LOUIS LE PIEUX

Pour résumer les 26 années de gouvernement impérial de Louis, nous dirons triste caractère, triste vie, triste règne cependant, sur les vastes terres d’Empire, l’embellie économique engendrée par la réforme monétaire de Charlemagne et la liberté de circulation pour les hommes et les marchandises, se poursuit. Malgré les déchirements qui se manifestent au sein des héritiers de Louis, malgré l’arrogance des grands et les signes de fracture qui s’annoncent, les populations d’Occident vivent bien et ne voient guère la montée des périls.

Louis naît en 778, à Casseuil sur Garonne à 8km en aval de La Réole. L’enfant vient au monde au cours de l’un des voyages que Charlemagne fit en Aquitaine pour maîtriser cette province toujours rebelle et le jeune prince fut voué au pays qui l’avait vu naître. A l’âge de trois ans, en 781, il reçoit le gouvernement d’Aquitaine et, dès son adolescence, il réside souvent dans sa province où son caractère débonnaire commence à se manifester. Pour apaiser les rancoeurs de ces vastes régions meurtries par son grand père, Pépin le Bref, il tend une main fraternelle aux notables de la province. Villes et campagnes, bourgeois et commerçants acceptent bien volontiers et jouent le jeu mais la noblesse également conviée voit là une bonne occasion de se réorganiser et de retrouver ses privilèges militaires et politiques. Certes ce Sont les fils et petits-fils de ceux châtiés par Pépin le Bref, mais ils n’ont rien oublié. Avec subtilité, pour ne pas dire fourberie, ils flattent et conseillent le jeune prince qui va se laisser séduire et tromper â la fois. De son côté, Charlemagne, trop absorbé par ses grandes ambitions et les multiples problèmes conséquents aux guerres de Germanie, se soucie peu de l’Aquitaine et ne voit que la réussite politique de son fils. Les effets à long terme semblent lui échapper.

Voyant que leur duplicité n’est pas mise à jour, les nobles d’Aquitaine poussent leur avantage. Ils lèvent des forces afin de participer à la guerre contre les infidèles d ‘Espagne. Ce faisant, ils font grand plaisir â Louis (le Pieux) et acquièrent une position militaire qui ne sera plus mise en cause. La province paraît soumise mais elle a retrouvé tous ses caractères, tous ses moyens et la capacité de dire non si, d’aventure, tel lui plaisait.

Pépin, fils de Charlemagne et roi d’Italie, meurt le 8juillet 810. Il est suivi de peu par Charles, roi d’Austrasie et de Pépin le Bossu tous deux morts en 811. Le partage de 806 est désormais caduque, Louis devient le seul héritier et se voit sacrer Empereur d’Occident par Charlemagne, lui-même. Il sera ensuite solennellement confirmé dans ce titre par une assemblée extraordinaire tenue à Aix la Chapelle en septembre 814, soit huit mois après la mort de son père, ce laps de temps montre bien la large participation acquise. Les évêques voient sans doute en lui l’homme pieux, docile à leurs suggestions et soucieux des intérêts de l’Eglise, tandis que les nobles et grands du royaume voient en lui le Débonnaire, celui qu’il sera facile de flatter, de séduire.

Il existait sans doute à Aix le Chapelle, comme en Austrasie, un parti favorable au pouvoir centralisé, à l’unité de l’Empire, et Louis qui avait flatté plus que maîtrisé l’Aquitaine fera de même avec les trois grandes unités qui se dessinent déjà au sein de ses possessions: la Francie, la Germanie et l’Italie, la cohésion apparente subsiste. Dans ce climat, noblesse et grands propriétaires naguère soumis d’une main ferme par Charlemagne, comprennent qu’ils peuvent intriguer et négocier avec le nouvel Empereur. Ainsi, chacune des nations concernées espère retrouver une indépendance relative sous le sceptre de l’un des fils de l’Empereur. Certes les enfants de Louis sont encore jeunes mais ils rêvent de régner selon leur guise, et chacune des nationalités de l’Empire choisit son Roi et intrigue en sa faveur. L’Impératrice Ermangarde, leur mère, fut sans doute l’alliée de ses enfants dans cette cabale.

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La mise en condition de l’Empereur va durer trois années. En 817, il convoque une nouvelle assemblée extraordinaire à Aix la Chapelle et partage l’Empire entre ses trois fils. Rien ne l’y obligeait sinon des pressions venues du Palais et des informations savamment distillées. Lothaire l’aîné est associé à la gestion de l’Empire et reçoit en propre la couronne d’Italie, le second, Pépin reçoit celle d’Aquitaine et Louis, le plus jeune se voit confier la Germanie. Incapable de juger les hommes à leur juste valeur, les évènements à leurs conséquences à long terme mais trop orgueilleux pour céder et trop faible pour faire face, le nouvel Empereur se prépare des jours difficiles. L’Eglise s’inquiète de ce partage prématuré et fait pression sur Louis pour qu’il s’impose à ses fils et préserve l’unité impériale ce qu’il fera parfois avec excès, irritant ainsi ses héritiers déjà en place.

EN ITALIE

Dans le Nord de la péninsule la vieille noblesse lombarde qui réside dans les citadelles du Bas-Empire, est très liée avec la bourgeoisie locale. Ces princes et ces nobles n ‘avaient su, ou pu, mobiliser la puissance potentielle des cités contre Charlemagne. Seule Pavie avait montré la résistance que pouvait opposer une cité forte à l’armée franque, mais les effets désastreux du siège sur les campagnes environnantes avaient effrayé les notables des autres places. Le pays s’était rendu sans vraiment combattre espérant retrouver par le jeu d’une subtile diplomatie quelques uns des avantages perdus mais Charlemagne s‘imposât, là comme ailleurs, avec une extrême fermeté. Le plus pénible pour les cités fut sans doute la présence de nouveaux comtes parfois plus arrogants, plus exigeants que les anciens. Mais le temps sert souvent ceux qui savent courber l’échine.

Lorsque Lothaire arrive en Italie pour prendre la part qui lui est dévolue, il découvre que le pays est déjà fermement gouverné par son cousin Bernard, fils de son oncle Pépin et petit fils de Charlemagne. Bernard croit avoir des droits légitimes et s ‘insurge contre le nouveau venu. Il rassemble une petite troupe majoritairement lombarde mais ses forces l’abandonnent rapidement et il est emmené en captivité auprès de Louis pour être jugé. L’Empereur se montre d’une extrême sévérité. Il fait aveugler le jeune prince qui meurt des suites de ce supplice. Louis, surpris de ce triste dénouement se soumet alors à une pénitence publique qu’il a librement sollicitée. Ce châtiment marquera ses trois fils et lui donnera treize années de répit.

Lothaire ne peut manquer d’être séduit par l’Italie d’autant qu’il est fort bien accueilli dans toutes les villes italiennes traversées. Ces cités qui ont retrouvé calme et sérénité après les troubles engendrés par Didier, dernier roi des Lombards, sont d’humeur à apprécier un pouvoir fort et centralisé quelqu‘en soit le détenteur. Une seule ville, et pas des moindres, Rome, n’est pas de cet avis. Une fois encore la capitale de la chrétienté est reprise par ses vieux démons; la querelle entre le Vatican et le Latran s’exprime de plus belle. Longtemps la Ville Eternelle sera soumise à deux courants politiques antagonistes: pour les tenants du Latran, le Pape est l’évêque de Rome, le Prima d’Italie et toutes les cités de la Péninsule doivent donc subvenir aux besoins religieux et autres de leur métropole. Pour les tenants du Vatican, le Pape est le chef de la chrétienté d’Occident, il doit donc gérer l’Eglise de la basilique Saint-Pierre avec la divine protection que lui procure le Prince des Apôtres et, dans ce cas, Rome n’est qu’une cité épiscopale comme les autres. Cette querelle empoisonnera la vie de la cité pour plusieurs siècles encore mais pour l’heure, en 820, l’avantage est au Vatican où résident les délégations royales et impériales.

Au-delà de ces dérisoires querelles de parti et d’intérêt, Rome craint, par dessus tout, une intervention politique extérieure et Lombarde en particulier, chaque nouveau souverain qui s’installe au Nord, à Pavie, est une menace. Que le roi “d’Italie” décide de s’installer dans la Ville Eternelle et s’en est fini de la dérisoire liberté d’action des intrigants romains. D’autre part, les Duchés de Spolete et de Bénévent qui enserrent l’emprise territoriale de Rome sont toujours tenus par des Princes Lombards. Ce contexte politico-religieux va scléroser la vie politique en Italie et personne ne prend garde à la grande menace musulmane qui se dessine sur les côtes Sud de la péninsule.

EN GERMANIE

Au temps de la grande Austrasie, la vallée du Rhin et les anciennes cités romaines qui le bordent, se trouvaient solidement ancrées au Royaume Franc. De culture latine et siège d ‘évêché dont les premiers Carolingiens se faisaient les défenseurs, elles constituaient des pions importants pour la civilisation occidentale. Avec les conquêtes germaniques de Charlemagne, l’Austrasie perd ses repères, et l’Empereur qui réside pourtant à Aix la Chapelle se soucie fort peu de ce coeur du royaume franc. D ‘autre part, les provinces de Germanie, naguère terres étrangères, sont devenues chrétiennes, confiées à l’ordre Bénédictin et maintenant parsemées de grandes abbayes auxquelles le pouvoir impérial a concédé d’énormes patrimoines fonciers.

Ces abbayes obéissent certes à l’Empereur mais se réfèrent également aux principes de l’Ordre qui dit tenir son autorité du Souverain Pontife. Ce comportement ambigu, d’une expression feutrée sous Charlemagne, s’affiche ouvertement dès l’accession de Louis. D ‘autre part, pour confirmer leur implantation les abbés d ‘Outre Rhin ont recruté un grand nombre de moines d’origine et de langue germanique. Certes ils sont bons chrétiens et disciplinés mais, dépourvus de racines latines, ils vont donner aux maisons de l’Ordre implantées Outre Rhin un caractère à prédominances germaniques. Ce sont les prémices du saint Empire.

Le même phénomène se retrouve dans l’organisation militaire de la frontière de l’Est. Charlemagne avait déjà recruté bon nombre d’auxiliaires et de soldats sur les terres conquises et la composante germanique ne fera que croître dans les armées d’Outre Rhin, certes les cadres qui accompagnent Louis dans sa prise de gouvernement sont de langue latine mais le germanique s ‘impose très vite comme langage courant. Louis doit prendre

conscience de cette dérive mais il n’a ni l’intelligence ni la volonté de s’y opposer, flatté par la soldatesque, il prend comme par mimétisme la psychologie du pays, la meilleure illustration en est la double rédaction qu’il imposera plus tard au serment de Strasbourg.

EN AQUITAINE

A Bordeaux, à Toulouse et dans les grands domaines carolingiens d’Aquitaine, le jeune Pépin, fils de Louis, retrouve le pays de son enfance et de nombreux amis qui lui témoignent leur attachement, leur sympathie. Loin du regard austère de son père, il découvre le plaisir d’être le Maître dans un pays qui semble l’apprécier, il n’a nulle raison de réfléchir à l’avenir et aux fâcheuses conséquences possibles pour l’unité impériale. Il va donc se vouer à l’Aquitaine et la province lui fait bonne figure. De nombreux nobles s’engagent régulièrement dans les opérations de reconquête menées en Espagne et particulièrement en Catalogne. La province a recréé une véritable force armée qui supporte la bannière carolingienne par simple convenance.

Pour ces trois nations, Italie, Germanie et Aquitaine qui rêvent en secret de se détacher de l’Empire, tout va pour le mieux. L’autonomie effective qu’elles ont acquise constitue un pallier nécessaire qui durera de 817 à 830, soit treize années durant lesquelles l’Empereur ne semble nullement s‘inquiéter mais le réveil sera brutal.

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UN QUATRIEME HERITIER

Après la mort de sa première épouse, Ermangarde, survenue en 818 à Angers, l’Empereur se remarie avec une princesse bavaroise, Judith. Belle, intelligente et pleine d’ambitions elle ne va pas tarder à prendre un ascendant certain sur le Débonnaire. Elle lui donne bientôt un fils, Charles, qui deviendra plus tard Charles le Chauve. Le jeune prince naît en 823 au palais d’Ingelheim, près de Mayence, lieu que son père affectionne. Il passera les sept premières années de son existence auprès de ses parents dans les diverses résidences impériales et le cadre qu’il connaît dans cette prime jeunesse marquera profondément son esprit. Très tôt, il manifeste la plus grande curiosité et reçoit la meilleure éducation que l’on puisse accorder. Son éveil précoce et le grand respect qu’il porte à ses parents comblent de joie l’Empereur devenu âgé. Mais qu’adviendra-t-il de ce petit dernier puisque le partage de l’Empire est déjà fait et que les trois aînés semblent maintenant parfaitement installés sur leurs terres.

A la demande pressante de Judith, Louis envisage un nouveau partage. En 829, il veut accorder à son quatrième fils une partie de la Bourgogne, l’Alsace, l’Alémanie et la Rhétie. Chez les aînés vite informés, c’est un refus catégorique et l’Empereur comprend alors toutes les conséquences du partage accordé en 817. Il n ‘est plus le Maître de son Empire. Voyant cela il insiste et se fâche comme cela lui arrive souvent. Cet acte d’autorité ne fait que souder les trois aînés et renforcer leur détermination. En 830, au cours d’une réunion qui se voulait de concertation, Louis voit ses trois fils arriver en force et d’humeur belliqueuse; sous la contrainte, il doit renoncer à toute modification du partage.

Rentré dans son Palais d’Ingelheim, l’Empereur doit affronter son épouse qui réitère ses demandes, de son côté le jeune Charles qui a maintenant dix ans séduit chaque jour davantage son vieux père. Louis propose alors une nouvelle concertation à ses trois aînés et s’y rend sans les précautions nécessaires. Cette fois, l’entrevue tourne à l’affrontement, les trois Princes venus en force s’emparent de leur père et le font enfermer dans un monastère. Quelques mois plus tard, une Assemblée d’évêques et de nobles, réunie à Soissons, cautionnera sa déchéance et il est assigné à résidence dans son palais.

LES FRUITS AMERS

Sans doute surpris de leur succès, les trois félons découvrent toutes les difficultés de leur position. Certes chacun est Maître dans son domaine réservé soit l’Aquitaine, l’Italie et la Germanie, mais que faire de l’Austrasie cette terre palatine où réside l’esprit franc et l’administration impériale. Négliger cette province serait dangereux pour eux. Les fonctionnaires, les gardes et les forces armées concentrés dans les divers domaines de la couronne n’entendent pas se faire déposséder de leur charge, s’ils ne sont pas d’humeur à combattre ils sont maîtres dans l’art de l’intrigue. Enfin, le pouvoir religieux dans son ensemble reste très attaché à la dignité impériale.

Le premier à vouloir combler le vide monarchique créé par la déposition de l’Empereur fut Lothaire, le fils aîné longtemps associé à son père dans le gouvernement de l’Empire. Il pense naturellement que la couronne lui revient de droit. Les deux autres frères s’insurgent et refusent toute allégeance. Une crise aiguë se profile.

Louis le Germanique et Pépin, roi d’Aquitaine, n’étaient pas de taille à affronter leur aîné. Ce dernier avait le droit et la coutume pour lui et pouvait compter sur un large soutien de la caste noble d ‘Austrasie. D ‘autre part, avec le Domaine Franc et l’Italie, il disposait de la plus grande part du territoire. Les deux cadets imaginent une autre parade. Par un coup de force ils libèrent leur père, lui demandent pardon, jurent d’être désormais de bons fils et rassemblent au Palais de Thionville une assemblée d’évêques et de grands du royaume qui annulent la destitution et rendent à l’Empereur tous ses pouvoirs. La position de Lothaire devient délicate. Il quitte Aix la Chapelle et retourne en Italie.

Persuadé que sa couronne et la providence le mettent désormais à l’abri des menaces, le vieil Empereur retrouve avec plaisir ses domaines, ses habitudes et surtout son jeune fils, Charles, qui lui a toujours témoigné confiance et affection. Les trois aînés s ‘étant repliés sur leurs domaines réservés, il envisage alors de donner la totalité de la part impériale à son cadet, soit l’Austrasie, la Neustrie, la Saxe, la Bourgogne, l’Alémanie ainsi que la Provence. La part est énorme et de nouveau les aînés s ‘insurgent.

Pépin d’Aquitaine meurt avant d’avoir pu intervenir mais Louis le Germanique disposant d’une force puissante rassemble ses hommes et menace son père. Cc dernier lève lui aussi une armée conséquente et marche contre ce fils rebelle et parjure mais ces épreuves ont eu raison de ses forces, malade il fait halte en son palais d’Ingelheim près de Mayence où il meurt le 20 juin 840. Il ne reste en lice que Lothaire, Louis le Germanique et le jeune Charles alors âgé de 17 ans. L’Empire est au plus mal. L’héritage des Carolingiens est maintenant aux mains de deux héritiers qui se sont voués l’un à la Germanie, l’autre à l’Italie, deux territoires naguère conquis par Charlemagne. Devant cette menace, le coeur de l’Empire, la nation franque d ‘Austrasie s’inquiète et voit dans le jeune Charles le prince providentiel.

LA DECHIRURE

En juin 840, Louis le Débonnaire vit ses derniers jours dans son palais d’Ingelheirn sur le Rhin. Il a les secours de son demi-frère, Grogon, enfant illégitime de Charlemagne voué à 1 ‘Eglise et devenu évêque de Metz. De ses trois fils qui lui ont fait tant de mal, comme il aime à le dire, aucun n ‘est présent, seul, Charles, le dernier assiste son père. Après sa mort, la dépouille de l’Empereur est emmenée à Metz pour être inhumée dans la basilique Saint—Arnould, un illustre ancêtre de la famille carolingienne qui fut laïque, puis religieux et enfin évêque de Metz où les habitants de la ville lui vouèrent un culte fervent. Dans cette abbaye reposent également Hildegarde, épouse de Charlemagne et mère de Louis, ainsi que plusieurs enfants du grand Empereur morts en bas âge.

Apprenant la mort de son père, Lothaire qui se trouvait à ce moment dans le sud de la France, rassemble une petite troupe de fidèles et gagne Aix-la-Chapelle où il s’installe en maître. Il connaît bien le palais pour y avoir longtemps séjourné et secondé son père, ainsi les fonctionnaires et les gardes l’acceptent sans difficulté.

Au cours de l’hiver 840/841 la position de Lothaire semble se conforter; Louis le Germanique demeure sur ses terres et Charles, le petit dernier, s’est installé dans les palais d ‘11e de France qu’il affectionne. Il a trouvé là de nombreux partisans et sa résidence principale est le vaste domaine de Quierzy. A la fin de l’hiver 841, Lothaire, persuadé que la couronne impériale lui est acquise, convoque ses deux frères afin qu’ils lui rendent hommage. Cette injonction s’accompagne d’une menace de mort en cas de refus. C’en est trop, Louis le Germanique et Charles décident de faire front et d’unir leurs forces: l’affrontement est devenu inévitable.

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Les menaces de mort lancées par Lothaire à rencontre de ses deux frères ont scellé l'entente de ces derniers et confirmé leur volonté d'en découdre; chacun rassemble ses forces. Louis le Germanique doit trouver l'essentiel de ses combattants dans l'ancienne province de Réthic (C). Charles le Chauve rassemble ses hommes en Ile de France (B) sur les terres de la zone palatine où il avait trouvé refuge dans sa jeunesse, quant à Lothaire, il doit regrouper les contingents de l'armée carolingienne chargée de protéger Aix-la-Chapelle des raids Scandinaves (A). Les marches préliminaires seront longues. En bonne stratégie, Charles et Louis doivent réunir leurs forces avant d'affronter Lothaire, pour cela ils choisissent de marcher vers un point de rencontre situé loin de la région d'Aix-la-Chapelle où leur frère concentre ses troupes. Le nord de la Bourgogne semble la région la plus propice. Mais Lothaire bien informé descend rapidement vers le sud en suivant la grande Chaussée d'Agrippa (F) et tente d'intercepter le Germanique avant qu'il n'ait fait sa jonction avec Charles. Mais il arrive trop tard à Dijon et doil poursuivre son frère en direction d'Auxerrc (G). Passée celte ville, les antagonistes se dirigent vers Sanocrre toujours par la voie romaine mais après 20 km environ, Lothairc constate que les forces de Charles sont sur ses talons, bien mauvaise condition pour un engagement. Il s'éloigne alors de la voie et prend position sur les hauteurs de Fontenailles; c'est l'hypothèse la plus vraisemblable mais il y en a d'autres.


LES FORCES EN PRESENCE

Les Historiens du XIX° siècle ont voulu voir dans la bataille de Fontaney un engagement énorme et sauvage mené par plus de 50 à 70.000 combattants, une grande tuerie chez les Francs. Aujourd’hui, les jugements deviennent plus nuancés. Lothaire qui a mené son coup de force sur Aix la Chapelle l’année précédente avec 1500/2000 hommes au mieux, voit, dès le printemps, ses deux frères lui signifier un refus méprisant et rassembler des forces en nombre. Il fait de même mais comprend qu’il lui faut des renforts. Il a obtenu le ralliement de Pépin II héritier d’Aquitaine mais à l’heure où ce dernier doit tenir sa promesse et fournir des contingents il fait la sourde oreille. Lothaire doit donc se contenter des combattants levés dans le Nord de 1 ‘Austrasie autour d ‘Aix la Chapelle. Il s’agit sans doute d’une troupe hétéroclite où l’on trouve à la fois des soldats issus des garnisons, des volontaires venus des grands domaines environnants ainsi que des gardes du palais entraînés dans cette aventure qu’ils n’apprécient guère. L’ensemble doit représenter 8 à 10.000 hommes, environ.

De son côté, Louis a ses fidèles guerriers germaniques mais ce sont des aventuriers désireux de profiter de leur engagement pour s’installer en maître dans des domaines conquis et, pour eux, la bataille qui se prépare n’est pas motivante, 6 à 8.000 volontaires nous semble un chiffre satisfaisant.

Les plus concernés sont les soldats de Charles. Pour eux, il s’agit de s’opposer au grand désordre engendré par l’éclatement d’un trop vaste Empire et de défendre la petite Austrasie et la Francie contre des troupes venues de pays naguère soumis par l’Empereur Charlemagne. Cette bataille sera décisive pour les Francs et les volontaires qui accompagnent Charles lui accordent une totale confiance. Il doit se trouver à la tête de 8 à 10.000 hommes extrêmement motivés. Nous obtenons donc une fourchette large de 22 à 28.000 hommes, soit moitié moins que les estimations du XIX° siècle.

Dès le mois d’avril, les protagonistes se mettent en marche. Louis qui vient d ‘Alémanie et de Rhétie a la plus longue route à faire, soit 200 à 300 km pour atteindre le Rhin qu’il franchira au pont de Bâle puis 350 autres kilomètres par Besançon et Dijon pour parvenir au lieu d ‘affrontement. Ces 600 km représentent 30 à 35 jours de marche selon la coutume du temps. Pour Charles qui a trouvé l’essentiel de ses troupes entre Paris et Reims, la route est beaucoup plus courte, 200/250 km en moyenne. Enfin, pour Lothaire, les conditions d’approche sont moins certaines; il réside alors à Aix la Chapelle, position qu’il entend préserver et ce fut sans doute le point de ralliement de ses forces. Il avait donc 400 km à parcourir vers le Sud en suivant la Chaussée d’Agrippa par Trêves, Metz, Toul et Langres pour enfin bifurquer vers Avallon afin de rencontrer ses adversaires. C’est au cours de cette marche d’approche qu’il apprendra la défection de son allié, Pépin II d’Aquitaine, ce dernier converti par les émissaires de Louis et de Charles a jugé qu’il était urgent d’attendre.

LA BATAILLE

Avec quelques réserves nous accepterons pour lieu d’affrontement Fontenay en Puisaye qu’il serait plus judicieux de placer en Auxerrois, cette équivoque levée voyons le développement des opérations. Lothaire qui a suivi la Chaussée d’Agrippa avec l’intention d’intercepter les forces de Louis le Germanique n’y est pas parvenu. Quand il apprend que son adversaire a déjà franchi son axe de marche et se dirige vers l’Ouest afin de rencontrer son allié Charles, Lothaire et ses hommes obliquent eux aussi vers 1 ‘Ouest et atteignent Auxerre. Là on les informe que les hommes de Charles viennent de passer à proximité de la ville en se dirigeant vers le Sud. Ne désirant pas impliquer la grande cité dans son affrontement, Lothaire longe alors l’ancienne voie romaine menant d’Auxerre à Bourges par Entrains et Sancerre mais, comme il ignore où se trouvent ses adversaires et craint de se voir surprendre par l’un d’eux, il s’arrête à Fontenailles (Fontenaye) où il établit son camp. Il vient de perdre un avantage stratégique certain en laissant tout loisir à ses frères de joindre leurs forces et de coordonner leurs actions.

Pour Charles et Louis les reconnaissances menées leur apprennent la bonne nouvelle. Après concertation, ils choisissent d’aborder leur adversaire par le Sud et font mouvement vers le camp de Lothaire. Nous sommes dans un paysage vallonné, agréable et fertile, le village de Fontenailles situé à 6km au Sud de la voie romaine correspond à un ensemble de résurgences qui, rassemblées, donneront la source de 1’Ouanne. Le ruisseau coule au niveau 250 tandis que les hauteurs environnantes se situent à 3001340m. Lothaire a-t-il déplacé son camp à quelque distance de la voie romaine pour gagner un site apparemment favorable, c’est l’hypothèse la plus probable.

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L'hypothèse précédemment établie sur les concentrations et les axes de marche des trois armées carolingiennes nous semble plausible mais le lieu présumé de la bataille demeure discutable. Pour joindre Auxcrre à Sancerre nous avons deux voies d'origine romaine.La première s'infléchit vers le sud et passe par Courson et Bruyes les Belles Fontaines (A). Son tracé est très irrégulier mais les bourgades desservies sont nombreuses et nous pouvons voir en lui un itinéraire aménagé au siècles des Antonins puis confirmé par le Moyen Age. La seconde voie relie plus directement les deux agglomérations en passant par Ouanne et Sougère. Son tracé est rationnel et nous avons là, sans doute, un itinéraire d'origine gauloise rapidement aménagé en liaison stratégique de deuxième catégorie dès la Conquête (B). Ce chemin est aujourd'hui partiellement désaffecté et disparaît même aux environs d'Auxerre. Au XIX* s. les archéologues choisiront pour voie romaine l'itinéraire (A) et la toponymie très en vogue à cette époque donne pour lieu d'engagement le village de Fontcnailles (C) situé à 3 km au Nord— Est de la voie. Cette hypothèse devint ensuite la théorie officielle. Cependant, la voie A ne manque pas d'arguments, nous trouvons là, à égale distance d'Auxcrrc et à 1000 m de la voie, un lieu-dît "La Fontaine" (D) proche du village de Chastenay-le-Haut (E) et à 6km à l'ouest, un village nommé Fontcnoy. Dans les deux cas nous pouvons imaginer une position d'attente choisie par les forces de Lothaire afin d'échapper au phénomène de tenaille réalisé par ses frères.


Le Fontenailles d’aujourd’hui se situe dans une dépression entourée de hauteurs d’un dénivelé de 60m environ et l’analyse du site rend perplexe. Deux solutions s ‘offraient à Lothaire: ou bien il profitait d’une hauteur dominante sachant qu’il serait assailli ou bien il optait pour une position d’attente et les bords de 1‘Ouanne à 3km en aval étaient beaucoup plus favorables pour abreuver un grand nombre d’hommes et de chevaux. C’est l’hypothèse que nous retiendrons.

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Arrivées à hauteur de Fontcnailles (A), les forces de Loihairc déœuvrent qu'elles sont, à leur tour, poursuivies par les troupes de Charles (B) tandis que les Germaniques de Louis (C), font volte-face. Le poursuivant est pris en tenailles ei c'est une bien mauvaise situation. Loihairc décide alors d'échapper vers l'ouest (D) pour s'installer sur les hauteurs de Fontenailles (E,F) afin de mieux affronter ses deux adversaires qui rassemblent leurs forces (G). Le combat s'engage et c'est la motivation des combattants qui fera la différence. Celle des hommes de Charles est certaine, de leur côté, les Germaniques venus de loin seraient en fâcheuse posture après une défaite. Après quelques heures d'affrontement, les hommes de Lothairc sont mis en déroute et se replient vers le nord afin de rejoindre Aix-la-Chapelle. L'Empereur a perdu la bataille mais il lui reste de bonnes cartes diplomatiques à jouer.


Avant l’affrontement, les deux frères jugent honnête de dépêcher à Lothaire des émissaires pour lui demander une dernière fois de considérer leurs légitimes revendications et le droit pour chacun d’eux de gérer son royaume à sa guise. Lothaire refuse toute concession et le combat s’engage le matin du 25 juin 841. Supériorité numérique, meilleure troupe ou plus grande motivation, nous ignorons quel fut le facteur décisif, mais bien vite les troupes de Lothaire reculent sous l’assaut et perdent pied. Elles vont se replier non sans opposer une farouche résistance. Les trois belligérants ont de fortes pertes. En fin de journée, Lothaire accepte la défaite et s’enfuit vers le Nord avec son dernier carré de fidèles. La victoire, le jugement de Dieu diront-ils, est en faveur des deux frères mais rien n’est réglé pour autant. Lothaire a préservé sa vie, sa couronne et peut de nouveau lever des troupes. De leur côté, les vainqueurs ne savent trop que faire de leur succès. Poursuivre Lothaire jusqu’à Aix la Chapelle, le détrôner, l’emprisonner serait la conclusion logique de leur succès mais ils sont deux pour une seule couronne et chacun se méfie de l’autre. L’année s’achève et rien n’est réglé.

De son côté, Lothaire qui craint le pire et n’a que la diplomatie comme moyen d’action envoie des émissaires à ses deux frères pour dissocier leur entente, la suspicion s’installe bientôt entre Charles et Louis et un compromis se dessine.

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LE SERMENT DE STRASBOURG

En plein hiver, le 14 février 842, Louis le Germanique et le jeune Charles, chacun accompagné de plusieurs milliers d’hommes, se rencontrent à Strasbourg afin de sceller leur entente par serment. Cet acte solennel dont nous avons conservé le libellé passe, à juste titre, pour un fait important de l’histoire mais nous ignorons le lieu où il se déroula. Un rapide résumé de l’évolution urbaine de Strasbourg peut nous aider à mieux comprendre.

Issue du ballon d’Alsace, l’Ill suit en d’innombrables bras le cours majeur du Rhin sur plus de 100 km avant de se jeter dans le grand fleuve, à la hauteur de Strasbourg. Dès l’époque gauloise, cette articulation très particulière avait servi un site établi au confluent où toute la petite batellerie de l’Ill se joignait aux chalands navigant sur le Rhin. Les aménagements romains vont confirmer l’excellence de cette position. La voie sur berge qui longe le grand fleuve se dérive pour desservir le site où se sont installés commerçants et artisans tandis qu’une autre voie venant de Metz joint également l’agglomération.

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L'Ill qui descend du ballon d'Alsace longe le Rhin ci se jette une première fois dans le grand fleuve à la hauteur de Strasbourg, c'est le point de rencontre de la grande et de la petite batellerie. L'espace le mieux stabilisé (A) reçoit très tôt une agglomération gauloise bien desservie par des canaux auxiliaires (B,C). Les Romains choisissent le site pour l'aboutissement de la voie venant de Metz et l'île majeure (A) reçoit une urbanisation programmée sur la base d'un decumanus (E) et d'un cardeau (F). C'est une ville bourgeoise d'une centaine d'hectares et les artisans se replient sur les îlots voisins (G.HJ) bientôt stabilisés à leur tour. Après la crise de 250/275, la population bourgeoise se replie derrière les murailles de la cité (K) et le culte chrétien, sans doute présent dans les faubourgs avant la Paix de l'Eglise, s'impose dans la cité avec Saint-Amand qui assistait au Concile de Cologne en 346. L'emplacement de la cathédrale (L) ne changera plus cl la cité médiévale cernée de murailles (M) reprend la majeure partie de l'ancienne agglomération romaine.


La grande île, qui représente une superficie d’une centaine d’hectares parcourus de plusieurs canaux d’utilité, reçoit alors une ville nouvelle régulièrement urbanisée couvrant 80 ha environ, c’est Argentoratum. Chassés de leurs boutiques et de leurs échoppes par ces nouvelles installations à caractère bourgeois, commerçants et artisans se replient sur les trois petites îles qui flanquent l’agglomération principale. Strasbourg a acquis sa physionomie définitive.

De 250 à 275 les hordes venues d’Alémanie et les troubles intérieurs ravagent la grande ville ouverte et la population doit se replier derrière une muraille de tracé rectangulaire de 20 ha environ (400 x 500 m2). De leur côté, les artisans reconstruisent leurs échoppes et magasins sur les berges des trois îles afin d’y bénéficier de l’eau courante. Sur les quatre siècles qui vont suivre, la physionomie urbaine ne change guère, les périodes de reprise économique servent en priorité commerçants et artisans; les premiers aménagent le castrum, les second développent leurs installations extra muros sur les trois îles.

La pointe Nord-Est de la grande île abandonnée depuis le Bas Empire retourne à la friche mais les nombreux aménagements réalisés sur les berges diminuent le débit des cours d’eau et favorisent les grandes crues, la pointe Nord-Est devient inondable. Cependant, en son centre, quatre à six hectares surélevés et stabilisés lors des aménagements de l’époque romaine demeurent à l’abri des plus grandes crues. Charlemagne qui cherche de vastes espaces auprès des villes de l’Est pour les aménager en Champ de Mars doit s’intéresser à ce terrain mais le déplacement des opérations vers la Saxe entraîne bien vite sa désaffection. Ce fut là, sans doute, que se tint l’assemblée solennelle du Serment de Strasbourg.

A cette époque, la ville tire profit de la Renaissance Carolingienne et la cité fermée de 20 ha doit abriter environ 12.000 personnes. De leur côté, les trois îles ainsi que le faubourg Sud-Est peuvent rassembler 10 à 15.000 habitants. C’est donc une agglomération de 25.000 personnes environ qui reçoit les deux frères carolingiens accompagnés de leurs troupes. Tous les soldats n’ont pas fait le déplacement mais les chefs ainsi que le petit encadrement se trouvent présents, nous dirons, au mieux, 2 à 3.000 hommes pour chacun des participants. Ils peuvent donc, sans difficulté, tenir sur les 5ha bien stabilisés du centre du Champ de Mars: baraquements et hangars à fourniture édifiés naguère sont encore debout et serviront à héberger la soldatesque tandis que les chevaux sont parqués sur les terres basses périphériques.

La cérémonie peut se tenir sur un podium établi à l’extrémité de l’ancienne chaussée romaine qui dessert le camp. Aventuriers à cheval et piétaille inculte forment l’essentiel des troupes, il faut donc se mettre à leur portée afin de les motiver. Le serment sera rédigé en langue d’oïl et tudesque, deux dialectes qui deviendront le Français et l’Allemand. Le texte sera lu à haute voie devant l’assemblée des guerriers et de surcroît scellé sur un autel recouvrant de saintes reliques. L’effet recherché fut obtenu.

Lothaire comprend que l’alliance de ses deux frères est désormais solide et cautionnée également par leurs troupes respectives. Il réalise aussi que la détermination du camp adverse lui laisse peu de chances de succès et qu’un second engagement lui serait sans doute fatal. De leur côté, villes et campagnes qui souffrent de cette soldatesque débridée toujours en mouvement font pression sur les évêques et sur les grands abbés bénédictins pour que cessent ces querelles indignes. Bientôt toutes les notabilités d’empire font comprendre aux trois frères qu’ils deviennent insupportables, que leurs armées sont devenues une plaie pour la nation et leur comportement un grave péché pour l’Eglise. Lothaire qui a besoin de la cour d ‘Aix la Chapelle pour tenir son rang impérial est le plus touché par cet anathème. Au cours de l’été 842, les armées de ses deux frères s ‘approchent du Palais et un mouvement d’humeur de la part de ses officiers l’oblige à fuir.

Surpris, Louis et Charles s’installent dans le Palais mais commettent bien vite une grave faute politique, ils démembrent le domaine de Lothaire en douze parts qu’ils attribuent à leurs fidèles. Une violente réaction se dessine à leur encontre. Les grands de l’Empire affectés par ce nouveau partage n ‘admettent pas que l’on puisse ainsi disposer de leurs biens. D’autre part, la couronne se double du titre de Patrice des Romains et défenseur de l’Eglise et le Pape condamne ce démembrement du domaine impérial garant de sa sécurité.

Fin 842, les deux frères blâmés, condamnés de toute part, doivent composer. Ils proposent à Lothaire de reprendre sa couronne et de leur accorder leur totale indépendance. L’Empereur en fuite, qui n ‘en espérait pas tant, accepte, le traité sera signé l’année suivante en 843, à Verdun.

LE SITE DE VERDUN

Le site de Verdun se compose d’un oppidum caractérisé enserré par un méandre de la Meuse, au Sud, et un affluent secondaire au Nord. C’est une excellente position défensive qui fut exploitée dès la préhistoire. Lieu de repli hivernal au néolithique puis à l’Age du Bronze, il perd de son intérêt avec l’Age du Fer mais surtout à l’époque de la ‘rêne où l’agriculture s’impose face au pastoral. Vidée de ses troupeaux la position haute survit avec une occupation noble et bourgeoise tandis que les artisans aménagent les îles de la Meuse où ils bénéficient de l’eau courante. 1.500 à 2.000 habitants sur la hauteur et plus de 3.000 dans les îles, telle est sans doute la physionomie de Verdun à l’heure de la Conquête Romaine, cependant une riche population agricole s’était développée sur les deux rives du fleuve et s ‘identifiait à l’oppidum. Là, se tenaient les grands conseils régionaux mais l’éperon pouvait également servir de refuge aux populations environnantes. Tous ces gens formaient la tribu des Verodunenses.

Les Romains acceptent le site, aménagent la voie sur berge qui longe la Meuse et fixent à cet endroit le franchissement du fleuve par une voie stratégique qui relie la grande plate forme routière de Reims à l’importante ville de Metz. Verdun se développe. La partie haute est urbanisée selon une voie médiane dont le tracé demeure visible dans le paysage urbain, tandis que les activités économiques conservent leur position dans les îles de la Meuse. La population augmente considérablement: 4 à 6.000 sur l’oppidum et 8 à 12.000 dans les faubourgs bas, c’est Verodunum, une ville moyenne en Gaule romaine.

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L'oppidum de Virodunum a la forme d'un haricot (A) avec un reserrement (B). A l'époque gauloise, le site a perdu une grande part de son importance économique mais a préservé ses caractères politiques; l'ordre romain l'accepte comme tel et l'intègre dans le réseau de voies stratégiques. Comme pour tous les sites de hauteur, les problèmes d'aménagement seront ardus. La voie majeure venant de Reims va se plier aux difficultés, descendre dans la vallée de la Scance (C) gravir le plateau (D), desservir l'oppidum par le milieu (E), puis descendre dans la vallée de la Meuse (F) pour continuer vers Metz (G). L'urbanisation haute se fera selon des dessertes perpendiculaires (H) dont le tracé subsiste. Les îles basses (J,K) demeurent occupées par les artisans. Au Bas-Empire, la population de l'oppidum se concentre sur la partie est (L) derrière une muraille (M) flanquée d'un casernement (N). Le tronçon (P) se garnit de constructions artisanales, c'est le village des Chrétiens desservi par l'abbaye Saint—Vanne (Q) c'est là que doivent se dérouler les conciliabules préliminaires au Traité de Verdun.


La crise du Bas Empire ruine l’agglomération et la population se replie sur l’Oppidum mais ne peut l’occuper entièrement. L’habitat se concentre sur la partie Est dont les abords sont les plus abrupts, la moitié Sud-Est cernée d’une enceinte Bas-Empire devient la cité avec la cathédrale, la partie Nord-Est reçoit un habitat plus ouvert. La seconde partie de l’oppidum, côté plateau, est partiellement abandonnée mais bien vite les abords de la voie axiale se repeuplent: c’est le quartier des échoppes et des petites gens, c’est aussi le quartier des chrétiens.

Au tout début du IV° siècle, un pasteur nommé Firmin, venu de Toulouse, arrive sur l’oppidum, s’installe dans le faubourg et prend en main la communauté chrétienne: c’est le premier évêque connu. Quelques années plus tard, il gagne Amiens où il reprend son sacerdoce mais avec moins de succès, il y sera martyrisé et devient Saint-Firmin. Ensuite, la communauté chrétienne prospère. A une date indéterminée, mais après l’Edit de Milan (313), Vanne, le deuxième évêque connu s ‘installe dans la cité, construit sa cathédrale et fonde un collège de prêtres destinés à mieux desservir les paroisses chrétiennes des environs. Il développe également l’église du faubourg Ouest qui prend les caractères d’une abbaye hors les murs: c’est là que Vanne sera inhumé. Sous Clovis, elle devient l’abbaye Saint-Vanne et sera confiée à une communauté bénédictine. Au temps de Charlemagne, le faubourg qui entoure l’abbaye s ‘est considérablement développé et l’abbatiale est reconstruite sur un plan plus vaste. C’est dans l’enceinte de ce domaine religieux que vont se dérouler les négociations préliminaires à la signature du traité de Verdun.

LE TRAITE DE VERDUN

Devant le fort courant religieux et politique qui s’est manifesté à leur encontre, les trois héritiers indignes de Louis le Pieux se soumettent et se présentent devant 1‘Assemblée des grands d ‘Occident mais si l’unanimité s’est faite pour condamner leurs actions, les partis constituant l’Assemblée sont loin, très loin de partager le même avis sur les options à prendre.

Au sein de cette Assemblée, les évêques sont majoritaires certes mais ces instances épiscopales sont très dépendantes de la bourgeoisie et la cause qu’ils sont venus défendre est plus politique que religieuse. Dans les cités d’Occident, chacun admet que les villes et la population ont bien profité de l’embellie économique mais la dynastie carolingienne n’est plus digne de son rang et les effets des successions deviennent catastrophiques. Alors il faut rompre avec cette couronne impériale, un roi ferait bien mieux l’affaire et le jeune Charles est tout indiqué pour la coiffer. Quant aux limites de cet état il faut tout simplement se replier sur les anciennes terres latines bordées par le Rhin, les Alpes et les Pyrénées, soit le royaume de Clovis à quelques détails près. Que les Germaniques, qui semblent pour l’heure les plus dangereux, reprennent leurs terres d’Outre Rhin et s’y organisent à leur guise. Même chose pour les peuples de la péninsule italienne, la société lombarde avec un prince carolingien, ou tout autre, doit gérer ses affaires mais sans interférer avec les prérogatives pontificales.

Derrière ce raisonnement des notables, nous voyons poindre l’idée des nationalités telle que Napoléon III va les défendre un millénaire plus tard. Ainsi chassons les caractères fondamentaux de l’Europe par la porte, ils reviendront bien vite par la fenêtre.

Mais les évêques ne sont plus seuls dans la manifestation de l’opinion religieuse. Depuis Grégoire le Grand, l’Ordre Bénédictin a prospéré et l’Empereur Charlemagne lui a concédé un patrimoine foncier considérable en Germanie. Là, en l’absence de vieilles cités gallo-romaines ce sont les abbayes qui coiffent les populations établies entre le Rhin et l’Elbe et dans ces conditions, les grands abbés sont en voie de faire office d’évêque. Ultérieurement, ces terres germaniques seront gérées par des abbayes cathédrales. En France également les fondations bénédictines sont devenues fort riches et couvrent maintenant de vastes espaces ruraux naguère négligés par les évêchés. L’Ordre Bénédictin a donc une puissante assise territoriale qui se juxtapose à celle des évêchés et les grands abbés peuvent parler haut et fort à l‘Assemblée de Verdun.

La vision bénédictine de l’Europe chrétienne est naturellement oecuménique et s’oppose aux caractères nationaux, c’est la vocation de 1 ‘Eglise. D ‘autre part, l’ordre se réfère à l’autorité pontificale à condition que cette dernière le soutienne dans ses vastes ambitions. Comme ils sont bien introduits à la cité Vaticane et subviennent seuls au fonctionnement de l’Institution, les Bénédictins se considèrent comme la conscience de l’Eglise à l’encontre des évêques bourgeois.

Pour l’Ordre, il faut sauvegarder les abbayes bénédictines de Germanie, et favoriser là le recrutement de religieux locaux, les seuls à pouvoir assurer la propagation de la foi vers l’Est. Certes c’est une Eglise davantage germanique que latine mais le maintien des implantations Outre Rhin est à ce prix. D ‘autre part, Rome ne veut pas d’une emprise lombarde qui ruinerait son statut et son indépendance. Les Bénédictins partagent également cet avis mais l’Italie est menacée par les Barbaresques. Il faut défendre la chrétienté et pour cela avoir un interlocuteur privilégié chez les Carolingiens qui, pour l’heure, disposent des meilleures forces armées. Ainsi, l’Ordre Bénédictin tient fermement à la couronne impériale basée sur une unité territoriale couvrant à la fois Aix le Chapelle et Rome: ce sera la Lotharingie, le royaume du milieu, qui empoisonnera le développement géo politique de l’Europe sur les six siècles à venir. Telles sont les volontés bénédictines et l’Ordre a les moyens de se faire entendre.

Restent les princes, les nobles, les comtes, les hommes d’armes et tout ce qui peut subsister de la grandeur carolingienne maintenant déchue. Ils ne sont pas loin de partager les opinions de la bourgeoisie et d’opter pour l’esprit des nationalités. Les Germaniques entendent être maîtres chez eux et les Italiques pareillement, quant au royaume de Clovis il n ‘est pas homogène, les Aquitains ne veulent plus subir le joug des Francs mais leur poids politique est dérisoire dans le très vaste programme de remembrement envisagé. Ils se disent alors qu’une couronne ducale avec une rigoureuse autonomie suffirait â leur bonheur.

L’Europe s’oriente donc vers une configuration privilégiant les nationalités, mais l’Ordre Bénédictin et ses larges vues religieuses vont imposer un bon compromis qui va s ‘avérer comme toujours une fort mauvaise solution.

Les clauses du Traité de Verdun donnent satisfaction aux grands courants présents. Le royaume de Clovis renaît sous le sceptre d’un prince choisi par les Francs, Charles le Chauve. Les Germaniques retrouvent leur indépendance politique perdue un demi siècle plus tôt mais conservent un roi de la lignée carolingienne, Louis le Germanique. Enfin, les Bénédictins obtiennent la préservation de la couronne impériale qui se trouve cantonnée à la Lotharingie et réduite à de maigres moyens, bien incapable d’assurer la défense de l’Italie qui va connaître une triste période historique.

A la signature du traité de Verdun, les Bénédictins ne s’inquiètent pas outre mesure. Certes Lothaire n’est pas le souverain idéal, mais l’Eglise a le temps pour elle. En mêlant savamment intrigues et pressions lors des prochaines successions il sera possible de placer l’illustre couronne sur la tête d’un homme digne de la porter. Ils ne parviendront pas à sauver l’Institution Carolingienne et la Lotharingie sera politiquement décevante mais l’Ordre va préserver toutes ses positions, entamer sa marche vers l’Est et, un siècle plus tard, confier la couronne impériale à la puissante lignée ottonienne. Ainsi les Bénédictins préparent les grands siècles à venir.

De leur côté, les trois fils de Louis le Pieux, venus en accusés font amende honorable. L’Assemblée de Verdun les a sans doute impressionnés ils reconnaissent leurs responsabilités dans les malheurs de l’Empire et acceptent leur part respective en promettant de se comporter dignement, ce qu’ils feront pour un temps. Cependant, la conséquence majeure de ce traité est la ruine de l’idée impériale. Si la couronne passe encore de tête en tête durant quelques générations, le sceptre a perdu tout pouvoir.

Enfin, le parti épiscopal a obtenu comme il le voulait la fin des hostilités et les évêques de Francie ont le roi qu’ils désiraient, ils ignorent encore qu’il sera très décevant. Cependant, faute d’unité de vue et sans doute d’envergure politique, ils ont laissé la part belle aux Bénédictins. Le découpage territorial accordé à Charles préfigure la France du Moyen Age.

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D'abord agglomération gauloise de caractère économique située au confluent de la Moselle et de la Seille, Metz doit sa fortune romaine à l'important trafic véhiculé par la Chaussée d'Agrippa joignant Langres à Trêves. Cet itinéraire majeur aborde le site par les axes (A ou B) et en sort par la voie (C). Ce laissant il évite la ville indigène qui devait se situer au confluent (D). Le développement économique engendre une agglomération nouvelle de caractère augustéen (E) qui doit couvrir 200 ha environ. La ville est dotée d'un très grand amphithéâtre de 148 x 124 m susceptible d'accueillir 30.000 personnes , c'est le plus grand des Gaules, ce qui suppose une population de 80 à 100.000 personnes à l'époque la plus faste. Saccagée en 250/275, Metz se relève rapidement et le coeur de l'agglomération se voit cerné d'une enceinte (G) de 600 x 1.200m environ où le maillage urbain se conserve bien. L'artisanat, lui, se concentre sur les terres basses proches des méandres de la Seille (H,J) là, le tracé urbain devient rayonnant. Dès le IV° s., l'Odéon (K) sera transformé en amphithéâtre puis intégré au système de défense. Les quartiers (H,J) seront protégés par une enceinte médiévale (L).