CHARLES LE CHAUVE

La personnalité du quatrième fils de Louis le Pieux est bien difficile à cerner, les biographes et chroniqueurs du temps qui sont nombreux ne tarissent pas d ‘éloges sur lui mais ils étaient, pour la plupart, liés au Palais et nous pouvons avoir quelques doutes sur leur objectivité. Par contre, leur présence à la cour nous confirme que le roi avait un réel penchant pour les Arts et Lettres. Etait-il aussi intelligent, cultivé et brillant que ses contemporains l’ont laissé entendre? C’est possible mais ce caractère lettré et porté sur les Arts semblait cacher de très médiocres aptitudes politiques et une incapacité à saisir les situations d’ensemble. Cependant, eut-il l’entière responsabilité des erreurs commises sous son règne? sans doute pas. Nous dirons qu’il s ‘agissait là des inéluctables conséquences engendrées par l’orientation politique voulue par Charlemagne, dérive encore accentuée par les erreurs et le laxisme de Louis, son père. Charles le Chauve avait sans doute une brillante personnalité mais qui ne convenait guère aux difficultés de l’heure.

Né en 823 dans un grand domaine carolingien situé près de Francfort sur le Main, Charles connaît une prime jeunesse heureuse, trop sans doute, dans les palais d’Aix la Chapelle et d’Ingelheim sur le Rhin. Confié aux meilleurs précepteurs qui sont également des courtisans bien introduits, il grandit dans une atmosphère studieuse et feutrée qui développe davantage sa culture que son caractère. Les querelles de famille qui vont devenir des querelles d’Etat ne troublent pas encore la sérénité de l’institution palatine. Sur cette période, les trois aînés qui connaissent bien leur père subissent ses brusques sursauts d’autorité en courbant l’échine, ainsi les apparences sont sauves.

Les crises de 830 et 833 où l’Empereur se fait surprendre et appréhender par ses fils rebelles déchirent le voile, l’empire est au seuil d’une guerre fratricide. Mais, en renonçant à sa couronne, Louis fait un cadeau empoisonné à ses héritiers qui vont se disputer le trône impérial.

Sur cette période de dix années, 830/840, Charles est très jeune. Il a sept ans lors de la première crise dynastique et dix sept à la mort de son père. Ses proches ont sans doute jugé qu’il était très exposé; sa mort dans un accident savamment préparé aurait bien arrangé ses trois aînés mais sa mère le protège et lui trouve des refuges sûrs dans les anciens domaines palatins des rives de l’Oise. Il y a là, au coeur de la petite Austrasie, bon nombre de notables et de Leudes qui supportent mal le déplacement de la Cour à Aix-la-Chapelle et les prétentions des territoires naguère soumis qui sont devenus puissants, autonomes et dangereux pour la nation franque. Ils accueillent et protègent Charles alors en grande difficulté. A l’heure de la bataille décisive de Fontanet ils lui fourniront même une armée très motivée pour défendre les intérêts de l’Austrasie. Dès cette époque le destin du jeune prince est scellé: il sera roi de Francie. Le Traité de Verdun, signé en 843, ne fait que confirmer un état de fait.

Charles n’a que vingt ans quand il prend possession des provinces qui lui sont imparties mais son emprise politique est très relative. La petite Austrasie qui l’a choisi lui est totalement fidèle. Les terres de l’Ouest, l’ancienne Neustrie, le supporteront sous condition quant à l’Aquitaine ou règne son neveu Pépin II, elle refuse catégoriquement toute intervention de sa part. Enfin, la Bretagne se proclame indépendante et la Neustrie la soutient discrètement. Dès son accession au trône, le nouveau roi se fourvoie totalement dans ses orientations politiques. Pour s’imposer, il ne suffit pas de faire référence à un pouvoir, il faut en avoir les moyens et le simple bon sens lui commandait de défendre, de sécuriser et de développer les terres qui lui étaient fidèles. Il ne s’en soucie guère. Il se contente de régner sur son vaste domaine où s’installe un climat d’affrontement. Le phénomène est favorable aux Vikings qui multiplient leurs actions sur les côtes de la Manche et de l’Atlantique.

Peu après son accession au trône il doit, en novembre 843, à l’Assemblée de Coulaine, concéder d’importants privilèges aux grands du royaume. Charles n’a pas les moyens de se faire obéir et il ne fera rien pour les acquérir. A la tête de dix mille jeunes combattants francs, ambitieux et motivés, il eut fait plier toutes les oppositions mais il ne fit pas appel à cette force traditionnelle qui avait si bien servi ses ancêtres, il va même perpétuer la déplorable armée de métier composée d’hommes peu~ motivés et peu enclins à prendre des risques si leur situation personnelle n’est pas menacée. Que pouvait-il faire avec 3 à 5.000 gardes et porteurs d’uniformes dont il disposait dans le domaine palatin, rien ou presque. Pour toute opération d’envergure, il doit faire appel aux Comtes et aux Grands de son royaume qui le tiennent en bien piètre estime.

Ses engagements et résultats militaires seront dérisoires et dans de nombreux cas il connaît des défaites humiliantes, comme en 844 devant Pépin II d’Aquitaine, en Angoûmois. En Bretagne, Nominoë, s’est imposé comme chef et bat les troupes royales à Ballon en 845. Quelques années plus tard, en 851, le fils de Nominoë défait également les troupes de Charles à Jévardeil. Ces engagements sont sans doute de peu d’importance, au mieux quelques milliers d’hommes de part et d’autre, mais ils seront lourds de conséquence politique, la Bretagne se coupe du Royaume de France pour plusieurs siècles. En 855, le roi impose son fils, Charles l’Enfant, sur le trône d’Aquitaine mais le jeune prince est davantage otage que maître de la province.

En 848, Charles a été sacré à Orléans par les Grands du Royaume. Peu importe le Pape, peu importe l’Empereur, ce sont bien les notables d’Austrasie qui ont choisi Charles le Chauve mais, dès 855, certains grands personnages du Royaume prennent de l’assurance. Eudes, Comte d’Orléans et Alard, Comte de Paris, entrent en rébellion ouverte contre le pouvoir royal et Charles trouve une parade efficace mais désolante: il dresse les grands féodaux les uns contre les autres et confie la responsabilité des forces d ‘11e de France à Robert le Fort qui s’est taillé une solide réputation de chef de guerre en combattant les Normands. Ultérieurement, et pour se sortir des pires difficultés, le roi usera souvent de ce stratagème qui consiste à dresser ses adversaires les uns contre les autres. Le procédé donne quelques résultats avec les chefs normands mais les querelles intestines ne peuvent empêcher les Scandinaves de s’implanter en force dans la Basse-Seine et dans le Cotentin.

Charles avait rêvé de retrouver le Palais d’Aix-la-Chapelle à la mort de son frère, Lothaire, beaucoup plus âgé que lui. Mais au décès de ce dernier, en 855, il doit affronter son frère Louis également prétendant au trône. Cette dispute va servir Lothaire II, fils de l’Empereur défunt qui tient fermement les régions septentrionales et le Comte du Palais d ‘Aix-la—Chapelle refoule Charles qui tentait de s’y installer. Après quelques années d’affrontements mineurs, Lothaire II propose à ses oncles de se réconcilier. Ils y consentent en partie à l’entrevue d’Andernach en 859, puis lors d’une seconde réunion tenue à Coblence en 860 mais les bons offices de Lothaire II ne lui valurent aucune gratitude de la part de ses oncles. N’ayant pas d’héritier légitime, il voulait divorcer et se remarier avec une concubine mais Charles et Louis firent condamner cette mésalliance par le pape Nicolas 1er.

Lothaire II meurt en 868 et ses deux oncles se disputent à nouveau ses domaines. Charles sera le plus prompt. Il occupe la Lotharingie septentrionale mais Louis le Germanique s’insurge, rassemble des troupes et l’affrontement menace. Les Grands d’Austrasie se proposent en médiateurs et les deux rois vont s’entendre au traité de Meersen signé en Août 970. Charles abandonne une bonne part de la Lotharingie du Nord mais acquiert de nombreuses provinces vers le Sud, ainsi que l’Italie.

En 875, le second fils de Lothaire 1er, Louis II, qui gouverne l’Italie meurt à son tour. La papauté qui se trouve alors confrontée aux incursions musulmanes et craint toujours une emprise des Lombards qui ferait de Rome un évêché comme les autres, sollicite à nouveau la dynastie carolingienne et, pour 1 ‘Eglise, c’est Charles qui semble le plus digne de coiffer la couronne impériale, Hadrien II et Jean VIII ont apprécié ses vertus. De son côté, avec l’âge et les difficultés de tout ordre qu’il a du affronter, Charles est devenu plus sensible à la flatterie, voire orgueilleux et l’idée de coiffer la couronne impériale le séduit. Il se rend rapidement à Rome où il est sacré Empereur, en décembre 875, mais ce déplacement a donné des idées à Louis le Germanique qui attaque la Francie heureusement bien défendue par Boson, beau-frère du roi. A la mort de Louis, début 876, c’est au tour de Charles d’envahir les terres de son défunt frère mais Louis le Jeune lui inflige une cuisante défaite à Andernach en 876.

En 877, l’Italie est à nouveau menacée par les pirates barbaresques et le Pape Jean VIII fait appel à Charles afin qu’il honore les charges incombant à sa couronne impériale. A cette époque, la situation dans le Nord est critique mais l’Empereur ne peut se dérober. Face aux menaces normandes, à la grogne des Grands de son royaume et aux velléités de pouvoir de son fils, il donne des directives précises lors d’un séjour dans son Palais de Quierzy. Se croyant protégé par ce chiffon de papier, il part pour l’Italie mais sitôt les Alpes franchies, il apprend la sédition des Grands de son Royaume. Il doit rebrousser chemin et meurt après avoir franchi les montagnes en octobre 877.

Les Grands d’Austrasie qui avaient longtemps fait confiance au roi voyaient sans doute, avec appréhension, leur monarque coiffer à nouveau la couronne impériale et se lancer dans la folle et puérile aventure italienne. L’Occident était déjà mûr pour une décomposition en divers royaumes.

NOTA: Les opérations militaires qui opposent les Francs aux Vikings sont traitées dans les chapitres consacrés aux envahisseurs scandinaves.

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Par le traité signé en 870, dans la grande villa carolingienne de Meersen, située près de Maastricht, Charles le Chauve et Louis le Germanique se partagent le domaine de Lothaire. La frontière ainsi obtenue scelle la rupture du domaine franc et donnera les limites de la Francie pour plusieurs siècles. Cependant, l'antagonisme entre les terres franques d'Austrasie et de Neustrie où les Francs sont minoritaires, va renaître, ce qui expliquera la très faible implantation territoriale du futur domaine royal consenti à Hugues Capet. Les barons du val de Loire ne se sentent pas concernés et les Rèmes menés par l'archevêque de Reims vont, pour un temps, rallier le parti germanique.