LE TEMPS DES PILLARDS

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PERIODE INTERMEDIAIRE 815/835

Le roi Danois, Gotterik, avait menacé l’Empire Carolingien d’une forme de guerre particulièrement efficace avec actions profondes et rapides menées par plusieurs milliers d’hommes décidés et sans appréhension. C’était une stratégie que le père et le grand-père de Charlemagne avaient menée avec succès mais que l’énorme armée de métier mise sur pied dès la période impériale n’était plus en mesure d’effectuer. L’assassinat du roi danois, en 811, et la mort de Charlemagne en 814 allaient pour un temps calmer les velléités guerrières des deux antagonistes. Certes les hommes épris d’aventure ne manquaient pas chez les Vikings mais l’absence de grands chefs ruinait toute tentative d’opération organisée et cohérente. D’autre part, la notion de clan et les ambitions de chacun allaient de nouveau l’emporter chez les Scandinaves. Une longue période de trouble va secouer le royaume danois tandis que l’accès au trône de Louis le Pieux assure les Scandinaves de la fin des guerres d’intervention.

Au Danemark l’installation de Hemming, frère de Gottrik, sur le trône n’est pas du goût de tous. En 814, année de la mort de Charlemagne, le fils de Gottrik, héritier légitime qui s ‘était réfugié chez les Suédois revient au Danemark et rassemble ses partisans. Sans doute juge-t-il son oncle responsable de l’assassinat de son père. La lutte pour le pouvoir devient ouverte.

A la même époque, deux petits roitelets danois régnant avec le soutien des Francs sur les terres situées entre l’Elbe et la Baltique, sont attaqués et vaincus par leurs frères du Nord. Les Germains de la rive Est du grand fleuve considèrent cela comme une intervention sur leurs terres et entrent en conflit avec les Danois. Le pouvoir franc choisit naturellement de soutenir les adversaires des Danois mais sans grand succès semble-t-il. En 826, l’un des roitelets déposé, Harold, se rend à la Diète d’Ingelheirn sur le Rhin et demande le soutien de l’Empereur. Les Bénédictins qui intriguent alors en tout lieu ont soigneusement préparé l’opération puisque Harold accepte de se convertir, lui et toute sa famille. Louis le Débonnaire donne à cet évènement une grande solennité, les nouveaux convertis sont baptisés à l’église Saint-Alban de Mayence et Harold reçoit le titre de Comte Carolingien ainsi que la charge d’une large bande côtière située à l’embouchure de la Weser. De ce domaine il s’affirme prétendant au trône de Danemark.

Le nouveau comte est accompagné d’un moine passionné: Anskar qui va jeter les bases du christianisme nordique. L’homme est né vers 800, en Flandre, de parents saxons convertis, qui le confient dès l’âge de 5 ans à l’abbaye de Corbie. Vers 820, il est délégué à la fondation filiale de Corvey sur la Weser. C’est dans cette fonction qu’il connaît Harold, apprécie ses qualités puis le présente à l’Empereur.

Une fois installé aux portes du royaume danois, Anskar entreprend son sacerdoce. Après quelques succès suivis de mésaventures, il se fixe en 832 à Hammaburg sur l’Elbe avec un fort contingent de fidèles et fonde une église qui sera bientôt promue cathédrale. Il installe également une école, un hôpital. Dans cet ancien burg franc devenu bourgade il accueille tous les proscrits des luttes intestines qui se déroulent au Danemark. Ce sera le premier foyer d’évangélisation rationnellement conçu et exploité sur les rives de la Baltique. Les Vikings vont détruire Hammaburg en 845 mais l’apôtre se replie sur Brême et continue sa mission. Les contacts qu’il a noués avec les Scandinaves vont porter leurs fruits. En 849, le roi danois Horik le Vieux, lui permet de construire une église à Haithabu port de commerce situé au fond du golfe de Schleswig et, en 854, une autre église à Ribe. Les années de trêve partielle qui suivirent la mort de Charlemagne avaient permis de jeter les bases d’une église scandinave.

Sur cette période, les raids Vikings sur les côtes franques deviennent rares et de peu d’envergure. Le seul qui donna lieu à des commentaires précis fut mené en 820 par 30 drakkars montés de 1.200 à 1.500 hommes partis des îles de la Frise, solidement occupée depuis 810. L’opération se dirige d’abord vers les basses terres de Flandre où elle se heurte aux gardes côtes. Les Vikings ne peuvent s’y installer et doivent reprendre la mer après avoir abattu quelques boeufs pour améliorer leur ordinaire de poisson séché, ensuite ils franchissent le Pas de Calais, longent la côte et abordent l’embouchure de la Seine mais de grosses barques bardées de protection et montées par des hommes en armes leur font rebrousser chemin. Pleins d’amertume ils poursuivent leur route,

contournent le Cotentin et la Bretagne puis se jettent sur l’île de Boum, en Vendée, face à l’île de Noirmoutier. Là ils pillent et brûlent sans rencontrer grande résistance puis regagnent l’Irlande où les Norvégiens viennent de s’implanter.

Les années 833/835 marquent la reprise des raids vikings sur les côtes franques de la mer du Nord et de la Manche.

LE DIOCESE D’UTRECHT

Nul doute que les deux révoltes des trois fils de Louis, en 830 et 833, afin de faire annuler le nouveau partage réalisé au profit du quatrième fils, Charles, ont incité les Scandinaves à tenter de nouvelles aventures. En 834, les Danois qui n’ont pas abandonné leurs positions sur les petites îles de la Frise, acquises en 810, attaquent la partie continentale située au nord du Waal. Ils saccagent les faubourgs d’Utrecht, le diocèse fondé par Willibrord. Ensuite, ils assaillent l’importante place de commerce de Dorestad, aujourd’hui Dunrstede, établie alors sur une langue de terre entre le Rhin et le Lek. C’est un lieu de rupture de charge entre les gros chalands qui naviguent sur le Rhin et les bateaux venus de la mer du Nord. La ville fit fortune à l’époque carolingienne et acquit de Louis le Débonnaire le privilège de battre monnaie. Les installations portuaires et commerçantes sont pillées, la ville est à demi brûlée et les habitants qui n’avaient pu échapper sont emmenés en captivité mais une bonne part de la population avait eu le temps de fuir vers le Nord, sur la terre ferme, sans être poursuivie.

En 835, les mêmes Vikings attaquent une seconde fois Dorestad pour détruire ce qu’il en reste mais surtout pour s’implanter et arraisonner les bateaux marchands qu’ils vont surprendre sur le Rhin. C’est également en cette année 835 que des drakkars, sans doute venus d’Irlande, attaquent l’île de Noirmoutier, détruisent l’abbaye fondée par Saint-Philibert et occupent l’île définitivement. Les braves moines fuient à toutes rames puis à toutes jambes avec leurs précieuses reliques et se fixent près du lac de Grandlieu, au sud de Nantes, c’est la première étape d’un très vaste périple qui va les mener jusqu’à Tournus, en Bourgogne.

En 836, toujours partis de leur repaire de Frise, les Vikings descendent vers le sud puis remontent le cours de l’Escaut et assaillent le petit port de Wilta non loin de l’embouchure du fleuve. Ils poursuivent ensuite leur raid et abordent Anvers qui se développe avec le même rôle économique que Dorestad: rencontre et rupture de charge entre barges fluviales et navires de mer. Là également les installations portuaires sont pillées et brûlées.

En 837, le 17 juin, un nouveau raid aborde le port principal de l’île de Walcheren. Il s’agit d’une agglomération importante puisque l’accès en est défendu par des garde-côtes. Ces équipages sont surpris, dépouillés de leurs armes et équipement et tués en grand nombre, les assaillants égorgent même un Danois converti au christianisme. Dans leur retraite ils emmènent un grand nombre de femmes qui seront vendues sur les marchés scandinaves. En cette même année 837, ils s ‘installent définitivement à Dorestad.

En 838, la flotte viking de Frise part pour de nouvelles expéditions, se trouve prise dans une violente tempête et sombre corps et biens, mais les hommes restés à terre sont encore nombreux. En 839, une nouvelle attaque est dirigée sur l’île de Waicheren. En 840, les annales de Fulda nous informent que la Frise toute entière a admis la présence danoise et paye régulièrement tribut et que des commerçants scandinaves se sont installés à Dorestad.

Louis le Débonnaire meurt en 840 sans avoir lancé la moindre opération d’envergure contre les envahisseurs scandinaves. Dans les dernières années de son règne il a même quitté Aix la Chapelle pour résider dans son nouveau palais d’Ingelheim sur le Rhin, loin des tourments que lui occasionnent les mauvaises nouvelles venues de Frise.

En sept années d’actions violentes mais sporadiques, les pillards danois se sont rendu maître du diocèse d’Utrech et de la riche province de la Frise continentale. Nous ignorons le nombre de bateaux engagés mais les premières opérations ne furent que des reconnaissances réussies avec un petit nombre d’embarcations, une vingtaine au plus, montées par 800 à 1.000 hommes. Ensuite, l’action va s’intensifier et, en fin de campagne, les Scandinaves engagent 60 à 80 navires de course montés de 2.500 à 3.500 hommes. Navigant presque exclusivement sur les estuaires, cette flotte obtient en un point donné une supériorité stratégique incontestable.

Sur cette période, nous n’avons aucune information sur une quelconque réaction des forces carolingiennes, si ce n’est celle des garde—côtes de Walcheren sans doute servis par des auxiliaires maritimes sans grande détermination. Les ports abordés devaient abriter de petites garnisons et de nombreux fonctionnaires impériaux mais ils durent fuir ou se cacher pour finalement subir le sort de ceux qu’ils devaient protéger.

Le diocèse d’Utrech couvrait 4000 km2 environ de terre ferme sans compter des îlots plus ou moins stabilisés. Ces 400.000 hectares alors prospères devaient nourrir une population de 100 à 150.000 habitants susceptibles de dégager 20 à 30.000 hommes valides. C’était amplement suffisant pour organiser une milice capable de défendre la province. Rien ne fut fait. Lamentable comportement pour une région qui avait, quatre siècles plus tôt, fourni à l’Empire les célèbres légions bataves.

Quant aux navigateurs rhénans, ainsi que les populations des villes et des campagnes environnantes, soit plusieurs centaines de milliers de personnes économiquement très concernées par le débouché maritime des grands fleuves, ils ne feront rien non plus sinon participer au lourd tribut réclamé par les envahisseurs. Ensuite, ces pirates danois vont se substituer au cadre carolingien et s’imposer en maîtres soucieux des affaires. Pour eux il s’agissait bien de contrôler et de gérer à leur profit le débouché des grandes voies économiques de pénétration que sont le Rhin et la Meuse. Ils sont maintenant les maîtres des comptoirs où ils venaient naguère s’approvisionner.

Durant cette première période, les raids sont menés par des équipages choisis embarqués sur les coques les plus appropriées. Ce sont des croiseurs de 15 à 22m de long avec étrave haute conçus pour la houle de la mer du Nord. Ces navires ont été armés par les petites communautés d’estuaire, ou par les villes commerçantes, et les hommes embarqués, autant marins que guerriers, sont à même de lancer des reconnaissances profondes et d’engager les forces adverses rencontrées. D ‘autre part, la majorité des déplacements seront réalisés le long des côtes de la Frise qui offrent de bons mouillages dans les estuaires ou à l’abri des îlots. Les équipages peuvent donc naviguer 16 heures de jour et se reposer 8 heures de nuit. Les distances parcourues seront de 80 à 120km en 16 heures (200km en 24 heures parfois annoncé constituent une performance exceptionnelle réalisée à la voile et par très bon vent). Dans ces conditions de navigation les bateaux peuvent embarquer un maximum d’hommes, il en sera tout autrement dans les longs parcours réalisés sur les côtes de la Manche et de l’Atlantique.

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Les Scandinaves font leur entrée en scène avec des opérations de piraterie ordinaires. En 789 trois bateaux attaquent Poriland, en 799 une demi douzaine de voiles pénètrent dans l'estuaire de la Loire, les équipages pillent les villages rencontrés et sont finalement anéantis (100 morts) près du lac de Grand Lieu. En 810, ces actions maritimes servent la politique. Pour dissuader Charlemagne d'envahir le Danemark, le roi Goterik envoie 200 voiles dans les estuaires du Rhin et de la Meuse afin de menacer Aix la Chapelle. En 820, une trentaine de voiles s'engage dans un vaste périple. Plusieurs fois refoulées sur les côtes de la Manche, elles contournent la Bretagne et attaquent l'île de Bouin, près de Noirmoutier puis rejoignent l'Irlande. En 835, une petite flotille attaque Rochester mais de 834 à 837, d'importantes flottes de 50 à 100 voiles prennent le contrôle des estuaires du Rhin et de la Meuse. La décomposition de l'état carolingien leur ouvre la voie.


SUR LES COTES DE LA MANCHE

En 841, les Francs se massacrent mutuellement à Fontenay, en 842 c’est le serment de Strasbourg et en 843 le traité de Verdun qui condamne les trois frères à s’entendre sous peine d’indignité. Durant ces années cruciales, les armées franques règlent leurs comptes ou se surveillent les unes les autres, ce qui permet aux Scandinaves de lancer de nouveaux raids de reconnaissance.

En 841, année de la bataille de Fontenay, une flotte danoise modeste, mais essentiellement composée de bons bateaux de course montés par des équipages entreprenants et aguerris, se présente sur l’estuaire de la Seine. Elle remonte le fleuve sans rencontrer de garde-côtes et assaille le grand port de Rouen. La chronique nous dit que la ville fut brûlée mais les textes ne parlent pas d’un assaut. A cette époque, la cité forte occupe une vingtaine d’hectares cernés de 2.000m d’une bonne muraille datant du Bas-Empire sans compter le burgui établi face au fleuve. En outre les faubourgs du quartier aval sur l’ancien port romain et ceux du quartier amont autour de l’abbaye Saint-Ouen, s’étaient fortement développés. Si nous estimons la population établie intra-muros à 10 ou 12.000 personnes, et un nombre égal pour les faubourgs, l’agglomération comptait 20 à 25.000 habitants. Selon toute vraisemblance, les Vikings vont d’abord piller et brûler les faubourgs dont les populations se sont repliées sur la cité, les 2.000 mètres de courtines sont alors défendus par 4 à 5.000 hommes valides ce qui est amplement suffisant. La cité doit résister.

Reste à savoir si les murailles côté Seine n ‘avaient pas été démantelées comme souvent Charlemagne l’avait permis. A Rouen c’est peu probable puisque des directives impériales ultérieures recommandaient la mise en défense des côtes et des ports.

QUANTOVIC

En 842, une flotte scandinave de moyenne importance assaille Quantovic. Les Vikings pillent et brûlent l’agglomération portuaire puis abandonnent la place qui sera réoccupée quelques années plus tard et deviendra un mouillage étape sur la côte de la Manche.

L’agglomération située sur le vaste estuaire marécageux de la Canche est d’origine gauloise. A cette époque, elle était, comme Boulogne, une des bases du trafic trans-Manche mais, dès la Conquête romaine la Chaussée d’Agrippa joint Boulogne et c’est ce port qui l’emporte. Sur le premier siècle, les navires de Méditerranée n’interviennent que très peu en Manche et les Gallo—Romains demeurent fidèles aux embarcations traditionnelles courtes, trapues, avec membrures puissantes qui tiennent bien la mer lors des coups de vent. Au siècle des Antonins, ce sont les ports d’estuaire, Rouen et Londres qui s’imposent, cependant Boulogne conserve quelque intérêt et fut sans doute aménagé avec des bassins artificiels destinés aux cargos de fort tirant d’eau.

Dès cette époque, la flotte traditionnelle relâche de préférence â Quantovic où les vastes étendus de l’estuaire, beaucoup moins chargés d’alluvions qu’aujourd’hui, offrent de nombreux petits appontages bien abrités. Ce phénomène va s’accentuer avec la période du Bas-Empire.

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Vers 833, les rois de la mer se sont installés sur les îles de la Frise. En 834, ils saccagent les faubourgs d'Utrecht puis assaillent le port de Dorestad (Durestede). La ville est définitivement occupée en 835. En 836, ils remontent l'Escaut et attaquent le port de Vilta puis celui d'Anvers. Le 17 juin 837, les Vikings abordent l'île de Walcheren et pillent le port principal (Middelburg). En 838, cette flotille de la Frise est en partie détruite dans une tempête. Dès 840, une nouvelle flotte s'installe en force à Walcheren et à Dorestad. Dans les années qui suivent ils assaillent Gand. En 850, devant le fait accompli, Lothaire concède au chef viking Roric la possession des deltas et de la province d'Utrecht. En 863, Roric marche sur Cologne mais Lothaire l'intercepte au sud de Xanten et lui impose le repli.


A Boulogne, l’envasement progressif de l’estuaire, sans doute favorisé par les aménagements artificiels de l’époque romaine, réduit les activités portuaires. D ‘autre part, la ville forte établie sur la falaise ne favorise pas l’équilibre de l’agglomération.

Quantovic connaît son apogée avec l’époque Carolingienne. C’est alors le second port de la Manche après Rouen mais son saccage par les Scandinaves engendre une longue période de déclin. Les bateaux s’enfoncent plus avant dans l’estuaire et relâchent au pied d’un éperon calcaire déjà occupé par une abbaye fondée au VIIème siècle par Saint-Saulve évêque d’Amiens. La pointe de l’éperon reçoit, dès 880/900, un ensemble fortifié construit par Helgaud comte de Ponthieu, ce sera Montreuil (sur Mer). De son côté, le site de Quantovic renaît peu à peu et devient la ville d’Etaples.

SUR LA COTE ATLANTIQUE

En 843, une flottille scandinave venant de Noirmoutier se présente devant la ville de Nantes le jour de la Saint-Jean. Les équipages des garde-côtes avaient abandonné leurs postes pour participer à la fête. En l’absence des embarcations enchaînées qui devaient barrer les différents cours de la Loire en aval de la ville, les assaillants purent, sans difficulté, arriver jusqu’au pied des murailles de la cité et face aux appontages des bateliers établis sur les îlots.

A cette époque, la cité forte cernée de murailles du Bas-Empire couvre environ 23 hectares avec une population urbaine de 10 à 12.000 habitants mais, comme à Rouen, des faubourgs se sont développés avec la Renaissance carolingienne, les rives de l’Erdre qui enserrent le site se sont garnies d’installations artisanales exploitant les divers courants de la rivière. il y a là 10 à 15 hectares urbanisés auxquels il faut ajouter les aménagements établis sur les îlots où se trouvent les entrepôts de la batellerie et les chantiers navals. Enfin, le faubourg de la Motte Saint-Pierre situé à l’Est de la cité est déjà formé, ce qui donne pour la ville 12 à 15.000 habitants supplémentaires. Certains vont fuir, mais la majorité, surprise, se réfugie derrière les murailles avec leurs plus précieux bagages, ce qui double, comme à Rouen, le nombre d’hommes valides disposés sur les remparts. Ils sont plus de deux au mètre linéaire, soit une valeur suffisante. Dans ces conditions nous pensons que seuls les faubourgs seront pillés et brûlés lors de ce premier raid mais l’économie de la cité était, là comme à Rouen, complètement ruinée.

Au cours de l’été 844, un nombre de drakkars indéterminé, 40 à 60 probablement, remontent la Gironde, pillent et brûlent toutes les petites localités installées sur les rives mais n’atteignent pas Bordeaux.

LE PERIPLE IBERIQUE

Au printemps de cette même année 844, une flotte viking de 50 à 60 navires montés par 2.500 hommes environ, où l’on doit trouver une majorité de Norvégiens, relâche à l’Ile de Noirmoutier puis longe la côte vers le Sud. Les équipages doivent aborder plusieurs fois pour se ravitailler en eau et en vivres mais ces opérations ne laissent aucune trace écrite. Début Juin, sans doute pris dans un coup de vent, ils se présentent dans la rade de Gijon. Ce n’est pas la meilleure opportunité, les Asturiens qui doivent affronter les incursions musulmanes sont sous les armes et l’effet de surprise passé les Vikings débarqués sont violemment pris à partie. Ils doivent reprendre la mer et poursuivre leur route vers l’Ouest.

Après quelques accostages ils abordent le grand port de la Corogne. De la ville romaine installée sur l’isthme, il ne subsiste que peu de choses mais la cité cernée de murailles qui contrôle l’anse abritée est une position très forte. Que font les Scandinaves? Nous l’ignorons. Vont — ils s ‘attaquer aux installations portuaires ouvertes, piller et brûler comme de coutume puis reprendre la mer rapidement ou bien s ‘enfoncer dans le petit estuaire qui marque le fond de la baie afin de relâcher quelques jours et de refaire leurs provisions? En tout état de cause, ils rencontrent là des populations armées et décidées à se défendre et ne s’attardent pas.

Après avoir longé la côte cantabrique où les abris sont nombreux, ils arrivent le 20 Août 844 à l’embouchure du Tage et remontent le fleuve vers Lisbonne. Ils se trouvent alors en pays occupé par les Musulmans et ces derniers ont connu tant de succès qu’ils ne prennent pas garde sur leurs arrières. Les Vikings peuvent, sans difficulté, aborder le port et les quartiers bas de Lisbonne qu’ils vont piller et brûler. La population se replie sur la citadelle solidement occupée par les forces musulmanes et c’est une position que les Scandinaves n’osent aborder. Cette fois encore ils reprennent la mer après une petite semaine de saccage.

En Septembre ils abordent Cadix, toujours à effectif complet, soit 2.500 hommes embarqués. Il est peu probable qu’ils aient attaqué de front la ville forte cernée de bonnes murailles mais ils avaient tout loisir de pénétrer dans la baie et de ravager les installations ouvertes établies sur ses rives, à San-Fernando notamment, où se concentraient les activités marchandes et les pêcheries. Après quelques jours de méfaits, et ne voyant pas de troupe adverse à l’horizon, ils décident de mener une incursion vers l’intérieur. Ils empruntent l’ancien itinéraire ibérique menant à Algésiras et attaquent la grosse bourgade de Médina Sidonia qui sera, comme de coutume, pillée et brûlée, mais le paysage de montagne qu’ils découvrent ne les inspire pas, ils rebroussent chemin.

Comme ils ne connaissent absolument pas la région, mais ont entendu parler de la grande cité commerçante de Séville, ils achètent ou capturent un pilote qui va les guider dans le dédale des marismas afin de retrouver le grand courant du Guadalquivir. En deux jours de rames, ils sont sous les murs de la ville toujours cernée de ses murailles Bas-Empire.

D’abord bourgade ibérique, Séville connaît son essor économique avec le percement, par les Romains, du canal qui permet d’éviter les bancs de sable et les courants rapides qui marquent la grande courbe du fleuve. Cette première cité prend le nom d’Hispalis et sera cernée de murailles par “César”, entendons l’Empereur de Rome, mais l’urbanisation déborde rapidement le plan augustéen. Après la récession du Bas — Empire, la ville se rétablit sur son périmètre ancien, proche d’une centaine d’hectares, et devient capitale du royaume Visigoth d’Espagne, avant Tolède. Les Musulmans s’y installent avec faste en 712.

A l’heure où les Vikings abordent Séville, l’agglomération fermée couvre toujours une centaine d’hectares et c’est un bien gros morceau pour les 2.500 Scandinaves. Ils rêvent devant les richesses annoncées et entreprennent le siège de la cité tout en lançant de nombreuses opérations dans la province sévillane. Ils insisteront durant cinq semaines et c’est une grosse faute stratégique. Des forces musulmanes avec de gros contingents de cavalerie berbère arrivent à marche forcée par la voie de Cordoue et engagent les Vikings à quelques distances de la ville. Les Nordiques subissent une cruelle défaite, perdent 1.000 hommes au combat et laissent 400 prisonniers. Ils se replient rapidement vers leurs navires, embarquent avec leur butin et des prisonniers de marque puis tentent de fuir en abandonnant 30 navires. Mais ils sont rapidement bloqués dans leur retraite par des embarcations barbaresques. Le millier de survivants se juge en infériorité, et négocie. Ils obtiennent la voie libre en abandonnant leur butin et leurs prisonniers. Les 20 à 25 navires filent droit vers le Sud pour échapper à leurs poursuivants et touchent la côte africaine à Asilah, où ils s ‘approvisionnent avec violence et incendient de surcroît. Ensuite, ils prennent la mer en direction du Nord et rejoignent l’île de Noirmoutier à la fin de l’automne sans que l’on signale d’autres engagements.

Ce raid où la violence gratuite l’emporte sur toute autre considération nous semble l’oeuvre d’une majorité norvégienne. L’opération se solde par un échec mais ils ont vanté les richesses entrevues ce qui justifiera une nouvelle et vaste opération quelques années plus tard.

LES OPERATIONS DANS LA BASSE-SEINE

En mars 845, c’est au tour de Paris d’être abordé par une flottille scandinave. Comme à Rouen, de nombreux bateliers circulant sur la Seine, ainsi que les cavaliers empruntant la voie romaine de plateau, avaient eu le temps de prévenir les Parisiens. Cette force assaillante, menée par Ragnar, compte 120 drakkars et 5 à 6.000 hommes. Sur leur chemin ils avaient pris et brûlé Carolivena (?), sans doute l’un des palais carolingiens de Poissy ou de Clichy. Arrivés devant Paris, ils se livrent comme de coutume au pilage et à l’incendie des faubourgs. C’est le printemps et les Scandinaves qui ont plusieurs mois de belle saison devant eux s ‘installent en espérant s’emparer de la cité minée par la famine, Cependant, le roi Charles le Chauve averti, quitte son palais de Compiègne avec une troupe que l’on dit importante et descend sur Paris. Ces combattants rassemblés à la hâte ne sont sans doute pas parmi les meilleurs et de son côté le roi n’a pas le caractère d’un meneur d’hommes. Administrateur dans l’âme, il n’imagine pas qu’il puisse monter à cheval et prendre la tête de ses cavaliers comme l’avaient fait ses ancêtres. Il préfère transiger et achète le départ des envahisseurs avec versement de 7.000 livres d’argent.

Dans ce premier face à face, entre l’armée franque et les Vikings, les atouts étaient partagés. L’armée impériale que nous dirons forte de 6.000 à 8.000 hommes se déploie sur la rive nord de la Seine et peut sans grande difficulté établir des barrages sur les îlots de fond de méandres, comme ceux que l’on trouve face à Saint-Denis. Les drakkars sont donc coupés de leur voie de repli, d’autre part, les Scandinaves qui combattent essentiellement à pied en maniant la hache et négligent boucliers ou protection de corps, sont très vulnérables aux charges de cavalerie. Cependant leurs embarcations leur permettaient à tout instant de passer sur la rive Sud et de se mettre à l’abri des forces franques. Ainsi, malgré leur infériorité numérique la situation des envahisseurs n’était nullement critique. Ce fut finalement le caractère de Charles le Chauve et le manque de motivation de ses soldats, qui décidèrent de l’issue honteuse de ce premier affrontement.

Après une longue négociation, à la fin de cette année 845, les Rouennais acceptent la domination des Vikings.

A l’abri derrière leurs puissantes murailles les vieilles cités gallo-romaines d’Occident ont les moyens de se défendre mais, une fois investies et leurs faubourgs détruits, le siège devient difficile à soutenir sans intervention d’une armée de secours et elles doivent se rendre dans les années qui suivent. Les Vikings le savent parfaitement et laissent le temps travailler en leur faveur.

Tout différent fut le sac de Hambourg mené en 845. Citadelle franque doublée d’une ville de négoce, l’agglomération s’était considérablement développée depuis la présence carolingienne. Entièrement construite en bois et de manière ouverte, la ville fut prise sans difficulté et brûla intégralement. La petite abbaye fondée par l’évêque Anskar disparut également dans le sinistre, seule la forteresse franque protégée d’une importante levée de terre avec palissades semble avoir tenu. Un bon nombre d’habitants s ‘étaient enfuis en toute direction ceux qui furent pris furent tués ou emmenés en esclavage.

Cette attaque danoise menée par 600 drakkars dit la légende, moins d’une centaine probablement, fut une grosse erreur stratégique. Les Scandinaves avaient dans cette action, massacré beaucoup de Germains et peu de Francs provoquant ainsi la colère du peuple saxon et de tous les Germaniques servant dans l’armée de Louis. Si le pays saxon tout entier décidait de laver l’affront, la petite nation danoise de la presqu’île continentale serait vite submergée. Aussi le roi Horik engage-t-il rapidement des négociations avec Louis le Germanique et, pour apaiser les esprits, livre une bonne part du butin acquis par Ragnar à Paris. Parmi les clauses de cet accord, figurait aussi l’engagement que pareille agression ne se répéterait plus et, de fait, durant plus d’un siècle, aucune action scandinave ne vient perturber la paix des terres saxonnes. A cette époque, l’honneur des Francs se voit piétiné, celui des Saxons s’impose dans les provinces du Nord. Les Vikings vont désormais concentrer tous leurs efforts sur les côtes de la Manche et de l’Atlantique.

NOIRMOUTIER, LA BASE ATLANTIQUE

Dès 845 le centre de gravité des opérations se déplace et se fixe sur la côte atlantique. Avec l’acquisition de l’île de Valcheren donnée aux Scandinaves par Louis le Germanique, la maîtrise de la Basse-Seine et de bons mouillages, à Harfleur notamment, ainsi que des camps fortifiés dans la baie de Somme et dans les estuaires de la Vive et de la Vire, les Danois avaient tracé une véritable route maritime sur les côtes de la mer du Nord et de la Manche. Restait à contourner la Bretagne et ses abords difficiles.

Un instant, tolérants, voire complices, les Bretons furent sans doute ulcérés par le sac de Nantes et les rapports devinrent tendus. Les Danois fixent leurs bases sur le Cotentin et les îles anglo-normandes moins bien défendues. De là, ils pouvaient, en quatre jours de navigation, contourner la Bretagne et atteindre l’île de Noirmoutier face à l’estuaire de la Loire où ils retrouvent bon nombre de drakkars venus des fjords de Norvège par la mer d’Irlande. Cependant le passage par la pointe du Raz et l’île d’Ouessant, sans possibilité de mouillage, se révèle dangereux. Les Vikings vont donc rétrocéder Nantes aux Bretons et la ville devient un grand marché où se négocie le produit des pillages scandinaves.

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Noirmoutier ne fut sans doute pas la seule base établie par les Vikings sur la côte Atlantique. En 844, une cinquantaine de drakkars remonte la Gironde, atteint Bordeaux mais ne l'attaque pas. En 847, une flotte d'une centaine de voiles aborde la ville et les assaillants entament un siège qui va durer un an sans que les Comtes d'Aquitaine daignent intervenir. La cité se rend en 848. Dans les années qui suivent, les Scandinaves ravagent les rives de la Garonne et du Tarn: Agen, Moissac et Albi sont attaqués. Toulouse est abordée mais les Scandinaves sont trop peu nombreux. Vers 850, Saintes voit également ses faubourgs brûler. Plus au Nord, les hommes du Val de Loire remontent la Vienne et en 854 sévissent à Poitiers et à Limoges (Saint-Martial). En 865, une troupe d'Aquitains engage une bande viking dans la région de Pons, au Sud de Saintes. Les Scandinaves perdent 500 hommes. Charles le Chauve peut reprendre le contrôle de Bordeaux. En 863, les Vikings qui ont remonté la Loire attaquent Bourges. En 864 ils sont au Nord de Clermond-Ferrand et le Comte d'Auvergne qui les intercepte avec ses troupes est tué dans l'engagement. En 868, les Vikings attaquent à nouveau Poitiers mais sont battus par une troupe d'intervention. Dans les décennies qui suivent, de nombreux Scandinaves devenus pacifiques se fixent sur les côtes Atlantiques et sur les rives de la Garonne.


Longue de 20 km et large de 2 à 5 km, l’île rocheuse de Noirmoutier fut constamment érodée par les tempêtes d’hiver. A l’époque carolingienne, son accès était facile à marée basse et une vaste baie bien protégée des vents dominants s’ouvrait au pied du rocher Plantier. Dès 840/845, les Vikings vont installer sur l’île une base permanente avec cantonnement et magasins dont la capacité d’accueil était considérable. Dans les périodes précédant les grands raids menés sur le bassin de la Loire, sur la Gironde et vers l’Espagne, 100 à 200 voiles venaient se concentrer dans l’île.

Avec une flotte conjuguée où l’on retrouve Danois et Norvégiens, les Scandinaves entreprennent en 847 une vaste opération contre l’Aquitaine et une armada de plus de 100 voiles arrive devant Bordeaux sans grande difficulté. Les comtes carolingiens d ‘Aquitaine ne réagissent pas, les assaillants débarquent et mettent le siège devant la ville.

Avec 31 ha (690 x 450m), et une population de 15.000 âmes environ, soit 3.000 combattants sur les courtines, sans compter l’apport des réfugiés du faubourg sud, la ville a les moyens de se défendre. Bordeaux ferme ses portes, voit ses faubourgs brûler mais attend l’adversaire de pied ferme pensant que les secours ne vont pas tarder à venir. Comme toutes les cités portuaires, Bordeaux s’est bien protégé côté terre espérant en cas de siège assurer son approvisionnement par bateaux mais, cette fois, la menace vient précisément de la mer. La population consomme ses réserves et bientôt la famine menace. La ville tiendra 12 à 16 mois mais, dès l’été 848, aucune

armée de secours ne se présente à l’horizon tandis que les Scandinaves reçoivent des renforts. La situation devient critique et la ville sera conquise à la fin de l’été 848.

Avec cette nouvelle base, les Scandinaves poussent leur avance. Dans les années qui vont suivre Saintes, Périgueux et Toulouse verront leurs faubourgs pillés et brûlés mais les cités fortes tiennent bon, et les Vikings renouvelleront leurs assauts. Les Scandinaves qui connaissent bien la faiblesse relative de leurs forces n’engagent que très peu de sièges à l’intérieur des terres de peur de se voir couper la retraite par les rivières et les fleuves.

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Les rois de la mer sont des pirates dont l'objectif essentiel est le pillage. Partis de Walcheren en 841, une flotte de 30 à 50 voiles saccage les faubourgs de Rouen. En 842, une expédition moins importante attaque et détruit Quentovic. Dans les années qui suivent, leurs actions se portent sur l'Angleterre: Sandwich, la région de Rochester et Londres sont attaquées, l'East Anglie également. En 845 ils sont devant Paris avec 120 bateaux. La ville se défend. Charles le Chauve intervient et transige honteusemenl. En 845, la cité de Rouen se rend. En 843, les Scandinaves ont occupé Nantes avec la complicité d'un comte rebelle. De 847 à 850, une flotte importante contourne la Bretagne, saccage de nombreux petits ports puis s'engage sur la Loire. Saint-Martin de Tours est pillé et brûlé, ensuite, une partie des assaillants remonte le fleuve et saccage les villes rencontrées jusqu'à Orléans. L'autre partie emprunte la Vienne. En 854 les Vikings de la Basse-loire attaquent Angers et pillent l'abbaye Saint-Aubin. De 859 à 862, Charles le Chauve organise la défense des grands fleuves. Après avoir combattu sur l'île d'Oissel, sur la Seine, il entreprend de barrer le fleuve à Pont de l'Arche.


En 854, les Scandinaves basés à Noirmoutier abordent Angers. Ils pillent et brûlent les faubourgs et notamment la riche abbaye Saint-Aubin mais ils redoutent l’estuaire de la Maine trop facile à fermer avec ses hauts fonds sableux. Ils se retirent bientôt.

Sur la période 847/850, la même flotte scandinave remonte la Loire pille et brûle les agglomérations qui bordent le fleuve puis s’attaquent à Saint—Martin de Tours ainsi qu’aux installations commerçantes établies sur la grande rue reliant le bourg à la cité. L’illustre abbaye est pillée, profanée et partiellement brûlée mais les assaillants ne semblent pas avoir attaqué la cité bien défendue par sa muraille du Bas-Empire.

Sur la même période, une autre flottille de moindre importance remonte la Vienne et attaque Limoges, les assaillants pillent et brûlent les installations du port fluvial qui s’étalent au pied de la cité puis ils remontent vers le bourg Saint-Martial installé de manière ouverte. Là également ils pillent et incendient, c’est la marque du sinistre passage des Barbares mais ils ne se maintiennent pas.

850 marque la fin de la seconde période des invasions Vikings. Ces actions violentes menées par les rois de la mer sont sans grand intérêt pour la nation danoise, le roi et les grands de ce royaume engagent une réflexion sur la stratégie à venir.

LA STRATEGIE DES SCANDINAVES

Sur la période 835/850, les grandes étapes de l’invasion scandinave sont bien connues mais l’ampleur réelle du phénomène est difficile à mesurer. Comme toujours en pareil cas, les textes exploités outre mesure engendrent une opinion maximaliste, la quasi totalité des écrits en question fut rédigée côté franc par des moines et, dans ces annales, la vision est apocalyptique. Les plus mystiques veulent voir dans ces hordes d’envahisseurs et la misère endurée par le peuple chrétien la punition divine de nos péchés. Selon eux, prier davantage et se repentir de ses fautes était le seul moyen d’obtenir de la main céleste qu’elle arrête les envahisseurs détestés. Autant dire que bon nombre de pasteurs chrétiens vont se révéler fidèles auxiliaires des Barbares.

Sans risque d’engendrer une opinion minimaliste prenons le contre—pied de l’option précédente et tentons une estimation logique du phénomène. Le nombre de voiles engagées, souvent confirmé par des chroniques scandinaves, se situe entre 15 et 30 pour les opérations de caractère indépendant menées par les membres d’une même tribu. Ce nombre de voiles passe à 100 ou 150 pour les grandes opérations organisées sous l’égide d’un chef de guerre ou roi de la mer qui rassemble indistinctement Danois ou Norvégiens. Dans ces flottes nous trouvons une majorité de navires de course, les petits font de 12 à 16m, les moyens de 16 à 24m mais les plus de 25m sont peu nombreux, à peine 10% de la flottille. Comme la moyenne des occupants, rameurs et guerriers embarqués, doit se situer autour de 35 à 40 hommes par bateau, les grandes flottilles ne peuvent dégager que 4 à 6.000 hommes disponibles pour les opérations à terre, les autres restant auprès des navires. Enfin, les bases établies comportent également un certain nombre d’occupants permanents.

En résumé, le nombre de Vikings engagés dans les opérations de cette période demeure constamment inférieur à 8/10.000 hommes, c’est peu si l’on considère que les états de Charles le Chauve entretiennent encore 20 à 25.000 soldats dam les casernes, dans la garde royale ainsi que dans les troupes dépendant des comtes répartis sur l’ensemble du territoire. Cependant les Danois ont l’énorme avantage que procure l’initiative face à des soldats en cantonnement et bien installés dans leur condition de fonctionnaires en uniforme. Avec leur mobilité sur mer, les Scandinaves obtiennent chaque saison un effet de surprise garanti et une confortable supériorité ponctuelle. Ils le savent bien, aussi évitent-ils systématiquement les sièges de plusieurs saisons à l’intérieur des terres. La position de Bordeaux à proximité du vaste estuaire de la Gironde leur laissait tout loisir de reprendre la mer avant même que les Carolingiens n’aient rassemblé les forces suffisantes pour les mettre en péril.

Un autre phénomène joue en leur faveur. Les comtes et leurs troupes disséminés sur le territoire sont jaloux de leurs prérogatives qui feront bientôt d’eux des potentats locaux totalement indépendants de l’Empereur qui règne mais ne gouverne pas. D’autre part, celui—ci ne viendra jamais prendre la tête d’une armée pour mobiliser les esprits, quand le pouvoir central apprend la nouvelle des pillages, il est déjà bien trop tard pour agir efficacement. La formule satisfaisante serait l’organisation de milices d’auto — défense disponibles sur les régions

littorales mais les comtes s’y opposent fermement au nom des prérogatives de leurs charges. Ils iront même Jusqu’à combattre certaines milices déjà formées, se faisant ainsi les alliés des envahisseurs. L’énorme machine administrative mise en place par Charlemagne et laissée libre de se développer à sa guise par Louis le Débonnaire montre ainsi ses côtés les plus pervers. Il faudra longtemps et beaucoup de misère sur la terre des Francs pour que cette caste néfaste soit emportée par le vent de la tourmente.

LE RAID MEDITERRANEEN 859/862

En 859, deux chefs Scandinaves, Hesteinn et Björn Jarnsida, quittent l’île de Noirmoutier avec 62 voiles et environ 2.500 hommes. Ils se dirigent vers le Sud en suivant la route ouverte par l’expédition précédente mais ne s’attardent pas sur les côtes d’Espagne et gagnent le détroit de Gibraltar après quelques escales de ravitaillement. Ils franchissent le détroit sans être inquiétés par les navires musulmans et tombent par surprise sur le port de Mazimma sur le littoral marocain de la Méditerranée. Selon les vents et courants, les 1800 à 2000 km parcourus par ces bateaux leur ont demandé 40 à 50 jours de navigation continue, les rameurs doivent se relayer en trois fois 8 heures ou deux fois 12 heures et la vitesse s ‘en trouve naturellement réduite. Si la flotte a quitté Noirmoutier début Avril, elle doit commencer ses exactions en Méditerranée vers le milieu du mois de Mai.

Après la côte marocaine ils rejoignent les rivages ibériques de Murcie et sévissent dans la région d’Almeria. Ensuite, ils longent la côte méditerranéenne et attaquent Orihuela après avoir remonté le cours du Segura sur 25 km. Forts de leurs expériences précédentes, les Vikings savent qu’ils ne peuvent s’attarder en un lieu; ils reprennent la mer et naviguent toujours vers le Nord. En chemin, ils joignent les Baléres et attaquent le grand port de Palma de Majorque. Ensuite, on les signale au Nord de l’Ebre dans les régions de Tarragone et de Barcelone mais ils s’attaquent essentiellement aux petits ports, sans s’attarder. Ils arrivent ensuite dans les grandes lagunes de la côte narbonnaise où ils relâchent quelques temps avec un sentiment de sécurité. Ils en profitent pour attaquer et piller les faubourgs de Narbonne mais sans pouvoir pénétrer dans la cité forte. La saison s’avance et c’est au mois de Septembre qu’ils atteignent le delta du Rhône. Après quelques reconnaissances sur le grand fleuve, ils décident d’hiverner dans une île de la Camargue.

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Le raid de 844 connaît un échec sérieux à Gijon (A) puis un relatif à La Corogne (B) ensuite, les Wikings pillent la basse ville de Lisbonne (C), longent la côte Atlantique et attaquent Asilah sur la côte marocaine (D). Ensuite ils font demi-tour, abordent la vallée du Guadalquivir, attaquent Cadix sans grand succès puis incendient Médina Sidonia, enfin ils se font écraser sous les murs de Séville (E) qu'ils assiégeaient. Le second raid de 859 aborde lui aussi le delta du Guadalquivir où les Wikings connaissent un échec à Niebla (F). Ensuite ils pénètrent en Méditerranée, attaquent Mazimma (G), remontent la côte espagnole (H), gagnent les Baléares (J), rejoignent et attaquent Narbonne (K) puis atteignent le delta du Rhône (L) où ils assaillent Arles, Nimes et Valence. En 860, ils gagnent la côte Italienne (M), asssaillent Luna, Pise et Fiesole avant de gagner le Bassin Oriental de la Méditerranée. Ils regagnent leur base en 861 après une cuisante défaite au large des côles Andalouses (N).


Au printemps 860, la flotte scandinave part en opération sur le Rhône mais les six mois passés dans le delta étaient la faute stratégique à ne pas commettre; les villes et agglomérations bordant le fleuve avaient pris la mesure du danger et s’étaient mises en état de défense, avaient formé des milices et fait appel à des forces de l’intérieur. Ainsi les Scandinaves vont rencontrer en tous lieux une forte opposition. Ânes est la première ville abordée mais si les assaillants peuvent faire quelques ravages dans les faubourgs, la cité forte résiste bien. Après quelques jours d’engagement, des forces venues de l’arrière pays mettent les Scandinaves en péril, ces derniers abandonnent le combat, font mine de s’enfuir par le petit Rhône mais c’est pour mieux lancer un raid rapide sur Nîmes. En une nuit de marche forcée, ils sont sous les murs de la ville mais, là également, la résistance est farouche et une fois encore ce sont les faubourgs qui paieront le prix d’une défense basée sur la ville forte. Satisfaits de leur action, les Scandinaves rejoignent leur bateau et la flottille remonte le Rhône en multipliant de brèves mais violentes actions sur les petites agglomérations rencontrées. A quelques détails près, c’est une répétition des raids musulmans du siècle précédent.

Après de nombreux saccages, ils arrivent à Valence elle aussi mise en état de défense. Les faubourgs sont pillés comme de coutume mais les Scandinaves sont inquiets, des observateurs laissés sur le fleuve leur annoncent que des barrages se mettent en place. Rapidement ils rebroussent chemin et rejoignent la haute mer. Nous ignorons le temps que dura cette aventure sur le Rhône, sans doute deux mois, soit Avril et Mai, les Scandinaves ont encore toute la saison devant eux. Ils vont gagner les côtes d’Italie en rêvant d’une action sur Rome dont ils ont entendu vanter la gloire passée, ce qui leur permet d’imaginer des richesses présentes. Cependant ils ignorent tout de la géographie méditerranéenne et les informations qu’ils recueillent sont le plus souvent volontairement erronées. C’est la parade coutumière des hommes capturés pour renseignement “Nous sommes pauvres, allez plus loin ils sont riches. Plus loin mais où? à Rome bien sûr, une ville que tous connaissent”. Les Scandinaves savent que l’illustre cité se trouve à quelque distance de I ‘embouchure d’un fleuve mais, arrivés à la hauteur de la baie de la Spêzia, ils confondent l’embouchure du Magra avec celle du Tibre et découvrent une grande cité forte qu’ils prennent pour Rome, c’est Luna.

LUNA, PISE, FLORENCE

Colonie romaine destinée aux vétérans, Luna fut fondée en 177 avant J—C sur la Via Aurélia, premier tronçon d’un vaste itinéraire qui devait donner accès à l’Espagne en contournant la Méditerranée. L’agglomération située dans une plaine alluviale jouxte un bras secondaire du Magra qui sera aménagé en port. La cité connaît une évolution rapide et se trouve cernée d’une muraille rectangulaire de 450 x 550m dotée de quatre portes, la Via Aurélia formant le décumanus, le cardo menant du port vers les montagnes de l’arrière pays. Au temps d’Auguste, la ville reçoit de nouveaux colons et se couvre de grands monuments, un forum de 70 x 37m, une basilique, un théâtre et enfin un amphithéâtre de 88 x 70m situé hors de l’enceinte, vers le Sud.

Dès le siècle d’Auguste, Luna connaît une grosse activité. Là sont embarqués les marbres (de Carrare) destinés aux grandes villes de la côte et à Rome en particulier. A la fin de l’Empire, la demande disparaît, la ville s’appauvrit et le port se garnit de sables et d’alluvions. Nous ignorons l’état de la cité à l’époque carolingienne mais la muraille était toujours debout, les 27 hectares protégés devaient abriter 10.000 personnes environ.

Avec l’arrivée des bateaux scandinaves, la population environnante se réfugie derrière l’enceinte et les assaillants voient là une sérieuse place forte qu’ils n ‘osent attaquer de front. Ils l’investissent, commencent le siège mais ne croient guère à une reddition rapide. Alors ils tentent une ruse demeurée célèbre. Le chef viking se dit malade et demande à être baptisé. Une fois fait, ses compagnons annoncent sa mort et affirment qu’il désirait une sépulture chrétienne. Naïfs à l’excès, les habitants de Luna acceptent que le cercueil entouré d’une troupe nombreuse soit admis dans la cité puis dans la cathédrale. Là, le chef viking, tel un diable, jaillit de son cercueil, tandis que ses compagnons brandissent des armes cachées sous leurs vêtements. Ils massacrent l’assistance puis ouvrent les portes de la ville à leurs compagnons demeurés à l’extérieur. Cet épisode montre la coupable naïveté des chrétiens de ce temps. Luna est pillée, brûlée, ce qui annonce sa ruine complète survenue dans les siècles qui vont suivre.

Après cette sinistre farce, les Scandinaves reprennent la mer et se dirigent vers le Sud en longeant la côte. Bientôt ils arrivent à l’embouchure de l’Arno qu’ils remontent et abordent la ville de Pise.

L’agglomération s’est développée dès le premier siècle avant J-C autour du pont où la Via Aurélia franchit l’Arno, mais les Romains vont juger insalubre ce lieu encore marécageux. Ils construisent une cité coloniale régulièrement urbanisée avec une défense de 600 x 800m soit 50 hectares environ, à 20km au Nord-Est: ce sera Luca.

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La cité romaine de Luna disparaît au Moyen Age mais, grâce aux fouilles et prospections aériennes, nous pouvons proposer la restitution suivante. Derrière une muraille en quadrilatère régulier (A) flanquée d'une excroissance (B) donnant sur le port à marchandises (C) la ville se développe selon un maillage urbain régulier avec decumanus (D) et cardeau (E). Au centre, nous trouvons un forum traditionnel (F) avec temple (G) basilique (H) marché alimentaire (J) esplanade et boutiques (K). Le théâtre (L) occupe un coin de l'enceinte enfin, un grand temple (M) et une basilique chrétienne (N) clôturent la palette des édifices monumentaux. L'amphithéâtre (P) est hors l'enceinte dans un quartier commerçant. La partie Nord (Q) semble convenir à l'expédition des marbres avec aire de stockage (R). Le bras du Magras qui dessert le port va rapidement s'envaser, ce sera le déclin de la ville.


A Pise, l’habitat est concentré sur les quais et l’aggloméra lion ne doit pas dépasser les 5 à 10.000 personnes à la période faste des Antonins. Après 313, avec la Paix de 1‘Eglise, les Chrétiens qui s ‘étaient rassemblés autour de la sépulture d’un martyre, à 800m au Nord du pont, forment alors une agglomération distincte. Ce caractère bicéphale très courant en France mais rare en Italie va handicaper le développement futur de l’agglomération et c’est dans cet état que les Vikings découvrent la ville qui peut compter alors 10.000 habitants en deux ensembles distincts, celui du port et celui de la cathédrale. Non protégée, indéfendable, l’agglomération est pillée et brûlée. Sa ruine sera radicale puisqu’elle mettra plus d’un siècle à se relever. Quel fut le butin recueilli? Dérisoire sans doute puisque les pillards décident de poursuivre la remontée de 1 ‘Arno vers une ville que l’on dit grande et riche: Florence.

La future capitale de la Campanie prend forme vers 200 avant J-C autour du pont où la voie Flaminia franchit l’Arno. A l’époque augustéenne, l’agglomération est rationnellement urbanisée à quelques distances en retrait des berges. Avec la récession du Bas — Empire, la population se concentre sur une surface de 20 hectares environ (400 x 500m) bientôt cernés de murailles. L’empreinte de ce quadrilatère de repli est toujours visible dans la physionomie urbaine. C’est donc une ville forte comptant 10.000 habitants que les Scandinaves abordent. Ils ne donneront pas l’assaut mais saccagent les quartiers périphériques puis se dirigent vers la vieille cité de Fiesole toute proche. C’est une ancienne ville étrusque devenue résidence aristocratique à l’Epoque Impériale et un vaste théâtre de 90 m témoigne du faste de cette période. Au IXème siècle, la ville qui avait sans doute conservé quelques milliers d’habitants sera pillée et brûlée par les Scandinaves.

La saison s’avance et les Vikings comprennent que la péninsule italienne ne leur offrira aucun abri sûr pour l’hiver. Ils oublient Rome et font route vers le Sud sans aborder aucune autre ville d’importance. Fin 860, nous perdons leurs traces. Ils semblent franchir le détroit de Messine et gagner le bassin oriental de la Méditerranée alors contrôlé par l’Empire Byzantin. En 861, mais plus vraisemblablement en 862, ils rejoignent la Méditerranée Occidentale puis longent les côtes du Maghreb où ils se font repérer à plusieurs reprises. Ils seront finalement interceptés par une flotte musulmane à leur débouché du détroit de Gibraltar. L’engagement est rude. Les Vikings dont la flotte est déjà réduite en nombre perdent encore de nombreux bateaux mais ils réussissent à s’échapper, longent la côte Atlantique et, à l’automne 862, Hasteinn et Björn Jarnsida rejoignent l’île de Noirmoutier avec 20 voiles seulement.

Les Vikings ont engendré des ravages considérables mais ne rapportent que très peu de butin. C’est un échec mais les deux chefs sont auréolés de gloire et leur légendaire aventure justifiera sans doute les actions ultérieures menées en Méditerranée.

850/875 LES TROUBLES INTERIEURS

De leur côté, les Scandinaves ne tirent pas grand bénéfice de leurs succès. Ces navires de course dont les équipages pillent avant de brûler ne ramènent finalement que peu de butin et, en ces temps troublés, les objets précieux sont de plus en plus difficiles à négocier. D ‘autre part, les peuples du Danemark sont toujours aux prises avec des difficultés d’approvisionnement, l’or et l’argent ne calment pas la faim et les responsables du pays doutent du bien fondé de la stratégie mise en oeuvre. Il faudrait ouvrir des marchés ou bien installer des colons sur les terres conquises et rapatrier des produits alimentaires de première nécessité, des céréales notamment, mais les rares terres conquises sur le littoral franc ne s’y prêtent guère. Enfin, les Norvégiens qui participent à ces expéditions victorieuses se découvrent une conscience politique. Quant aux Suédois ils ont réorganisé leur circuit économique dans les plaines de I ‘Est et voient venir l’heure où ils pourront exploiter les faiblesses des Danois. Leur première entreprise à l’encontre de leurs voisins sera de fédérer sous leur bannière les différentes tribus de Norvège.

Inquiétude et perplexité cheminent donc dans l’esprit des responsables Danois. Ils vont suspendre pour un temps les grands raids et privilégier les petites opérations ponctuelles, toujours violentes, et concentrées sur les côtes de la Manche. Au cours de ces actions bon nombre de Scandinaves se sont fixés sur les côtes qui vont de l’embouchure de la Seine au Cotentin. Ils ont pénétré à l’intérieur des terres et construit les premiers rings avec levée de terre et palissades. Là, ils ont appris à monter et à combattre à cheval et les petits escadrons ainsi formés lancent de profondes incursions à l’intérieur des terres, l’objectif est de terroriser les populations afin de les faire fuir ou de les soumettre. Une grande panique se développe au sein du monde rural et jette sur les routes davantage de gens que les ruines occasionnées dans les faubourgs des villes. Cette cohue, affamée, incontrôlée, engendre à son tour de nouveaux pillages et les prédicateurs qui diabolisent les évènements accentuent encore ce mouvement de panique. L’Empereur en est informé, il fait rédiger et signe le capitulaire dit de Servais, en 853, où il autorise les bandes de réfugiés à s’installer dans le pays de leur choix. Il interdit également aux grands propriétaires terriens de réduire ces hommes libres en servage. Ce capitulaire part d’un bon sentiment mais ses effets seront désastreux. Sur les routes, aventuriers et malandrins qui se sont mêlés à la foule des réfugiés, vont se jeter sur les bonnes terres de l’arrière pays sans qu’il soit possible de réprimer ces abus. Les braves gens se trouvent maintenant confrontés à ce nouveau fléau.

Le plus inquiétant, sans doute, dans cette période sinistre c’est le comportement de la machine administrative carolingienne. Charles le Chauve continue, sans état d‘âme, la construction de son superbe palais de Compiègne et concentre même des forces importantes au confluent de 1 ‘Oise et de la Seine afin de sécuriser cette rivière qui arrose Compiègne. Pour faire face à ces énormes frais, les comtes collectent toujours plus d’impôts qui servent à couvrir les besoins de l’Empereur mais aussi ceux occasionnés par l’entretien de leur maison, leur administration et leurs propres forces armées.

860/878 LES OPERATIONS CONTINENTALES

Sur cette période, les opérations menées en Grande Bretagne absorbent la majorité de l’effort de guerre fourni par la communauté danoise et sur le continent la pression est moindre. C’est aussi le temps des premières réactions organisées en Anjou et dans le Maine notamment. Deux théâtres d’opération vont se distinguer: celui de la Basse Seine où l’implantation territoriale scandinave se renforce chaque année davantage et la Basse Loire où les Norvégiens basés à Noirmoutier ne sont pas concernés par les opérations de Grande Bretagne.

En 861, une flotte danoise comprenant 50 voiles environ quitte l’estuaire de la Seine, contourne le Cotentin et la Bretagne puis aborde l’île de Noirmoutier. C’est l’époque où les Norvégiens ont perdu une bonne moitié de leurs hommes et de leurs bateaux dans le vaste périple méditerranéen et ce renfort arrive à point. Une seconde flottille de moindre importance arrivera également de la Basse Seine, en 862.

Les actions scandinaves sur la Loire vont se heurter à la troupe menée par Robert le Fort qui vient de s’installer à Angers. cet homme dont les descendants donneront la dynastie capétienne est d’origine bien modeste. Fils d’un boucher de Dreux nommé Capet, il se destine très jeune à la carrière militaire, se forme à la monte et au maniement des armes puis s ‘en va servir dans la cavalerie de Louis le Germanique, l’armée la plus apte à recevoir des aventuriers de sa trempe. Après quelques années passées Outre Rhin, il comprend que les villes d’Occident menacées par les Vikings seraient sans doute intéressées par les services d’une troupe de mercenaires. Vers 858/860, il rejoint le Val de Loire à la tête d’une troupe d’une cinquantaine de cavaliers séduits par l’aventure et c’est la ville d’Angers qui va louer leurs services. Là, Robert renforce sa cavalerie et lui adjoint des hommes à pied bien entraînés et disciplinés. En 862 il surprend une importante bande viking de 3 à 400 hommes en cantonnement sur les bords de Loire, entre Angers et Nantes. Les Scandinaves qui se considèrent en pays soumis et ne prennent pas garde sont rapidement écrasés et douze navires sont capturés. Ce fait d’armes vaut à Robert d’être officiellement reconnu comme Comte d’Angers.

Cette victoire de 862 n’empêche pas le passage d’une flottille plus importante au printemps de la même année. Les Vikings remontent le fleuve, abordent une nouvelle fois Saint—Martin de Tours puis saccagent les installations portuaires de Blois avant de s’attaquer plus sérieusement aux faubourgs d’Orléans. Ensuite, ils pillent les sanctuaires de Germiny et de Fleury (Saint—Benoît sur Loire), probablement en 863. En 864, des hommes débarqués à la hauteur de La Charité rejoignent une autre bande qui a remonté le Cher et ces forces réunies attaquent et saccagent les faubourgs de Bourges. L’ensemble des Scandinaves opérant dans le Val de Loire rejoint Nantes l’année suivante, en 865, et c’est au retour qu ‘ils seront une nouvelle fois surpris par la troupe de Robert dit maintenant Le Fort et perdront 500 hommes dans l’engagement.

En cette même année, 865, le Comte de Nantes et ses hommes de mains alliés â une forte bande viking remontent la Loire puis la Sarthe et attaquent la ville du Mans. Les installations ouvertes établies au pied de la cité sont pillées et détruites mais la ville haute, bien protégée par sa puissante enceinte du Bas Empire, résiste. Dans cette opération Robert le Fort s’est contenté de défendre Angers.

L’année suivante, en 866, les Vikings et leurs alliés Nantais qui sont de nouveau sur la Sarthe en direction du Mans, sont interceptés par la troupe du Comte d’Angers. Une violente bataille s ‘ensuit et Robert le Fort est tué dans l’engagement. Sa brève mais brillante existence lui a donné une stature de héros dont sa lignée va bénéficier.

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Vers 860/865, les Danois ont besoin de colonies, ce sera l'objectif de la Grande Armée (865). En Francie, la pression est moindre. Le barrage de Pont de l' Arche fait son office mais la côte de la Manche reçoit les premières implantations permanentes. En 862, Robert le Fort surprend 12 navires vikings sur la Basse-Loire et massacre les équipages. De 862 à 865, une flotille viking remonte à nouveau la Loire, attaque Orléans, Fleury et Bourges. En 864, les Scandinaves atteignent Clermont-Ferrand. En 865, Robert le Fort surprend à nouveau une bande de Vikings près d'Angers et leur tue 500 hommes. La même année, le Comte de Nantes et ses alliés Scandinaves attaquent Le Mans. La cité résiste. En 866, la flotte viking de la Basse-Seine rejoint la Grande-Bretagne. A la même époque 865/866, une flotte force le barrage de Pont de l'Arche, une partie d'entre elle attaque Chartres mais la majorité remonte la Seine, passe sous les murs de Paris el attaque Melun puis aborde Sens. En 868, les Vikings de la Basse-Loire attaquent Poitiers. En 873, Charles le Chauve dégage Angers assiégée, ensuite les actions danoises vont se concentrer sur la Grande-Bretagne jusqu 'à la défaite de 878.


En 868, une flotte venue de Noirmoutier via Nantes remonte la Loire puis s ‘engage sur la Vienne, rejoint le Clam et attaque Poitiers. La troupe formée par Robert le Fort protège toujours efficacement Angers cependant la pression est moindres une bonne part de la flotte danoise opérant en Atlantique ayant quitté Noirmoutier en 866 pour regagner la Basse-Seine.

En 873, la milice d’Angers a sans doute perdu une part de ses effectifs ainsi que sa motivation. La ville est investie par une puissante force scandinave à laquelle se sont joints des Nantais. La population se replie dans la cité forte qui ferme ses portes et le siège commence. Charles le Chauve sollicité décide d’intervenir. A la tête d’une force à laquelle se sont joints des contingents amenés par un Comte de Bretagne, l’Empereur se présente devant Angers et menace les assiégeants mais n ‘intervient pas ouvertement. La légende dit que les soldats carolingiens entreprirent de détourner le cours de la Maine et que cette menace suffit à faire fuir les Vikings, mais cette hypothèse ne tient pas à l’analyse des courbes de niveau. Ce sont sans doute les basses eaux de la fin de l’été qui ont permis aux troupes de l’Empereur d’entreprendre un barrage sur les bancs de sable du confluent et cette menace a incité les Vikings au repli. Cette défense d’Angers marque la fin des actions scandinaves de grande envergure dans le Bassin de la Loire.

LES OPERATIONS EN BASSE SEINE

Vers 855/860, les incursions vikings sur la Seine et quelques menaces sur la vallée de 1 ‘Oise ont inquiété Charles le Chauve qui vient d’entreprendre la construction de son fastueux palais de Compiègne. En 860, il ordonne à ses Comtes de Francie d’envoyer des contingents sur la Seine, en amont de Rouen, afin d’établir un barrage efficace. Les hommes et les chariots avec outillage doivent se rejoindre en un lieu où l’Andelle et l’Eure se jettent dans la Seine. C’est ainsi que plusieurs milliers d’hommes soutenus par de la cavalerie se trouvent arrachés à leur confortable casernement et jetés en pleine campagne pour une mission qu’ils jugent ingrate et dangereuse. Il faut construire un pont fortifié et un grand pan rectangulaire destiné à abriter la garnison. Les îles marneuses qui décomposent la Seine en plusieurs courants secondaires, à la hauteur de Pont de l’Arche, semblent tout indiquées pour cet aménagement. Les travaux commencent par l’édification du camp et les premiers barrages sur le fleuve sont sommaires. Les Vikings établis sur la Basse-Seine prennent la menace au sérieux et harcèlent le chantier, il faut donc le protéger en aval. L’île de Jeufosse (aujourd’hui absorbée par la stabilisation des berges) qui se situe sur l’autre branche du méandre, face à Oiselle, sera choisie. Francs et Vikings vont se livrer une lutte acharnée pour la possession de ce verrou. Durant les sept années de la construction du pont fortifié, Jeufosse changera plusieurs fois de mains mais les Carolingiens semblent avoir eu le dernier mot.

En 865, l’ouvrage de Pont de l’Arche est sur le point d ‘être achevé. Une flottille de vikings décide de le forcer. Ils y parviennent et remontent le fleuve. Peu nombreux, ils passeront SOUS les murs de Paris en protestant de leurs bonnes intentions mais sitôt passés, ils attaqueront Melun. L’année suivante, en 866, ils sont devant Sens et là, comme dans bien d’autres villes, les installations portuaires et artisanales sont saccagées mais la puissante cité forte du Bas-Empire où la population s ‘est réfugiée, résiste. On ignore leur itinéraire de retour. Ont-ils rejoint la Loire à pied, après avoir abandonné leurs embarcations, c’est possible ?.A partir de 866, le barrage de Pont de l’Arche semble efficace et comme la flotte scandinave de la Basse-Seine a rejoint l’Angleterre en cette même année, l’Ile de France connaît deux décennies de répit. Par contre, de nombreux Scandinaves installés sur les terres du littoral ont organisé des unités de cavalerie et lancent de violentes incursions vers l’intérieur des terres. Il s’agit d’en chasser les occupants et d’installer de nouvelles exploitations de plusieurs centaines d’hectares avec, au centre, le traditionnel ring germanique.