LES CONQUERANTS

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Au VIII° s., l'infrastructure romaine demeure très présente. Les voies mal entretenues sont toujours pratiquées et les villes ruinées demeurent en place. L'invasion anglo-saxonne a refoulé les populations dites celtiques bien au-delà de la frontière administrative tracée par Rome (terre civile, terre militaire). Les Saxons majoritairement implantés dans le sud ont repris les terres des Belges et les Angles (Danois) celles de Baudica (centre et est Anglie). Après l'émergence d'une multitude de petits royaumes, fa situation politique s'est décantée, les Saxons tiennent fortement le Wessex avec pour capitale Winchester cl le royaume de Mercie regroupe la majorité des terres danoises. Au nord, nous trouvons le royaume d'York ou Northumbrie et le Strathclide, terre demeurée celtique où le pouvoir de caractère religieux a engendre une civilisation florissante. La plupart des grands conflits ont cessé et le sac de Lindisfarne, en 793, surprend, mais après leur défaite à Jarrovv, en 794, les pillards (Norvégiens) vont se porter sur l'Irlande.


Dès 855/865, les grands aventuriers des mers ont vu leur prestige mis en cause et la crise économique qui sévit au Danemark impose une toute autre stratégie. Il faut coloniser des terres riches, comme les Suédois l’ont fait dans les plaines de Russie blanche, expatrier des populations nombreuses et rapatrier les produits essentiels comme les céréales. Pour mener à bien cette politique, les terres les plus favorables sont les riches plaines céréalières de l’Est Anglie, conquises deux siècles auparavant pour le compte des Saxons et où ces derniers se chamaillent constamment. Le projet d’une vaste opération est admis mais il faut le concevoir avec méthode, en écarter tous les aventuriers qui combattent pour leur compte et transporter par bateaux des fantassins armés de lances et de boucliers, soutenus par de petites unités de cavalerie. Cette armée conventionnelle doit combattre et s ‘implanter sur le pays conquis, les historiens britanniques appelleront cette force d’invasion la Grande Armée.

Au printemps 865, les premiers contingents danois débarquent sur les côtes de l’est Anglie, principalement dans l’estuaire de la Yare. Les basses terres de la côte orientale étant peu favorables aux installations portuaires et la population du littoral faible, l’opération se déroule sans opposition. Celle-ci ne pourrait venir que de la noblesse rurale de l’arrière pays mais elle est divisée et le jeune roi, Edmond, sacré l’année précédente n’a que 15 ans et peu d’autorité. L’attentisme s’impose. De leur côté, les nouveaux arrivants ne sont pas agressifs. Ils affirment vouloir aller plus au Nord et demandent des chevaux pour se constituer une force de cavalerie. Leur démarche sera exaucée. Sur les mois qui suivent, les Danois s ‘entraînent, s’organisent et reçoivent des renforts.

En 866, c’est une force de 4 à 6.000 hommes, bien armés, disciplinés et soutenus par plusieurs centaines de cavaliers qui s’ébranle et marche vers le Nord. Les Danois semblent tenir leur promesse et la cour d’Edmond qui réside à Thetford est satisfaite. Après avoir contourné la vaste dépression marécageuse formée par les estuaires de la Nene et de l’Ouse, les Danois rejoignent la voie romaine Nord—Sud à Stamford et, de là, se dirigent vers York capitale saxonne de la province de Northumbrie.

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Au confluent de l'Ouse et de la Foss, York était déjà un lieu portuaire avant la Conquête. Les troupes romaines abordent le site vers 58, soit 15 années après le débarquement de 43. Passée la grande révolte de 61, les légions repartent en conquête et occupent définitivement York en 70. En 71, le gouverneur Quintus Petilius Cerealis fait élever un camp fortifié protégeant le gué sur l'Ouse mais c'est le plan d'aménagement lancé par Agricola, gouverneur de l'île dès 77, qui donnera à la ville son véritable caractère. La voie venant de Londres et qui a déjà franchi l'Ouse (A,B) rencontre ici un itinéraire transversal (C). Le carrefour (D) sans doute tracé dès la fin du siècle, engendre une ville militaire en quadrilatère (E,F,G,H) cernée d'une levée de terre et bientôt surmontée d'un mur en dur. Cette ville Eboracum est distincte des installations portuaires qui se trouvent sur le confluent (J). Aux 23ha de la cité (450 x 520m) sans doute peuplés de 8 à 10.000 habitants, s'ajoutent 15 à 20.000 commerçants liés aux activités portuaires. C'est à Eboracum que l'empereur Constance Chlore meurt en 306 et que son fils Constantin y est proclamé empereur. Après le départ des légions, les Saxons occupent la ville en 627 et respectent l'urbanisation. Alquin y naît vers 735. Les Danois conquièrent la ville en 876 et en font la capitale d'un royaume sous le nom de Jorwik.


A cette époque, l’ancienne Eboracum, est toujours incluse dans son enceinte militaire de la fin du premier siècle. C’est une imposante levée de terre surmontée d’un mur léger en dur et précédée d’un fossé. Les tours à baliste réalisées en bois et qui flanquaient l’ouvrage de l’intérieur ont disparu, seules subsistent les quatre portes. La majorité de la population s’en est allée sur les rives du confluent, là où se situent les ateliers et les boutiques. Seuls 3 à 4.000 habitants demeurent encore dans la cité antique et ne peuvent défendre les 2.000 mètres de courtine. La ville tombe facilement aux mains des Danois. De son côté, la noblesse de Northumbrie qui s’attendait à voir les assaillants arriver par la mer n’a pu intervenir. Une fois la surprise passée, ses forces vont engager une action pour reprendre la ville mais sans succès, Eboracum devient Jorwik capitale d’un royaume danois et la ville sera florissante.

L’année suivante, en 867, une bonne part de la Grande Armée entreprend la conquête de la Mercie, les forces restées sur place s’installent dans leur nouveau royaume et prennent garde à de nouvelles réactions venant du Nord. Ce sont 2 à 3.000 hommes à pied soutenus par quelques centaines de cavaliers qui se dirigent vers le Sud mais, très vite, ils se heurtent à des contingents adverses. Ils sont arrêtés à Nottingham sur les rives de la Trent. C’est une agglomération d’une certaine importance comprenant palais royal, bourgade et pont sur la rivière. Les défenseurs locaux ainsi que les troupes qui se sont repliées devant les Danois sont en nombre suffisant pour tenir un siège qui va durer une année. En 868, des troupes saxonnes venant du Sud interviennent et les assaillants doivent lever le siège. Pour les Danois, cette première invasion de la Mercie est un échec.

A la même époque, en Est Anglie, la tension monte entre les occupants demeurés païens et la communauté chrétienne. Le jeune roi Edmond a pris parti pour ces derniers et, dès 868, s’oppose ouvertement aux Danois demeurés sur place. En 869, une force importante, partie de York marche sur l’Est Anglie. Edmond rassemble ses partisans et le premier affrontement eut lieu près de la résidence royale de Thetford. Edmond et ses partisans sont vaincus et doivent fuir. Après plusieurs affrontements mineurs, une bataille décisive s ‘engage en fin d‘année à Hoxne. Le roi, une nouvelle fois vaincu, doit fuir avec quelques fidèles et sera finalement capturé et martyrisé, disent les Chrétiens, au cours de l’hiver 869/870. Il deviendra Saint-Edmond et sa sépulture (Bury Saint-Edmond) se transformera en lieu de pèlerinage.

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Comme celui de Rouen, le site de Londres se trouve au point d'équilibre entre courants et marées et les infrastructures bénéficient d'un niveau d'eau constant. D'autre part, c'est également le dernier dépôt de sédiments lourds facilitant la fixation de pieux et l'édification d'un grand pont de bois; ces deux phénomènes suffiraient à la fortune du site. A l'époque "celtique", les habitants élèvent un grand tertre artificiel (A) comme celui de Silbury (hauteur 40m). Sa vocation est religieuse mais l'arrivée des continentaux (Belges) en fera le réduit d'une ville forte. Le tertre domine un confluent de la Tamise qui engendre une étendue d'eau, un lac (B). Il donnera son nom à la ville Llyn-Din (fort du lac) puis, Londinum. L'établissement de deux digues pour chaussées (C,D) stabilisent les terrains dès l'époque romaine. Les conquérants adoptent et développent le site mais son histoire antique est incertaine. Les Romains ont sans doute tracé un programme maillé (E) indépendamment de la ville indigène (F) qui sera absorbée par le réseau des voies (G,H,J,K). Un forum traditionnel se situe en (L) et le tertre arasé est surmonté d'un grand temple (M). Avec l'insécurité du Bas-Empire la ville sera cernée de murailles (N,P,Q). Comme l'agglomération n'a pas connu de grandes destructions,l'espace défendu doit représenter 60 à 70% de la ville ouverte, soit 230 ha sur 300. Londres comptait donc 120 à 150.000 habitants au temps de la Pax Romana et 70.000 à l'Epoque Carolingienne. Cosmopolite la ville est ouverte à toutes relations. Mais puissante et intransigeante, les Wikings la respecteront


En 870, les forces danoises se rassemblent, quittent l’Est Anglie et marchent sur le Wessex au Sud de la Tamise où règne le roi Ethelred, secondé par son frère Alfred. Les contingents levés par Ethelred se portent à l’encontre des Danois mais se font surprendre et bousculer à Reading. Les Danois franchissent la Tamise et infligent aux Saxons deux nouvelles défaites à Basing et à Wilton mais le roi du Wessex reçoit des renforts, reconstitue son armée, rétablit la situation et poursuit à son tour les Danois qui sont battus par deux fois à Ashdown et

Englefield. Après ces revers, les envahisseurs tentent de franchir à nouveau la Tamise, à Reading, mais les Saxons les refoulent, ils doivent continuer leur retraite en descendant le long du fleuve. Arrivés près de Londres en 871, ils négocient leur passage sur le fleuve et, en 872, ces troupes danoises bien éprouvées rejoignent York. C’est la fin de la première période.

SECONDE PERIODE 873/879

En 873, les Danois se sont fermement implantés dans l’Est Anglie et dans le royaume d ‘York. Les terres conquises sont considérables et bonnes, une période d’exploitation avec accueil des colons venus du Danemark doit suivre. Pour les combattants c’est l’heure de ranger les armes, de prendre la pioche et la charrue et d’exploiter les terres conquises. Cependant certains s ‘y refusent et rêvent d’une nouvelle aventure notamment de venger la défaite de Nottingham. En 873, la majeure partie de la Grande Armée conduite par Guthrum et Halfdan quitte York et marche vers le Sud. Ces troupes avancent rapidement le long de la Trent, bousculent plusieurs contingents adverses et atteignent Repton résidence du roi de Mercie, Burgred. Le palais et les forces qui s’y sont repliées sont investis et le siège commence. La mobilisation saxonne qui avait sauvé Nottingham en 868 ne se renouvellera pas et l’année suivante, en 874, Burgred abandonne la place qui se rend peu après. Le roi s’enfuit à Rome et ne fera aucune tentative pour reprendre son trône.

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La grande armée débarque dans l'Est Anglie en 865. Le roi Edmond a 15 ans. En 866, avec des chevaux acquis sur place, les Danois marchent vers le Nord et conquièrent York. Une contre attaque des Northumbriens échoue. En 867, les Danois se dirigent vers le Sud et attaquent Nottingham, un gros bourg défendant un pont sur la Trent. Des forces saxonnes interviennent. Les assaillants sont défaits et rejoignent York en 868. En 869, Edmond lève une armée afin de protéger les chrétiens contre les païens danois, mais une puissante force venue de York intervient. Le roi est battu à Thetford, il se replie et sera finalement tué à Hoxne en l'hiver 870. Il deviendra Saint-Edmond. Au printemps 870, la force danoise marche sur Reading, traverse la Tamise puis se dirige vers la Cornouailles. Elle gagne les batailles de Basing et de Wilton puis se fait refouler sur Reading, après deux défaites subies, à Ashdown et Anglefield. La grande armée ne peut rejoindre le nord de la Tamise et doit gagner la région de Londres en 871. Là elle négocie son passage et rejoint York en 872.


La Mercie pratiquement soumise les Danois se séparent. Halfdan retourne avec ses hommes vers York d’où il va lancer des opérations vers le Nord afin de dégager les terres conquises des incursions adverses. De son côté, Guthrum se lance dans une nouvelle opération vers le Sud à l’encontre des Saxons du Wessex, cependant le souvenir des difficultés et défaites précédentes l’incitent à la prudence. Il se refuse à aborder son adversaire directement et entame un vaste périple où il évitera soigneusement d’aborder Winchester, fief et capitale d’Alfred, qui vient de succéder à son frère Ethelred.

La troupe danoise partie de Repton en 874 gagne d’abord Cambridge où elle hiverne. En 875, elle rejoint le cours de la Tamise, évite de la franchir puis se dirige vers les terres celtiques de la région de Bath. De là, elle oblique vers le Sud et atteint les côtes de la Manche, à Wareham, où elle hiverne à nouveau. En 878, les Danois pénètrent en Cornouailles, saccagent Exeter puis remontent vers Gloucester faisant mine de rejoindre les terres du Nord. Arrivés à proximité de Gloucester ils font demi-tour et se dirigent à marche forcée vers Winchester afin de surprendre Alfred. Ce dernier qui vient de coiffer la couronne se porte à la rencontre des assaillants en toute hâte et rassemble des contingents en cours de route. Il affronte ses adversaires près de Chippenham mais ses forces n’ont ni le nombre ni la cohésion voulue. Il se fait battre et doit se réfugier dans les marais du Somerset. Sa situation devient critique mais il fait appel à de bons combattants, reconstitue une force homogène et surprend les Danois en marche vers Winchester. L’engagement eut lieu à l’automne 878, près d’Eddington. Les Danois se font battre et refluent en désordre sur leur camp de Chippenham où les survivants sont assiégés par Alfred. L’hiver 878/879 se passe sans qu’ils ne reçoivent les renforts espérés. Une flotte partie de la Frise fin 878 pour leur venir en aide sera anéantie par la tempête face à l’estuaire de la Tamise et les survivants qui tenteront de débarquer seront malmenés par les riverains du Kent. Au printemps 879, Guthrum qui se sent lâché par les siens comme par le destin doit capituler.

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En 873, les Danois attaquent la ville royale de Repton. Après 8 mois de siège, la place se rend et le roi Burgred s'enfuit à Rome. En 874, la Grande Armée reconstituée occupe Cambridge. En 875, elle gagne la Tamise et entame un vaste périple tout en évitant le Wessex. En 876, les Danois sont à Varcham, en 877 à Exeter et en 878 ils ont rejoint Gloucester et de là marchent sur Winchester. Le roi Alfred qui a succédé à son frère Ethelred rassemble une force en toute hâte, affronte ses adversaires près de Chippenham, se fait battre et doit se réfugier dans les marais du Somerset. Les Danois dressent leur camp à Chippenham. Fin 878, Alfred qui a reçu des renforts écrase ses adversaires à Eddington puis assiège les rescapés dans leur camp de Chippenham. Après l'échec d'une force d'intervention sur la Tamise, début 879, les Danois acceptent de se replier puis d'évacuer la Grande Armée.


En 14 années, les Danois débarqués en Grande Bretagne ont conquis l’Est Anglie, le royaume d’York et une bonne part de la Mercie, ce qui représente une superficie supérieure à la presqu’île de Jutland mais ils sont en nombre insuffisant pour maîtriser ce vaste territoire. Les peuplades du Nord demeurent agressives, les Celtiques absorbés dans leur conquête n’acceptent pas plus les Danois que les Saxons et ces derniers, bien installés au Sud de la Tamise sont maintenant sous le sceptre d’un grand roi et tout disposés à reconquérir les terres situées au Nord du fleuve qui sont traditionnellement les leurs depuis trois siècles. Ainsi l’accord de paix intervenu après la reddition du camp de Chippenham sous-entend que les Danois renoncent désormais à toute agressivité et les deux partis ont donc tout intérêt à chasser de l’île les va-t-en guerres et les aventuriers de vocation, soit une bonne moitié de la Grande Armée.

Guthrum doit quitter la Grande Bretagne avec l’ensemble de ses forces, ce qu’il fera après un détour par l’Est Anglie. Fin mars 879, ce sont 2 à 3.000 combattants vaincus et meurtris qui quittent la Grande Bretagne par l’estuaire de la Tamise et gagnent l’île de Walcheren où ils débarquent le 12 avril 879. Une période d’une extrême violence s ‘ouvre alors pour les régions septentrionales.

879/884 LE TEMPS DE L’EXTREME VIOLENCE

Les capitaines de Walcheren voient dans ces combattants à pied, dont certains sont bons cavaliers, un complément idéal pour leurs incursions profondes. Mais avant toute opération d’envergure, il faut réorganiser cette troupe de vaincus. Les hommes sont embarqués sur des navires et déposés sur les côtes du Pas de Calais, dans la région de Boulogne. Sitôt à terre, ils commencent leurs exactions, parcourent les exploitations rurales de l’arrière pays, se procurent des montures, reconstituent leur cavalerie et pour se faire la main marchent sur Therouanne.

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En 872, la Grande Armée avait atteint ses objectifs, conquis la partie occidentale des Iles Britanniques et permis l'installation de nombreux colons. Tous les combattants devaient ranger leurs armes et prendre la pioche et la charrue, ce ne fut pas le cas. Guthrun, chef ambitieux, entraîne les plus agressifs dans une seconde campagne qui s'achèvera par leur capitulation à Chippenham. Les bandes de Guthrun doivent quitter l'île c'est donc 2 à 3.000 hommes de mauvais aloi qui débarquent à Walcheren en 879. Ils rencontrent là de petits roitelets des mers, sans crédit, et le mélange sera redoutable. Eté 879, les bateaux débarquent des contingents d'hommes à pied dans la région de Calais, Boulogne où ils se procurent des chevaux et rejoignent la flotte sur l'Escaut après avoir attaqué Thérouanne et détruit Cassel. En 880, ces bandes assaillent et détruisent Gand, en 881, elles remontent la vallée de l'Escaut attaquent Tournai, saccagent Condé sur Escaut et poussent jusqu'à Cambrai. Dans les années qui suivent, des bandes d'hommes à pied, fortes de 1 à 2.000 hommes, lancent des incursions profondes; ils atteignent Laon, Reims et Epernay en 882, Corbie et Amiens en 883 et Noyon en 884. Durant ce temps, les Vikings de Walcheren remontent la Meuse, attaquent Tongre, Maastricht et Liège puis ils débarquent une troupe à pied qui atteint Aix-la-Chapelle, Stavelot et détruit les abbayes de Malmédy et de Prum (883). Voyant le bon temps des pillages revenu, des flottes vikings arrivées du Danemark remontent le Rhin. En 881 elles attaquent Cologne et Bonn, en 882 elles sont à Coblence et à Trêves puis abordent Metz. Cependant Charles le Gros longe le Rhin à la tête d'une armée et le 30 avril 882 attaque la base viking d'Elsloo. Une bonne part des Danois se rend et accepte de rejoindre Walcheren. De 881 à 884, une flotte viking installée à Saint-Valéry-sur-Somme remonte la rivière, attaque Saint-Riquier en 881 et Amiens en 884. La ruine des régions concernées et la menace de l'armée impériale incitent les Scandinaves à rejoindre la Basse-Seine.


De la vaste ville ouverte de l’époque augustéenne (800 x 1500m soit 120 ha), il ne reste rien, l’essentiel de l’agglomération s’est replié sur un quadrilatère de 12 ha (400 x 300m) situé sur la partie haute mais les activités artisanales ont repris possession des rives de la Lys. La cité forte cernée de bonnes murailles résiste mais toutes les installations artisanales sont pillées et incendiées. Après ce méfait qui ne leur a guère rapporté, les Danois se dirigent vers le Mont Cassel.

Primitivement oppidum de la peuplade des Menapii, le Mont Casse! sera, dès l’époque augustéenne, un carrefour routier important avec cinq voies divergentes. Cependant les aménagements routiers se raccordent à la base du Mont et engendrent une nouvelle agglomération tandis que l’occupation haute prend le nom de Castellum Menapiorum. Le site reçoit une enceinte qui servira de refuge au Bas Empire et sera réaménagé en conséquence. Cette position est de nature à résister à la bande scandinave mais la partie basse de l’agglomération sera saccagée et brûlée. Ensuite, la troupe se dirige vers le cours de 1 ‘Escaut où elle est prise en charge par une flottille viking. Ces derniers sont satisfaits de leurs recrues et la combinaison des deux forces doit décupler l’étendue des régions mises à sac.

LA VALLEE DE L’ESCAUT

En empruntant le cours de l’Escaut, les navires scandinaves sont passés à proximité de Gent, installée sur un méandre de la Lys à 1500m du confluent des deux rivières. La ville leur a semblé une bonne proie, ce sera leur objectif de l’année 880. A cette époque l’agglomération est en formation et n’occupe qu’une partie de l’île délimitée par le méandre de la Lys tandis que des levées de terre destinées à la protéger des attaques et des crues cernent la partie centrale la plus urbanisée. Ces 30 à 40 ha reçoivent une population de 10 à 15.000 habitants bien décidés à se défendre. La ville soutient le siège mais tombe finalement en fin de saison. Elle subira le sort coutumier, le butin rejoint Walcheren avec une partie des troupes à pied qui doivent assister une autre flotte viking agissant sur la Meuse.

En 881, la force scandinave de l’Escaut remonte une nouvelle fois le fleuve et attaque Tournai. Là également il ne reste rien de la grande ville ouverte de l’époque augustéenne et le périmètre de repli du Bas-Empire, soit 14 ha environ, est bien identifiable sur le plan urbain mais nous n’avons pas trace de la traditionnelle muraille. S’agissait-il d’un mur léger disparu sans laisser de traces? C’est probable. L’hypothèse d’une défense en levée de terre a également été envisagée. En tout état de cause, la cité ne pouvait résister longtemps. Les Scandinaves disposent maintenant d’une troupe de fantassins qui demeurent sur place une saison entière et forcent les agglomérations à la reddition.

Fin 881, une troupe danoise remonte le fleuve au-delà de Tournai, ravage la petite cité ouverte de Condé sur Escaut puis aborde Cambrai, une autre ancienne grande cité romaine. Là encore les fantassins scandinaves pillent et brûlent les installations artisanales établies le long du fleuve puis investissent la cité du Bas-Empire, qui doit se rendre après quelques mois de résistance. Cambrai semble le point extrême abordé par les bateaux scandinaves et la ville ruinée devient la base des opérations en profondeur menées par des troupes à pied assistées sans doute par une faction des équipages. La bande ainsi formée à partir de Cambrai doit compter 2 à 3.000 hommes environ.

Au printemps 882, cette colonne part à pied vers le Sud, atteint Laon saccage sans difficulté la butte Saint-Vincent faiblement occupée. La partie occidentale de l’Acropole doit subir le même sort. Par contre, sur la partie orientale transformée en réduit depuis le Bas-Empire et dont les abords escarpés sont facilement défendables, la résistance s’organise. Avec le renfort des fugitifs chassés des autres lieux, la densité de défenseurs au mètre linéaire devient satisfaisante. Cet échec relatif incite la bande scandinave à continuer vers Reims qui sera atteint au début de l’été.

L’illustre métropole des Gaules, ruinée au Bas-Empire, a vu sa population se replier derrière une puissante enceinte elliptique. Cette cité forte a les moyens de se défendre mais le bourg Saint-Rémi, reconstruit de manière ouverte, sera dévasté par la bande scandinave. Après ce méfait elle reprend sa route vers le Sud et, en fin de saison, atteint Epernay. La ville qui a pris naissance à l’époque des Antonins à proximité du pont romain sur la Marne, fut détruite en 250/275 mais l’agglomération se reconstitue rapidement dans une île formée par les deux bras d’un petit affluent. En 882, c’est sans doute une grosse bourgade ouverte, majoritairement construite en bois et torchis, comptant de 3 à 5.000 habitants qui subit le triste sort des agglomérations abordées. Ensuite, la bande scandinave rebrousse chemin et rejoint Cambrai.

En 883, une bande de même importance quitte à nouveau Cambrai, franchit les collines de l’Escaut et se dirige vers la Somme qu’elle atteint au niveau de Péronne. C’est alors une bourgade de 2 à 3.000 habitants établie sur une légère éminence dominant le confluent de la rivière avec un petit affluent. L’agglomération s’est surtout développée autour de la fondation de Saint-Fursy un moine irlandais disciple de Saint-Brandan mort et enterré en ce lieu vers 649/650. Péronne sera pillée et brêlée selon la triste coutume. Ensuite, la bande descend la rivière et aborde la grande abbaye de Corbie à laquelle la période carolingienne a donné faste et richesses. La population du confluent de la Somme et de l’Ancre s’est sans doute réfugiée derrière l’ensemble clos de l’abbaye défense dérisoire pour s’opposer à la horde scandinave. L’abbaye subit des ravages considérables.

La saison s’avance. Les Scandinaves entendent parler d’une grande ville toute proche, Amiens. Elle sera abordée en fin de circuit et ce sont les installations ouvertes du quartier Saint-Leu qui auront le plus à souffrir mais la cité forte résiste et les assaillants rebroussent chemin pour aller hiverner dans la région de Cambrai.

En 884, ils se dirigent à nouveau vers Péronne, remontent la rivière puis lancent une opération sur Noyon. Là encore, la ville forte du Bas—Empire accueille les réfugiés des faubourgs, ferme ses portes et résiste mais les établissements situés hors les murs sont la proie des flammes. Fin 884, les Scandinaves rejoignent Cambrai, les vallées de l’Escaut et de la Somme totalement ruinées n’ont plus rien à leur offrir ils vont bientôt rejoindre l’île de Walcheren.

LA VALLEE DE LA MEUSE

La troupe à pied, avec unité de cavalerie, engagée en expédition profonde est une formule qui séduit les Vikings et les 500 à 800 hommes rapatriés sur Walcheren en 881 vont constituer le noyau d’une seconde unité auxiliaire qui sera engagée sur la Meuse. En cette année 881, une cinquantaine de voiles remonte le fleuve. La troupe attaque Maastricht où elle brêle les installations portuaires. Ensuite, cette unité scandinave aborde Liège. C’est alors une agglomération en formation dont l’essentiel des activités artisanales et commerçantes se trouve concentré sur une île du méandre aujourd’hui liée à la terre ferme. Ces installations sont pillées mais sans doute sauvegardées puisqu’elles serviront de base aux Vikings tandis que les troupes à pied partiront en expédition sur la rive Est du fleuve.

Une troupe de 1000 à 1500 hommes, avec cavalerie, s’engage dans le Massif des Hautes Faignes aux confins du Eifel avec, pour objectif, les illustres abbayes de Stavelot et de Malmédy. Toutes deux seront pillées puis serviront de cantonnement d’hiver à ces troupes à pied. De leur côté, les navires emportent le butin dans un camp de base situé à Elsloo, au Nord de Maastricht. Sur cette base, les chefs de bande ont pu reconstituer, avec de nouveaux arrivants encadrés par des vétérans, une seconde colonne d’intervention forte 1000 à 1500 hommes. Elle quitte les rives de la Meuse en mars 882 et se dirige vers le palais d’Aix la Chapelle que l’on dit défendu par une puissante garnison. C’est loin de la vérité, la plupart des serviteurs et fonctionnaires ont quitté les lieux et le Comte carolingien en charge du palais tente de maintenir l’intégrité de l’ensemble mais ses moyens sont bien faibles. Les quelques centaines d’hommes qui lui restent manquent de motivation et, après quelques engagements, ils abandonnent la place aux bandes scandinaves qui saccagent les lieux tandis que la chapelle palatine, profanée, sert d’écurie. Dès l’été 882, les troupes engagées dans l’arrière pays apprennent la reddition de la base d‘Elsloo devant la puissante force impériale et l’inquiétude s’installe chez les Scandinaves. Dès la fin de l’été, la majorité des contingents rejoint la Meuse à la hauteur de Liège, leur base d’opération.

Les textes mentionnent une action menée sur l’abbaye de Prüm. Est-elle effectuée dans la foulée en 882 ou bien s’agit-il d’une opération destinée à ramener des provisions sur la base de Liège et réalisée à la fin de l’été 883 ? Cette dernière hypothèse semble plus satisfaisante. Les Scandinaves en action sur la Meuse apprendront assez vite la démobilisation de la force impériale mais l’inquiétude demeure et cette région relativement pauvre n’a plus rien à leur offrir. Fin 884,1 ‘ensemble de ces forces rejoint l’île de Walcheren et s ‘apprête à descendre sur la Basse-Seine.

879/885 LA VALLEE DU RHIN

Le produit des pillages realisés par ces bandes armées est très divers, Il y a d’abord le consommable, denrées alimentaires, vêtements, bétail sur pied, autant de produits qui seront utilisés sur place durant la période hivernale. Ensuite il y a le numéraire carolingien de valeur reconnue et utilisé en tout lieu. Enfin, ces pillages rapportent des objets de valeur en orfévrerie que seuls nobles et grands bourgeois sont en mesure d’acquérir. Ils seront négociés sur des places de commerce comme Utrecht et Dorestade auprès de marchands venus de Scandinavie. Walcheren demeure un lieu mal famé et de mauvaise réputation. D’autre part, fondre ces objets comme certains l’ont sans doute pratiqué est la plus mauvaise solution.

Ce commerce va aiguiser des appétits parmi de nombreux Danois restés au pays et des navires montés par des aventuriers en arme arrivent dès 881 dans les îles de la Frise. Pas question pour eux d’aborder les cours de la Mense et de l’Escaut considérés comme chasse gardée, ils vont donc s’engager sur le cours du Rhin dès le printemps 881. Les premiers arrivés sont en petit nombre, de 30 à 50 voiles, ils remontent le grand fleuve et attaquent Cologne. La cité toujours ceinte de ses puissantes défenses Bas — Empire est de taille à résister mais les faubourgs Nord et Sud seront saccagés et brûlés. Ensuite, la flottille reprend sa navigation sur le fleuve et aborde à Bönn. A cette époque une part de la ville est toujours confinée dans l’espace de l’ancien camp militaire romain mais la cité vit de ses transactions portuaires et ce sont ces installations qui subiront les assauts vikings.

La saison 881 s’avance et les Scandinaves lancent une reconnaissance vers le Sud afin de préparer les opérations de l’année suivante. Arrivés à la hauteur de Coblence, ils rencontrent quelques bateaux et soldats carolingiens. Les fantassins doivent se replier dans la citadelle et les embarcations manoeuvrent sur le Rhin pour éviter l’adversaire. Les Scandinaves ne s’inquiètent pas outre mesure, ils ignorent qu’ils viennent de réveiller les angoisses et les susceptibilités d’un potentat, l’empereur Charles le Gros. L’homme se soucie fort peu de la sécurité de ses sujets mais n’entend pas être menacé dans les palais où il a ses aises et ses plaisirs. L’arrivée des Scandinaves à une centaine de kilomètres de ses demeures coutumières l’inquiète. Il fait appel à ses Comtes qui doivent lui dépêcher des contingents importants pour l’année suivante.

Au mois de mars 882, une flotte d’une centaine de voiles remonte à nouveau le Rhin. Arrivée à la hauteur de Coblence, elle rencontre quelques forces impériales qui s’empressent de se replier sur la citadelle. Les Scandinaves prennent confiance, débarquent et saccagent les installations portuaires du confluent mais des reconnaissances rapides menées en amont sur le Rhin, vers le castrum de Bopard, leur signalent d’autres contingents en mouvement sur les berges du fleuve. Comme ils craignent les eaux tumultueuses du défilé, ils abandonnent leur projet initial, évitent le Rhin et s’engagent sur la Moselic.

Après avoir saccagé de petites localités sur les méandres du fleuve, le 5 avril, la flottille et ses auxiliaires à pied aborde l’ancienne cité impériale de Trêves. La ville qui n’est plus que l’ombre d’elle même a perdu les 4/5 de sa population et les 10 à 15.000 habitants restant sont trop peu nombreux pour défendre la grande muraille constantinienne. L’occupation bourgeoise s ‘est repliée sur un espace réduit situé autour de la cathédrale et mal défendu par un mur léger tandis que les artisans et commerçants dont les activités sont liées au trafic fluvial se sont concentrés sur les berges, en amont et en aval du pont. Ces deux parties de l’agglomération seront pillées et brûlées et le butin entassé sur les bateaux. La flottille s’engage à nouveau sur la Moselle vers une autre ville que l’on dit grande et opulente chez les Scandinaves, Metz. C’est à cette époque qu ‘ils apprennent la défaite infligée à leurs compagnons sur les rives de la Meuse.

LA FORCE IMPERIALE

Angoissé, l’Empereur attend les forces que ses Comtes lui ont promises. Bavarois et Alamands forment un gros contingent venu de Rétie, ils ont même été rejoints par des Lombards qui ont franchi les Alpes à la fin de l’automne. Dès le début mars, tous se sont rassemblés dans les environs de Bâle et entreprennent de marcher vers le Nord, en longeant le Rhin. Dans la zone palatine, l’Empereur a motivé non sans difficulté une bonne partie de ses gardes à laquelle se sont joints des volontaires franconiens. La cause est bonne et l’Eglise encourage bon nombre de petits nobliaux à s’engager dans l’opération. Une fois regroupés dans la région de Mayence, ces contingents s’engagent dans le défilé du Rhin, passent à Coblence peu après le sac des quartiers du confluent et se fixent pour quelques jours à Andernach, à 20km en aval de Bingen. Là ils attendent des renforts germaniques venus de Saxe et de Westphalie. La force ainsi rassemblée est considérable nous disent les chroniqueurs sans doute de 8 à 12.000 hommes.

L’Empereur comptait intercepter une flottille scandinave descendant vers le Sud mais l’adversaire recherché est déjà sur les rives de la Moselle, loin vers le Sud. Alors Charles le Gros reçoit des informations sur la présence d’un grand camp adverse à Elsloo, ce sera l’objectif. L’armée longe le fleuve jusqu’à Bonn et au-delà, pour rejoindre la voie romaine Cologne-Maastricht et, en moins d’une semaine elle a franchi les 120 à 130km qui la séparaient de la vallée de la Meuse. Il lui suffit alors de parcourir une vingtaine de kilomètres pour surprendre les occupants du grand camp viking. Si celui—ci se trouvait sur les terres basses du second méandre, comme il pouvait convenir à l’humeur de marins danois, ces derniers se trouvent acculés au fleuve en un temps où les bateaux et les équipages sont en opération. Pour ces 2 à 3.000 Danois confrontés à une armée de 12.000 hommes bien motivés, la situation est sans espoir, mais l’issue de l’affrontement sera lamentable. L’Empereur s’oppose à ses troupes pressées d’en découdre et offre aux Scandinaves 2.000 livres d’argent (2.080 ou 2.412 selon les

textes) pour acheter leur départ à condition toutefois que leur chef Gottfried se convertisse au christianisme. Bien sûr ce dernier accepte cette offre généreuse, heureux de s‘en tirer à si bon compte.

On se perd en conjonctures sur les raisons d’un tel comportement de la part du dernier des Carolingiens. Différentes explications peuvent être envisagées. En aucun cas la lâcheté de Charles le Gros ne peut être invoquée, il n’aurait pas participé directement à l’action et sa garde: personnelle l’aurait protégé dans sa fuite en cas de revers. Un manque de motivation parmi les troupes est encore une hypothèse peu plausible. Mis a part le faible pourcentage des gardes impériaux et des hommes d’arme liés directement aux Comtes, la majorité des combattants étaient des volontaires ceux-là même qui, neuf années plus tard, vont sous les ordres du Comte Arnulf imposer une sanglante défaite aux Scandinaves sur le cours de la Dyle. L’explication est sans doute plus subtile.

Les Carolingiens sont déconsidérés et l’Eglise les maintient au pouvoir à grand peine pour éviter une décomposition des Etats. De très nombreux chefs locaux ne cachent pas leur aversion pour l’Empereur et leur ambition pour le futur mais, tous se jalousent et aucun d’entre eux n’ose franchir le “Rubicon”. L’Empereur le sait et joue sur ce phénomène pour sauvegarder son pouvoir. Si un chef énergique s’était distingué dans une grande bataille gagnée à Elsloo l’homme aurait fait figure de prétendant aux yeux de la petite noblesse et des combattants et cela au détriment de l’Empereur demeuré spectateur dans l’affrontement. C’est ce risque qui va pousser Charles le Gros à transiger. Il ignore que ce geste provoque une amorce de rupture entre la couronne et les évêchés et ce phénomène, accentué au siège de Paris, aboutira à la déposition de Tribur, cinq ans plus tard.

Cette opération manquée eut pourtant quelques effets positifs. Les Scandinaves en opération sur les vallées de la Meuse et du Rhin sont impressionnés par cette démonstration de force et les campagnes sur ces deux fleuves vont cesser dès la fin 882. La bande qui avait saccagé Trèves atteindra Metz mais avec une certaine inquiétude, l’armée impériale pouvait les arrêter sur la Moselle et leur imposer l’humiliation ou pire encore. Ils ignoraient que Charles le Gros avait démobilisé l’ensemble de ses contingents.

Sur cette période, les Vikings avaient ouvert un quatrième front de moindre importance. Une flotte mouillée à Saint—Valéry sur Somme, dès 880, va saccager les agglomérations bordant la rivière et, en 881, attaquer et piller la grande abbaye Saint-Riquier à Cantula en Ponthieu. En 884, ils attaquent les faubourgs Ouest d’Amiens et ce sont les installations ouvertes du quartier Saint-Leu qui auront le plus à souffrir de ces exactions.

CAMPAGNE SUR LE BASSIN DE LA SEINE

Au cours de l’hiver 884/885, la majorité des équipages et des bandes armées se retrouve à Walcheren et pour tout ces aventuriers, c’est le temps de la réflexion. Les combattants issus de la Grande Armée ont vieilli et l’esprit a bien changé. Parmi les hommes volontaires et disciplinés des premières années, bon nombre se sont fixés, d’autres ont péri et les plus aventureux rejetés par leurs compagnons en 879 sont partis pour le continent. Au contact des Vikings, ils sont devenus de véritables pillards mais après quatre années de saccages et de meurtres gratuits, ils constatent que le butin se fait rare et que les défenses s’organisent. L’intervention d’une puissante armée germanique a fait réfléchir les plus audacieux. Alors nombreux sont ceux qui pensent à se ranger après une dernière et fructueuse opération mais où aller? A Walcheren relâchent également des bateaux venus de la Basse-Seine et les équipages évoquent le fameux barrage établi à Pont de l’Arche, bien mal gardé depuis la mort de Charles le chauve, en 877. Au-delà s’ouvrent les provinces d’Ile de France qui semblent regorger de richesses, ainsi, peu à peu la décision s’impose, tout ce que Walcheren compte d’aventuriers et de pillards insatiables s’apprête à rejoindre la Basse-Seine.

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Le site de Rouen se trouve au point d'équilibre entre courants et marées, c'est également le lieu des ultimes dépôts de marne amenés par le fleuve et c'est un sol favorable pour les pieux des grands ponts de bois du siècle d'Auguste. Il y eut sans doute deux franchissements (A,B) comme à Paris. Le franchissement (A) venant d'Amiens et menant à Lisieux croise ici, la voie stratégique longeant le fleuve de Paris à Lillebonne (C) et ce carrefour va justifier la naissance d'une nouvelle agglomération distincte des établissements gaulois sans doute établis en (D,E,F). La zone amont sera celle de la batellerie (G), celle aval des navires de mer (H). L'urbanisation maillée (J,K) doit se faire mais sans programme d'ensemble. Cette ville ouverte sera détruite en 250/275 et la population se replie sur un périmètre fortifié (L) contrôlant les franchissements (A,B). Les Wikings vont piller et brûler les faubourgs (G,H) puis contrôler la navigation sur le fleuve, obligeant ainsi la cité forte à se rendre.


Les déplacements commencent au printemps 885 mais les bateaux sont en nombre insuffisants et l’opération trame en longueur. Arrivés sur place, ces aventuriers constatent également que l’accueil n’est pas très favorable. Les commerçants scandinaves déjà installés à Rouen n’apprécient guère une reprise des hostilités et les tenants de la colonisation verraient bien ces nouveaux venus participer â l’expansion et à la mise en valeur des conquêtes territoriales, mais ce n ‘est pas l’humeur des arrivants.

Au cours de l’été 885, la majorité des aventuriers est à pied d’oeuvre sur le méandre de la Seine précédant Pont de l’Arche. L’île de Jeufosse déjà occupée servira de base et les préparatifs de l’assaut sur le pont fortifié commencent. L ouvrage est imposant. Décomposé en deux par l’île centrale il est constitué de tours de bois implantées dans le ht de la Seine et reliées par des sections de ponts supportées par des piles. Des pieux plantés dans la marne et affûtés dans leur partie émergée empêchent tout passage d’embarcation. Sur l’île, la défense est traditionnelle avec levée de terre précédée d’un fossé et une courtine en palissade flanquée de tours de bois. Les 2 à 3.000 hommes chargés de défendre l’ouvrage sont casernés dans un grand camp lui aussi cerné de levées de terre et de palissades.

Depuis bientôt 20 ans, le barrage fait son office. Cependant, les hommes de la garnison maintes fois relevés se sont installés dans le confort et ont perdu toute motivation. Le phénomène s’est particulièrement accentué depuis la mort de Charles le Chauve et le payement très irrégulier des soldes. D’autre part, l’ensemble du dispositif sous-entend que l’assaillant vient du fleuve et que les troupes carolingiennes tiennent solidement les berges. Ce n’est plus le cas, la garnison est en nombre insuffisant pour contrôler les abords sur un large front. De leur côté, les assaillants disposent maintenant d’une troupe de fantassins qui, débarquée, va contourner l’ouvrage et l’investir totalement. En amont, des embarcations chargées de fagots enflammés sont confiées au courant et jetées sur l’ouvrage qui bientôt s’enflamme. Dès qu’une partie suffisante est consumée, les bateaux s’approchent, dégagent ce qui subsiste des pieux et la flotte franchit l’obstacle.

Fin août début septembre, l’ensemble des forces scandinaves part en campagne avec des embarcations très diverses. Peu de navires de mer et beaucoup de petits bateaux récupérés près de Rouen. Un bon tiers des effectifs choisit de remonter l’Eure tandis que la majorité s’engage sur la Seine avec l’intention de forcer Paris mais tous s’attardent en chemin, attaquent et pillent de nombreuses petites localités ce qui leur fait perdre tout effet de surprise sur les objectifs principaux. La troupe engagée sur l’Eure arrive devant Chartres mais la ville est bien défendue et les assaillants sont trop peu nombreux pour entamer un siège. Ils décident alors de rejoindre leurs compagnons engagés sur la Seine.

LE SIEGE DE PARIS

Le 24 novembre 885, la force scandinave se présente devant Paris. Avertie depuis quelques mois, la ville s’est mise en état de défense. La maigre population qui s’est réinstallée dans les faubourgs se replie dans l’île de la Cité, les moines des abbayes de Saint-Germain, de Sainte-Geneviève, de Saint-Séverin et de Saint-Marcel en font autant avec leurs reliques, seul Saint-Germain-des-Prés, alors entouré d’une défense et d’un important fossé, se transforme en redoute et se prépare au combat. D ‘autre part, une petite île aval qui sert de débarcadère aux bateliers a reçu un puissant bastion en bois afin que les assaillants n’utilisent pas cette langue de terre comme base d’assaut.

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Le siège de Paris par les Normands vu par Robida


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Le siège de Paris par les Normands vu par Robida


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Le siège de Paris par les Normands vu par Robida


L’évêque Gozlin est le maître de la ville, il est assisté dans sa charge par le comte Eudes qui commande la garnison. En préliminaire, les Normands demandent le passage mais leur démarche ne trompe personne, Gozlin et Eudes refusent et les combats s’engagent. Une chronique rédigée à l’abbaye de Saint-Germain fait état de 800 navires et de 40.000 Vikings face à Paris. Ces chiffres sont parfaitement irréalistes. Une centaine de drakkars et le double de petites embarcations auxiliaires nous semble un maximum, quant au nombre des combattants, 6 à 10.000 nous paraît un chiffre raisonnable. De leur côté, les Parisiens repliés dans les 12 ha de la Cité sont au nombre de 8 à 9.000. Cette population peut porter sur les 1.600 mètres de courtines 2.500 combattants auxquels il faut ajouter les soldats des contingents de Eudes, quelques centaines au mieux mais, dans les situations désespérées, les adolescents et même des femmes viennent renforcer les défenses ce qui peut porter à 3.000/3.500 les combattants répartis sur les 1.600m de courtines. C’est une densité suffisante, d’autre part la présence de soldats bien motivés pour encadrer la population se révèle souvent essentielle.

LES ASSAUTS MENES PAR LES VIKINGS

La redoute aval doit résister et faire son office puisque les assaillants tentent l’assaut par le pont Nord où toutes les tentatives vont échouer. Le 6 février, une grande crue de la Seine charrie des bois divers ainsi que de petites embarcations abandonnées en amont et tous ces objets flottants vont s’amonceler contre les piles doubles du pont Sud. Sous la pression du courant, plusieurs d’entre elles seront emportées et les douze défenseurs de la porte sont isolés. Ils se défendront héroïquement avant de succomber.

L’effondrement d’une partie du pont dégage une brèche et, dès la fin de la crue, des drakkars franchissent l’obstacle et remontent le cours de la Seine et de l’Yonne. Ils sont en petit nombre mais les diocèses de Sens et d Auxerre, ainsi que la riche Bourgogne, jusque là épargnés grâce au verrou parisien, s’inquiètent.

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De 880 à 885, Sigfred, un chef de guerre s'est imposé, c'est lui qui emmène navires et bandés armées dans la Basse Seine. L'été 885, ils franchissent en force le barrage de Pont de l'Arche, l'incendient et remontent le fleuve. Une minorité s'engage sur l'Eure, attaque Evreux et Chartres tandis que le gros des forces gagne Paris et entame le siège de la cité, ceux de la vallée de l'Eure viendront bientôt les rejoindre. Sous la direction du Comte Eudes, Paris se défend bien. En 886, Charles le Gros intervient sans convictioon et achète le départ des Scandinaves qui vont ravager la Bourgogne: Melun, Sens et Troyes sont attaquées. D'autres bandes se sont engagées sur la Marne. Après deux années de saccage, elles quittent la province contre tribut (danegeld). La déposition de l'Empereur en 887 change la donne politique, Eudes devenu roi de Francie rassemble des volontaires et pourchasse les bandes Scandinaves. En 888, il bat une troupe viking sur l'Escaut et la même année intercepte à la hauteur de Montfaucon une bande qui vient d'attaquer Verdun. Bon nombre des hommes de Sigfred rejoignent les deltas de la Meuse et de l'Escaut mais Arnulf, nouveau roi de Germanie, massacre une importante troupe de Scandinaves sur les rives de la Dyle près de Mâlines en 891. Dès 888, une flotte viking se porte sur la Bretagne mais elle est battue sur l'estuaire de la Villaine en 890 et à Nantes en 891, dès lors, les aventuriers Scandinaves se portent à nouveau sur l'Angleterre.


Au mois de mars, Henri, un comte d’Austrasie, arrive en vue de Paris avec une troupe de cavaliers. Il réussit à dégager les rives amont du fleuve ce qui permet à des bateaux de ravitaillement d’atteindre la ville assiégée, mais ces forces sont en nombre insuffisant, les Vikings contre-attaquent et les forces d’Henri doivent se replier. C’est lui, sans doute, qui évoque la situation critique de la ville et proclame la nécessité d’intervenir. Les provinces les plus intéressées sont la Bourgogne, l’Alémanie ainsi que la Bavière. C’est là que souffle un vent de

colère dirigé contre l’Empereur Charles le Gros jugé incapable, voire dangereux, depuis son renoncement et sa lâcheté manifestés en 882, sur la Meuse.

Le 16 avril 886, l’évêque Gozlin meurt et c’est l’abbé de Saint-Germain qui assure l’intérim. Au mois de mai, le comte Eudes réussit à quitter Paris, gagne le diocèse de Sens et ramène des renforts. Les Scandinaves qui ont perdu tout espoir d’enlever la cité d’assaut comptent maintenant sur les effets du siège.

En juillet 886, les grands d’Austrasie et en premier chef les Bourguignons, se retrouvent à Metz afin de sommer l’Empereur d’intervenir et de dégager Paris. Charles le Gros s’y résout mais n’apprécie guère cette injonction venue de ses sujets. Il marche sur l’Ile de France avec une armée que les chroniqueurs disent importante puis établit son camp sur la butte Montmartre, mauvais présage pour le comportement d’un chef de guerre venu chasser les envahisseurs.

Au mois d’août, l’armée impériale lance quelques assauts sur les positions normandes mais sans aucun résultat, les négociations s’engagent. Les Scandinaves qui ont perdu confiance et voient des contingents francs se rassembler de toute part acceptent de lever le siège contre la modique somme de 700 livres d’argent. Ils obtiennent également l’accord de l’Empereur pour aller hiverner en Bourgogne. Charles se venge ainsi de l’affront qu’il a subi à Metz. Ce sera sa perte. L’année suivante, en 887, il est solennellement déposé de ses fonctions par une grande assemblée réunie à Tribur, domaine carolingien situé près de Darmstadt au Sud de Frankfort sur le Main.

La déposition de Tribur marque la fin de la dynastie carolingienne mais le vide ainsi créé va aiguiser bien des appétits. Chacune des grandes régions de l’Empire se choisit un roi à sa guise, la Francie reconnaît Eude le vaillant défenseur de Paris comme souverain. Sa couronne lui sera remise le 29 février 888, malgré l’opposition des évêques de Reims et de Langres qui soutiennent un autre prétendant: Guy de Spolète.

LE REVEIL

Il est bien délicat de donner un nom aux divers états qui vont naître du démembrement de l’Empire carolingien suite à la déposition de Charles le Gros, en 887. Les Alamands et les Bavarois présents à l’assemblée de Tribur vont choisir le plus vaillant d’entre eux: Arnulf duc de Carinthie qui se fait nommer roi de Germanie. Le personnage s’était illustré au Nord du Danube en défendant la marche d’Empire contre les incursions moraves. Son passé plaidait pour lui mais les Rhénans et les Saxons n’avaient pas donné leur avis. Pour l’heure c’était superflu, les qualités de chef de guerre du nouveau roi suffisaient. Sur les quatre années qui vont suivre, il s’impose et restaure méthodiquement la sécurité sur la vallée du Rhin, relève les défenses des grandes villes saccagées, rassemble des troupes fidèles et disciplinées et chasse tous les contingents vikings qu’il rencontre.

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Vers 833, les rois de la mer se sont installés sur les îles de la Frise. En 834, ils saccagent les faubourgs d'Utrecht puis assaillent le port de Dorestad (Durestede). La ville est définitivement occupée en 835. En 836, ils remontent l'Escaut et attaquent le port de Vilta puis celui d'Anvers. Le 17 juin 837, les Vikings abordent l'île de Walcheren et pillent le port principal (Middelburg). En 838, cette flotille de la Frise est en partie détruite dans une tempête. Dès 840, une nouvelle flotte s'installe en force à Walcheren et à Dorestad. Dans les années qui suivent ils assaillent Gand. En 850, devant le fait accompli, Lothaire concède au chef viking Roric la possession des deltas et de la province d'Utrecht. En 863, Roric marche sur Cologne mais Lothaire l'intercepte au sud de Xanten et lui impose le repli.


En 891, Arnulf et ses troupes acculent une grosse unité scandinave sur les rives de la Dyle, près de Louvain. Le combat s’engage, les rangs scandinaves sont bientôt enfoncés et les Germaniques massacrent systématiquement leurs adversaires, ceux qui tentent de s’échapper se noient dans la rivière. La chronique de Fulda nous dit que les vaincus coulèrent par centaines, par milliers tant et si bien que le cours du fleuve se couvrit de leurs cadavres et paraissait à sec. L’année suivante, en 892, les restes de la grande armée viking évacuent l’ensemble des terres continentales situées entre la Frise, diocèse d’Utrecht, et le détroit du Pas de Calais. Bon nombre de fugitifs rejoignent les possessions danoises du Nord de l’Angleterre mais d’autres longent la côte et gagnent l’estuaire de la Seine solidement occupé par leurs congénères.

LA FIN D’UN EMPIRE

Le troisième fils de Louis le Bègue qui deviendra Charles le Simple, successeur légitime de Louis III mort en 882 et de Carloman en 884, n’avait que cinq ans à cette date, c’est pour cette raison que la couronne fut confiée à Charles dit le Gros, fils de Louis le Germanique. Comme celui-ci régnait déjà sur la Germanie, la Bavière et l’Italie l’obtention de la couronne des Francs rassemblait sous son sceptre l’ensemble des terres ayant constitué l’Empire de Charlemagne. C’était de bon augure, du moins le pensait-on au sein du parti impérial. Cependant le caractère faible mais orgueilleux de ce rejeton carolingien allait engendrer la déposition de Tribur et l’éclatement définitif de l’Empire. Les conséquences politiques et militaires de cet acte seront innombrables et parfois difficiles à cerner. Les unes seront positives les autres non.

Parmi les avantages de la chute de l’Empire, citons la fin de toute légitimité pour les lourdes structures étatiques mises en place au siècle précédent. Dans les villes la charge comtale est mise en cause par les conseils bourgeois

et va disparaître peu à peu, sauf dans quelques cités qui se jugent encore menacées par les Vikings. Cependant, là où le comte demeure en place pour raison purement militaire, le droit à l’impôt lui sera progressivement dénié et c’est la ville qui en prend la charge. Ce faisant, elle finira par taxer tout aussi lourdement l’économie environnante, ce qui va la couper de sa province.

Le phénomène existait déjà dans de nombreuses villes. Paris assiégé par les Vikings demande de l’aide directement à l’Empereur, puisque nobles et cavaliers d’Ile de France n’avaient pas réagi. Dans les diocèses proches de Chartres, d’Orléans, de Sens et d’Auxerre, aucun soutien non plus à la ville qui défend seule l’intégrité du Bassin Parisien. La chape administrative carolingienne et la suffisance des comtes avaient détaché chacun du sort des autres, c’était aux soldats du roi et de l’empereur d ‘intervenir.

Cependant, si toute l’aristocratie carolingienne a perdu sa légitimité, les hommes sont restés en place et bon nombre d’entre eux vont tenter de retrouver leurs charges et prérogatives dans une structure féodale qui se développe. Face à ces appétits politiques les nouveaux rois doivent s’imposer. Si le monarque de Germanie, Arnuf de Carinthie, gagne l’estime des grands, il n’en est pas de même pour Eudes de Paris, devenu roi de France, dès 887. Pour chasser définitivement les Scandinaves, le nouveau souverain fait appel aux Comtes du Nord mais il n’obtient que peu de ralliements. Tous ces personnages dont les titres et charges remontent à Louis le Pieux, voire Charlemagne, lui reprochent de tenir son rang de son père Robert le Fort, fils d’un bourgeois de Dreux signe d’indignité à leurs yeux.

Eudes rassemble malgré tout une petite troupe composée de volontaires issus de la caste équestre et lance des opérations contre toutes les bandes vikings reconnues. Il concentre la majorité de ses moyens sur la vallée de la Meuse, deuxième grande voie de pénétration après le Rhin. En juin 888, il bat une puissante bande scandinave à Montfaucon en Argone. Les comtes Baudouin de Flandres et Herber de Vermandois reconnaissent alors son autorité militaire tout en contestant sa couronne, par contre, Guillon le Pieux, duc d ‘Aquitaine, ainsi que le duc de Bretagne lui contestent catégoriquement toute autorité.

En 893, Foulques, archevêque de Reims et promoteur du parti d’Austrasie ne désarme pas. Il fait couronner en sa cathédrale le carolingien Charles III dit le Simple qui fut élevé à la cour de Renoux, comte de Poitiers. Ce roi de Reims reçoit diverses dotations dont la puissante place forte de Laon. Les moyens dont il dispose lui permettent d’affronter Eudes en différentes petites batailles au résultat incertain mais, en 897, le roi de Paris bat définitivement Charles le Simple qui se réfugie dans la citadelle de Laon avant de gagner la Germanie où il est accueilli par Arnuf. Ce dernier veut bien le reconnaître roi de Francie en échange de sa suzeraineté. La situation devient critique pour Eudes qui doit transiger. Il conserve sa couronne et accorde à Charles le droit à sa succession. Ces basses intrigues des derniers carolingiens servent grandement les intérêts des Scandinaves qui renforcent leurs positions dans la Basse-Seine.

LA NORMANDIE

En Basse-Seine, Rouen qui a vu ses faubourgs brûler en 841 succombe en 845 devant la puissante flotte de Ragnar (120 drakkars). Sur les dix années qui suivent les grandes expéditions menées par les rois de la mer se dirigent vers le littoral atlantique, attaquent l’Aquitaine, le Portugal, la vallée du Guadalquivir et finalement pénètrent en Méditerranée. Ces vastes opérations laissent tout loisir aux petits groupes scandinaves établis sur les côtes de la Manche de pénétrer les terres du littoral. Leur progression, lente et méthodique, se fait à l’aide de petites embarcations fabriquées sur place. Les équipages remontent la Risle, la Dive, l’Orne et la Vire en multipliant les installations et les points d’appui. Ils ont pris des chevaux et constitué de petites unités de cavalerie afin d’étendre leurs actions aux terres de l’intérieur. Le caractère celtique des populations concernées empêche l’émergence d’une caste équestre susceptible de lever et d’encadrer des hommes en armes; les Scandinaves ne rencontrent que peu d’opposition.

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Situé sur le cours de l'Iton, le site d'Evreux est une agglomération gauloise de la peuplade des Aulerques. La configuration du terrain est peu favorable à une urbanisation rationnelle mais l'aménagement se fera au fil de la vallée avec thermes et amphithéâtre. Cette ville ouverte, Mediolanum Aulercorum sera, comme tant d'autres, détruite en 250/275 et la population se repliera derrière l'enceinte Bas-Empire (A) de 200 x 300 m2, respectant les coordonnées du maillage antique (B,C,D,E). Un réduit comtal (F) occupe l'angle nord/est tandis que l'ensemble religieux (G) se trouve au sud/ouest. Cette cité fermée se sclérose rapidement et l'activité économique se fixe sur une voie nouvelle (H,J) qui suit le cours de l'Iton. Une place de marché (K) fait la synthèse des deux économies. Au IX0 S., la cité peut compter 3.000 habitants et la ville ouverte ainsi que le bourg Saint-Taurin 6 à 8.000. C'est cette agglomération prospère qui sera assaillie par les Wikings, probablement en 885 et 889. Les faubourgs sont pillés et brûlés et la cité qui a résisté doit négocier et se rendre. En 911, elle sera accordée à Rollon par le traité de Saint-Clair-sur-Epte.


Cette première implantation normande se fixe sur des villages établis le long des rivières et sur des domaines de l’intérieur. Ces guerriers sûrs d’eux, en bandes, se révèlent vulnérables, isolés, dès la saison hivernale. Pour se protéger ils construisent des rings constitués d’une tour de bois et de terre avec une cheminée centrale et une couverture de chaume ou de bardeau. Ce réduit est entouré d’une palissade et d’une levée de terre où sont parqués les serviteurs et le cheptel bovin. Le cas échéant, les chevaux sont placés au premier niveau de la tour centrale. Des installations de même genre sont construites à proximité des villages conquis mais, dans ce cas, la palissade externe sert de casernement pour une petite troupe de fantassins. Bon nombre de ces mottes seront reprises ultérieurement et deviendront, après développement, des positions féodales.

Une fois installés, les premiers arrivants prendront femme sur le terrain et l’esprit germanique ne leur interdit pas la polygamie, ainsi de nombreux enfants naissent et seront élevés dans le culte des valeurs scandinaves par leur père mais discrètement instruits dans les coutumes occidentales et la morale chrétienne par leur mère. Ils pourront ainsi se fondre dans la société du temps. Plusieurs générations seront nécessaires pour que les différences s’atténuent, seul l’esprit de caste demeure. Ils sont fils de maîtres donc maîtres eux-mêmes et, pour sauvegarder leurs intérêts, ils vont s’astreindre à la rude discipline requise: éducation guerrière, sens de la supériorité, et susceptibilité. Enfin, les mariages doivent renforcer le patrimoine familial non le dilapider. Ces descendants de Normands vont donc s’intégrer parfaitement dans la société des aventuriers qui règnent en ces temps troublés.

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Le site de Lisieux contrôle le petit bassin de la Touques. La première implantation gauloise devait se trouver dans une île (A) formée par un petit confluent, ce fut sans doute une modeste agglomération. Dès la conquête, les voies romaines venant de Rouen (B) et de Lillebonne (C) se joignent puis traversent le site assurant ainsi son avenir économique. La société gallo-romaine édifie une cité nouvelle sur le plateau bordant l'île et le programme initial couvre environ 30 à 35 ha; il est limité par la patte d'oie (D). Une extension ultérieure est possible. Aux 15 à 18.000 habitants de l'agglomération nouvelle, il faut ajouter la population active qui se maintient sur l'île et sur les rives. Noviomagus Lexoviorum est alors une agglomération de 40.000 personnes. Ruinée en 250/275, elle se rétablit rapidement et la composante bourgeoise se protège derrière une muraille Bas—Empire de 360 x 200m. (E). Au Carolingien, la popul ation a retrouvé un niveau moyen de 15 à 20.000 habitants lorsque les Drakkars infestent la rivière. La cité n'a ni raison ni moyens de se défendre et doit se rendre sous conditions. Ce sont des opérations de ce genre qui ont assuré la pérennité de l'occupation Scandinave.


COLONS ET PILLARDS

En 865, à l’heure où la grande armée danoise débarque sur les côtes du Yorkshire, les premiers Scandinaves implantés en Normandie achèvent la construction de leurs rings, leurs enfants grandissent pleins de promesses, l’esprit batailleur, l’humeur aventureuse. Leurs exploitations et leurs troupeaux ont prospéré. A cette époque, la route maritime qui longe la côte de la Manche est très fréquentée par les Scandinaves. De nombreux bateaux surpris par le mauvais temps font relâche dans les estuaires et des navigateurs chargés de butin s’installent pour l’hiver, d’où l’opportunité pour les colons normands de marier leur fille. Cependant tous les nouveaux arrivants doivent accepter le respect des règles et des interdits établis, pas question de trancher ses différents à la hache et de bousculer les colons en place.

En Angleterre, où les premiers conquérants de la grande armée se sont rapidement installés, il en est de même mais, là, il s’agit de bonnes terres céréalières et non de bocages, l’implantation se fait en conséquence. Ces colons danois s’organisent si bien que le grand roi Alfred les tolère et accepte leur colonisation, par contre, vers 885, il doit engager ses forces sur l’embouchure de la Tamise devenue un repaire de pillards danois. Après avoir repris Londres aux aventuriers navigateurs, il signe un traité qui définit le Daneland, le territoire concédé aux Danois, ensuite il fait construire des forts sur les rives de la Tamise ainsi qu’une flotte de bateaux pour interdire l’accès de l’estuaire aux pirates.

Ces développements politico militaire de Grande Bretagne montrent bien que les invasions danoises ont un double caractère. On y trouve les pillards invétérés que sont les hommes de la mer et des colons arrivés pour fuir la misère et la faim et tout disposés à échanger l’épée contre la charrue. En Angleterre, où le littoral ne permettait pas la pénétration des navigateurs, la colonisation va réussir. Par contre, dans les Flandres, où les grands estuaires du Rhin et de la Meuse sont favorables aux rois de la mer ces derniers vont participer aux engagements, fixer leurs bases et imposer leurs détestables coutumes et la colonisation danoise échouera après de sanglantes campagnes.

Nous retrouvons le même phénomène en Méditerranée dans le développement de l’action musulmane. La conquête de l’Espagne fut menée de main de maître par des chefs de tribu et des fantassins organisés et se fit sans grands dommages pour les riches domaines convoités, les combattants berbères attendant que les villes tombent comme des fruits mûrs. Par contre, sur les siècles à venir, la maîtrise des opérations passe aux mains les navigateurs barbaresques qui pillent et brûlent sans idée d’acquérir pour s’installer, sauf dans quelques ports et points stratégiques mais ces rares zones solidement occupées sont essentiellement destinées à servir de base pour de nouvelles actions de pillage.

UNE IMPLANTATION REUSSIE

En 891, à l’époque où les forces du nouveau roi de Germanie, Arnuf de Carinthie, mettaient fin à l’entreprise de la grande armée danoise à la bataille de Louvain, les implantations normandes passaient aux mains de la troisième génération de colons, la majorité des purs Scandinaves arrivée cinquante années plus tôt avait disparue et la population en place n’avait jamais revu la terre danoise. C’étaient de vrais Normands. Il est difficile d’évaluer cette population, les 3 à 5.000 guerriers de la première génération avaient engendré ~ne forte descendance, soit 20 à 25.000 individus hommes, femmes et enfants liés au système d’occupation et vivant directement des grands domaines constitués. D ‘autre part, un certain nombre d’autochtones avaient mêlé leurs intérêts aux nouveaux arrivants, notamment pour le commerce pratiqué dans les petites installations portuaires et le long des rivières. C’était donc sur 40 à 50.000 tenants de 1 ‘occupation normande que la monarchie franque devait compter pour entreprendre la reconquête de la province. Cette population pouvait aligner, au bas mot, 6 à 8.000 combattants basés sur 300 à 500 petites positions fortes bardées de palissades et dominées par un ring: la reconquête s’avérait difficile. D’autre part les bateaux vikings continuaient à naviguer sur la Manche et à relâcher dans les ports par gros temps. Ces pillards pour l’heure tenus en respect par les Normands pouvaient, le cas échéant, soutenir leurs frères de race menacés.

Au cours de leur lente et méthodique progression, les colons avaient engendré une opposition croissante; villages, bourgades et domaines de Neustrie avaient développé leurs défenses et une caste équestre indépendante des autorités comtales s’était levée sur ces terres. Robert le Fort fut le plus illustre d’entre eux. Le roi Eudes, qui était des leurs par le sang, pouvait compter sur leur soutien ce qui lui valait d’autre part l’hostilité des Austrasiens. La bataille de Tertry n’était pas très éloignée dans le temps et les ferments de querelle subsistaient. Les Scandinaves avaient désormais de grandes difficultés à progresser vers le Sud, vers le Val de Loire. Un certain équilibre des forces venait de s’établir, il restait quelques terres à prendre, à aménager dans le Cotentin et des Danois d’origine vont s’y fixer en nombre. Là les tribus se regroupent et préservent leur caractère. L’une d’entre elles, les Waringuer, allait marquer l’histoire à venir, les membres de cette tribu également nombreux en Gironde et en Aquitaine seront christianisés très tôt et deviendront les Bérangers.

LES EXACTIONS EN BASSE-SEINE

Au Nord, parallèlement à ce front stabilisé sur une ligne en arc de cercle allant de Rouen au Mont Saint-Michel, la vallée de la Seine demeurait active. Les navigateurs nouvellement venus espéraient relancer les opérations sur la région parisienne, surtout après la mort de Charles le Chauve survenue le 30 octobre 877 à Arrieux, lors de son retour d’Italie. La période trouble qui s ‘en était suivie avait fait tomber la garde du confluent de 1 ‘Oise, et les Scandinaves profitent de cette occasion pour remonter le fleuve jusqu ‘à Compiègne. Ils attaquent le grand palais carolingien récemment construit ainsi que l’agglomération qui avait pris le nom de Carlopolis. Cette dernière avait connu une première mise en défense vers 870 et, en 877, un capitulaire précisait les conditions d’achèvement du castrum qui ne fut jamais mené à bien. Il ne s’agit pas de l’ensemble circulaire identifié avec les courbes de niveau et la déviation de la voie menant vers le pont, mais bien d’une enceinte rectangulaire de grande taille préservant à la fois le palais et les indispensables bâtiments annexes. C’est cette défense rectangulaire, abandonnée dès la fin du IX° siècle, qui a donné au plan de la ville son caractère maillé.

En 890, les pirates Vikings prennent le palais, le pillent et le brûlent puis ils s ‘installent en divers points, notamment sur la position stratégique que constitue Choisy-au-Bac, au confluent de 1‘Oise et de l’Aisne. Le palais de Verberie brûle également à cette époque. Les Scandinaves abordent Noyon en 896 et 897. Ils sont alors en voie d’occuper le domaine palatin qui assure la couverture de l’Ile de France. Senlis, position forte, tient bon et reçoit même des moines réfugiés venus de Compiègne.

Au cours de ces années, le roi Eudes qui fait front de toute part, ne peut maîtriser la situation dans les vallées de la Seine et de l’Oise et son successeur, Charles III dit le Simple, qui prend le pouvoir en 898 se trouve dans une situation délicate. D’origine carolingienne il pense pouvoir compter sur les forces d’Austrasie, d’autre part, il a créé pour Robert, jeune frère d ‘Eudes, le titre militaire de Duc de France et c’est à lui que sont confiées les forces du royaume ainsi que la responsabilité des opérations. Robert peut compter sur la Neustrie. Un front commun s’organise contre les Scandinaves.

Sur la Basse—Seine, autour de Rouen, les implantations Vikings, nombreuses, ont conservé un caractère mi-pillard, mi-colon. Les maîtres déjà installés voient constamment arriver de nouveaux équipages en quête d’aventure et les heurts sont nombreux. Le plus sûr moyen de contrôler ces nouveaux venus est de les envoyer guerroyer sur les vallées de l’Oise et de l’Eure.

RHOLF OU ROLLON

Vers 900, arrive à Rouen, venant d’Angleterre, une nouvelle bande plus importante que les autres. Elle est menée par un certain Rholf qui deviendra Rollon. Plus intelligent que la majorité des petits chefs de guerre qui gravitent dans la Basse-Seine, il choisit de s’établir à Rouen et prend accord avec la cité qui voit en lui plus un protecteur qu’un maître. Après avoir fait aménager des quais de bois sur la langue de terre qui fait face à la muraille de la ville, Rollon s’installe dans le burgui qui contrôle l’installation portuaire et sa position se renforce d’année en année.

Son esprit guerrier et pillard n’est pas complètement annihilé ainsi, en 911, il prend la tête d’une opération destinée à faire sauter le verrou de Chartres sur la haute vallée de 1 ‘Eure. Les Robertiens qui tiennent la position appellent des renforts et les Scandinaves subissent une cuisante défaite. Chef vaincu, Rollon voit sa position mise en cause, l’évêché de Rouen qui le soutient lui permet d’entamer des négociations avec le roi Charles le Simple. Les deux partis s’accordent puis signent le traité de Saint-Clair-sur-Epte en 912. Rollon est reconnu duc de Normandie, 1 ‘Eglise et les cités épiscopales de Rouen, Evreux, Lisieux et Bayeux l’admettent comme tel et le soutiendront. L’entente fixe les limites du Duché sur la ligne de partage déjà établie. Dans les clauses de l’accord, Rollon accepte également d’imposer sa loi à toutes les bandes incontrôlées. Cette nouvelle dignité acquise sauve le chef normand mais, seuls ses compatriotes du Val de Seine le reconnaissent comme tel. Les Ducs de Normandie doivent maintenant conquérir la partie centrale de leur province ainsi que le Cotentin. Cette guerre entre Scandinaves donnera un certain répit à la Francie. L’invasion normande marque une pause mais un très puissant duché à vu le jour, il menacera longtemps le royaume des Francs.

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Le caractère pastoral des Morini ne favorisait pas la fixation d'une métropole, c'est le contexte socio-économique dit "celtique". A l'origine, le futur site de Thérouanne n'était sans doute qu'un petit village sur la haute vallée de la Lys avec 300 à 400 habitants, au mieux, répartis sur les berges et sur l'île (A). C'est la voie romaine menant d'Arras au littoral (Sangatte) qui fera la fortune de l'agglomération. Le transit économique assure un premier développement mais c'est la perpendiculaire menant de Boulogne à Cassel qui va assurer la fortune du site. La voie Arras-Sangatte (B,C) devient le decumanus d'un programme maillé (E,F,G,H) et le cardo (J,K) correspond à la voie de Boulogne. Celle de Cassel (L) est distincte. Ce maillage va se prolonger dans la vallée (M) et desservir les installations artisanales établies sur la rivière. Après 250/275, la population se replie sur un modeste rectangle (P,Q,R,S), cerné de murailles Bas-Empire, mais la vie reprend sur les bords de la rivière et la porte Sud (T), décalée engendre une liaison oblique (U) avec place de marché (V). Cette place deviendra le coeur de la ville médiévale. En 879, la population de la cité doit compter 4 à 5.000 personnes et la ville basse 5 à 6.000 réparties sur les berges.