CONQUES : HISTOIRE DU SITE

Située sur le versant nord de la vallée du Dourdou, à quelques kilomètres de son confluent avec le Lot, c'est un lieu boisé et pauvre, les terres cultivables y sont rares et seul l'élevage permet de subvenir aux besoins des communautés. Selon la tradition, le premier lieu de culte est un simple oratoire fondé par un ermite qui sera détruit par une incursion des sarrasins vers 730. C'est Pépin le Bref qui va relever ses ruines et Charlemagne y installer une communauté permanente. En 819, une charte de Louis le Débonnaire soumet la communauté à la règle bénédictine enfin, en 838, Pépin II, roi d'Aquitaine, dote l'abbaye de nombreuses possessions.

Comment se présentait cette première abbatiale. Sur ce site en forte déclivité, c'est le terrain qui commande l'aménagement. Pour obtenir un espace plan, il faut entamer la colline et porter les déblais sur le versant et les maintenir avec des murs de soutènement. Ces travaux préliminaires seront longs à réaliser avec les outils à mains disponibles dans la communauté et l'église est nécessairement modeste. Nous pouvons imaginer un ouvrage à deux cella axées sur la langue de terrain aplanie et peut être deux croisillons très modestes. Les bâtiments de la communauté seront établis sur des degrés desservis par des escaliers.

Vers le milieu du IX°, la communauté s'appauvrit et les vocations font défaut. C'est le transfert des reliques de Sainte Foy, jeune chrétienne de 12 ans martyrisée à Agen le 6 octobre 303 sur ordre de Dacien, qui vont sauver la communauté. Ces reliques étaient conservées dans une petite église située aux portes de la ville et c'est un moine de Conques, Arigiscus, qui réussit à les subtiliser afin de les ramener à Conques où elles arrivent le 14 juillet 866 dans une grande ferveur populaire. Le culte de la sainte se développe rapidement et le fruit de cette ferveur permet la construction d'une nouvelle église.

Selon les deux premiers livres des miracles de Sainte Foy, l'ouvrage fut commencé au temps de l'abbé Etienne 1er, vers 945/950. Il comportait une nef avec collatéraux, celui du nord consacré à la Vierge, celui du sud à Saint Pierre. Ces précisions semblent témoigner que l'ouvrage n'avait pas de transept et se trouvait clôturé par une abside flanquée de deux absidioles. Ainsi, les prières des fidèles des bas côtés pouvaient atteindre l'autel de l'absidiole plus aisément. A cette époque, les constructions étaient réalisées en moyen appareil sans parement, ce qui impliquait un enduit de mortier de chaux sur les murs intérieurs favorisant les peintures murales. Nous retrouvons ce plan à Saint Martin du Canigou dans une œuvre pratiquement contemporaine et à Verdun sur Ariège, datée du début du XI°s. Cette seconde abbatiale de Conques aura une durée de vie bien réduite. L'édifice contemporain, le troisième, sera entrepris moins d'un demi siècle plus tard.

L'ABBATIALE ACTUELLE

L'abbatiale de Conques fait partie des églises de pèlerinage menant à Saint Jacques de Compostelle et, à ce titre, fut étudiée par des auteurs de premier plan qui attachaient une grande importance à ce vaste mouvement populaire. C'est Marcel Aubert qui fit, nous semble-t-il, la meilleure lecture des textes anciens. Nous savons par eux que l'œuvre actuelle fut entreprise par l'abbé Odolric qui exerça sa charge de 1031 à 1065. Pour qu'un abbé nouvellement nommé puisse entreprendre ce chantier considérable en ce lieu particulièrement isolé, il lui fallait d'abord rassembler les ressources et les moyens en hommes et en matériel, ouvrir les carrières et aménager les chemins d'accès montant de la vallée vers l'abbaye. Tout cela a demandé un certain temps et les travaux des fondations du chevet ne doivent pas commencer avant 1040 après dégagement de l'espace nécessaire à flanc de colline.

A cette époque, les chevets à grand développement avec trois chapelles rayonnantes comportaient soit un cul de four et un sanctuaire aveugle soit une couronne de fenêtres hautes avec une couverture sur charpente. Le chevet actuel de Conques pose donc le problème suivant: ou les textes sont mal interprétés ce qui est peu probable ou le sanctuaire fut aménagé lors d'un second programme après mise en chantier du grand transept avec bas côtés et tribunes, ce sera notre option et nous trouverons sur l'ouvrage des témoignages de cette reprise.

LE CHEVET ACTUEL

Ceci admis, les dates proposées seront les suivantes: commencement des fondations du chevet vers 1040, les trois chapelles rayonnantes, le déambulatoire et les voûtes d'arêtes de facture soignée mais sans doubleau rayonnant, ainsi que les belles colonnes du sanctuaire seront achevées vers 1055, la première travée droite et le cul de four aveugle vers 1065. L'oeuvre réalisée semble s'inspirer de la cathédrale de Clermont diocèse avec lequel l'abbaye entretient des relations suivies. La suite des travaux devrait logiquement se poursuivre avec un massif barlong, mais le décès de l'abbé Odolric, en 1065, va modifier les relations de l'abbaye.

En ce milieu du XI°s. les relations privilégiées accordées par les moines de Conques vont concerner les pèlerins de Saint Jacques de Compostelle et, notamment, ceux empruntant les chemins venant de Saint Martin de Tours jusqu'à la frontière pyrénéenne. C'est le chemin des sanctuaires ouvert à l'époque carolingienne et concernant Limoges, Conques (déjà) et Saint Sernin de Toulouse. Dans ces relations nouvelles et pour les bâtisseurs la référence majeure est maintenant la grande basilique Saint Martin de Tours avec son transept à collatéraux et tribunes réalisé de 1010 à 1025. L'ouvrage comporte encore un niveau de fenêtres hautes et les grandes voûtes en berceau seront installées de 1080 à 1095, leur genèse étant probablement due aux aménagements réalisés sur la cathédrale de Limoges. Certes le procédé se trouvait déjà au narthex de Saint Philibert de Tournus daté de 980/990 mais sur un ouvrage modeste avec des maçonneries très puissantes et des ouvertures peu nombreuses et petites. Ce parti était donc inadaptable sur les grandes basiliques à quatre niveaux comme l'étaient Saint Martin de Tours et Saint Rémi de Reims.

CONQUES : LE GRAND TRANSEPT

Vers 1065/1070, ce vaste programme sera choisi par le maître d'œuvre de Conques et l'implantation du transept est rapidement réalisée mais l'espace manque pour donner à l'ouvrage l'envergure du modèle: 65m environ avec les additifs, à Conques, l'envergure ne sera que de 37,50m. D'autre part, la largeur des trois vaisseaux qui est de 20m à Tours, ne sera que de 18m à Conques, cependant le traitement des bas côtés et des tribunes sera le même. Enfin, comme l'achèvement des parties hautes doit se situer vers 1080/1085, l'abbatiale de Conques a sans doute bénéficié, d'emblée, de la voûte en berceau plein cintre contrebutée de demi berceau. Désormais c'est cette composition qui sera installée sur les grandes églises de pèlerinage avec, nécessairement, la suppression des fenêtres hautes. Achèvement du transept de Conques vers 1085. Ainsi la genèse du parti magistral des églises de pèlerinage est achevée. Saint Martial de Limoges et Saint Sernin de Toulouse l'adopteront à l'heure où les travaux atteindront les parties hautes. A Conques, le programme comporte également deux chapelles orientées de très bonne facture et deux autres fort réduites.

La réalisation des grandes voûtes culminant à 21,50m/22 m, avec les demi voûtes de contrebutement sur les bas côtés au niveau des tribunes donne entière satisfaction. Mais le cul de four aveugle de l'abside qui ne doit pas dépasser une hauteur de 14 à 15m avec de petites fenêtres obliques installées à la base, comme dans les églises d'Auvergne, paraît alors bien modeste et sombre. Les travaux vont reprendre côté chevet, les tribunes du transept seront prolongées sur la partie droite du sanctuaire et une couronne de fenêtres hautes sera installée. Elle est coiffée d'un nouveau cul de four qui s'aligne sur les voûtes du transept. Les réactions périphériques engendrées par cet additif seront compensées par des renforcements en extrados des voûtes du déambulatoire et des placages sur les murs externes du sanctuaire. Ces aménagements seront réalisés conjointement avec les travées de la nef édifiées, elles, de 1085 à 1105, selon le traitement du transept.

C'est l'abbé Begon II, mort en 1107, qui doit achever l'ouvrage. Les tours de façade amorcées avec les travées occidentales dont elles assurent l'épaulement longitudinal, seront achevées vers 1120.


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(A) le chevet, réalisé par l'abbé Odolric de 1040 à 1065 - (B) chapelles rayonnantes - ( C) déambulatoire à sept travées avec voûtes d'arêtes régulières rayonnantes et sans doubleau - (D) sanctuaire reposant sur six colonnes - ( E ) travée droite pour joindre le futur transept - (F) grand transept de l'école de Tours - (G) bas côtés surmontés de tribunes - (H) chapelles orientées de facture évoluée - (J) croisée avec voûtes sur trompes - (K) cet ensemble perpendiculaire est achevé vers 1085. C'est à cette époque que le vaisseau central reçoit une voûte en berceau et les tribunes des voûtes en demi berceau. - (L) nef à quatre travées, fondations entreprises en 1080 - (M) bas côtés surmontés de tribunes- (N) piles alternées - (P) narthex réalisé de ll00 à lll2.


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L'ouvrage comporte des murs externes (A) percés de deux niveaux de fenêtres (B,C) donnant respectivement sur le bas côté (D) et sur l'étage des tribunes ( E ). Le bas côté est coiffé de voûtes d'arêtes (F) avec arcs doubleau (G), par contre, au niveau des tribunes, le volume est coiffé d'une voûte en demi berceau (H) venant contrebuter la grande voûte (J). Les colonnes engagées (L) supportent les grands doubleaux (M) ce qui permet de coffrer la voûte en plusieurs secteurs. Le mur de soutènement (N) permet également de décomposer le demi berceau en travées.

L'architecture vient de franchir un grand pas en découvrant la mécanique statique. Les réactions de la grande voûte (X) sont compensées par l'action du demi berceau (Y). Ainsi, même fissurées, les voûtes peuvent tenir ce qui balaye le vieux mythe lié au principe du monolithe, reconstitué : c'est gros, donc c'est solide.


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