DU DOMAINE AU PALAIS

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Parmi les envahisseurs qui s’imposent sur les ruines de l’Empire romain, Ostrogoths, Wisigoths et Lombards s’installent dans les palais urbains abandonnés. Par contre, les Francs refusent de se fixer dans ces métropoles et vivent, gèrent les affaires de l’Etat, dans de vastes domaines communément appelés Palais. Nous connaissons leur situation, leur rôle sans cesse croissant et les grandes réunions qui s’y sont tenues grâce aux actes et capitulaires promulgués à ces occasions mais nous ignorons leurs plans, leur articulation ainsi que la nature et qualité des bâtiments qui les composaient.

Pour combler cette lacune, nous pouvons exploiter les rares témoignages fournis par les prospections archéologiques. Certains l’ont fait outre mesure. Dans ce cas les risques d ‘égarement sont grands. D ‘autre part, nombreux sont ceux qui entendent s’en tenir aux stricts témoignages obtenus d’où un risque de sclérose et une image très partielle de ces grandes demeures, image sans rapport avec les fonctions qu’elles ont eues à cette époque historique.

Afin de ne pas nous égarer ou demeurer dans l’impasse, nous proposons d’aborder le sujet dans le cadre d’un programme tel que Viollet Le Duc le définissait très justement. La démarche peut se résumer ainsi. Toute demeure doit prendre les formes et caractères nécessaires aux activités de ses occupants. Si d’aventure, un prétentieux ou un esprit fantasque entend se construire un cadre de vie et d’activités hors mesure, cette “folie” sera bien vite condamnée par les nécessités d’usage. Chassez les impératifs du programme par la porte, ils reviendront vite par la fenêtre.

D ‘autre part, les besoins s ‘imposent au fil des années et le programme est à réviser sans cesse. Il faut donc suivre cette évolution, des origines à l’état achevé, de la grande demeure du Leude où réside celui qui sera proclamé roi au vaste ensemble administratif conçu à l’usage d’un gouvernement centralisé, comme ce fut le cas avec Charlemagne.

L’Etat est alors servi par des fonctionnaires toujours plus nombreux. L’Eglise peut couvrir cette demande, mais il faut que ces hommes de robe soient ouverts à la gestion, à la politique et aux affaires de l’Etat, et seule une élite bénédictine était préparée à cette tâche. Enarques avant la lettre, ils auront une vision impériale de leur mission qui doit aboutir à une dérive administrative, ce sera l’ultime programme sans doute bien concrétisé dans le nouveau palais d’Aix la Chapelle.

LES DOMAINES CONVOITES

De tout temps, les grands domaines ruraux naissent d’une ferme volonté familiale imposant la sauvegarde du patrimoine et son développement. Mais il faut pour cela un cadre social et un environnement agricole favorable. Pour les Francs qui s ‘installent sur les plaines septentrionales après la bataille de Soissons, le plus simple est de reprendre un domaine éclaté ou laissé à l’abandon par la société gallo-romaine. Il correspond à un environnement propice, il suffira d’appliquer, à nouveau, une gestion conforme à la règle. Même si les bâtiments sont ruinés, le dessin au sol et les fondations demeurent. D’autre part, le puits pour l’eau potable et les captations ou aménagements destinés à l’eau domestique subsistent, il suffit de les remettre en état. Enfin, l’ancien patrimoine sera remembré parfois en l’arrachant à ceux qui l’avait découpé à la faveur de la crise. Pour ce faire, les nouveaux maîtres ont le droit que donne l’épée. Il eut été parfaitement illogique de choisir un terrain vierge pour créer de toute pièce une nouvelle installation.

D’autre part, les Francs n’étaient pas sur des terres inconnues. Entre 300 et 400, bon nombre des leurs avaient parcouru ces régions septentrionales en tant que mercenaires de Rome ou plus simplement comme travailleurs émigrés chez les grands propriétaires terriens tentant de restaurer leurs exploitations à la faveur de la renaissance constantinienne. Sur quatre générations, les Francs avaient eu tout loisir de rêver à une installation sur ces grands domaines et certains y parvenaient grâce à de loyaux services rendus à l’Empire. Ce fut le cas notamment, en Belgique, sur les abords de la voie romaine Tournai-Maastricht.

Cependant, après la grande ruine des années 250/275, tous les domaines n ‘offraient pas le même intérêt. Les grandes villas de plateau, comme celles identifiées par R. Agache sont des exploitations typiquement céréalières et leur reprise au IV° siècle s’avérait délicate. Elles avaient fonctionné avec une grosse quantité de main d’oeuvre fournie par la petite paysannerie environnante et la population avait considérablement chuté, d’autre part, la grosse production céréalière se justifiait avec la demande du marché méditerranéen mais celui-ci n’existait plus. Dès la restauration Constantinienne, la propriété la plus intéressante est donc de caractère polyvalent. Elle est située près d’un cours d’eau, avec à la fois des pâturages de vallée pour un important troupeau de bêtes à cornes et de bons accès aux terres céréalières des plateaux environnants afin de garantir l’expansion future.

Cette approche nous semble logique et nous pouvons noter, dès à présent, que la quasi totalité des futurs palais carolingiens se trouve dans ses conditions optimum. Celui accolé à la ville de Soissons représente l’exception qui confirme la règle.

LA MOYENNE PROPRIETE.

La petite et moyenne propriété rurale se trouve à l’origine du système socio-politique franc, c’est l’apanage de l’homme libre, du Cavalier. Dès la Conquête, de petits groupes de Francs choisissent l’indépendance, chacun fonde une famille et s’impose en maître sur une centaine d’hectares où se trouve déjà un certain nombre de Gallo-romains. Ces petits de la Conquête n’ont pas obtenu les meilleures places mais c’est souvent un choix délibéré pour échapper à l’encadrement des grands. On les trouve sur les vallées de seconde importance et parfois au centre des dépressions de plateau, là où un bon réseau de captation permet d’abreuver le bétail en saison très sèche.

Chaque exploitation est gérée par une famille au sens large soit 6 à 12 individus qui imposent leurs lois et leurs règles à 30 ou 50 personnes d’origine gallo-romaine. L’intégration se fait lentement mais sûrement. Après trois ou cinq générations il est bien difficile de reconnaître les origines de chacun et la discipline voulue par le maître s ‘est imposée à tous. Cette famille peut fournir à la cause franque une “lance” composée de un ou deux cavaliers et de cinq à huit hommes à pied. En fin de cycle, le maître de ferme dont l’exploitation est souvent intégrée dans le parcellaire d’un gros village ne dispose plus que de 20 à 40 hectares mais ils sont très bien cultivés et les chevaux de trait supplantent les attelages de boeufs.

Le maître de ferme a fixé sa maison et son domaine en un lieu privilégié afin de marquer son emprise. Il a relevé des ruines existantes ou dégagé l’espace à sa convenance. La maison est vaste mais de facture rustique avec deux grandes pièces l’une pour le jour l’autre pour la nuit. Dans cette dernière, les espaces privés sont définis par des claies mobiles ou des tentures. Du vestibule central, on accède au grenier où dorment les domestiques de maison. L’essentiel du gros oeuvre est constitué de poteaux et de pièces de bois avec garniture de lattes et de torchis. Les sols de rez-de-chaussée sont en argile compacté ou en tuf damé et le plancher de l’étage est constitué de baliveaux garnis de petit bois noyé dans de l’argile taloché. La couverture est en chaume, en roseau ou en bardeau dans le meilleur des cas. Pour éviter l’action de ruissellement sur le torchis externe, les auvents couverts s’imposent. Dans ce descriptif nous sommes très près de la maison gallo-romaine de Wancourt en Picardie dont nous avons restitué l’élévation selon le plan découvert par R. Agache.

Les bâtiments de l’exploitation sont tout aussi rustiques mais toujours sur un seul niveau. Les récoltes de fourrage sont engrangées sous les couvertures tandis que les céréales, avant battage, sont placées dans un hangar indépendant. Le cheptel se compose d’un petit nombre de chevaux parmi lesquels on sélectionne les meilleurs pour la monte, et 30 à 50 bêtes à cornes.

Ces petites exploitations ne sont pas à l’abri des difficultés que peuvent engendrer les mauvaises récoltes ainsi, de là, sortiront la majorité des cadets sans avoir qui participeront à l’expansion franque et formeront l’ossature de 1 armée.

LA GRANDE EXPLOITATION

Parmi ces petites exploitations franques, certaines vont se développer plus que d’autres. Les Maîtres marient leurs fils à des héritières et leurs filles chez des voisins en difficulté ainsi, par le jeu des successions, certaines

familles vont accroître leur domaine propre et également acquérir une notoriété qui va souvent de paire avec la réussite sociale. Si les héritiers sont dignes de leur père, le maître de ce grand domaine peut dispenser aide et bons conseils, il sera appelé à régler les petits différends et la communauté fera naturellement appel à lui pour présider l’assemblée locale, gérer les conciliabules et éventuellement prendre le commandement d’une troupe constituée. Même s’il n’est pas tout à fait à la hauteur de sa tâche, ce notable acquiert des responsabilités qui ne seront plus mises en cause, sauf en cas de gros échec. Il en sera de même pour les familles nobles et bourgeoises tout au long de l’histoire.

Après deux ou trois générations de bonne gestion, les surfaces cultivées se situent entre 200 et 500 hectares avec une emprise de notoriété sur les 1000 à 1500 hectares environnant. Le chef de cette famille a désormais les moyens de réorganiser son domaine et de reconstruire sa maison. La disposition de l’habitat ne change guère, il y a toujours deux grandes pièces avec un vestibule central mais la construction est plus vaste et de meilleure facture ce qui permet d’aménager un niveau avec fenêtres. Cet étage devient domaine de nuit tandis que le rez-de-chaussée se transforme pour marquer la situation acquise. L’une des pièces est affectée à la vie active avec l’aide d’une domesticité plus nombreuse tandis que l’autre devient espace réservé ou lieu de conciliabule pour les réunions que la maître organise. Il y a toujours un grenier pour les domestiques de maison.

Avec l’aménagement du deuxième niveau, nous sommes en condition de plancher sur murs porteurs. Ces derniers sont toujours réalisés avec structures de bois et garnitures mais les poteaux et les poutres sont mieux préparés, soigneusement assemblés et les vides intermédiaires sont maintenant garnis d’un blocage fait de petits moëllons maçonnés à l’argile, des auvents protégent toujours les parties basses des ruissellements mais la partie haute du mur est souvent garnie d’un enduit de sable et de chaux. Ce procédé joint à des moëllons mieux appareillés donne une meilleure tenue, notamment aux pignons, qui constituent toujours la partie la plus exposée. Lorsque les constructeurs auront accepté d’appareiller rigoureusement les pierres de parement, ils pourront se dispenser de l’enduit de protection.

Le sol du premier niveau est toujours garni de tuf avec parfois un revêtement de briques romaines qui sont très recherchées, tandis qu’une sous couche d’argile permet de réguler la remontée d’humidité. Le sol de l’étage est maintenant fait d’un plancher porté sur poutres et solives. Enfin, la couverture de ces demeures évoluées est systématiquement en bardeaux, les tuiles romaines ont pratiquement disparu et le plomb demeure trop cher même pour ces notables du monde rural.

COUR NOBLE ET BASSE COUR

Chez ce grand propriétaire le mode de vie a lui aussi changé. Si la maisonnée comporte toujours 6 à 12 personnes de la famille directe, la domesticité s’est accrue. Ce sont maintenant 10 à 15 personnes, dont une petite moitié disponible à toute heure, qui couchent sous le comble, même si leur logement familial est ailleurs. Le maître, ses fils et les écuyers disposent d’une écurie beaucoup plus conséquente, une douzaine de chevaux de selle. A cela il faut ajouter une demi-douzaine de serviteurs triés sur le volet et s’occupant exclusivement des montures, des harnachements et des armes. Ils auront également la fonction de fantassins rapprochés dans la formation de combat, dans la lance. Tous vivent dans une cour réservée où l’on trouve également des femmes de ménage chargées de la cuisine et des buanderies. Un bâtiment indépendant avec foyer leur est affecté. Nous obtenons ainsi plus de 40 personnes directement attachées à la vie de la famille.

Parallèlement à cette cour que nous dirons noble, nous trouvons un quadrilatère où sont réparties étables et granges pour les troupeaux de bêtes à cornes, vaches laitières et boeufs de labours. Là se trouve également la domesticité spécifiquement agricole. Cet ensemble forme la basse cour. L’exploitation est cernée de prairies de proximité afin de dégourdir les bêtes en saison hivernale extrême.

Si ce grand domaine occupe une position optimum entre une voie sur berge et la rivière, l’orientation en perpendiculaire va de soi. La basse cour donne alors sur la voie sur berge tandis que la cour noble s’installe côté rivière. Elles sont séparées d’un mur mitoyen percé d’une porte. La maison des maîtres se trouve côté rivière avec une façade sur la cour noble tandis qu’un jardin potager ou d’agrément est installé sur le revers, avec accès sur berge.

Cette articulation correspond à un cérémonial que l’on retrouve dans les grandes demeures comme dans les espaces religieux. La première porte, ou porte commune, donne accès au domaine d’exploitation, la seconde, plus sélective, est réservée aux gens d’armes, aux palefreniers et aux serviteurs. Enfin, le vestibule de la maison du maître prend un caractère privé, il importe d’y être admis et invité. Ce crescendo n’est pas encore imposé mais il est reconnu par tous; c’est l’origine de l’étiquette.

LA COUR NOBLE

Le quadrilatère formant la cour noble dérive de la fonction et du simple bon sens, c’est le programme optimum. Il traversera les siècles à venir sans grande modification. Les périodes de trouble verront le mur périphérique se fermer, se renforcer et les rares ouvertures externes prennent de la hauteur tout en se réduisant. Le mur mitoyen s’élève et la porte d’accès se trouve flanquée de deux tours. Même traitement pour la maison noble qui perd ses ouvertures sur le revers et se garnit d’une ou deux tours. Le jardin est sacrifié. Ce sera la disposition des fermes fortifiées de la fin du Moyen Age établies en tout lieu où le château fort ne s’imposait pas, ce dernier n’étant que l’ultime développement.

La surface est alors réduite pour augmenter le nombre de défenseurs au mètre linéaire, les angles du quadrilatère ainsi que les courtines se garnissent de tours mais la disposition générale est conservée: logis du maître au centre face à l’accès, écuries et gens d’armes sur un côté, les serviteurs et les servitudes se répartissant sur les parties opposées, mais c’est toujours la porte d’accès qui commande ces dispositions. Si nous ajoutons une chapelle nous avons transformé une cour noble du Mérovingien et du Carolingien en un très classique château du XIII° siècle. L’évolution s’est faite de manière optimum en respectant les impératifs du programme.

La basse cour subsiste parfois mais elle est maintenant réservée â la piétaille de second rang qui vit là plus ou moins en famille. L’exploitation des terres est alors confiée à des fermettes satellites et les meilleurs domestiques peuvent devenir métayers.

Avec le bref épisode carolingien, cette cour noble va devenir centre de gouvernement, se transformer tout en gardant ses caractères ouverts et devenir palais. Mais, avant, il faut que la caste équestre franque s’organise en échelons divers et dans cette mutation apparaît un nouveau grand personnage, le Leude.

LE LEUDE

Si le grand propriétaire détient un rôle que nous qualifierons de notable, médiateur et chef de guerre, l’étagement est trop grand avec la maison du roi pour que le gouvernement franc fonctionne de bonne manière. Le monarque va donc favoriser l’émergence d’une classe intermédiaire afin de faciliter les rapports au sein de la pyramide sociale, ce sont les Leudes. De leur côté, moyens et grands propriétaires ont besoin que l’un des leurs soit bien introduit auprès du roi afin de se faire entendre. Le personnage sera donc choisi par la base, tel un leader et le roi doit le considérer comme tel.

Les historiens, selon les textes, ont mis en évidence le serment passé entre le roi et ses Leudes mais pour accéder à cet acte solennel, il faut être porteur d’une responsabilité, détenir un pouvoir reconnu au sein des hommes libres et constituer ainsi le rouage essentiel de l’état franc. Le Leude présente à l’assemblée royale, des choix, des options, une volonté émise par les collectivités qui les ont mandatés et ne sont absolument pas détenteurs d’une délégation de pouvoir venue d’en haut, celle-ci sera déléguée par le monarque à ses comtes, fonction administrative nouvelle voulue par Charlemagne.

LE DOMAINE DU LEUDE

Avec l’articulation politique ainsi mise en place, les réunions qui vont se tenir chez le Leude seront plus importantes, plus nombreuses et parfois empreintes de solennité. Nous pouvons imaginer que les premières se sont déroulées dans une grange aménagée comme cela se faisait, et se fera longtemps, pour les cérémonies privées. Mais, avec le développement des rouages de l’état, le Leude se trouve dans l’obligation de construire au sein de sa cour un bâtiment spécifique que nous pouvons appeler aula rustica en opposition à aula regia, terme communément utilisé pour désigner la salle de réunion royale à l’époque carolingienne. Toutefois ce n’est pas la seule modification imposée à la cour noble par les charges politiques du maître de maison.

Au niveau régional où il officie, le Leude appelle des hommes venus de loin. Le voyage, les conciliabules et le retour demandent plus d’une journée, il faut donc prévoir un hébergement. D’autre part, la délégation de pouvoir confiée aux grands propriétaires est souvent importante et ses mandants jugent bon de lui adjoindre un second qui doit jouer le rôle de conseil ou de censeur. Enfin, le gros propriétaire envisage de transmettre son patrimoine ainsi que ses charges à son fils aîné. Il va donc l’emmener avec lui dans ces réunions afin de lui mettre “le pied à l’étrier”. La délégation devient fort nombreuse.

Si une concertation organisée par un grand propriétaire peut se traiter en une journée à l’occasion d’un banquet regroupant dix à quinze convives, les réunions organisées chez le Leude comptent dix à vingt délégations de trois ou quatre personnes, soit plus de cinquante individus servis d’une quantité égale de palefreniers. Tous sont à loger, à nourrir mais avec des égards variables selon leur rang. Trente à cinquante personnes et autant de chevaux trouvent une place réservée dans la cour noble, les autres s’installent au mieux dans les bâtiments d’exploitation libérés pour l’occasion.

Lors de la réunion tenue dans la grande salle aula rustica, la même distinction de rang est respectée. Les dignitaires en titre se tiennent autour du L’eude et participent activement aux conciliabules, les autres sont en retrait et ne font que répondre aux questions qui leur sont posées. La réunion terminée, les serviteurs poussent les tabourets et les bancs, dressent la table sur des tréteaux et le banquet commence, beaucoup plus ouvert et sans cérémonial. Bien sûr les femmes en sont exclues mais les servantes largement admises.

Hors ces réunions occasionnelles, le domaine du Leude retrouve ses caractères purement agricoles. Le programme de construction doit concilier le courant et l’occasionnel et trouver un juste compromis entre ses besoins divers.

LES BATIMENTS SELON LE PROGRAMME

L’aula rustica qui constitue l’innovation majeure du programme s’intègre naturellement sur un côté de la cour noble. L’édifice n’est pas dérivé d’un quelconque modèle royal, c’est l’évolution de la grange aménagée qui servait naguère aux réunions. Sa surface peut varier entre 100 et 200m2 sur un rapport voisin de 1/3 et c’est par petites touches successives que la composition achevée va se dégager de l’édifice agricole qui a présidé à sa naissance.

A l’origine, les poteaux soutenant les fermes demeurent dans l’ouvrage et les maçonneries sont sommaires avec majorité d’argile et un enduit à la chaux. La nouvelle fonction demande de la lumière, le nombre et la taille des fenêtres augmente mais les matériaux rustiques utilisés sur les croisées, bois et parchemin huilé, nécessitent une protection contre les intempéries. Les ouvertures deviennent hautes et étroites, l’auvent suit mais ne s’aligne pas sur la toiture. Sur le mur la hauteur restante ne permet pas encore l’ouverture d’un registre de fenêtres hautes. Le revers du bâtiment est aveugle, les pignons également. C’est encore une grange évoluée à laquelle il faudra donner des caractères spécifiques.

Dans l’évolution qui suit, le mur devient porteur. Maçonneries et parements sont nécessairement plus soignés. Si le revers demeure aveugle, la façade se transforme pour mieux tenir aux intempéries mais également pour plaire à l’oeil des dignitaires que l’on accueille. L’auvent voit sa hauteur réduite pour utiliser des supports en maçonnerie ou, dans certains cas, des colonnes monolithiques de récupération. Le second niveau augmente parallèlement ce qui permet d’installer un registre de fenêtres hautes, la qualité du mur le permet mais les croisées de bois garnies de parchemin demeurent exposées. Chez les plus riches elles seront garnies de galettes de verre maintenues au mortier de chaux dans un cadre métallique lui-même inséré dans une croisée de bois puis de pierres. Enfin, la couverture traditionnelle de bardeau peut être remplacée par des plaques de plomb.

Ces aula rustica s’apparentent aux grandes scella des édifices religieux. La fonction est différente mais pour le maître d’oeuvre les problèmes techniques sont les mêmes.

La demeure du maître, elle, ne change guère de forme mais les grands volumes modulables laissent place à des pièces spécifiques et la facture devient plus soignée. Autour de la cour noble, les bâtiments qui doivent maintenant abriter des invités occasionnels sont plus nombreux. Ils occupent la totalité d’un côté puis passent à deux niveaux. Leur facture évolue moins vite, seul le traitement des surfaces devient plus “riche”; enduit, peinture tentures amovibles. Enfin les écuries doivent avoir la taille requise, 30 à 50 stalles ou bas flancs environ, et les bâtiments destinés à abriter le personnel sont à l’avenant. Le mur mitoyen qui sépare la cour noble de la basse cour se garnit de constructions annexes et la porte prend un caractère monumental avec deux tours carrées.

Le Leude est nécessairement un homme riche. Cette fortune est-elle la conséquence ou la cause de son rang? Les deux facteurs doivent intervenir conjointement mais cette richesse n ‘interfère pas sur son statut fondamental d’agriculteur. La cour noble restera flanquée de la basse cour mais la nature de l’exploitation évolue. Les chevaux de trait s’imposent pour les charrois puis pour les labours. Le domaine céréalier l’emporte sur les pâturages. Ce sont les grains vendus qui permettent l’acquisition des produits de luxe qui vont marquer le rang du propriétaire. Sur les 300 à 600 hectares du domaine, nous trouvons maintenant des fermettes satellites plus spécialement affectées aux bovidés. Le maître a également installé ses enfants et sa parenté sur d’autres domaines voisins, certains Leudes peuvent ainsi contrôler plusieurs milliers d’hectares et disposer de 20 à 30 lances en propre, ce qui sert grandement leur position mais représente aussi une lourde charge de gestion et un grand risque d’éclatement lors des successions. Ainsi certains Leudes perdent leurs avantages tandis que d’autres en acquièrent, les conflits d’intérêts sont fréquents. C’est au roi de trancher.

Au temps où tous les rouages de l’état franc jouaient leur rôle, respectaient leurs devoirs, l’institution monarchique demeurait stable malgré les grandes querelles qui agitaient le sommet de la pyramide. Cette stabilité va durer jusqu’à l’épisode carolingien où l’institution impériale bouscule toutes les traditions.

L’INSTITUTION ROYALE

Dans le désarroi et les troubles du V° siècle, la société occidentale s’attache encore confusément à l’institution impériale et romaine. Mais les bandes d’aventuriers en armes qui se disent officiers et soldats romains vivent de pillage, de rapine et se font détester par la population rurale. Ils ne sont guère mieux appréciés dans les cités obligées de les héberger sous le pavillon comtal. Plus enclins à jouir de leur charge qu’a prendre des risques au combat, ils sont également déconsidérés aux yeux des chrétiens. Aetius dut faire appel aux Wisigoths et Syagrius utilisa régulièrement des contingents francs qui se révélèrent bons combattants, disciplinés et respectueux du chef qu’ils s ‘étaient choisi. D ‘autre part ils ne demandent pour services rendus qu’une reconnaissance de leurs droits sur les terres qu’ils occupent et remettent en culture. L’institution romaine accorde à certains chefs francs avantages en nature, et dignité. Ce fut le cas de Childeric qui vit confirmer ses droits sur la rive sud-est de l’Escaut et reçut le titre de roi.

Cette dignité n’a pas grande signification chez les Francs mais puisque les Romains accordent ce titre à ceux qui les ont bien servis, ils vont l’accepter sans pour autant lui conférer des pouvoirs susceptibles de contrarier les us et coutumes traditionnels. D’autre part, et toujours selon les usages, ce titre est reconnu à l’homme et non à sa famille. Il doit donc s’éteindre avec lui. Par commodité, les Romains l’entendent également ainsi.

CLOVIS

Au cours de son long règne, 458/481, qui suivit ses exploits de jeunesse, Childéric avait contracté plusieurs mariages à la mode germanique et engendré de nombreux héritiers de droit, sans compter les illégitimes. Clovis, le plus ambitieux d’entre eux, se persuada qu’il deviendrait roi également, d’où une sanglante succession où il fendit bon nombre de têtes qui s’opposaient à lui. Après ce carnage, il comprit que les haines accumulées sur sa personne ne s’éteindraient pas de son vivant, mieux valait s’éloigner. Partir à la conquête de nouvelles terres était la plus judicieuse solution.

L’étoile de Clovis grandit. A la poignée de complices qui l’ont aidé à s’imposer, s’ajoutent bon nombre de cadets sans avoir épris d’aventures et de conquêtes. La petite troupe regarde vers le Sud, vers ce vaste royaume de Syagrius qui paraît si fragile. Clovis choisit très intelligemment un point sensible, le pont de Soissons où les intérêts francs et gallo—romains s’affrontent de longue date. Il acquiert ainsi l’aide de nombreux cavaliers du voisinage désireux de faire sauter ce verrou. Syagrius a compris le danger. Il affronte Clovis et sera battu. Pour les Francs il s’agit sans doute de gagner les terres du sud de l’Oise, pour Clovis l’objectif est de créer un grand royaume bien à lui. La dynamique traditionnelle des Francs va le servir, il trouvera toujours quelques milliers de cavaliers pour mener ses conquêtes, et acquérir ainsi les deux-tiers de l’Occident septentrional.

LE PATRIMOINE DE CLOVIS

S’il entend protéger 1 ‘Eglise et ses biens comme il l’a promis à Rémi, Clovis n’a aucun scrupule à l’égard des grands qui se sont engagés aux côtés de Syagrius. Leurs biens et leurs terres seront systématiquement confisqués au profit de ses amis et compagnons d’aventure et lui-même s‘octrois la part du lion.

Toutes les terres et domaines qui deviendront patrimoine royal s’articulent entre deux villes, Paris et Soissons. Sur l’Aisne qui demeure une limite, une frontière entre les terres acquises par les Francs et celles conquises par Clovis, Soissons demeure une position stratégique. Là se situe le premier palais mérovingien. Nous ignorons son emplacement mais il est peu probable que ce soit le réduit situé à l’angle nord-est de la cité. Nous proposons pour sa situation la hauteur de Saint-Jean des Vignes qui contrôle la voie romaine menant vers le sud. C’est alors un lieu pratiquement désaffecté où résident quelques agriculteurs qui se sont partagé les ruines d’un grand domaine. La position permet également d’assurer protection et emprise sur l’artisanat installé dans la vallée.

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Le dernier tronçon de la Chaussée d'Agrippa atteignait l'Aisne a la hauteur de Fort Condé ensuite, le tracé rejoignait la colline Saint Jean (tronçon A,B). Ultérieurement, la ville augustéenne sera édifiée au pied de la colline mais, pour le respect des pentes (assainissement), le maillage couvre a Chaussée de transit (C,D) en diagonale. C'est exceptionnel. Après 250/275, la vie se replie derrière un rectangle fortifié (E,F,G,H) avec une petite citadelle (J). Trop petite pour abriter des forces avec cavalerie, elle sera délaissée au profil d'une installation plus vaste qui deviendra résidence (palais) sous Clovis. Nous proposons de le situer sur la colline Saint Jean, au-dessus de l'amphithéâtre où les rois francs ont à nouveau programmé des jeux. Au temps de Louis le Pieux, la cour réside exclusivement à Aix la Chapelle et le palais devient insensiblement domaine ecclésiastique, puis abbaye


A cette position clé, s’ajoutent de nombreux domaines établis sur les bords de l’Oise. Vic-sur-Aisne et Barny sont les principaux. Le patrimoine royal comprend également les grands domaines de Compiègne et de Verberie, tous deux en condition optimum puisqu’ils s’insèrent entre une rivière et une voie sur berge.

PARIS

Nous ignorons tout des conditions d’existence de Syagrius (le dernier des Romains), mais Paris était sans doute l’une de ses résidences sinon la plus importante. Si nous situons le domaine comtal sur la moitié nord de la partie aval de l’Ile de la Cité, nous avons là le plus vaste ensemble reconnu au sein des villes septentrionales (90 X 150m). Cette résidence fut également appréciée par l’empereur Julien qui y séjourna une saison et lui donna son titre de palais. Après Soissons, il revenait donc logiquement à Clovis mais les bourgeois parisiens qui entendent récupérer l’ensemble de la cité, refusent et ferment leurs portes au roi franc. Plusieurs solutions s ‘offrent à ce dernier; prendre la ville de force mais ce serait rompre le concordat, l’étouffer économiquement en contrôlant les ponts aval et amont ce serait long, ou bien transiger. Avec un juste dosage de la seconde et de la troisième méthode, Clovis arrivera à ses fins d’autant qu’il a une alliée dans la place, la dame de la colline, Sainte-Geneviève, une amie de son épouse Clotilde. Mais l’affaire traîne en longueur, Paris résistera puis se fera prier durant sept à huit ans.

Sur cette période, les Francs qui doivent accéder aux provinces du sud aménagent un franchissement en aval de Paris, ce sera celui de Catulliacus devenu Saint-Denis. A cet endroit, le grand fleuve décompose son fond de méandres en deux ou trois bras larges et peu profonds, conditions favorables pour l’établissement d’un pont de bois à arches multiples ou à la manoeuvre de bacs avec des filins tendus entre les deux bords. D’autre part, l’ancien carrefour romain représente un réel intérêt stratégique et justifiera de nombreuses convoitises jusqu’à sa neutralisation par les moines de Saint-Denis. Le franchissement aménagé bloque toutes les communications des bateliers parisiens avec les terres de l’aval et l’occupation de Catulliacus commande toutes les communications routières avec le Nord et la Normandie. Clovis confirme cette prise en mains en s’attribuant deux grands domaines voisins, Catulliacus qui deviendra la future abbaye de Saint-Denis, et Clipiacum, le futur grand palais mérovingien de Clichy. Ce dernier est également en conditions optimum puisque situé entre la voie sur berge et le cours du fleuve.

A ces positions clé, s’ajoute la butte de Chelles d’où l’on peut contrôler le cours de la Marne et peut être deux autres grands domaines ruraux qui deviendront les châteaux de Vincennes et de Madrid tous deux établis sur la voie romaine perpendiculaire au franchissement parisien (rue du faubourg Saint-Antoine et Saint-Honoré).

Une fois acquis par Clovis, le palais de la Cité devient une résidence mérovingienne comme les autres mais dont les accès sont malaisés. Il faut franchir les deux portes du pont nord qui sont aux mains des Parisiens et parcourir les rues étroites et encombrées de la ville à la merci des humeurs des citadins. Certes les accès par la Seine demeurent libres mais il faut mettre les chevaux sur des barques et les Francs n’aiment pas ce genre de manoeuvre.

Soissons et Paris vont encadrer une vaste zone que nous dirons palatine. Durant huit siècles elle sera fidèle à la couronne sans doute plus par intérêt que par conviction. Là, insensiblement, se construit le coeur du royaume de France.

LA CONDITION ROYALE

Dès le règne de Clovis, la fonction royale fixe ses caractères. En vertu du concordat, les villes et l’église considèrent le monarque comme l’interlocuteur privilégié, ensuite ce sont les Leudes eux-mêmes qui doivent admettre l’intérêt d’un niveau de concertation à l’échelle de la nation qu’ils viennent de conquérir. Le roi assure les conciliations, les jugements et leur application. Il devient également le chef de guerre tout désigné, même si, pour l’heure, les Francs n’ont plus rien à craindre sinon d’eux-mêmes.

Ainsi, en nous référant au “programme”, le palais royal mérovingien doit logiquement évoluer du grand domaine rural (la demeure du Leude) au centre de gouvernement avec bâtiments administratifs et casernement pour les soldats. Ensuite, sur la brève période carolingienne la stabilité politique permet de détacher la garnison, de ne conserver qu’un corps de garde tandis que les rouages administratifs et les archives se développent. En fin de cycle, les appartements de l’Empereur n ‘occupent plus qu’une infime partie du complexe. C’est une évolution considérable que nous pouvons décomposer en diverses périodes, trois pour le moins. Les mutations propres aux mérovingiens, les premières modifications imposées par la centralisation carolingienne et enfin la cité de gouvernement idéalement conçue qui fut, pour Charlemagne, un objectif sans doute jamais réalisé.

LES DOMAINES CONQUIS

Lorsque les Francs prennent possession de leurs domaines respectifs, ces derniers ont pour le moins quatre cents ans d’existence. Fondées au siècle des Antonins, détruites en 250/280, reprises, remembrées et restaurées lors de la brève renaissance constantinienne, ces propriétés seront à nouveau mises à mal en 406, et enfin reprises par des dignitaires des gouvernements d’Aetius et de Syagrius. Au cours de cette dernière période, que restait—il des usages gallo-romains et de la grande architecture bourgeoise de l’empire? Difficile de choisir entre l’image la plus pessimiste où l’on voit une horde de mercenaires sans discipline ni dignité camper dans les ruines d’un vaste domaine et celle plus optimiste où l’on voit des dignitaires venus d’Orient se faire reconstruire de superbes villas avec l’autorité que donne le glaive en période trouble. Si le pouvoir de Syagrius est bien installé en région parisienne, comme nous en avons admis l’hypothèse, les domaines du Val d’Oise et d’Ile de Franco ont quelques chances d’être en de bonnes mains. Voyons comment pouvaient se présenter les quatre palais établis en condition optimum, soit Compiègne, Verberie, Clichy et Poissy.

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Située sur le plateau dominant la vallée de la Noyé, et à 1.000m de la Chaussée Romaine menant d'Amiens à Senlis, l'exploitation céréalière d'Rstrées-sur-Noye doit cultiver environ 300 ha de bonnes terres et si l'ensemble est plus élaboré que celui de Warfuséc-Abancourt, les caractères sont semblables. Le corps d'habitation (A) fait 20 X 70m, soit 1.400 m2 avec des escaliers internes en cloison (B,C). Ce volume est décomposé en 7 pièces desservies par deux couloirs de revers (D,E), l'un privé l'autre pour les serviteurs. Des communs (F) flanqués d'une cour (G) occupent l'une des ailes, l'auirc comporte deux grands volumes qui ne sont pas des tours. L'ensemble couvre 3.000 m2 au sol. La cour noble (H) flanquée de galeries couvertes (J) est fermée d'une porte monumentale (K). L'habitation est légèrement gauchie par rapport à l'ensemble ci c'est sans doute une reconstruction. Coté basse cour (L), nous trouvons l'aile des servitudes avec le bâtimcnt des foyers (M) son four à pain (N), et des constructions diverses (P.Q.R,S). Sur l'autre face, se développe un long corps de bâtiment de 1.840 m2 au sol sans la galerie de façade (920m). Ici le premier niveau peut recevoir des habitations mais l'absence de grange nous suggère un très vaste séchoir à céréales établi au premier niveau. Les écuries probablement en (T).


Pour vivre fastueusement en période pauvre il faut tirer ses revenus de très vastes superficies. Il ne s’agit plus de 400 à 600 hectares bien cultivés mais de 1500 à 3000 hectares pauvrement travaillés et pour ces quatre domaines les surfaces nécessaires sont faciles à trouver. D ‘autre part, le maître a tout loisir de dégager le domaine des intrus qui s’y étaient établis, de raser les taudis rapidement construits dans les ruines et de mettre les fondations à nu. Enfin, pour reconstruire il faut des maçons qualifiés, des fours à chaux en service et des carrières en exploitation. L’Oise et l’Aisne sont bordées de bonnes veines calcaires faciles à exploiter et la batelerie avait les moyens de transporter ces matériaux, quant aux professionnels du bâtiment, l’autorité des propriétaires permettait de les déplacer. Les domaines en question se trouvaient donc en bonnes conditions pour être repris et restaurés dès le milieu du V° siècle, restent la volonté des maîtres, leur mode de vie, leur goût. Les souvenirs de l’Empire étaient sans doute vivaces en Occident et l’envie d’une fastueuse demeure pouvait germer dans les esprits les plus ordinaires pourvu qu’ils en aient les moyens. En conclusion nous dirons que ces bâtisses étaient prétentieuses dans les formes et médiocres dans la facture.

Pour l’habitat, nous avons le choix entre deux partis. L’un est dérivé de l’antique, illustré par la belle maison encadrée de deux tourelles d’escalier de Villers-sous-Ailly en Picardie, dont nous avons restituée l’élévation sur un plan de R. Agache, l’autre est presque aussi important, mais extrapolé des modèles rustiques avec deux vastes niveaux à cloisonner à la demande et deux pignons avec cheminée. Au vu de l’évolution architecturale en 11e de Franco, la seconde hypothèse semble la plus vraisemblable, par contre, lé modèle de Villers-sous-Ailly s’est toujours maintenu en Bourgogne où nous le retrouvons aujourd’hui.

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A mi distance entre Saint-Valérie et Abbeville, Port le Grand se trouve dans une région traditionnellement vouée à l'élevage. L'habitation (A) comporte cinq pièces distribuées par un couloir de façade (B) et nous trouvons également les auvents traditionnels (CD). Sur la cour noble nous avons un foyer collectif (E), une écurie (F) et un bâtiment réservé au personnel (G). Enfin» la basse cour est encadrée de logements (H) et de bâtiments d'exploitation (J). Toutes ces constructions sont cernées d'un mur (K), les terres cultivées peuvent représenter 80/100 ha. Située à 400m au sud de la Chaussée Romaine menant d'Amiens à Vcrmand, l'exploitation de Warfusée-Habencourt est une très grande ferme qui doit cultiver 250/300 ha de terre exclusivement céréalièrc. La demeure du maître (L) comporte un corps d'habitation de 18 x 72m, soit 1.296 m2 décomposés en quatre grandes pièces de 10m de portée desservies par un couloir de distribution. Ces logements sont entourés d'auvents de 7 à 8m de largeur (M) et flanques de quatre tours (N,P,Q,R). L'ensemble représente 3.420 m2. La cour noble (S) est fermée d'une galerie couverte (T) avec deux portes monumentales (U,V). Les écuries (W) sont vastes et font face aux bâtiments des foyers domestiques (X). Autour de la basse cour (Y), nous trouvons également les habitats domestiques (Z) surmontés de séchoirs a céréales et sur l'autre face les bâtiments d'exploitation. L'ensemble couvre plus de 30.000 m2.


LA PREMIERE INSTALLATION

Clovis avait emmené ses jeunes combattants sur la promesse de terres nouvelles, de situations enviables. Après la victoire, le petit combattant reçoit de 30 à 40 hectares afin de s’instaurer maître de ferme. Le chef veut une ou deux centaines d’hectares afin de préserver son rang, quant aux familiers du roi, ils exigent de grands domaines avec plusieurs milliers d’hectares. Dès le premier hiver, tous ou presque ont fait leur choix mais le jeune roi de Tournai veut les maintenir sous les armes et les emmener bien au-delà de l’objectif initial.

A la fin de l’été 486, Clovis qui se trouve à la tête d’une troupe personnelle de 20 à 40 compagnons à cheval suivis de 100 à200 hommes à pied, doit, lui aussi, prendre ses quartiers d’hiver. Où s’est-il installé nous l’ignorons? Mais le grand domaine rural de Clichy semble le plus propice pour mener l’action d’investissement qu’il projette sur Paris. Par contre, si la situation et le cadre sont satisfaisants, l’aménagement interne ne convient pas. Conçu pour une grande famille vivant bourgeoisement, et pour l’exploitation des domaines et terres environnants, il lui faut subir une sérieuse transformation afin d’abriter un chef de guerre, ses compagnons d’armes et leurs fantassins.

La basse cour change d’affectation. Les bêtes à cornes sont réparties dans les fermettes environnantes et les étables transformées en casernement et en écurie. Le roi et ses cavaliers occupent naturellement la cour noble mais la maison d’habitation, même vaste, se prête mal à l’hébergement de trois fois plus d’individus que précédemment. Les écuries sont également insuffisantes. En résumé, la disposition en deux cours demeure mais ce sont les bâtiments qui doivent répondre à des besoins nouveaux. Cependant la mutation doit s’étaler dans le temps et, pour l’heure, Clovis et ses hommes acceptent leurs conditions d’hébergement précaires.

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La demeure de qualité sera imaginée en fonction des origines ci de la position sociale du propriétaire. La maison gallo-romaine de Wancourt en Picardie est une chaumière de luxe voulue par un homme dont l'ascencion sociale est récente. Son ambition est de construire grand mais il n'imagine pas d'autre cadre de vie que celui qu'il a connu, seules l'importance du bâtiment et la qualité des matériaux employés vont changer.
Sur un soubassement fait de petits moellons et de mortier maigre (A), le constructeur installe des poutres sommairement appareillées en guise de longrinc (B). Elle supportera une série de poteaux (C). Ces supports seront coiffés d'un "chapiteau" (D) destiné à répartir les charges hautes. Poteaux et chapiteaux portent un second cadre de longrine correspondant au plancher (E). Les montages à bois sont sommaires ou inexistants cl la stabilité de l'ensemble serra assuré par le remplissage interne (F) en torchis parfois renforcé de lattis. Les ouvertures (G) sont petites et maintenues par un cadre de bois. Le mur ainsi constitué sera surface avec un enduit à la chaux mais il demeure très fragile d'où le vaste auvent (H) ci la toiture très débordante (J). Le second niveau (K) est de môme facture et le plancher (L) est en bois. Enfin, sur une charpente supportée par des poteaux (M), la couverture est en chaume ou en bardeaux. Le premier niveau sera décomposé en deux grandes pièces (N.P), l'une de jour l'autre de nuit mais les poteaux support peuvent aider à maintenir des cloisons légères dans la pièce de nuit. Les maîires vivent au rez-de-chaussée, les serviteurs dorment dans le grenier dans des espaces cloisonnés, ce second niveau est accessible par l'escalier central (Q).


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Si l'héritier du grand domaine gallo-romain a reçu son instruction en milieu urbain, son éducation est bien différente. Une fois maître de l'exploitation il imagine un programme conforme au genre de vie qu'il affectionne. Sa maison ne sera plus une chaumière évoluée mais un palais rustique. Toutes les époques ont vu co-habiter les esprits frustes et les maniérés et ce n'est pas nécessairement une question de moyens. Le premier va consacrer tous ses revenus à l'agrandissement de son domaine, le second peut hypothéquer son patrimoine pour le plaisir de paraître. La demeure gallo-romaine de Villers sous Ailly peut illustrer la seconde psychologie.

La bâtisse sera réalisée en dur avec murs porteurs (A) en maçonnerie de moellons et de mortier de chaux avec un enduit au sable résistant bien aux intempéries. Les niveaux internes comporteront poutres maîtresses encastrées, solives et planchers. La présence d'un mur de refend (B) assure des portées toujours inférieures à 6m 50 ce qui suppose un carrelage sur plancher. La couverture (C) sera réalisée en tuiles à couvre joints. Le corps de bâtiment SC trouve décomposé en trois niveaux: un sous-sol semi enterre pour les servitudes (D), un niveau de jour (E) et un niveau de nuit (F). Les pièces sont nombreuses afin que les membres de la famille puissent disposer d'un espace privilégié au premier et d'une pièce privée au second. Les serviteurs ne sont plus issus de l'exploitation. Ils ont reçu instruction et formation pour servir sans géner les maîtres, ils utiliseront des escaliers installés dans les tours (G,H), les escaliers internes (J,K) étant réservés aux maîtres. Les galeries de façade complètent ce programme.

La comparaison de ces deux édifices tous deux liés a une exploitation agricole ci pourtant très différents nous permet une conclusion. Toute construction doit répondre aux impci.ttilN d'un programme et c'est lui qui servira de fil conducteur, parler d'architecture gallo-romaine ou carolingienne est superfétatoire.


LES BATIMENTS, LEUR FACTURE

Comme nous l’avons déjà évoqué, le traitement des constructions est grandement conditionné par les matériaux disponibles et les moyens de transport pour les amener à pied d’oeuvre. Les grands palais mérovingiens qui vont s’imposer au cours des trois siècles d’histoire se trouvent à proximité d’une rivière navigable; ils retrouveront donc les conditions favorables déjà citées au sujet des restaurations et reconstructions des grands domaines qui les ont précédés.

Nous pouvons admettre un traitement des plus soignés avec deux réserves cependant: les croisées des fenêtres seront majoritairement traitées en translucide avec bois et parchemin huilé, les galettes de verre existent mais demeurent manufacturées en des lieux précis, quant aux petites plaques de verre d’une surface inférieure à 1 dm2, qui s’imposeront dans les vitraux du Haut Moyen Age, les techniques de montage ne sont pas encore satisfaisantes. En second, les couvertures en plomb demeurent rares et chères. L’occupation des mines d’Espagne par les Musulmans a tari toute importation directe et la récupération des conduites d’eau d’origines romaines ne fait que commencer. C’est avec la forte demande de l’époque carolingienne qu’elle se développera vraiment.

Les murs sont traités en maçonnerie où le mortier de chaux s’impose face à l’argile, mais les parements appareillés seront longtemps réservés aux surfaces fortement exposées au ruissellement, les autres étant toujours recouvertes d’un enduit de sable et de chaux, ou plus simplement lissées à la chaux. A chaque programme nouveau, la demande de bonne pierre pour appareillage remonte jusqu’aux carrières du voisinage mais il faut ouvrir des tranchées de dégagement afin d’accéder aux bonnes veines. Ainsi, plus la demande est importante, meilleure sera la qualité des produits fournis. Les carrières de l’Oise et de l’Aisne donneront leur meilleure production à l’époque romane et gothique.

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La société gallo-romaine avait policé ses élites, les Francs, eux, demeurent fondamentalement ruraux, adeptes d'une vie fruste mais ce choix n'interdit pas la construction de qualité. Pour le grand propriétaire ayant acquis une stature régionale, il était convenable de se faire construire une demeure digne de son rang. Il fait appel à des maçons et charpentiers venus de milieux urbains où les techniques antiques sont préservées. Les murs sont réalisés en petit appareil avec enduit de sable et de chaux (A) et la couverture (B) est constituée de tuiles ou de feuilles de plomb. Cependant, l'articulation interne demeure profondément "rurale" avec les deux grands volumes du premier niveau (CD), la maisonnée vit en C, l'autre volume étant réservé aux réunions organisées par le maître de maison. Enfin, l'étage est réservé à la nuit avec décomposition en cloisons légères maintenues par les supports (E).Deux pignons internes (F,G) confortent la charpente (H) et encadrent l'escalier (J). L'édifice comporte galeries de façade (K) et de revers (L).


Pour les charpentes, l’usage généralisé du bardeau a imposé de fortes pentes, 450 et plus, et les fermes ont quelque peine à trouver une composition optimum. A l’intérieur du triangle formé par les arbalétriers et l’entrait, la disposition des bois secondaires s’oriente vers des formes rectangulaires. C’est une option qui demeure en vigueur une bonne partie du Moyen Age, l’idée du contreventement et des positions obliques eut toujours quelques difficultés à pénétrer les esprits.

Toutes les constructions de l’époque sont mal éclairées et les bougies de suif insuffisamment raffiné utilisées lors des soirées de réception laissent d’importants dépôts de suie sur les poutres et les solives apparentes. A cette époque, ces dépôts sont considérés comme la meilleure protection contre les parasites du bois, mais le danger d’incendie est grand et la durée de vie des ces vastes bâtiments à usage collectif est relativement courte. Lors d’un sinistre, la grande quantité de matières combustibles contenues dans les combles aménagés, dans les planchers et cloisons, fait que la ruine est souvent radicale, même les murs porteurs de bonne qualité s ‘effondrent. Les édifices religieux où le sinistre se concentre uniquement sur les charpentes ont une meilleure tenue.

LA COUR, SON ARTICULATION

Après les aménagements succincts convenant bien aux aventuriers venus de Tournai, la cour mérovingienne s’installe. Un nouveau programme s’impose. Pour les activités de la cour noble quels sont les aménagements optimum requis? Le roi doit trouver un cadre convenable pour abriter une vie privée et publique, cependant ces deux caractères vont se confondre dans le temps, pas dans l’espace.

Avec la notoriété de Clovis, sa maison s’est accrue. De nombreux proches gravitent maintenant autour de sa personne et la domesticité augmente également. Ce sont 30 à 50 individus qui se trouvent liés aux appartements privés du roi. D’autre part, les attributions politiques du monarque se développent. Les décisions qu’il peut prendre ou confirmer, les litiges qu’il doit trancher ainsi que les délégations qu’il accorde amènent auprès de lui un petit nombre de conseillers dont certains vivront en famille. Pour ces gens il faut également une domesticité. Enfin, les actes de gouvernement imposent de nombreux scribes majoritairement venus des milieux ecclésiastiques. L’ensemble forme la maison civile du roi forte de 120 â 150 personnes.

Pour la gestion des affaires militaires, le roi doit en référer aux Leudes qui viennent en consultation. Ces assemblées amènent une bonne centaine de personnes en résidence temporaire qu’il faut héberger et traiter avec les honneurs dus à leur rang. Ces réunions se tiendront dans une grande salle fort semblable à celle qui sera aménagée par les Leudes, ce sera l’aula regia.

Parallèlement se développe ce que nous appellerons l’intendance militaire chargée d’organiser les déplacements ainsi que la garde des palais. La troupe occupe les cantonnements établis dans le second quadrilatère (anciennement basse cour) mais les officiers désirent marquer leur rang par une installation distincte et confortable. Ils sont nombreux, 20 à 40, eux aussi tentés par une vie de famille. Ainsi la troupe en garnison peut compter de 150 à 200 hommes.

En résumé, la maison privée du roi, ses conseillers et fonctionnaires ainsi que sa maison militaire représentent un effectif de 4 à 500 personnes.

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Avec la demeure précédente voyons une articulation satisfaisante des bâtiments d'exploitation, le plan étant celui d'un domaine gallo-romain récupéré par les premiers conquérants. Autour de la cour noble (A) nous trouvons l'habitation (B), l'écurie (C) avec sa grange particulière (D) et les locaux des palefreniers (E). Sur la façade opposée, se trouvent le foyer principal (F) pour la cuisine et les lessives, des bâtiments divers (H) et des locaux pour les domestiques (J,K). Cette aile est majoritairement réservée aux activités féminines. Autour de la seconde cour 'basse" (L), nous trouvons le hangar à céréales (M), le grenier (N), les étables à vaches (P), l'étable des boeufs (Q). Si l'exploitation se développe, cette seconde cour devient très vite insuffisante, d'où les petits ensembles satellites (R,StT). Des hommes qui ont accompagné le maître dans ses actions militaires y seront privilégiés, leurs enfants serviront à leur tour, c'est la base de la Lance. Cette grande exploitation peut compter 300 ha mais les fils, les frères et les neveux du maître lui sont parfois redevables de leur situation, ce qui constitue un patrimoine familial de 1000 ha et plus.


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Si les conquérants francs ont trouvé le cadre et l'articulation des bâtiments de leurs domaines dans les ruines gallo-romaines, la salle de réunion n'était pas au programme. A l'origine, le maître festoyait avec ses invités dans une grange sommairement aménagée comme cela se pratiquera ensuite pour les grandes réunions familiales. L'aula rustica portera donc la marque de ces origines, c'est un volume rectangulaire simple. Comme il n'y a pas de plancher intermédiaire, la portée des fermes dépasse 8m (A), une galerie de façade (B), permet l'accueil des arrivants et convient aux déplacements de service. Sa couverture (C), impose de surhausser les fenêtres (D). Le grand comble (E) est recouvert de bardeaux ou de plaques de plomb. Comme ce bâtiment se trouve intégré dans les constructions du quadrilatère, il comporte des murs pignons (F) qui limitent également les risques d'incendie. Pour la commodité du lieu, il y a une cheminée (G). Les murs sont en maçonnerie de moellons avec enduit de sable et de chaux, portes et fenêtres peuvent avoir des structures en grand appareil. Le Leude qui est le mandaté du roi transmet les directives et reçoit les avis et doléances, la réunion revêt quelque solennité. Ensuite, les domestiques dressent des tables sur tréteaux pour le banquet. L'espace interne est donc totalement libre. Si les descendants du Leude perdent leur relation privilégiée avec le pouvoir, cette salle de réunion devient aisément une grange avec quelques aménagements internes.


Les monarques mérovingiens seront tentés de gérer leurs royaumes à partir d’un domaine privilégié mais le contexte du temps ne le permet pas. Ils vont donc déplacer la cour dans les divers domaines établis entre Paris et Soissons puis vers d’autres lieux que Clovis n’avait pas prévus dans ses acquisitions. La cour va donc se décomposer en fonctions itinérantes et charges fixes établies dans chacune des grandes résidences. Dès le VII° siècle, le roi se trouve à la tête de 1.000 à 2.000 personnes réparties dans une douzaine de grands domaines.

Avec la difficile succession de Clotaire 1er et l’affrontement de Sisgebert et Chilpéric, c’est un climat de guerre civile qui s’impose à la cour. La personne royale s’entoure d’un grand nombre de militaires, 400 à 800 combattants, chiffre qui peut être doublé par les hommes venant des grandes propriétés dépendantes de la couronne. C’est de cette armée royale que va émerger un personnage dont les charges et responsabilités ne cesseront de croître: le maire du Palais. Avec Pépin d’Héristal une nouvelle dynastie potentielle prend pied dans l’institution palatine.

Dans cette époque troublée naît une nouvelle dignité politique: les Antrustions, personnages liés au roi par un serment particulier. Leur pouvoir qui se situe entre le roi et ses Leudes va perturber l’articulation traditionnelle de la société franque.

Au temps des derniers rois mérovingiens, ce sont 3 à 5.000 personnes dont plus de 1.200 â 1.500 hommes d’armes qui peuplent les palais et grands domaines dépendant de la couronne. Les programmes d’aménagement deviennent considérables.

PROGRAMME ARCHITECTURAL

Face à une situation nouvelle il est difficile de prévoir le développement des Institutions ainsi que le programme architectural le mieux adapté aux besoins. Après la Révolution Française, la nouvelle administration de 1 ‘Etat eut quelques difficultés â trouver ses locaux. Des palais furent transformés en bâtiments administratifs, des abbayes en prison et les plus hautes instances de l’état choisiront les meilleures places, le palais de l’Elysée et le palais Bourbon. Tous ces bâtiments programmés pour une certaine activité seront modifiés afin de répondre tant bien que mal aux besoins nouveaux. Les programmes spécifiquement conçus seront longs à fixer et nous pouvons estimer qu’il en fut de même pour la monarchie mérovingienne. Les rois durent pour un temps se contenter de l’existant aménagé. L’histoire connue doit nous donner le canevas de l’histoire méconnue. Pourquoi laisser vagabonder notre imagination ou vouloir cultiver le mystère?

Après le temps du “campement” et des petits aménagements conjoncturels, il faut bien envisager un nouveau bâtiment dans l’ancienne cour noble devenue cour royale. La maison du maître demeure en place mais se développe. De leur côté, les écuries agrandies et surchargées de logements n’offrent plus aucune possibilité d’extension. Le mur mitoyen entre les deux cours est maintenant flanqué d’un corps de garde et la position n’est pas avantageuse. Il reste donc l’aile des communs faisant face aux écuries. C’est là sans doute que sera construit le nouveau bâtiment fonctionnel demandé par les proches collaborateurs du roi et susceptible également d’abriter les invités lors des grandes réunions.

Si nous estimons à 200 le nombre des fonctionnaires et conseillers qu’il faut abriter, et un nombre égal de personnalités invitées lors des grandes réunions, il nous faut héberger 400 personnes sur l’un des côtés de la cour noble. Avec 20 m2 nécessaires aux personnes de rang, et 6 à 10 m2 pour les fonctionnaires et domestiques activités et couchage compris, nous obtenons environ 4.400 m2 couverts. Si nous acceptons un développement de 120 à 140m sur le côté du quadrilatère, et 3 niveaux d’hébergement combles compris, nous obtenons 3.200 m2 en respectant une portée utile de plancher égale à 8 m. C’est légèrement inférieur aux besoins et chacun devra réduire ses ambitions.

Dans cet avant projet, nous avons accepté l’idée que les Mérovingiens et Carolingiens avaient perdu l’usage du mur de refend communément utilisé par les constructeurs romains.

Dans cette recherche de la distribution optimum, l’aula regia a quelque peine à trouver sa place. Selon les besoins du cérémonial, il apparaît que sa fonction se conçoit bien entre la maison de roi et le domaine administratif. Mais, à l’usage, ce gros volume vide représente une gêne pour les déplacements les plus courants. Il semble plus judicieux de la déplacer sur l’autre aile entre la maison du roi et les écuries qui vont être comprimées avant de gagner la seconde cour.

En tout état de cause, le quadrilatère demeure puisque les occupants des quatre côtés ne seront jamais demandeurs en même temps.

Ces grands programmes d’aménagement seront réservés aux palais les plus importants, ceux qui abritent régulièrement la cour en hiver, soit à priori Clichy, Soissons et peut être Compiègne. Les autres sont des lieux de séjour et de réunion utilisés exclusivement à la belle saison et seuls les plus proches conseillers et collaborateurs du roi l’accompagneront dans ses résidences. Les aménagements se feront donc par petites touches successives, les différents corps de bâtiment étant souvent reliés par des galeries couvertes.

Sur la période 550/750, la cour noble des palais royaux est le seul lieu où vivent 4 à 600 personnes et là se situent essentiellement les grands programmes, les recherches et les innovations architecturales. A la même époque, les abbayes vivent toujours dans un désordre de bâtiments divers établis autour des trois lieux de culte qui ont présidé à la fondation. C’est à l’époque carolingienne que s’impose l’idée d’un domaine religieux fermé, installé en quadrilatère autour de l’espace du cloître.

Dans le plan de Saint-Gall le concepteur tente de faire la synthèse entre l’articulation coutumière et le courant impérial. Le quadrilatère imaginé dans les grands palais royaux s’impose sur le plan sud de l’abbatiale mais les différents pavillons propres au concept archaïque, sans doute dérivés de l’exemple imaginé par Saint-Benoît lui-même, (12 petits monastères de 12 moines), sont préservés. Nous trouvons tous ces pavillons disposés selon leur rang et fonction à l’intérieur d’un grand quadrilatère clos de murs légers.

LES ABORDS DU PALAIS

Les grands domaines ruraux installés en position optimum entre rivière et voie sur berge ne sont pas isolés au milieu de leur terroir, bien au contraire. Des logements pour les commis ainsi que de petites fermes indépendantes s’installent le long de la voie sur berge. Initialement, ces activités périphériques seront essentiellement agricoles mais, avec le développement du domaine, quelques artisans travaillant pour le maître viendront s ‘installer dans cette amorce de village. Ils seront rejoints par des commerçants vivant du mouvement de voyageurs et de marchandises empruntant l’itinéraire sur berge. Un maréchal ferrant, un charron, un menuisier peuvent vivre en travaillant pour le domaine et les constructions environnantes, une taverne, une auberge trouvent également leur clientèle parmi les gens de passage. Enfin, dès le seuil critique de 4/500 personnes, la petite agglomération peut justifier l’installation de commerces de bouche: boulangerie, boucherie, toute activité qui doit à cette époque écouler impérativement sa production fraîche dans les deux jours.

Au sein de cette population, le maître du domaine peut trouver un apport de main d’oeuvre pour les grands travaux saisonniers mais ce facteur conditionne l’extension du village, puisque la majorité des bonnes terres se trouvant dans un rayon de 2 à 3 km, est sous contrôle de la grande propriété.

La transformation de ce domaine rural en résidence royale va modifier, à son avantage, les conditions de vie de cette petite agglomération naissante. Les bêtes de la basse cour et les commis de ferme qui s ‘en occupaient ont laissé place aux soldats et rejoint de petites installations satellites installées au milieu des pâturages avec des étables nouvellement construites. Mais ils rechignent à s’éloigner des commodités offertes par la petite agglomération où bon nombre d’entre eux y fixeront leur demeure. D’autre part, l’arrivée de 100 à 200 cavaliers et soldats représente également un plus pour l’économie du village, ils boivent, ils dépensent et certains s ‘installeront en famille. Avec cet apport que l’on peut chiffrer à 250/300 personnes l’agglomération franchit le seuil des 800 à 1:000 habitants. C’est devenu un gros village où toutes les activités artisanales peuvent désormais se fixer et la petite place qui s’est dégagée au centre de l’agglomération peut recevoir un marché hebdomadaire où les commerçants ambulants proposent des produits de grand négoce.

En économie tous les phénomènes sont interactifs. La mutation du village en bourgade va maintenant se répercuter sur la vie du palais. Comme il se sature avec la multiplication des résidents nobles, la place nécessaire sera acquise en faisant sortir du quadrilatère les serviteurs puis les activités elles—mêmes. Les gens de maison se scindent en service de jour et service de nuit et bon nombre d’entre eux couchent maintenant hors du palais, vivent en famille augmentant ainsi le nombre d’habitants de l’agglomération.

L’aménagement de la cour noble laisse de moins en moins de place au service. Le four à pain disparaît, c’est le boulanger du village qui fournit le palais. Les cuisines demeurent mais elles reçoivent viande, gibier, laitage et légumes conditionnés de l’extérieur. Enfin la buanderie est supprimée, les lessives se font hors le palais, seules quelques lingères demeurent sur place pour le repassage et la mise à disposition des maîtres.

Avec toutes ces charges nouvelles, et le surcroît de travail engendré par les grandes réunions tenues dans 1‘aula regia, l’agglomération satellite peut atteindre 1.500/2.000 personnes, soit la taille d’une bourgade. Cependant, si dans ces derniers développements liés au service du palais elle bénéficie d’un gros apport d’argent, notamment pour des prestations de luxe, elle est aussi devenue totalement dépendante, ce qui représente un sérieux risque pour l’avenir.