beaucoup plus dense sera cerné d'une défense pour servir de réduit en cas de grand danger, à l'heure où seules les vies comptent. Dans cette agglomération maintenant distincte de l'oppidum, un artisanat spécialisé va manufacturer les produits les plus courants, les peaux des bêtes, l'outillage de bois, les cordages, la poterie mais également le bronze, produit étranger qu'il faut acheter. Cependant cet alliage aux multiples usages se révèle fragile, il faut souvent le refondre et mouler à nouveau, travail qui demande un réel savoir faire et qui sera parfois confié à des professionnels itinérants qui vivront quelques semaines, voire quelques mois sur l'oppidum. Naturellement, cet artisanat est source de progrès techniques.

La meilleure illustration du phénomène se trouve sur l'oppidum de la Chaux des Crotenay identifié et fouillé par A. Berthier et l'abbé Wartelle. Il est situé à peu de distance des sources du Doubs et fut sans doute le site d'Alésia lors de la guerre des Gaules. Son occupation remonte à l'Age du Bronze où il constituait une place très importante aux abords de la grande route menant du Rhône au Danube; c'est le chemin suivi par Héraclès pour l'historien Diodore de Sicile, c'est le héros lui-même qui aurait fondé la cité. La surface totale peut être estimée à 950 ha et la cité formée d'un double réduit cerné de murailles où l'on trouve des tronçons en appareil cyclopéen, représente 165 ha.

LES CONSEQUENCES DE LA SEDENTARISATION

Cette société devenue sédentaire gère ses terres de meilleure manière. Les espaces où subsistent quelques grands végétaux seront laissés en pâturage tandis que les champs intégralement débarrassés de toutes racines seront mis en culture avec des céréales. Cet accroissement de la production alimentaire va soutenir une poussée démographique tandis que les responsables des champs cultivés se fixeront à demeure sur ce qu'ils considèrent comme leurs biens propres. Ceci correspond au développement des petites unités satellites déjà mises en place pour la récolte du fourrage. Ainsi, peu à peu l'oppidum va perdre de son importance et une bonne part de sa population. Certes il demeure le refuge privilégié mais la sécurité offerte n'est pas à toute épreuve. Si nous prenons à nouveau pour exemple l'oppidum de Merdogne, l'espace optimum cerné au sommet suit pratiquement la courbe des 700m et représente, nous l'avons dit, 85 à 90 ha, soit un périmètre proche de 4.000m. C'est beaucoup trop pour les 600 à 700 hommes valides que pouvaient dégager les 3.000 occupants de l'époque pastorale, la défense périphérique ne protégeait que des bandes de malandrins de 50 à 150 hommes et c'est la hauteur dominante du site qui permettait de voir venir et de concentrer les défenseurs sur le lieu de l'attaque. Ce cas de figure était sans doute le risque le plus courant. Lors d'une action menée par une troupe beaucoup plus importante, le repli sur le lieu protégé s'imposait.

Avec le développement des petites agglomérations satellites et les premières mises en culture, cette stratégie purement défensive va se révéler inefficace. A chaque incursion d'importance, les petits hameaux sont brûlés et les récoltes saccagées, parfois même l'effet de surprise permet aux agresseurs d'emmener les troupeaux en guise de butin, ce qui était sans doute l'objet de leur action. Dans ce contexte, les mentalités vont changer, les agriculteurs installés dans la plaine s'organisent pour défendre leurs biens, d'abord par petits groupes et ensuite de manière collective certes cette réaction salutaire n'interdisait pas le repli sur l'oppidum en cas d'échec sur le terrain. Mais la voie était tracée, la meilleure défense étant de caractère dynamique, il faut former, entraîner, discipliner tous les hommes valides à combattre en rase campagne et cette troupe peut prêter main forte aux occupants des oppidum voisins si nécessaire. Cette organisation militaire finira par supprimer le mal à la racine et les Arvernes, comme les autres peuples gaulois, deviendront des guerriers redoutables qui seront tentés par la conquête des pays lointains, et c'est la fin des troubles endémiques.

UNE CIVILISATION NOUVELLE

Pour assurer cette mutation, il faut certes un état d'esprit nouveau mais surtout une articulation rurale adéquate. Les exploitants vont privilégier l'agriculture à partir des anciennes installations satellites qui deviendront des villages indépendants les uns des autres. Sur chacun des terroirs ainsi créés il faut également séparer les cultures sèches des cultures vertes qui seront maintenues dans les dépressions. Cela accompli, l'essentiel de la richesse ne se trouve plus dans les troupeaux que l'on peut pousser devant soi lors de la fuite vers les refuges mais dans le village lui même et dans les terres exploitées. Dans ces conditions, l'abandon des oppidum s'impose afin de couper court à toutes tentatives de repli. Par contre, si les exploitants de la Limagne se projettent ainsi dans l'avenir, la société des Arvernes compte toujours une grande part de petites exploitations traditionnelles situées sur les hautes terres. Si quelques heurts ont marqué la mutation, les deux sociétés vont rapidement découvrir qu'elles sont complémentaires. Les habitants des hautes terres viendront commercer avec ceux de la plaine en échangeant leur bétail contre des céréales et des produits manufacturés réalisés avec le fer maintenant disponible le long des grandes voies commerciales. Dans ces conditions, et pour les habitants des hautes terres, l'oppidum garde tout son intérêt, préserve ses caractères religieux et servira de place de marché pour de grandes transactions annuelles. Là également se tiendront les grandes assemblées régionales destinées à traiter les affaires politiques majeures. Pour les Arvernes, cette mutation doit se faire avec quelque retard sur l'ensemble de l'Occident septentrional. Le phénomène prend naissance vers le VII0 siècle avant J-C, se développe sur les V° et IV° et s'achève à la fin du IIP siècle. Pour les Arvernes comme pour les Gaulois, c'est le départ vers la conquête d'un empire, ils vont bousculer les Romains, attaquer les Grecs et implanter des colonies en Asie Mineure où ils deviendront les Galates. Au IV°s. après J-C, un voyageur romain dit qu'il a retrouvé chez eux le dialecte particulier des Trévires.

Cette mutation considérable s'est elle instaurée au sein même de la société Arvernes ou sous la pression d'émigrants venus du Nord où cette civilisation nouvelle, parfois dite de la Téne à cause de son outillage de fer, a connu ses premiers développements? Cette seconde hypothèse est plus vraisemblable. En Limagne, coeur du pays Arvernes, l'articulation antérieure était bien ancrée dans les us et coutumes et jugée satisfaisante par le plus grand nombre. D'autre part, dans le haut de la pyramide sociale, notables et gros propriétaires, qui sont également les leaders politiques, ont estimé qu'ils avaient beaucoup à perdre dans un changement en profondeur. Les nouveaux agriculteurs viendront sans doute du Nord par le chemin traditionnel de la vallée de l'Allier, d'abord en petits groupes puis en nombre et nous retrouverons là des phénomènes semblables à ceux qui se sont développés lors de l'arrivée des grands troupeaux. Les heurts seront nombreux mais après plusieurs générations où chacun des deux groupes conteste les méthodes de l'autre, une synthèse se fera avec le partages des terres.

Qui sont ces nouveaux venus? Pour les commentateurs grecs et latins, toutes les communautés établies au Nord du chaînon Celtique étaient de caractère germanique et c'est au temps de César que les Méditerranéens vont admettre quelques nuances en distinguant les Belges des Germains d'Outre Rhin. Cette confusion restera coutumière chez les Latins. A la Renaissance, les maîtres de la péninsule vont juger comme gothique, donc germanique, toute la grande architecture religieuse du Nord de la France tandis que les intéressés parlent d'opus francorum. Ainsi nous dirons que les plus à même de pénétrer la Limagne, à l'époque de la Tène vers le V°s. avant J-C, sont ceux que César qualifiera de Belges, soit les agriculteurs établis au Nord de la Seine.

Les premiers arrivants seront naturellement modestes dans leurs ambitions, les transformations qu'ils doivent imposer pour appliquer leur méthode d'agriculture sont considérables et la mutation se fera par étapes. Dans chacune d'entre elles, un petit nombre d'Arvernes deviendra adepte de la nouvelle agriculture, les modifications les plus radicales s'imposeront en basse Limagne entre Riom et Gannat. La région de Clermont et les plaines en amont sur la Limagne, moins favorables, resteront adeptes de la polyculture tandis que les habitants des hautes terres resteront en partie attachés aux modes archaïques que nous pouvons qualifier de pré celtiques et c'est cette diversité que les Romains vont rencontrer au temps de César, mais, pour les Arvernes, ces envahisseurs ne sont pas des inconnus, loin s'en faut.

Sur les deux derniers siècles précédant la conquête des Gaules, les civilisations méditerranéennes ont acquis une avance considérable. Les Romains ont développé un habitat enviable et construit de grands monuments de prestige de nature à impressionner les Gaulois aisés voyageant dans la péninsule. Les premiers à tendre la main aux Latins furent les habitants de la Provence et du Languedoc, ils firent appel à Marius pour les défendre contre les envahisseurs Germains et ces populations accepteront sans grande difficulté le protectorat de Rome. Sur le dernier siècle, les grandes villes méditerranéennes regorgent de produits qui font envie aux Gaulois, pour les acquérir, ils vont proposer des céréales qui commencent à manquer dans le bassin méditerranéen. A cette époque, les blés de Sicile ne suffisent plus à Rome et ceux venant des greniers d'Alexandrie ont une longue route maritime à parcourir, aussi les commerçants romains s'intéressent-ils aux céréales produites en Gaule et la demande justifie une augmentation de la production.

Les gros excédants se trouvent dans les plaines du Nord et une petite colonie de négociants romains s'est installée à Orléans, aux portes de la Beauce. De là, des embarcations emmènent les grains sur la Loire puis ils sont transportés vers la vallée du Rhône par chariots où ils sont à nouveau pris en charge par la batellerie mais un petit pourcentage doit emprunter la vallée de l'Allier et gagner la Méditerranée par la voie traditionnelle empruntant la passe de la Bastide. Les gros producteurs de Limagne ont été séduits par ces transactions très lucratives et c'est un phénomène qui va jouer un rôle important dans le comportement des Arvernes à l'heure des affrontements avec les Romains. La société des marchands est favorable à un protectorat, ou pour le moins à une entente économique avec Rome, tandis que les cavaliers et petits propriétaires qui ont vu leur influence politique s'amenuiser, sont contre. Vercingétorix est l'un d'eux et il va exalter le patriotisme latent qui se cache chez ses concitoyens.

ECONOMIE ET DEMOGRAPHIE

Le développement de l'agriculture céréalière a profondément modifié les conditions de vie des populations d'Occident et celle des Arvernes également. Limitée à 40 ou 50.000 personnes avec l'option pastorale, la population de la Limagne va s'accroître dans des proportions considérables. Les céréales produites fournissent des calories alimentaires de longue conservation qui ont mis les individus à l'abri de la famine et soutiennent la poussée démographique. Au dernier siècle avant notre ère, les 150 à 200.000 ha consacrés aux céréales en Limagne et dans les plaines amont, peuvent assurer la subsistance de 100.000 personnes ce qui représente une valeur moyenne de 0,5 habitant à l'hectare et un rendement moyen de 12 à 14 quintaux à l'hectare; à cette époque, les plaines céréalières du Nord font mieux, quant au cheptel bovin privilégié dans la civilisation dite celtique, il est devenu secondaire, les bêtes vivent maintenant de quelques pâturages dans la vallée mais le gros du bétail se trouve alors sur les hautes terres bordant les plaines de l'Allier

Cette nouvelle agriculture demande un outillage performant réalisé avec du fer importé du Nord et l'artisanat Arvernes naguère établi sur les oppidum recherche des lieux plus propices. L'eau courante est primordiale et les nouvelles installations se porteront sur les rives des petits cours d'eau où les débits modestes, mais avec forte pente, sont particulièrement indiqués pour les aménagements industriels. Cette mutation se fait de manière optimum, ce sont souvent les cours d'eau situés au pied des oppidum qui reçoivent ces nouvelles installations. Des barrages de pierre donneront des chutes de 2 à 3m exploitées pour des moulins à grains et les premiers martinets des forgerons. En aval de ces installations, des bassins de bois alimentés en eau courante serviront au traitement des peaux et au lavage de la laine. Sur le dernier siècle, ces agglomérations artisanales peuvent atteindre le niveau de la bourgade et compter de deux à trois mille habitants, par contre, les négociants se porteront dans la plaine vers la voie de communication Nord.Sud pour créer des centres d'échange qui prendront la forme de bourgades traditionnelles.

Cette évolution de l'agriculture et son corollaire économique ont permis une forte croissance de la population Arvernes. Au dernier siècle avant la Conquête, nous pouvons l'estimer ainsi: l'ensemble des basses terres qui a le plus prospéré compte alors entre 130 et 160.000 habitants liés à l'agriculture tandis que la population des hautes terres, économiquement dépendante, en compte un nombre sensiblement équivalent. L'addition nous donne 300 à 350.000 individus liés à l'unité Arvernes et cette population a permis l'émergence de 30 à 35.000 artisans, commerçants et notables installés dans les bourgs ou vivant du transit économique empruntant l'itinéraire Nord/Sud, soit la règle commune de dix ruraux pour un citadin. Certes le Massif Central est davantage peuplé mais, au-delà d'une certaine distance à parcourir, le mode rural s'organise d'une manière indépendante. Comme le caractère dit Celtique s'impose toujours sur les hautes terres, les petits agriculteurs vont effectuer leurs échanges avec une bourgade de proximité, et seules quelques grandes foires annuelles peuvent les inciter à faire un long parcours pour joindre les centres économiques établis en Limagne. C'est pour l'économie de l'unité Arvernes une clientèle indirecte. L'énoncé de cette population Arvernes peut sembler considérable mais ces chiffres se confirmeront lors de la bataille de Gergovie que nous avons déjà développée en détail.

GERGOVIE


image2

Le repli des populations environnantes sur l'oppidum et la concentration des forces gauloises et romaines à cet endroit indiquent que le lieu était déjà considéré comme le site métropole de la tribu. Les Romains l'accepteront comme tel et le développeront. Le camp établi par les légions se trouvait sur l'une des voies de communication menant vers le sud (A,B) dont le tracé sera aménagé dès le siècle d'Auguste. Le camp désaffecté servira de base pour les travaux d'un second itinéraire est/ouest (C,D) menant de Lyon à Saintes. Maintenant carrefour important, ce lieu deviendra une agglomération marchande développée de manière empirique (E) avant d'être urbanisée rationnellement (F). Le potentiel économique ainsi rassemblé donnera naissance à une nouvelle agglomération: Augustonemetum (G) établie en un lieu très propice. Le site reçoit son alimentation en eau des hauteurs de l'ouest (H) et son assainissement est dirigé vers l'est (J). Cette unité dans le développement socioéconomique vient , nous semble-t-il, confirmer l'hypothèse de Gergovie aux Côtes de Clennont. Augustonemetum, grande ville ouverte, disparaît dans les années 260/280 et les survivants se concentrent dans une cité forte (K). Le premier sanctuaire chrétien fondé par Saint Austremoine, près de la villa du sénateur Casius se trouvait non loin de la fontaine Sainte Alyre (L) puis fut transportée dans la cité au début du V°siècle (M). Ensuite, un faubourg se développe hors les murs et son lieu de culte sera Notre Dame du Port.


image3

La plaine de Limagne va attirer les peuples en mouvement. Les premiers arrivants seront les pasteurs des grands troupeaux de bovidés domestiqués longeant le chaînon Cetre Europe et leur venue correspond à la fin du 111° millénaire avant J-C. L'accroissement du cheptel génère des affrontements qui finiront par imposer le partage des terres. Ensuite, les troubles de la fin du Bronze imposeront une articulation nouvelle. Chaque tribu doit se choisir un lieu de repli, un oppidum, le plus vaste étant celui de Gergovie (A). L'aménagement comportait un refuge pour les hommes (B) et des parcs pour 6 à 7.000 bêtes ( C ). Le lieu servira également sur la période hivernale mais à chaque belle saison, les troupeaux seront descendus dans la plaine et gérés à l'échelle de petites installations satellites. Cette articulation que nous dirons de caractère celtique sera ensuite mise en cause par de nouveaux venus qui vont privilégier l'agriculture déjà présente, mais à petite échelle. L'oppidum est peu à peu désaffecté et ne garde qu'un rôle symbolique. L'accroissement démographique permis par l'agriculture incite les artisans à quitter le refuge de l'oppidum pour s'installer sur la Tiretaine (D) en exploitant ses chutes. L'agglomération deviendra une bourgade prospère. C'est cette articulation dite de la Tène Finale que César va trouver en arrivant chez les Arvernes. Devant la menace, une importante population s'est réfugiée sur l'oppidum et pour mener l'assaut, le général romain installe son camp (E).

Les Gaulois avaient un sens inné de la démocratie. Chez eux, pas de roi, mais un partage du pouvoir entre les grands courants d'intérêts existant dans la tribu. Les agriculteurs installés dans la plaine de la Limagne vont former de moyennes et grandes exploitations dont sera issue la caste des cavaliers. Ce sont eux qui ont imposé la défense dynamique intervenant aux frontières de la province et sur le dernier siècle avant notre ère ils sont capables de rassembler, en quelques jours, de 5 à 6.000 combattants à pied et un millier de cavaliers. L'encadrement est assuré par une ou deux dizaines de grands propriétaires terriens que l'on peut assimiler à une noblesse locale mais ils n'ont pas l'intention d'établir une hégémonie politique, le développement de leurs domaines constitue leur unique préoccupation et les différents qui peuvent survenir sont rapidement réglés par le conseil des anciens. Cette caste des cavaliers qui a vu son influence réduite avec le développement économique retrouvera l'intégralité de ses prérogatives dès le déclenchement du conflit avec César.

La seconde composante politique est formée par les artisans et commerçants, sans grand pouvoir à l'origine, mais qui finiront par s'imposer en gérant les approvisionnements en produits stratégiques ainsi que les échanges sur grande distance. A la fin de l'ère gauloise, leur emprise dépasse largement le cadre des tribus et s'étend à toute la Gaule ce qui leur permet d'assurer un négoce lucratif avec les commerçants romains de la province et de la Méditerranée. Chez les Arvernes, comme dans les autres tribus, les relations économiques sont dominées par une dizaine de grands négociants qui supportent mal les privilèges de la caste des cavaliers et sont, par intérêt, favorables au protectorat de Rome.

La troisième composante de la société Arvernes est, comme dans les autres tribus gauloises, à la fois populaire et religieuse. Elle est constituée de petits propriétaires et ces hommes libres représentent la majorité des individus. De caractère ils sont fiers et attachés à leurs prérogatives, tous sont armés de glaive, le bouclier et le casque font partie des attributs du chef de famille et se transmettent de père en fils mais que peuvent-ils faire de leur majorité et de leur pouvoir? Chacun a son opinion sur la chose publique autant dire qu'ils ne peuvent, à eux seuls, dégager une ligne de conduite politique. La caste noble va flatter leur nationalisme tandis que les négociants et artisans évoquent leur intérêt. Sur le dernier siècle, les échanges avec le monde méditerranéen sont devenus très nombreux et les grands négociants ont des arguments sérieux pour imposer leur vue, quant aux religieux, leur message est plutôt nationaliste mais à l'échelle de la Gaule toute entière, et ce contexte politique ne facilite pas les choix laissés aux individus. Cependant tous sont très attachés à leur patrimoine foncier, à la tribu, et l'union contre un envahisseur étranger sera facile à obtenir.

Chez les Arvernes, comme dans les autres peuples, ces différents courants politiques sont représentés par des notables au sein d'un conseil des sages que les Romains qualifieront de Sénat. Les décisions sont prises après moult discussions. Pour abriter cette haute assemblée, il faut un lieu à la fois illustre et indépendant avec, également, un caractère religieux : ce sera un oppidum de la Haute Époque qui servit maintes fois de refuge et fut toujours inviolé: Gergovie sera choisi pour ce rôle. Ce n'est ni une capitale ni une métropole mais simplement un haut lieu chargé d'histoire et de significations religieuses.

Où se situait le site de Gergovie? Les érudits des XVIII° et XIX° siècles avaient proposé le plateau de Merdogne et c'est lui qui fut retenu au temps de Napoléon III mais il convient mal au déroulement de la bataille qui nous est livrée par les Commentaires de César et le lac de Sarliève asséché seulement au XVIP siècle gêne grandement les mouvements envisagés. Ce sujet fut amplement développé avec la Conquête des Gaules et nous avons opté pour l'oppidum des Côtes dominant Clermont Ferrand. C'est un lieu beaucoup plus favorable au développement de la bataille telle qu'elle nous est contée. Récemment fouillé par un archéologue local, Mr. Eychart, il a livré de nombreux témoignages significatifs. Enfin, il a également l'avantage de s'intégrer parfaitement dans la continuité historique et jouit d'une situation géopolitique particulièrement favorable.

Dans la Limagne, les cheminements Nord/Sud sont multiples mais, au Sud de Clermont, les voyageurs doivent passer entre l'oppidum de Merdogne et le lac de Sarliève avant de suivre un étroit chemin longeant la vallée de l'Allier. Les abords de Clermont constituent donc un point de concentration, un passage obligé qui confère au lieu des atouts économiques certains. Quant aux tenants de l'oppidum, ils bénéficient d'un atout politique puisque la concentration des voies se fait sur leurs terres. D'autre part, il est un des plus vastes parmi les mieux caractérisés.

Résumons sa destinée historique: A la Haute Époque, au temps des grands troupeaux, les 115 ha aménageables du sommet peuvent contenir 7 à 9. 000 têtes de bétail gérées par une population de 3 à 4.000 personnes, ce qui faisait de lui le plus riche de la Lhnagne. Sa désaffection progressive date des VI° et V° siècles avant J-C, au temps où les agriculteurs s'imposent dans la plaine et forment leurs propres villages avec quelques bourgades mais Gergovie conserve ses privilèges économiques et les artisans s'installent sur les rives de la Tiretaine qui offre les conditions requises pour un aménagement artisanal. Au dernier siècle avant notre ère, il y a là 2.000 à 2.500 artisans sur la rivière et 2.000 commerçants installés sur la voie Nord/Sud. A cela ajoutons un millier d'agriculteurs d'environnement liés à la bourgade et ces 5.000 individus constituent la plus forte concentration économique établie en Limagne. S'agit-il de Nemessos citée dans les textes? C'est probable mais pas certain. Le site voisin occupé aujourd'hui par la ville de Riom a toujours conservé des privilèges politiques et ce fut sans doute avant la Conquête un important centre politique pour la caste des cavaliers. C'est là que nous situerons Nemessos.

LA BATAILLE DE GERGOVIE

Résumons simplement ce sujet déjà traité. En l'hiver 53/52, les Gaulois comprennent que les intentions de César sont d'annexer la Gaule et les divergences entre tribus qui lui ont grandement facilité la tâche lors des années précédentes, ne sont plus de mise. C'est l'année décisive. Il faut accepter le joug ou bien organiser un soulèvement général, et le chantre de cette levée en masse est précisément un Arvernes: Vercingétorix Son audience demeure limitée au sein de sa tribu mais, en février 52, César qui vient de mater une petite rébellion en Narbonnaise décide de rejoindre le gros de ses forces cantonné dans le Nord de la Gaule, tout en évitant la vallée du Rhône qui lui est hostile. Avec une petite troupe il franchit le col de la Bastide où ses hommes doivent se frayer un passage dans la neige épaisse. Après cette marche difficile, il surgit dans le pays Arvernes qu'il traverse sans rencontrer d'opposition. Cette action destinée à effrayer les habitants de la Limagne jugés instigateurs de la révolte eut exactement l'effet contraire. Vercingétorix exploita cette intrusion et put enfin lever une troupe de 7 à 10.000 hommes; c'était trop peu pour agir mais suffisant pour s'attirer les foudres de César.

Au printemps 52, le général romain descend vers le Sud à la tête de six légions. Il emporte Avaricum, l'une des plus puissantes cités fortifiée des Gaules, et marche sur Gergovie. Il dispose de 40 à 50.000 hommes dont 35.000 fantassins de ligne supérieurement entraînés, ce qui représente une force considérable pour Vercingétorix dont les troupes demeurent peu nombreuses. Le chef gaulois lance un appel à la mobilisation générale et des volontaires arrivent mais ces hommes courageux et bien armés manquent de cohésion et de discipline. A la veille de l'assaut sur Gergovie, les forces gauloises sous les ordres de Vercingétorix représentent environ 40.000 combattants mais seulement 10 à 15.000 capables de manœuvrer en ordre et avec discipline. Cette force ne peut affronter les légions en rase campagne où elle serait écrasée à plate couture. Alors le chef gaulois décide d'installer ses troupes en retrait sur les hauteurs, à l'ouest de l'oppidum, là il bénéficie de la protection du terrain ainsi que d'une bonne vue sur le plateau. Sans doute pense-t-il attaquer le flanc des légionnaires qui vont monter à l'assaut de l'oppidum où de très nombreux Arvernes, hommes, femmes et enfants, se sont réfugiés en apprenant la stratégie de leur chef de guerre. Il y a là 30.000 personnes mais moins de 12.000 combattants dont 5 à 6.000 délégués par Vercingétorix et tirés de ses meilleures troupes.

César qui a perçu le piège s'engage modérément avec l'intention de simuler un repli qui ferait sortir les combattants de l'oppidum afin de les vaincre plus facilement mais son stratagème échoue par Pindicipline de quelques centurions et les Romains doivent se replier en ordre mais rapidement. Conscient des aptitudes de ses combattants, Vercingétorix n'intervient pas cependant César a reculé est cela est amplement suffisant pour la gloire du chef Arvernes.

Dans les jours qui suivent la bataille, le général romain reçoit des informations inquiétantes des diverses provinces de Gaule où des troupes se lèvent en grand nombre. César décide de regrouper toutes ses forces chez ses alliés du Nord et ce sera chose faite au début de l'été. De cette bataille qui n'en fut pas une vraiment, Vercingétorix va tirer une gloire telle qu'il sera bientôt reconnu comme le chef de toutes les forces gauloises. Mais César aura le dernier mot à la bataille d'Alésia.

AUGUSTONEMETUM

Lors de l'assaut sur Gergovie, les légions de César avaient installé leur camp à 3.000m à l'est dans la plaine, non loin de la Tiretaine qui assurait l'approvisionnement en eau des hommes et des chevaux. C'était une installation considérable, d'une superficie proche de 45ha soit 450.000 m2 pour 45 à 50.000 hommes, ce qui offrait 10 m2 par combattant. C'est une valeur très proche de celle des camps de retranchement journalier installé par les légions. La grande taille de l'installation facilite l'aménagement intérieur mais gêne les manœuvres de sortie et ceci nous confirme que César se jugeait maître de l'espace dans la plaine.

Cette installation va subsister quelques temps après la conquête, avec une garnison beaucoup plus faible et sera sans doute intégrée au premier itinéraire Nord/Sud longeant la vallée de l'Allier. Aménagée elle deviendra ensuite une voie officielle ouverte au public. Ainsi le camp allait progressivement passer d'un usage militaires à une fonction civile après avoir sans doute servi de base aux chantiers. Parallèlement, une seconde liaison entièrement programmée fut tracée de Lyon à Saintes et correspondait au premier programme dit d'Agrippa. Sur ce chantier, établi hors de tout cheminement naturel, les difficultés étaient grandes mais les ingénieurs romains s'efforceront de suivre, au plus près, une ligne droite reliant les deux villes dont la latitude était facilement identifiable avec les moyes du temps. Cette droite théorique passe à 3km au Nord du grand camp établi chez les Arvernes et il était logique de l'intégrer en guise de carrefour ce qui fut fait.

Grâce à ces deux voies, le transit économique s'accroît rapidement et renforce le caractère civil du camp qui devient rapidement une petite agglomération régulièrement urbanisée. Là, commerçants et artisans vont se fixer en nombre, ce qui a pour effet de vider, en partie, les anciennes installations établies en amont sur la Tiretaine. Sur ces rives il ne restera que les activités liées aux chutes d'eau. Cependant, l'urbanisation du camp réalisée de manière empirique n'était guère rationnelle, vers la fin du 1er siècle, la création d'une ville nouvelle s'impose et le site choisi sera le plateau en pente douce situé au Sud de la Tiretaine. Cette ville nouvelle sera Augustonemetum.

Ce lieu est particulièrement favorable. Le plateau se trouve à une altitude moyenne de 340m et la pente douce donne vers l'Est, vers la plaine de Limagne. Son alimentation en eau sera fournie par des captations établies sur les monts situés à l'Est, soit hors de toute pollution véhiculée par la Tiretaine. Certes il y a une petite dépression à franchir mais la pureté de l'eau permet d'utiliser un siphon. L'assainissement sera dirigé vers l'Est où des décantations permettront de rejeter l'eau sans pollution excessive vers un petit ruisseau qui se trouve au Sud du plateau parallèle à la Tiretaine. La surface primitivement urbanisée couvrait une centaine d'hectares. Ce fut l'habitat des notables de la province, commerçants enrichis et gros propriétaires terriens, venus résider en ville pour y trouver un confort à la romaine. Ce sont eux, désormais, qui vont siéger au Sénat provincial et la caste des cavaliers maintenant dépourvue de ses prérogatives militaires, se verra marginalisée dans la vie politique. La première urbanisation est très large avec des villas individuelles de caractère méditerranéen et cette population aisée, avec serviteurs permanents, n'excède pas 120 à 150 individus à l'hectare, soit une population de 12 à 14.000 personnes environ. Cependant la ville se transformera selon les modalités décrites dans notre étude sur l'urbanisation antique. Les premiers immeubles bourgeois, puis à usage locatif, établis sur la façade des îlots vont apparaître dans le centre de l'agglomération, ce qui porte la densité à l'hectare à 200 ou 250 individus. A la fin du siècle des Antonins, le centre ville est devenu très dense, la domesticité très nombreuse tandis que les quartiers périphériques sont encombrés d'une main d'œuvre plus ou moins servile. Cette croissance portera la population à 30 ou 35.000 individus et cela indépendamment des commerçants demeurant dans l'agglomération du carrefour ainsi que les artisans attachés aux rives de la Tiretaine. En l'an 200, l'ensemble urbain doit border les 50.000 habitants ce qui fait d'Augustonemetum une agglomération moyenne en Occident romanisé.

Cette forte concentration de population ne convient plus aux notables et bon nombre d'entre eux vont se faire construire des villas avec jardins et espaces verts dans la périphérie de la cité. La famille Cassius avait fait construire la sienne sur les bords de la Tiretaine et c'est là que le Sénateur va accueillir un prêcheur venu d'Orient : Austremoine.

LA FIN D'UNE CIVILISATION

En 250, les légions affectées aux limes de Germanie et de Rethy sont engagées dans les guerres civiles qui se déroulent en Italie et la défense de l'Empire est livrée aux seuls gardes frontières. En 253, des groupes d'Alamans saccagent les champs Décumates et, en 254, les Francs pénètrent à leur tour dans l'espace romain semant la terreur dans les villes Rhénanes. Enfin, en 260, une horde de plus de 100.000 Alamans traverse à nouveau les champs Décumates, franchit le Rhin à Baie et pénètre dans la vallée du Doubs. Ensuite, ils abordent la vallée du Rhône et descendent vers la province. Les rares légions demeurées disciplinées se replient afin de garder les cols alpins livrant ainsi les riches cités d'Occident au saccage des barbares. Ils sont sous la conduite d'un ancien mercenaire nommé Chrocus et leur marche sanglante les mènera jusqu'en Espagne. Cependant, certains groupes se sont engagés sur la Chaussée d'Agrippa menant à Saintes, ce sont eux qui vont piller Augustonemetum ainsi que plusieurs cités thermales de la région. En 263, ces bandes se sont dispersées en petits groupes qui vivent toujours de pillage.

En 262, Postumus, reprend possession des villes rhénanes mais les luttes fratricides que se livrent les généraux romains ont gagné la Gaule, en 268, Postumus est assassiné au profit de Victorien qui rançonne plus encore les villes d'Occident. En 269, Autun se plaint à Rome des sévices subis mais ne reçoit aucune réponse et sera saccagée par le général romain. A cette époque, ceux qui se disent légionnaires ne sont plus que des aventuriers en arme sans foi ni loi.

En 270, les Francs sont solidement installés dans le Nord de la Gaule et proposent leurs services aux plus offrants des généraux romains mais, en 274, un deuxième déferlement d'Alamans et de peuples germaniques divers franchissent encore une fois le Rhin, s'engagent dans la trouée de Belfort et pillent toutes les régions de Gaule encore épargnées. Vers 290, tous ces aventuriers qui ont ruiné la brillante civilisation gallo-romaine ont vieilli, les plus sages s'installent en terrain conquis et offrent leurs services aux gallo-romains survivants afin de les défendre contre de nouveaux risques, d'autres prennent du service dans les armées romaines. Cet apaisement relatif permet à l'empereur Constance Chlore de pacifier les régions du Nord.

Sur cette période d'un demi siècle, la majorité des saccages et des pillages sera l'œuvre de petites bandes armées et nous n'avons aucune trace écrite concernant les dégâts infligés. C'est l'archéologie contemporaine qui a mis en évidence la destruction totale des grandes cités ouvertes de l'époque Augustéenne, tandis que la majorité des terres cultivables sont retournées à la broussaille. Sur cette période tragique, la Gaule a probablement perdu 70 à 80% de sa population si l'on en juge par les surfaces de rétablissement dans les cités détruites.

Les Arvernes et leur métropole sont dans la même situation et les premiers signes de rétablissement apparaissent vers 300/310 mais Augustonemetum ne retrouvera pas sa splendeur d'antan. Avec 50.000 habitants, elle était devenue le centre politico-économique de 4 à 500.000 personnes vivant en haute et basse Auvergne, ce qui engendrait un volume d'échange très important. En ce début du IV° siècle, la cité doit survivre avec les 50 à 70.000 paysans pauvres qui ont repris l'exploitation des terres de Limagne. A cette population s'ajoutent 30 à 50.000 habitants occupant les hautes terres proches du sud et de l'ouest. Cette assiette économique de 100.000 personnes environ, assure à la métropole 8 à 12.000 commerçants, artisans et notables qui se répartiront diversement : 5 à 6.000 vont s'installer derrière une puissante enceinte établie au nord-ouest de l'ancienne agglomération, les autres occupant la vallée de la Tiretaine et le grand carrefour qui sera à l'origine de la cité de Montferrand. L'Occident va connaître un siècle de répit avant le troisième déferlement barbare qui survint en 406 et qui impliquera, cette fois, la totalité des peuples germaniques et sonnera le glas de la brève renaissance constantinienne.

LES CHRETIENS

Les Chrétiens venus d'Orient sont présents en Gaule dès la fin du 11° siècle mais leurs prêches seront jugés subversifs par la majorité des gallo-romains profondément romanisés, d'autre part ils sont de langue grecque ce qui ne facilite pas les contacts, le contexte leur est franchement défavorable. Sur la première moitié du IIP siècle, les troubles qui secouent l'empire n'ont que peu de répercussion sur l'Occident septentrional par contre, les grandes misères de la période 260/280 vont ruiner le crédit des déesses tutélaires et le message de fraternité véhiculé par les chrétiens sera beaucoup mieux perçu, notamment chez les petites gens qui ont tant souffert. Cependant, la brève renaissance constantinienne va redonner espoir et, chez les Arvernes, les sénateurs, fervents défenseurs de l'ordre ancien, reprennent le contrôle politique et religieux et ce sont eux, sans doute, qui font construire la puissante muraille du Bas Empire sur les ruines de la grande ville ouverte. Mais, cette petite cité forte est réservée aux notables et aux commerçants ce qui pousse bon nombre de citadins, plus modestes, à se réinstaller sur les ruines de la grande cité. De leur côté, les artisans exploitent à nouveau les eaux de la Tiretaine tandis que les commerçants réorganisent leurs activités dans les ruines de l'agglomération qui coiffait le carrefour. Sur les premières décennies du IV° siècle, l'Occident se reprend à rêver aux splendeurs d'antan. C'est à l'aube de cette période que Saint Austremoine arrive dans la métropole Arvernes.

L'histoire de la vie de ce personnage rédigée tardivement (au VII0 siècle) nous dit qu'il venait de Méditerranée et se dirigeait vers Avaricum quand il fit halte à Augustonemetum Là il fut reçu dans la maison du sénateur Cassius située non loin des rives de la Tiretaine. Après avoir converti son hôte, et quelques personnes de sa famille, il porte la bonne parole aux populations installées hors les murs et trouve suffisamment de fidèles pour construire à leur usage une petite église dédiée à Notre Dame d'Entre-Saints. Mais cette réussite indispose les autres sénateurs qui demandent à Cassius de chasser ce personnage subversif, ce qu'il fit.

Austremoine prend la route du sud avec quelques compagnons et s'arrête bientôt à Issoire où il trouve à nouveau un accueil favorable. Il peut rassembler une petite communauté de fidèles mais il y a parmi eux le fils d'un riche commerçant juif dont la conversion indispose le père, l'apôtre sera accusé d'atteinte à l'ordre moral et probablement décapité. Au sein de la société occidentale qui a beaucoup souffert, de telles réactions ne sont pas surprenantes, cependant l'église des Arvernes est fondée dans les esprits et Notre Dame d'Entre Monts considérée comme la première cathédrale. Cette histoire est édifiante mais nous pouvons la prendre avec quelques réserves puisque Grégoire de Tours, natif de Clermont, et bien à même d'être informé ne dit rien sur le martyr du Saint et les dates sont également incertaines. Pour quelques auteurs, l'apôtre des Arvernes serait arrivé dans le pays en 250 sous les consulats de Dacius et de Gratus et sa mort serait survenue au début du IV°s, vers 305/310. Cependant, pour un chrétien, un demi siècle d'existence dans cette période troublée nous paraît surprenante. Si la fondation de l'église d'Issoire peut être envisagée vers 305/310, et le martyr du Saint dans la même période, son arrivée dans la province devrait se situer vers 280/290. En tout état de cause, ces faits doivent s'inscrire dans la période équivoque qui précède la Paix de l'Église.

Après 313 et l'Édit de Milan les Chrétiens sont pratiquement à l'abri de la vindicte publique. Cependant ils demeurent très minoritaires et la société gallo-romaine qui espère voir la fin de ses tourments leur reproche leurs actions dirigées vers les marginaux ainsi que vers les femmes et les enfants sapant ainsi la structure familiale fondement de l'ordre social. Cette action confine à la manœuvre politique, la suspicion, voire la colère est grande à leur égard. Certains doivent cacher leur croyance tandis que d'autres vont se radicaliser tel l'ancien centurion Martin qui aime à parcourir les campagnes à la tête de plusieurs centaines d'exaltés qui s'acharnent à détruire les temples romains demeurés à l'abandon. L'histoire qui fut reprise en mains ne nous informe pas sur les multiples réactions violentes qu'ils eurent à subir, seules quelques chroniques en témoignent. Saint Martin surpris par des soldats sur une route du Val de Loire, fut bastonné et laissé pour mort; les militaires l'accusaient d'avoir effrayé leurs mules.

Ce sont ces contraintes qui vont pousser bon nombre de chrétiens à se replier sur des lieux isolés afin de vivre leur foi en ermite et c'est l'origine d'une bonne part des saints d'aujourd'hui. D'autres, plus subtils, vont s'introduire dans les rouages du pouvoir romain et tenter de miner les structures impériales déjà passablement vermoulues. A Trêves, devenue pour un temps capitale d'Occident, leur travail de sape va porter ses fruits et les Empereurs vont multiplier les édits favorables à la nouvelle croyance. A la fin du IV°s, sous Gratien et Théodause, ces édits vont leur accorder l'exclusivité du culte.

Profitant de ce changement de politique, la plupart des évêques jusqu'alors maintenus dans les faubourgs chrétiens, vont transporter leurs cathédrales à l'intérieur des cités. Ce faisant, ils sont persuadés de vaincre définitivement les cultes romains toujours respectés par les traditionalistes, mais un phénomène imprévu par eux se produisit. Les notables, naguère soutien de l'ordre antique, adoptent la religion chrétienne non pour suivre ses préceptes à la lettre, mais pour en faire un instrument de pouvoir comme ils l'avaient fait naguère avec les divinités tutélaires. Chez les Arvernes, nous ignorons à quelle époque se fit cette translation du siège épiscopal mais l'évêque Namace qui fit construire sa cathédrale au début du IV°s. aurait, selon certains, repris les fondations d'un édifice antérieur. Si tel fut le cas, il s'agissait d'un ouvrage réalisé rapidement au nom des édits de Théodause puis gravement endommagé par les invasions barbares de 406

A la fin du IV°s, l'action des Chrétiens introduits dans les instances impériales sera dévastatrice pour le moral des armées du Rhin qui vont se débander devant un nouveau déferlement de Germaniques venant du Nord et de l'Est. Ils pénètrent et parcourent l'Occident sans rencontrer grande résistance et, parmi eux, des Visigoths s'installent au pouvoir dans toutes les terres situées à l'intérieur de la boucle de la Loire, soit l'ancienne Aquitaine romaine, et le pays Arvernes est inclus dans leur domaine. Parmi les nouveaux maîtres, beaucoup sont déjà chrétiens mais de discipline aryenne. Une croyance prêchée par un juif converti d'Egypte avait pour objet de rapprocher les deux religions venues d'Israël.

LA CHRETIENTE EN OCCIDENT

Les historiens ont longtemps disserté pour expliquer quelle était la différence entre chrétiens de rites romains et aryens mais les informations de caractère dogmatique ne suffisent pas à l'expliquer, les divergences ne sont pas dans les textes mais dans les esprits. Pour les Aryens, la pensée religieuse est inféodée au sommet de la pyramide sociale et prêtres et notables s'accordent pour maintenir l'esprit des fidèles à l'abri des dérives qui pourraient provoquer une rupture au sein de la communauté. Ce faisant, l'arianisme sera rapidement inféodé au pouvoir politique ce qui n'était pas admis dans l'esprit des Évangiles. Certes l'installation des évêques d'obédience bourgeoise dans les cités dès l'an 400 ne l'est pas, non plus, mais ces derniers refuseront toujours l'emprise des monarchies. Ainsi, les évêques d'Occident, feront tout pour défendre leur indépendance et les trésors de diplomatie qu'ils vont imaginer ne suffiront pas toujours. Chez les Arvernes, Sidoine Apollinaire, évêque vers 470, fera, lui, preuve d'intransigeance.

Né vers 430 à Lyon, d'un père devenu Préfet des Gaules en 448, il fit de bonnes études puis épousa Papianille dont le père devient empereur en 455. Sidoine, le rejoignit alors à Rome où il obtint la charge de poète officiel puis celle de Préfet de la ville. En 468, à l'âge de 38 ans, il se lasse des honneurs, revient en Gaule, prend l'habit religieux et devient évêque des Arvernes en 470. Refusant tout compromis avec l'arianisme, il indispose la cour Wisigothique qui soumet l'affaire au Pape, ce dernier désavoue son évêque qui sera alors exilé près de Carcassonne. Il reviendra dans la métropole Arvernes peu avant sa mort survenue en 479.

Ce royaume wisigoth d'Aquitaine sera éphémère, la chevauchée de Clovis y mettra fin mais, devenu duché inféodé à la couronne franque, il se rétablira rapidement face à la faiblesse des derniers souverains mérovingiens. Les ducs d'Aquitaine, comme la majorité des grands féodaux sont toujours issus de la caste des envahisseurs, les tensions entre les Francs et les Aquitains vont se raviver avec la prise de pouvoir des premiers Carolingiens.

LES ARVERNES AU TEMPS CAROLINGIEN

Pépin le Bref devenu roi en 752, entend achever l'œuvre de son père et mène de nombreuses campagnes afin de chasser les Musulmans de Narbonnaise et dans cette opération salutaire pour la chrétienté, il ne reçoit aucune aide de la noblesse d'Aquitaine qui avait même, en 732, laissé complaisamment les Maures franchir les Pyrénées Occidentales pour monter jusqu'à Poitiers. Après avoir vaincu ces envahisseurs, le roi entreprend de châtier les Aquitains mais ceux-ci, conscients du danger lancent des opérations préventives, l'une d'elle menée par le duc Waïfres remonte la vallée de l'Allier en 761 mais, battus en rase campagne par Pépin, les Wisigoths battent en retraite et se réfugient derrière les murs de Clermont où ils sont rejoints par les Francs. Ces derniers donnent l'assaut avec une extrême violence et la cité est incendiée, le sinistre se propage et gagne la vénérable cathédrale de Namace qui sera réduite en cendres. En six années de campagne, les armées franques vont systématiquement saccager toutes les demeures nobles d'Aquitaine afin de faire expier à ces derniers leur collusion avec l'Infidèle.

Les Francs se battent pour conquérir des terres, des provinces et ils aiment s'engager en rase campagne pour épargner les cités qui leur seront bientôt soumises, et Pépin regrette amèrement la destruction de Clermont qui lui fut imposée par son adversaire, aussi fera-t-il beaucoup pour aider à la reconstruction de la ville et fournira même des subsides pour reconstruire la cathédrale. Le nouveau programme comporte une grande abside en hémicycle enveloppant la précédente et l'ouvrage réserve un couloir de circulation, un déambulatoire entre les anciennes et les nouvelles fondations. D'autre part, deux petites salles carrées flanquant cette abside suggèrent qu'elle était encadrée de deux tours, quant à la nef, nous n'avons aucune information à son sujet. Reprend-elle le parti paléochrétien ou bien le constructeur a-t-il opté pour un ouvrage à trois vaisseaux sous un même comble afin d'être en harmonie avec le nouveau chevet? Cette dernière hypothèse paraît plus vraisemblable et les développements ultérieurs de l'architecture en Auvergne semblent le confirmer. C'est cette nouvelle cathédrale qui va dominer Clermont pendant la brève renaissance carolingienne.

Sur cette période qui va durer pratiquement un siècle, les Arvernes vont relever leurs ruines, développer leur économie et agrandir leurs cités. La métropole doit conserver son schéma ancien mais la cité reconstruite ne suffit plus et de nouveaux quartiers ouverts vont se développer à l'est sur les ruines de la ville gallo-romaine dont le souvenir même semble être estompé. Il faut dire que les textes et chroniques essentiellement chrétiens ne font aucun cas de la grandeur antique. Quelle est l'importance de ce nouveau faubourg des temps carolingiens? Moyenne sans doute puisqu'il doit partager les fruits de la croissance avec l'artisanat toujours présent dans la vallée de la Tiretaine mais également avec Montferrand qui tire profit du transit économique rétabli sur l'axe nord/sud. En estimation raisonnable, nous dirons que 4.000 personnes vont se maintenir intra muros et 2.000 nouveaux venus vont rejoindre les 1.500 déjà présents dans le faubourg. Ces 3.500 personnes établies hors les murs vont choisir Notre Dame du Port comme paroisse et cette mutation urbaine a son importance pour expliquer ce qui va suivre.

LES VIKINGS

Les invasions vikings surviennent après un bon siècle de paix et de prospérité où bourgeois et notables ont géré l'embellie économique permise par une monnaie unifiée et forte. Ils en ont tiré profit et leurs domaines d'activités se situent hors les murs des cités mais ils gardent le contrôle de ces dernières par l'entremise du Chapitre et de l'Évêque. Cependant Charlemagne avait de gros besoins pour assurer ses campagnes militaires, en Germanie notamment. Pour assurer ses levées en hommes et en numéraire, sans être contrecarré par les pouvoirs locaux, il va nommer dans les provinces des fonctionnaires impériaux « les comtes » qui, pour la plupart, s'installeront dans les cités. Ces hommes de l'Empereur ont les pouvoirs mais peu de moyens, un certain nombre de fonctionnaires subalternes et une poignée de gardes suffisent à la tâche de collecte. Les notables des cités vont leur concéder une place dans l'agglomération mais avec beaucoup de réticence; ils se souviennent sans doute de toutes les difficultés rencontrées pour se débarrasser de la soldatesque du Bas Empire.

A la mort de Charlemagne, les grandes campagnes militaires cessent et Louis le Pieux répond souvent favorablement aux demandes des évêques ainsi, la fonction comtale perd-elle de son importance, et les tenants de la charge sont toujours régulièrement relevés. C'est dans ce contexte de relâchement et de quiétude que la société occidentale sera surprise par les invasions vikings. Selon les textes, la première action sur Clermont se situe en l'année 853. C'est le temps des premiers raids saisonniers en profondeur. De 847 à 850 une flotte importante, de plus d'une centaine de voiles, a contourné la Bretagne pour s'installer dans l'estuaire de la Loire. En 850, les drakkars remontent le fleuve jusqu'à Orléans. Ils vont poursuivre au-delà dans les années qui suivent et c'est dans le cadre de ces actions qu'une troupe remontant l'Allier attaque Clermont en 853 mais c'est une opération de petite importance, semble-t-il. 20 à 25 bateaux et 5 à 600 hommes probablement mais, face à une ville ouverte, les conséquences seront désastreuses. Les assaillants terrorisent la population qui va se réfugier dans la cité ou fuir dans les montagnes. Les incendies allumés après les pillages vont rapidement se propager dans les combles de bois et les couvertures en bardeaux. Les dommages sont considérables mais la cité forte ne semble pas avoir été abordée; il n'est pas question de dommages occasionnés à la cathédrale comme ce fut le cas lors du siège mené par Pépin le Bref.

La grande frayeur passée, les Arvernes vont constituer une force de défense qui sera naturellement confiée au Comte de Clermont et ce sont ses troupes qui vont intercepter et battre la seconde bande viking qui aborde la province en 864. L'engagement doit se dérouler au nord de la Limagne ce qui protège la métropole.

Sur les 40 années qui vont suivre, les envahisseurs se sont solidement implantés en Normandie et concentrent toutes leurs actions sur le Bassin Parisien afin d'agrandir leur domaine. Ces attaques prennent fin avec le Traité de Saint Clair sur Epte, en 912, où RoUon, chef viking de la Basse Seine est reconnu duc de la province normande par le roi des Francs. Mais cet accord n'interdit pas aux Normands de continuer leurs actions militaires sur le reste du pays et ils ne s'en priveront pas, par contre, pour les historiens, ce sont désormais des guerres féodales et c'est ainsi qu'une nouvelle bande de viking se présente devant Clermont, en 915. Cette action paraît plus sérieuse que les précédentes puisque les attaquants s'en prennent à la cité forte qu'ils incendient et la cathédrale carolingienne, reconstruite aux frais de Pépin le Bref, est ruinée par les flammes. Les forces du Comte de Clermont se sont-elles réfugiées derrière les murs après avoir été battues en rase campagne? C'est une hypothèse satisfaisante. En tout état de cause, la métropole Arvernes est privée de cathédrale, il faut la reconstruire entièrement et ce sera l'œuvre de l'évêque Etienne II qui va consacrer son ouvrage le 2 juin 946.