LA SCANDINAVIE
On ne peut juger des invasions scandinaves sur le seul témoignage des victimes d'autant qu'elles firent grand tapage dans leur immense frayeur. C'est un phénomène de grande ampleur qui touche alors les peuples de la Baltique et comme aucun envahisseur venu de l'Est ne les assaille, les causes en sont purement économiques. Après les actions carolingiennes en Germanie et l'installation définitive de l'ordre occidental et chrétien sur la Weser et sur l'Oder, les Scandinaves se voient coupés de leur grande voie fluviale de pénétration sur le continent et ainsi privés des approvisionnements essentiels à leur existence.
D'autre part, il est bien rare que les chroniqueurs contemporains ne soient pas sous influence. Au IXème siècle, l'opinion chrétienne, majoritaire alors, va diaboliser les Vikings et cette vision marquera les écrits du temps. Par la suite, les Historiens de l'Epoque Médiévale et Classique, d'obédience chrétienne également, ne manqueront pas de mettre en évidence les bienfaits de la grâce divine qui ont transformé ces sauvages barbares du Nord en doux agneaux. Enfin, dès les XVIII et XIXème siècles, les Historiens "Modernes", qui travaillent essentiellement selon les textes, ne pourront échapper à ce lourd parti-pris.
Pour tous, la faiblesse manifestée par les Carolingiens naguère si puissants est difficilement explicable, alors les Vikings sont nécessairement des hordes nombreuses, plusieurs dizaines de milliers au bas mot et leurs bateaux innombrables. Personne ne met en doute une chronique affirmant que Paris fut assailli par 40.000 Nordiques montés sur 800 bateaux. Les navires eux-mêmes sont donnés d'une taille considérable, les auteurs voient de grands drakkars de 50m, manoeuvrés par 72 rames et embarquant 300 hommes, tandis qu'une embarcation courante fait 30m de long, avec 50 rameurs et 200 hommes embarqués. Dans ces conditions une petite flotte de cent voiles pouvait débarquer 20.000 guerriers.
Les mises en cause objectives sont récentes et viennent essentiellement des Scandinaves et des Anglo-Saxons. En Angleterre, notamment, où une bonne part de la population descend directement des envahisseurs nordiques, bon nombre d'auteurs recherchent une analyse plus rationnelle mais en Europe Continentale l'histoire convenue garde de nombreux adeptes.
La phase aiguë de ces invasions (840/870) s'impose dans les relations historiques mais le phénomène va durer plus d'un siècle et demi, soit six à sept générations. Sur cette période, de nombreux guerriers venus en célibataire vont se fixer sur nos côtes et prendre femme sur le terrain, dès la troisième ou quatrième génération, leurs descendants ont conservé le caractère aventurier de leur père mais sont devenus chrétiens et pratiquent la langue du pays. Dès lors, leurs actions se perdent dans les grands mouvements féodaux de cette époque troublée. Nombreux sont ceux qui, au X° siècle, participent à la grande empoignade destinée à combler les cases d'un échiquier politique laissé vide par la ruine du pouvoir carolingien. C'est un vaste sujet.
LES CARACTERES SCANDINAVES
On ne peut juger des comportements des peuples sans bien les connaître. La clé des invasions normandes se trouve en Scandinavie sur une période allant de 750 à 850 et si les connaissances acquises ainsi que les découvertes archéologiques ne manquent pas, ces informations ne nous renseignent guère sur le facteur essentiel:
le contexte socio-économique régnant à cette époque en mer Baltique.
Première considération: les peuples du Nord étaient à cette époque très loin d'occuper la totalité des terres dites scandinaves. Pour résumer l'histoire de ces régions, nous dirons que les hommes blancs et blonds se sont d'abord imposés sur les rivages de la Baltique avec un mode de vie très fruste. Ensuite, ils ont méthodiquement repoussé vers le Nord les premiers occupants de caractère mongoloïde, dont les Lapons sont les très lointains descendants. En bonne analyse géo-politique, ces grands blonds devaient venir de la région qui semble le berceau de la race, la Germanie. C'est une conclusion communément admise par les historiens d'Outre Rhin mais une certaine démagogie historique a perturbé la démarche en ce domaine. D 'autre part, les Wisigoths et les Ostrogoths qui sont parmi les fossoyeurs de l'Empire Romain venaient-ils de l'île de Gotland, de la Baltique ou de toute autre région ? Cette importante question est toujours restée sans réponse.
Dans le paragraphe consacré aux origines européennes nous proposons une carte qui tente de définir les peuplements selon les grandes options agricoles permanentes.
Sur le chaînon Centre Europe, nous avons placé une population dite celtique qui occupe les moyennes collines ainsi que les vallées débouchant de la chaîne alpine et du Massif Central puis se ramifie sur les terres cantabriques. On la trouve sur les altitudes variant de 200 à 800m et son mode de vie se caractérise par l'exploitation des bovidés, d'abord gérée de manière collective, puis en petites fermettes individuelles dès que la mise en culture fixe chacun sur ses terres.
Plus haut vers le Nord, sur les plateaux calcaires d'une altitude moyenne de 50 à 150m, s'est fixé un autre peuple voué à l'agriculture et au labour. Il privilégie l'exploitation céréalière à l'élevage et se rassemble en gros villages afin de gérer au mieux un terroir équilibré: culture verte dans les dépressions, culture sèche sur les plateaux environnants; les Francs font partie de ce peuple.
Ces occupants se sont répartis de manière homogène sur de longues bandes de terrain allant d'Est en Ouest, comme le veut la géographie européenne mais les politiques qui entendent trouver des limites simples et faciles à garder pour fixer leur hégémonie, ont découpé ces bandes selon les grands fleuves qui tous, coulent du Sud vers le Nord.
Enfin, l'Europe du Nord sera marquée par un troisième peuple bien caractérisé établi sur le littoral de la mer du Nord et de la Baltique. Leur domaine est plus ingrat. Ils exploitent de nombreuses terres littorales et leurs conditions d'existence furent sans doute difficiles. Après avoir longtemps vécu de la pêche et de la chasse, ils ont emprunté à leurs voisins d'Europe, les us et coutumes qui leur semblaient les mieux appropriées à leur terroir, à leurs besoins. Ensuite, la civilisation romaine qui engendre un grand brassage de produits et de technologies a, sans doute, accéléré le développement et les besoins de ces peuples de la Baltique.
Bien avant l'époque romaine, ces gens avaient déjà connu de fortes poussées démographiques suivies d'expansion sauvage. En dépit des controverses que le sujet implique, nous soutenons que les peuples de la mer qui se sont imposés en Egypte après avoir saccagé la brillante civilisation du Bronze en Méditerranée entre 1600/1400 avant J-C étaient des Scandinaves. Ils avaient traversé les plaines de Russie, choix logique, puisque c'était le point de moindre opposition, Gaule, Belgique et Germanie Rhénane qui disposaient déjà d'une bonne organisation socio politique et militaire étaient aptes à résister. Ce sont ces terres situées entre la Loire et l'Elbe qui avaient le mieux profité des mutations permises par l'Age du Bronze et du Fer, évolution qui connaîtra son point culminant avec la période de la Tène.
De 1500 avant J-C à la fin de l'Empire Romain, les Baltes vont donc pousser leur avantage sur les terres de l'Est, le long des grands fleuves de la plaine Russe mais ces positions coloniales seront sans doute mal maîtrisées, les Slaves qu'il faut différencier des Baltes, s'insurgent souvent au Nord tandis que les mouvements venus d'Asie balaient régulièrement les implantations établies au Sud.
Posséder beaucoup de terre n'est pas suffisant, faut-il encore bien les exploiter et en tirer profit. Sur cette longue période les Baltes semblent manquer de technologie autant que de méthode et les contacts qu'ils vont nouer avec l'Empire Romain vont se révéler déterminants. Dès le premier siècle de note ère, ces peuples du Nord préfèrent commercer avec les Occidentaux sur le cours du Rhin et avec les Germaniques sur le cours de l'Elbe. Bientôt ils seront plus performants dans leur agriculture, bétail mieux géré, fourrage mieux engrangé et davantage de terres labourées. Cette évolution se fait également grâce à de nombreux commis agricoles venus travailler et moissonner sur les rives du Rhin en terre gallo-romaine. Ces travailleurs émigrés ont toujours été un avantage pour l'heure mais une menace à terme. Sur les premiers siècles de notre ère, tous les peuples situés au-delà du Limès de Germanie ont sans doute rêvé de l'Eldorado occidental. Ce fut l'origine des grandes invasions de 250/275 et de 406 mais ces hordes incontrôlées vont davantage détruire que conquérir. Cette fois encore, les Baltes y participent sans en tirer bénéfice, les royaumes Wisigoths et Ostrogoths ne seront d'aucune aide aux peuples septentrionaux.
Après 400 la civilisation européenne se stabilise dans un certain désordre et les Danois vont participer à la conquête de l'Angleterre, aux côtés des Saxons, mais ces derniers, meilleurs colons que leurs complices vont dominer la majeure partie de la grande île britannique. Pour les Danois restés au pays, il est maintenant plus avantageux de commercer avec les peuples du Rhin, de la Weser et de 1' Elbe tout en prenant modèle sur eux pour mieux exploiter les terres, cependant, certains produits hautement stratégiques comme le fer demeurent le monopole des Germains continentaux et notamment des Mossans.
De 500 à 700, les Baltes sont, nous semble-t-il, de bons élèves et les Danois qui peuplent les rives du Kattegat et du Skagerak se distinguent en particulier. Ce sont les Suédois qui prennent du retard dans leur développement économique et privilégient leur extension traditionnelle vers les plaines de l'Est par 1'Oder et la Vistule.
En 700, hors de toute considération politique, une étroite union économique s'est instaurée entre les Danois et les Germains de la Weser et de l'Elbe. Dans ce développement l'esprit des nationalités s'instaure et l'idée de Gotland devient alors plus une référence politico-religieuse qu'une identité nationale. La société balte se dirige lentement mais sûrement vers une décomposition en deux unités distinctes que nous dirons danoise et suédoise pour faciliter la compréhension. L'occupation par les Carolingiens des bassins de la Weser et de l'Elbe allaient rompre cette unité économique incitant les Danois à s'engager dans une grande aventure, les Suédois n'y participeront pas.
LA TERRE ET LES HOMMES
Après avoir occupé la totalité des rivages et des îles de la Baltique, sauf le golfe de Botnie, en dominant ou en refoulant les peuplades qui s'y trouvaient, les Germaniques doivent s'imposer et surtout exploiter leurs conquêtes afin d'en tirer autre chose que les traditionnels produits de la chasse et de la pêche. Pour cela les idées viennent du Sud et cheminent par les grandes voies marchandes que sont l'Elbe et l'Oder.
Pour tous les peuples, les progrès en exploitation des sols procèdent par étapes bien distinctes. La première consiste à importer des bovidés et à leur trouver des pâturages. Les premiers troupeaux seront installés dans les prairies et clairières naturelles que les rennes avaient déjà dégagées en faisant reculer le couvert végétal, grand ou petit, en dévorant les jeunes pousses chargées de la régénération. Mais ce processus naturel n'était pas suffisant, il fallait façonner davantage le paysage en supprimant les arbres isolés, les bosquets et en traçant des chemins.
Les premières implantations pastorales organisées gèrent leurs bêtes en communauté de plusieurs centaines de têtes, comme l'ont fait les Celtiques à la haute époque. Faute d'oppidum, l'habitat prend la forme d'un grand enclos circulaire où logement et étable se côtoient, un second cercle plus vaste permet de dégourdir les bêtes. Selon ce mode d'exploitation, il faut de très vastes surfaces afin de récolter le fourrage d'hiver et la densité de population ne doit pas dépasser 0,1 habitant à l'hectare.
L'évolution ultérieure se conçoit aisément et nous l'avons déjà évoquée pour la période pré-historique continentale. Les chemins rayonnants sont trop longs, la gestion du grand enclos devient irrationnelle et il va se vider partiellement au profit de petites implantations satellites. Elles prendront leur autonomie avec de nouvelles surfaces gagnées sur la forêt puis mises en pâturage. Enfin, dès que les premières cultures apparaissent, ces unités satellites indépendantes éclatent à leur tour en petites communautés gérées par une famille au sens large, 15 à 25 personnes, sous la direction du Patriarche. Mais il faut encore sélectionner les céréales et les plus aptes à résister au climat, l'orge et le seigle, vont rapidement s'imposer.
Chez les Baltes, la configuration du pays où toutes les liaisons importantes se font par embarcation va conditionner l'emplacement des villes, rares seront celles qui se développeront à l'intérieur des terres. Artisans et commerçants qui fixent les agglomérations ont tout intérêt à s'installer à proximité des principaux embarcadères, les plus fréquentés seront ultérieurement aménagés en port avec la construction d'une digue faite de pieux plantés. La totalité des navires utilisés a un très faible tirant d'eau, même en charge, toujours moins d'un mètre. Ce sont donc les itinéraires mixtes, chemins, voies maritimes qui donneront naissance aux premières agglomérations portuaires de quelque importance, 1.000 à 2.000 habitants nous semble, là comme ailleurs, le seuil optimum pour le bon fonctionnement socio-économique d'une agglomération artisanale. Sur le continent c'est l'échelon gros-bourg. Au-delà, de 2.000/2.500 habitants, les structures politiques commencent à interférer dans la vie économique.
LES HABITATIONS
Une analyse des besoins et des moyens disponibles nous donne les conditions dont les bâtisseurs doivent tenir compte, c'est le programme. Les découvertes archéologiques confirmeront les options ainsi définies.
Après le temps de la chasse où les hommes vivent sous des tentes de peaux sur armature de bois et se déplacent selon les saisons et les mouvements du gibier, vient le temps de la sédentarisation imposé par la gestion d'un troupeau, les rennes d'abord, les bovidés ensuite. L'habitat devient collectif ou pour le moins sous un même toit, quand les peaux se font rares, les toitures sont réalisées en roseaux, principalement. Pour donner plus de hauteur libre tout en isolant l'intérieur des ruissellements externes, le bâtiment est posé sur un petit muret avec armature de bois. Dans les régions littorales ou dans les dépressions garnies de sédiment, ce sont des briques de tourbe qui se révèlent les plus pratiques pour édifier ces murets périphériques. Peu à peu ils vont prendre de la hauteur afin de faciliter le déplacement des occupants, soit 2m environ. La composition de la charpente est incertaine. Bon nombre d'auteurs voient ces ouvrages rustiques établis sur des poteaux avec une barre de bois en guise d'entrait, pour notre part nous resterons fidèles à l'hypothèse des faisceaux déjà évoqués. Les découvertes archéologiques ne nous donnant que des trous de poteaux, les deux interprétations trouvent leurs arguments.
Au cours de leur expansion territoriale, les hommes du Nord conserveront leur plan d'habitat, le ring avec de longues huttes collectives disposées à l'intérieur, mais ils adopteront les matériaux disponibles sur place, tels les troncs de sapin dans les grandes plaines de l'Est. Ce fut la solution adoptée au camp de Biskupin établi en Pologne et récemment découvert. En Frise, par contre, les murs sont essentiellement constitués de poteaux et d'entretoise garnis de briques de tourbe.
Le choix des matériaux utilisés est opportuniste, tandis que les options architecturales correspondent aux besoins. Si les implantations collectives demeurent fidèles au grand bâtiment cloisonné sous une couverture unique, les familles qui s'installent dans des exploitations disséminées et sur des propriétés devenues privées, vont concevoir un habitat différent.
Ces régions nordiques offrent les mêmes conditions hivernales que les vallées alpines, la disposition générale sera donc la même. L'habitat de base est constitué d'un rez-de-chaussée de faible hauteur, 2m environ, que se partagent les hommes et les bêtes. Une cloison sépare l'habitat de l'étable et chacun a son accès spécifique. Au-dessus, nous trouvons un vaste comble où l'on empile le fourrage avec des couloirs d'aération savamment disposés qui éviteront la fermentation ainsi que le contact avec le chaume toujours humide. Ces végétaux assurent le calorifugeage supérieur, et l'épaisseur de la garniture de tourbe assure la même fonction sur la périphérie. L'ensemble constitue une excellente protection contre le froid. Hommes et bêtes vivent confortablement nonobstant les odeurs.
Avec l'évolution de l'exploitation et notamment les premiers labours, les agriculteurs ont intérêt à se rassembler en grande famille afin de pouvoir séparer l'habitat des étables. Dans ces petits hameaux, trois ou quatre corps de bâtiments sont disposés autour d'une cour commune, les ouvertures pour les bêtes donnent sur un enclos extérieur, c'est la surface pour dégourdir le cheptel.
Ces bâtiments sont-ils construits sur poteaux avec entraits ou sur faisceaux comme nous l'avons proposé, le débat reste ouvert. Certains plans au sol montrent une forme ovoïde où des historiens ont voulu voir l'héritage des premiers bateaux retournés. Cette composition milite en faveur des faisceaux qui s'adaptent tout naturellement aux hauteurs régressives ce qui permet de cintrer la faîtière et de l'ancrer au sol, réduisant ainsi la prise au vent. Avec cette forme, le volume utile est moindre et ce ne fut sans doute pas l'option majoritaire.
LES EMBARCATIONS
Les embarcations sont essentielles dans la vie des Scandinaves et là, également, les constructeurs doivent concilier les besoins et les moyens dans un programme optimum. Dans un chapitre de cet ouvrage, consacré à la navigation antique, nous avons traité des problèmes techniques rencontrés en Méditerranée comme en Septentrion. Partout où l'on trouve des peaux de cervidés ou de bovidés bien traitées avec du tanin, la manière la plus simple de construire une embarcation est de confectionner une carcasse souple en petit bois ligaturé et de la recouvrir d'une peau soigneusement cousue. Ainsi furent réalisés les grands canoës indiens de l'Amérique du Nord toujours utilisés au XIX° siècle. Pour éviter que les peaux ne se déchirent sous l'action des chocs ou de la pression excessive de l'eau, l'armature de bois va se développer jusqu'à devenir pratiquement jointive. Nous sommes toujours conformes aux capacités offertes par l'outillage du néolithique et la taille de l'embarcation peut atteindre 12/14m sans problème majeur, le périple de Saint-Brandan témoigne que ce type d'embarcation était toujours en service en mer du Nord à l'époque romaine.
Lorsque l'armature interne est fortement développée, le constructeur peut se demander si l'enveloppe de peau est toujours nécessaire, il suffirait de calfater les interstices restant entre les bois pour obtenir une bonne étanchéité; cette démarche est l'avenir de la construction navale. Les baguettes de bois rond des premiers temps laissent place à des lattes refendues qui réduisent l'importance du calfatage, les outils de cuivre ou de bronze suffisent à ce façonnage. Dans une dernière étape, les lattes de bois laissent place à des planches caractérisées, refendues ou sciées, c'est la carène historique, son traitement dépend de l'outillage métallique disponible.
Dès l'Age du Fer, avec 10 à 12kg de métal, on peut confectionner une hache une herminette un doloir et quelques mèches à langue d'aspic, et construire un bateau de 10 à 16m chevillé et ligaturé avec des lattes bien manufacturées et peu de calfat. Pour caréner en planches, il faut une scie à refendre munie d'une lame forgée avec des dents affûtées à la lime (acier trempé), soit environ 20 kg d'outillage. Si nous voulons fixer les planches de carène avec des clous la quantité de fer nécessaire sera beaucoup plus grande. Pour un bateau de taille moyenne, 12 à 14m, il faut au minimum 2500 clous de 12 à 15g, soit 30 kg de fer par embarcation. La différence est grande, 10 à 20 kg d'outillage permettent de construire plusieurs embarcations ligaturées mais il faut 50 kg de fer par navire avec bordage clouté; le progrès technique est à ce prix.
Nous ignorons quelles sont les étapes qui vont permettre à la construction navale scandinave d'assurer cette mutation mais les drakkars des IX° et X° siècles sont des réalisations achevées, il est donc logique d'admettre que la mutation technologique finale s'est amorcée au contact de la civilisation romaine pour connaître son aboutissement vers les V° et VI~ siècles. Dès lors, les échanges maritimes et le volume des marchandises transportées s'accroît et engendre un important développement démographique. Il est soutenu artificiellement par des importations de produits et notamment des céréales venues des plaines continentales et transportées sur la Weser et l'Elbe pour les Danois et sur l'Oder et la Vistule pour les Suédois. C'est cet équilibre économique que les invasions carolingiennes vont rompre. De leur côté, les Chrétiens installés en Germanie interdisent tout commerce de chair et d'argent avec les Barbares, et confirment cette rupture des circuits économiques. Les guerres comme les invasions ne sont jamais des phénomènes gratuits mais le prolongement d'un conflit économique porté sur le plan nationaliste ou idéologique.
Les conquêtes de Charlemagne en Germanie septentrionale sont responsables des invasions danoises (normandes) d'autant que les Saxons alors bien installés sur les terres blanches d'Angleterre interdisent ces espaces conquis à tout nouveau venu. Alfred sera vainqueur de la grande armée danoise débarquée dans le Yorkshire.
LE NAVIRE DE COURSE (CROISEUR)
L'objectif premier d'un peuple à vocation maritime est de reconnaître les rivages des terres à prospecter, de rechercher les meilleurs mouillages, de les conquérir puis d'organiser des routes maritimes avant de pénétrer les espaces continentaux à la recherche de produits à acheter ou à piller. Cette première phase permet également de tester les forces et la combativité de l'adversaire, de choisir les moyens et la tactique les plus appropriés pour l'affronter. Dans ces opérations préliminaires, pas question de ramener de grosses quantités de marchandises, seulement des objets de valeur qui seront négociés sur d'autres places déjà établies. Le navire le plus à même de réaliser ces opérations est un "croiseur" dont nous pouvons résumer les caractéristiques.
L'embarcation ne doit pas être tributaire des vents qui risqueraient de la mettre à la merci de ses adversaires, elle est à rames et rapide pour échapper aux poursuivants. Il faut également qu'elle soit légère pour être facilement tirée à grève en cas de gros temps. Enfin un faible tirant d'eau est indispensable pour remonter fleuves et rivières lors des raids en profondeur. Nous venons de définir les caractéristiques du bateau de course scandinave qui va semer la terreur sur les côtes de l'Empire Carolingien et rentrer dans l'histoire sous le nom de drakkar.
En modèle courant, c'est une embarcation longue et bien profilée de 16 à 22m de long sur 3,6 à 4m de large manoeuvrée par 20 à 28 rameurs qui sont également des guerriers. Pour les longues courses, hors les côtes, l'équipage est plus important afin d'assurer une relève minimum pour la nuit. Les avirons utilisés sont de taille moyenne, 4,5 à 5m de long et pesant moins de 5kg, ils sont proches de ceux en service sur les baleinières contemporaines. Ce sont les rameurs qui assurent la direction dynamique de l'embarcation, pas besoin de gouvernail. Par contre, pour éviter aux hommes une fatigue excessive l'embarcation est munie d'une petite voile. Comme c'est une carène non quillée, non lestée, la stabilité latérale est très relative, il faut donc réduire les effets de renversement engendrés par la réaction oblique de la voilure. Le mât ne dépasse pas 2 à 2,5 fois la largeur de flottaison par contre, II est possible d'allonger cette voile mais toujours de manière relative. Pour un bateau de 4m de bord à bord, et de 3,50m à la flottaison, le mât ne doit pas dépasser 8 à 9m et la voile 50m2 environ, soit 6 x 8m approximativement.
En naviguant à la voile, ce bateau non quillé dérive sur l'eau sous l'effet de la résultante oblique engendrée par la voile. Il faut contrarier ce phénomène avec deux petites dérives immergées â l'arrière. Elles sont escamotables par rotation pour ne pas souffrir lorsque le bateau est tiré â grève.
La stabilité latérale d'une carène est fonction de son dessin, plus la coupe va vers le triangle, moins elle est stable mais moindre est sa traînée hydrodynamique et plus grande sera sa vitesse avec un nombre de rameurs donné. Pour augmenter cette stabilité latérale et monter plus de voilure, il faut que la coupe de la carène soit proche du rectangle mais sa traînée augmente et sa vitesse diminue avec le même nombre de rameurs. Ce résumé des problèmes nous donne les caractères optimums du bon navire de course.
Nous avons dit que le croiseur devait être léger pour faciliter le tirage â grève par l'équipage en cas de gros temps et cette caractéristique lui permettra également de franchir les hauts fonds de graviers et de cailloux sur les fleuves. A cette occasion, les hommes débarquent mettent les pieds sur le fond et poussent le bateau. Cependant cette légèreté implique des membrures très fines qui vont manquer de rigidité notamment en flexion longitudinale. Il faut tenir compte de ce phénomène dans le traitement de la carène et du bordage. La ligature qui a présidé aux premières constructions était souple, le montage à clous doit l'être également. Le clou à soie doit être libre en rotation dans la planche et planté dans la membrure, le bordage sera donc préalablement percé et l'orifice calfaté. Cette contrainte disparaît sur les gros navires de charge lourds et rigides.
LA TAILLE DES DRAKKARS
Au XVIII° et XIX° siècle, l'épopée des Vikings va enflammer l'imagination des auteurs et engendrer des représentations des plus fantaisistes du célèbre drakkar: leurs tailles sont toujours considérables. A la fin du XIXème, la discipline archéologique est enfin reconnue et les Scandinaves découvrent dans un tumulus funéraire, près d'Oslo, le navire de Geokstad puis, en 1904, celui de Oseberg. Ce dernier qui se trouve en parfait état de conservation fait 23m de long sur 5m de large, il est daté des années 800/850, soit la grande époque des invasions scandinaves. Avec ces découvertes les historiens pensent bien connaître le drakkar mais les deux vaisseaux en question sont des navires d'exception.
De nouvelles découvertes sont faites en 1962 dans le fjord de Roskilde où cinq bateaux sont identifiés dans la vase, sous moins de 3m d'eau. Ces conditions permettent de cerner le site avec des palplanches et de l'assécher, les fouilles seront menées à pied sec et de manière méthodique. C'est l'époque où l'on commence à protéger le bois gorgé d'humidité avec des produits de substitution pour qu'il ne se transforme pas en poussière lors du séchage, et cette fois nous disposons d'un bon échantillonnage d'usage courant de la flotte scandinave. Il y a là deux croiseurs, deux cargos ou knörr, ainsi qu'un petit navire à usage local. Le grand croiseur fait 28m de long sur 4,50m de large et le petit 18m de long sur 2,60m de large; le gros cargo fait 16,50m de long sur 4,50m de large et 2m de haut, le petit 13,30m de long et 3,30m de large sur 1,60m de haut. Tous ces bâtiments furent coulés lors d'une tempête vers 1000/1050 et leur témoignage éclaire d'un jour nouveau l'histoire de la marine scandinave. Certes nous n'avons pas tous les spécimens utilisés mais ces repères sont suffisants pour établir une notion de programme et résumer l'évolution générale.
Comme le poisson salé et séché a toujours constitué l'alimentation de base des Scandinaves, les premières embarcations seront conçues pour la pêche et ces bateaux vont constituer le bien le plus précieux d'une communauté de 150 à 200 personnes. La pêche se pratique d'abord dans les eaux proches et les sorties sont limitées à la journée. Le poisson est ramené tel quel, non conditionné. Si le temps est favorable, l'équipage peut passer une nuit en mer mais c'est exceptionnel; il faut ramener le poisson en bon état de conservation. Le bateau optimum fait 10 à 13m de long sur 2,20m à 2,40m de large, il est servi de 12 à 14 rames et l'équipage n'excède pas 15 hommes. Comme nous l'avons dit, ce type de navire est proche de la baleinière du XIXème avec laquelle de bons marins affrontaient, sans complexe, les océans.
Très vite le poisson se fait rare à proximité des côtes et les équipages doivent s 'aventurer en haute mer pour plusieurs jours. Il faut alors conditionner le produit de la pêche, le saler et le stocker dans des tonneaux. L'embarcation primitive ne convient plus, le bateau le mieux approprié fait 16 à 20m de long sur 3 à 3,50m de large ce qui permet de réserver un espace au centre pour le travail et le stockage des tonneaux. Dès que les pêcheurs vont s'aventurer dans l'Atlantique Nord et repérer les bancs de morue, ce sera l'objet d'une pêche spécifique et très lucrative pour ceux qui ont l'audace de la tenter. Il n'est pas interdit de penser que les plus gros navires mettaient à l'eau de petites embarcations en armature ligaturée et garnie de peaux pour multiplier le nombre de lignes. Ces bateaux de pêche devaient constituer 80 â 90% de la flotte scandinave et tous les modèles à vocation spécifiques en seront dérivés, mais quel que soit le programme, deux types vont se distinguer: celui à étrave haute destiné à la Mer du Nord et à l'Atlantique, où la navigation se fait majoritairement sur mer et très peu dans les estuaires et grands fleuves, le second à étrave basse destiné à la Baltique, où la navigation se fait à 20% en mer fermée et à 80% dans les estuaires et les grands fleuves.
Le croiseur affecté à la découverte de nouvelles côtes, de nouvelles terres, va se trouver confronté à des compétiteurs, à des adversaires et de nombreux engagements ont lieu. Pour cela il faut de la rapidité et les performances vont s'obtenir en conservant une largeur optimum et en augmentant la longueur afin de multiplier le nombre de rames. Avec ses 28m de long, le grand croiseur de Roskilde peut disposer de 18 à 20 paires de rames tandis que la largeur de 4,50m permet d'affecter deux hommes à chaque rame. Avec son maître couple réduit, et 70 à 80 hommes à la propulsion, ce bateau était sans aucun doute très performant. Le rapport longueur-largeur est alors de 1 sur 6,22 soit au-delà de la valeur optimum de 1 sur 5. Le grand croiseur de Roskilde fut sans doute un bateau minoritaire, la majorité des croiseurs en usage devait faire 18 à 24m de long avec 24 à 32 rames servies par un seul homme. 2,50 à 2,80m de largeur suffisent alors, ce qui réduit le maître-couple immergé.
Le croiseur, navire de guerre, va engendrer une course à la performance qui sera obtenue en allongeant le navire, en augmentant le nombre de paires de rames, tout en conservant le même maître-couple. Avec une largeur de 4,50m/5m et 4 hommes par paire de rames, il est possible de porter la longueur à 35m ce qui donne 100 rameurs.
Le rapport longueur-largeur est alors voisin de 1 sur 7 et la coque devient fragile face aux crêtes de vagues. Enfin des textes nous permettent d'imaginer de très grands croiseurs de 45m de long avec 30 paires de rames manoeuvrées par 120 hommes et le rapport longueur-largeur serait proche de 1 sur 9, d'où une fragilité accrue par gros temps. Certes il est possible d'augmenter la largeur de la coque et de la porter à 6,50 7m avec 3 hommes par rame, soit 180 rameurs mais cette option est très peu probable.
Face à ces croiseurs dont nous connaissons les dimensions, les navires découverts fin XIX° et début XX° dans les sépultures royales trouvent leur juste place, ce sont des embarcations destinées aux déplacements de grands personnages. La largeur de 5m permet de dégager un espace au centre pour y installer en condition de confort (relative) les maîtres, leurs serviteurs et les bagages tout en conservant 2 hommes par rame. Avec 32 rames en condition optimum et 64 rameurs, les performances de ces bateaux restaient satisfaisantes.
LE NAVIRE DE CHARGE
Après les reconnaissances, les incursions profondes et les pillages, le butin sera rapatrié mais les objets de valeur ne sauraient nourrir les familles de ceux poussés à l'aventure par la pauvreté. Il faut donc les négocier dans des ports et estuaires où l'on trouve de la nourriture essentielle comme les céréales et les produits sucrés, le miel et les fruits séchés. Ainsi les quelques kilos de métal précieux vont se transformer en tonnes de produits consommables que ne sauraient transporter les navires de course, pour cela il faut une embarcation plus robuste et de forme différente afin que la charge n'augmente pas exagérément le tirant d'eau.
Pour ce cargo, la marche à la voile sera privilégiée à plus de 80%, soit le rapport inverse de celui admis pour le navire de course. Après avoir rapatrié le butin et les produits de charge, ces navires amèneront des renforts et des émigrants qui vont peupler les premières terres conquises. Ce phénomène sera mis en oeuvre et bien rôdé par les Scandinaves et particulièrement les Danois lors de la conquête de l'Angleterre. Les Angles qui transportèrent les Saxons en Grande Bretagne étaient une peuplade danoise.
Avec les nouvelles conquêtes, les routes maritimes des navires de charge s'allongent. Il leur faut des escales et l'action des Normands en Manche et sur l'Atlantique ne saurait se concevoir sans une connivence bretonne et une aide ouverte de la part des colonies scandinaves implantées sur les côtes sud de Grande Bretagne. Conquises depuis trois siècles, ces terres s'étaient trouvées judicieusement partagées. Les Saxons voués à l'élevage et à l'agriculture s'étaient installés à l'intérieur des terres avec parfois un ring fortifié au centre du domaine tandis que les Danois (les Angles) s'assuraient le contrôle des ports et des communications maritimes.
Les caractères du navire de charge ou cargo sont naturellement à l'opposé des options requises pour les croiseurs. Plus courts, plus large, avec une coupe de carène proche du rectangle ils ont une bien meilleure stabilité aux sollicitations latérales d'où la possibilité de monter un m~t plus haut et une voile plus grande. Cependant nous sommes toujours dans la classe des navires non quillés, non lestés et cette surface de voile doit rester modérée. D 'autre part, les membrures et carénages sont plus puissants, le poids est à l'avenant. Il faut réserver un espace central pour le fret, c'est généralement une clair-voie isolée du fond de cale soigneusement recouvert de peaux graissées pour assurer la protection des produits secs comme les céréales. Ce volume de charge réduit également l'espace des coursives et la place réservée aux rameurs, d'où des avirons plus courts et moins performants. Pour compenser l'enfoncement sous la charge, le bordage est plus haut et les avirons passent par des orifices qui seront bouchés par gros temps.
Pour cette embarcation de charge, l'équipage est réduit. Plus question pour la douzaine d'hommes qui en assure la manoeuvre de la tirer à grève, il lui faut des mouillages avec appontage en bois à l'abri des coups de vent, d'où l'intérêt pour les Normands de contrôler les grands estuaires comme celui de la Seine en aval de Rouen, contrôle qui devait nécessairement aboutir à la reddition de la cité. Ainsi l'orientation des conquêtes ne s'explique pas uniquement par l'esprit aventureux mais aussi par des considérations techniques.
Une fois le contrôle des estuaires assuré, les capitaines des cargos sont naturellement tentés de remonter le plus haut possible sur le fleuve afin d'éviter les ruptures de charge. La modeste taille des embarcations le permet mais les conditions optimums avec faible courant ne durent que quelques mois d'été. En toute autre saison, il faut remonter le fleuve à contre courant, et les méandres ainsi que les tourbillons de vent engendrés par les bois et les collines bordant le rivage gênent, voire interdisent, l'usage de la voile. Un équipage de rameurs supplémentaire est nécessaire. Il faut longer les berges au plus près pour bénéficier du moindre courant mais ces dernières ne sont pas toujours dégagées et certains parcours se révèlent longs, épuisants. Ainsi les marins scandinaves, que ce soit chez eux ou en pays conquis, accepteront la concurrence des barges spécifiques de rivière dont l'origine se perd dans la nuit des temps.
LES BARGES DE RIVIERE
Pour la course, bateaux de mer et de rivière ont souvent des origines communes et ne différent que par leur évolution ultérieure, ce fut particulièrement le cas en Baltique, mer fermée, alimentée par de grands fleuves aux longs parcours de plaine. Par contre les barges de rivière destinées au transport des lourdes charges vont prendre des formes et caractères diamétralement opposés.
Les coefficients de Reynolds nous donnent clairement le comportement du courant sur un fleuve. En appliquant les cercles concentriques sur une coupe du cours d'eau, nous voyons que la vitesse maximum se situe au centre Ce qui attaque les dépôts d'alluvion pour engendrer une profondeur maximum. Au contraire, les vitesses diminuent progressivement en allant vers la berge et cette absence de courant occasionne une accumulation de dépôts qui ne seront brassés qu'à l'heure des crues d'hiver et surtout de printemps. En terre froide, les débits engendrés par la fonte des neiges se voient multiplier par trois, par cinq ou plus et cet excédent bouscule les dépôts accumulés durant la bonne saison. Ces vitesses excessives provoquent des phénomènes dynamiques dans les courbes et plus encore dans les méandres où le courant majeur borde alternativement la rive droite et la rive gauche, attaquant les berges externes du méandre et laissant les dépôts alluvionnaires à l'intérieur de la courbe.
Ce rapide résumé des phénomènes hydrodynamiques nous donne les caractères requis pour les barges sur fleuves et grandes rivières. La descente en charge ou à vide ne pose pas de problème si ce n'est pour le guidage dans les courbes accentuées, par contre, la remontée en charge, face au courant, doit se faire sur les hauts fonds bordant la berge, au plus près, pour bénéficier du moindre courant. Si par chance une ligne de roseaux ou de petits arbustes isole un passage particulier, il sera privilégié, aménagé. C'est la nature qui va donner à l'homme l'idée du chenal latéral puis du chemin de halage. Le bateau sera donc de très faible tirant d'eau, étroit et long pour offrir le moins de traînée possible, avec des coursives latérales pour que l'équipage puisse manoeuvrer l'embarcation à la perche. Ces embarcations peuvent atteindre des tailles considérables. Les Néerlandais ont dégagé une grande barge de rivière de 34m de long, de 4m 50 de large sur 1m 20 de haut dont la capacité de charge atteignait 100 tonnes. Les plus grosses barges sont utilisées sur les bas cours des grands fleuves. En amont, où le parcours est semé d'obstacles, les coques seront plus petites, 10 à 30 tonnes en moyenne, mais les formes et caractères demeurent les mêmes.
La construction de ces bateaux de rivière exploite un procédé dont les origines remontent au néolithique. Il s'agit d'un tronc fendu par le milieu résultat que l'on peut obtenir en introduisant un coin de bois dans une amorce à la base et en laissant tomber l'ensemble sur un volume dur. Ensuite, les deux flancs sont façonnés et reliés par des entretoises qui formeront le fond de l'embarcation. Il reste à confectionner les parties avant et arrière de forme tronconique et relevée afin de faciliter l'avancement et d'accéder plus facilement à la berge. Les premières manufacturations feront sans doute grandement appel au bois ligaturé avec étanchéité de peau, ensuite, avec les outils de bronze et de fer les montages à bois vont se perfectionner et nous retrouverons là une évolution technologique semblable à celle déjà abordée pour les bateaux de mer.
A l'usage, ces embarcations descendent les grands fleuves en utilisant le courant majeur mais le fond plat engendre un glissement dans les virages. Pour éviter ce phénomène, les deux flancs sont taillés en quillette et descendent légèrement en dessous du fond. Avec ces nervures de guidage, le bateau tient le cap, les changements de direction, notamment dans les méandres serrés, sont confiés à six ou huit rameurs disposés à l'arrière et assurant une gouverne dynamique. C'était déjà le procédé employé sur le Nu par les grands cargos égyptiens. Il est possible également d'installer une gouverne arrière mais comme la différence de vitesse entre courant et embarcation est faible, il faut la concevoir très grande, parfois elle fonctionne en négatif, il faut alors contrebraquer.
La remontée se fait, comme nous l'avons dit, au plus près du bord. Les coursives latérales permettent aux bateliers de pousser l'embarcation avec des perches posées sur le fond. Lorsque le courant est trop fort, il faut pratiquer le halage. L'équipage abandonne les perches et chacun prend le harnais, gros baudrier de cuir placé sur la poitrine et relié au bateau par des faisceaux de cordage. En cas extrême, il faut avoir recours à des attelages de boeufs. Ce mode de transport est lent mais très économique. Il convient à toutes les marchandises lourdes et également au transport de bétail sur pied. Il est alors transformé en étable flottante. C'est ainsi sans doute que les Scandinaves ont amené des troupeaux venus du Centre Europe afin de développer leur exploitation. Ces barges servent également au transport de bois déjà séché, certaines essences favorables manquent en Scandinavie, la construction des habitations fera également appel à ces bois importés des forêts du Centre Europe.
Après avoir brièvement brossé le contexte économique et technologique où la société scandinave s'est développée, nous allons aborder le comportement de ces peuples grâce aux informations historiques.