LA CATHEDRALE D'ETIENNE II

L'ouvrage consacré par l'évêque Etienne II, en 946, avait demandé 31 ans de travaux depuis l'incendie de 915, l'œuvre réalisée était donc importante. Cependant la communauté chrétienne de la cité ne pouvait rester un tel temps sans cathédrale et nous allons supposer que la nef carolingienne élevée après 761 fut rapidement restaurée pour le service du culte et les premiers travaux portèrent sur le chevet. La fondation en ellipse établie au delà du corridor laisse supposer que le chevet ruiné était essentiellement constitué d'une vaste abside couverte sur charpente éclairée par un registre de fenêtres hautes. Pareille construction s'était répandue dans l'ouest puisque nous en trouvons la forme aménagée dans de nombreuses églises à file de coupoles réalisées au XII° s. sur des plans anciens. Ce type d'ouvrage est satisfaisant sur le plan architectural mais le très gros volume de charpente qu'il impose sera responsable d'une ruine complète après un incendie ce qui fut sans doute le cas à Clermont. Etienne II avait donc les mains libres pour son nouveau programme après avoir échafaudé la croisée et démonté ce qui subsistait du mur périphérique.

Pour réduire les portées des fermes, le maître d'oeuvre jugea bon de décomposer l'espace avec une demi couronne de colonnes autour du sanctuaire et de créer ainsi le volume du déambulatoire. D'autre part, ces grandes absides simples étaient parfois flanquées de petites niches où l'on plaçait des sanctuaires auxiliaires et, pour mieux faire, le constructeur décide de garnir le mur externe de chapelles rayonnantes; deux seront établies sur les fondations des tours ruinées et le périmètre restant, trop vaste pour une seule chapelle, en recevra deux autres, d'où le nombre de quatre chapelles rayonnantes formule originale puisque l'installation d'une chapelle sur axe est de tradition depuis le carolingien. Ce plan fut sans doute l'un des premiers, sinon le premier, d'un chevet à grand développement tel qu'il va régner aux XI° et XII°s. dans l'architecture romane.

LE CHEVET

Les premiers travaux porteront sur les colonnes du sanctuaire qui sont au nombre de huit établies hors axe et peu espacées puisqu'elles doivent porter une élévation de 15 à 16m, soit une lourde charge. Les sept intervalles ouvriront sur les quatre chapelles rayonnantes et trois travées intermédiaires, le découpage rayonnant est donc régulier. Puis vient le mur périphérique. Le plan en ellipse de l'abside carolingienne ne convient pas au maître d'œuvre qui décide d'implanter une nouvelle fondation mais le centre de ce mur externe n'est plus le même que celui des colonnes du sanctuaire, peu importe puisque la couverture sur charpente permet de rattraper toutes les irrégularités, quant aux chapelles rayonnantes leur importance sera donnée par le volume des tours latérales sur les fondations desquelles les externes seront établis, elles sont en hémicycle et la couverture prévue sur charpente permet d'ouvrir de grandes fenêtres. Comme l'ensemble de ces maçonneries sont portantes, les murs sont relativement légers et les parties hautes seront traitées en appareil polychrome ainsi, à l'originalité du plan, va s'ajouter un traitement esthétique réussi.

LE TRANSEPT

Au cours de ces premiers travaux, le responsable du chantier s'est inquiété du transept. Faut-il le préserver? La décision appartient au responsable de la liturgie. Ce vaisseau perpendiculaire s'est imposé dans la plupart des grandes églises d'Occident, il sera donc préservé mais le pas est important entre les dernières colonnes du sanctuaire et le mur oriental du transept : 5,50m environ tandis que la plus grande valeur de l'entrecolonnement du sanctuaire est de 2,30 m environ. Des arcs de cet importance sur la partie droite font naturellement engendrer une résultante côté croisée et le support sera constitué d'une double colonne dont l'inertie longitudinale est satisfaisante. Ensuite il faut reprendre le mur oriental du transept mais les croisillons sont ceux venus flanquer la cathédrale de Namace et qui furent réintégrés dans l'ouvrage carolingien. Ils ne font que 10,50m de haut ce qui est suffisant pour recevoir le déambulatoire mais le comble du sanctuaire dépasse largement ce niveau, il faut donc élever un mur qui pourrait être l'amorce d'une tour lanterne. Pour renforcer cette vieille structure, les croisillons seront flanqués de chapelles orientées naturellement plus basses que celles de l'abside puisqu'à cet instant des travaux elle doit tenir, couverture comprise, dans la hauteur des 10m. Ainsi nous avons les sept autels donnés par les textes : le majeur sous l'abside et les six des chapelles. Le vaisseau perpendiculaire prend forme mais il faut également revoir l'élévation occidentale et pour cela choisir le parti de la nef.

LA NEF

Nous avons vu que le chevet disposait d'un étage de fenêtres hautes, il aurait été logique de traiter la nef de même manière mais les aménagements ultérieurs laissent supposer que l'ouvrage existant et récemment restauré comportait trois vaisseaux sous un même comble. Le maître de fabrique à qui revient la charge du financement suggère sans doute qu'il est possible de réaménager ce volume comme ce fut déjà fait pour le transept et l'homme du chantier doit se plier à cette exigence. En premier, il va construire une élévation interne d'une hauteur de 16m environ soit une valeur proche des murs extérieurs. Son élévation sera à deux niveaux d'arcades, le premier d'une hauteur de 10,50m environ repose sur des piles longitudinales flanquées de deux colonnes engagées sur le même axe, rien de prévu en perpendiculaire, nous sommes toujours dans la logique du mur porteur. Au second niveau, les grandes arcades seront traitées plus simplement, sans colonnes engagées et sur une hauteur de 5,50 à 6m. Cette différence augmente l'impression de volume pour les occupants de la nef. A cette époque, c'est une composition hardie, les piles font 7m au tailloir ce qui restera longtemps supérieur à la plupart des réalisations de l'An Mille.

Ceci achevé il faut reconstruire les élévations externes qui seront, elles aussi, à deux registres de fenêtres mais il faut reprendre les fondations et plonger de nouvelles assises à l'extérieur des anciennes. Celle ci vont se trouver noyées dans les maçonneries de mise à niveau puisque la nouvelle nef s'aligne sur le sol de l'abside. Ce sont toujours des maçonneries portantes sans difficulté architectonique. Une fois ces élévations achevées, elles seront coiffées d'un grand comble portant en trois points et dont le sommet atteint 20m. C'est beaucoup plus haut que les structures d'accueil du vieux transept, il faut maintenant les reprendre entièrement, tâche délicate.

LE MASSIF BARLONG

Il faut alors relever les croisillons et les amener au niveau des nouvelles élévations latérales, soit 16m (5,50m de plus) et pour cela renforcer les structures basses avec des arcatures plaquées sur le mur pignon. Le mur est, est lui, déjà conforté par les chapelles orientées, reste donc celui de l'ouest qui sera sans doute refait entièrement. Avec ces travaux, les petites fenêtres des anciens croisillons ont disparu et de nouvelles, plus grandes, seront établies dans les murs supérieurs, deux côté chevet et deux sur la façade des croisillons mais ce vaisseau perpendiculaire qui s'aligne maintenant sur les murs externes de la nef est toujours trop bas pour recevoir le grand comble. Il faut le porter à plus de 20m face au volume des trois vaisseaux et traiter pareillement le mur côté chevet. Les extrémités latérales seront fermées par un mur pignon reposant sur des arcs établis dans le prolongement de l'élévation interne. Ceci fait, il sera coiffé d'un comble. Ce volume deviendra par aménagement le célèbre massif barlong caractéristique remarquable de l'école d'Auvergne.

Là s'arrête l'œuvre d'Etienne II. La cathédrale reçut-elle une tour lanterne? Pour cela il eut fallu lancer des arcs dans le prolongement de l'élévation interne et les conditions étaient peu favorables. Certes la pile cantonnée établie côté nef le permettait mais la double colonne côté chevet rendait l'ouvrage risqué. Par contre, ce travail sera réalisé vers la fin du siècle comme le laisse supposer l'archaïsme de la coupole sur trompes réduites.

Ce long processus se suit mieux sur les planches techniques mais ce long descriptif préalable était nécessaire pour bien comprendre les différentes contraintes rencontrées par le maître d'œuvre durant son programme ainsi que les enclenchements de chantier choisis par lui.


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La cathédrale d'Etienne II reconstruite après 915 et consacrée en 946, fut le premier ouvrage roman. Nous connaissons les bases du chevet (1) avec la crypte aménagée sous la cathédrale de Namace (A), le corridor séparant les fondations du premier chevet de celles établies au temps de Pépin le Bref (B) ainsi que les bases des tours qui la flanquaient (C). Les fouilles du XIX° ont également mis à jour les fondations de quatre chapelles rayonnantes (D,E,F,G) ^ont deux sont établies sur les bases des tours. Nous connaissons également la position des piles du sanctuaire (H) et celle clôturant la travée droite (J). Ceci nous permet de reconstituer le plan du chevet d'Etienne II (2) qui est à grand développement mais fort loin des compositions achevées des XI° -XH° siècles. Si le sanctuaire est centré (K) pour éviter la crypte, la couronne de chapelles est, elle, centrée en (L) pour outrepasser les fondations carolingiennes. Le constructeur n'a pas pris en compte les impératifs du voûtement et nous sommes en présence d'un ouvrage archaïque essentiellement couvert sur charpente, comme celui d'Uzerche. Pour voûter ce déambulatoire, il a fallu installer une nouvelle couronne de support (M) ce qui peut expliquer le remblai partiel du corridor carolingien (N,P).


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L'analyse de la page 92 nous a permis de dégager le plan probable du chevet de la cathédrale de Namace. C'est un édifice relativement étroit, 13m 60 environ, avec une nef de de 8m 75. Par contre, l'entrecolonnement est relativement grand, proche de 4m. Ce rapport nous donne une nef étroite pour sa hauteur et cette tendance qui tranche avec le rapport classique semble s'imposer dès le Mérovingien. Le pas de 4m (A) avec un fût de 4m à 4m 50 (B) nous donne une archivolte (C) à 7m 50 environ. Nous obtenons alors une élévation qui doit culminer à plus de 13m (D). Cet entrecolonnement large nous incite à réduire le nombre des travées proposées, 6 nous paraît logique, ce qui donne une nef de 25m de long environ. A l'époque Mérovingienne, et sans doute avec le culte des martyrs qui se développe, !a crypte découverte (E) est insérée entre les fondations existantes. Ces basiliques chrétiennes de la Haute Epoque représentent une variation sur un thème constant. Le programme doit se décider en fonction de l'espace offert, du nombre ainsi que de la taille des fûts monolithiques mis à la disposition du Maître d'oeuvre. A Clermont-Ferrand, l'absence de transept peut s'expliquer par le fait que l'édifice s'installe tardivement dans un domaine urbain déjà très dense.


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Sur cette élévation restituée de la cathédrale d'Etienne II (915/946) nous voyons la crypte mérovingienne (A) le corridor (B) séparant les fondations de Namace de celles établies au temps de Pépin le Bref (C ), ainsi que celles d'Etienne II (D). Les colonnes du sanctuaire (E) trouvent une assise satisfaisante mais le mur périphérique (F) n'est pas sur le même centre. Les colonnes du sanctuaire portent une élévation avec fenêtres hautes (G) et une couverture sur charpente (H). Une pile engagée (J) destinée à la ferme (K) se retrouvera dans les ouvrages voûtés du groupe. Le déambulatoire (L) est, lui aussi, couvert sur charpente comme les chapelles rayonnantes (M). A la croisée (N), les deux colonnes qui clôturent le sanctuaire (P) et les piles composées (Q) venues avec la nef portent les arcs (R ) suffisants pour recevoir une tour lanterne (S). La nef qui doit reprendre le volume carolingien comporte deux élévations internes (T) et les arcades du premier niveau (U) portent sur des piles (V) flanquées de colonnes engagées (W). Le second niveau (X) en est dépourvu. Le grand comble (Y) porte ainsi sur quatre points.


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Avec une nef à trois vaisseaux non voûtés sous un même comble, nous pouvons concevoir les aménagements successifs destinés au voûtement. Les croisillons structurés d'arcades externes avaient déjà montré la voie, il suffisait de reprendre la formule sur la nef mais les travaux se feront en deux temps. L'élévation externe (A) sans doute déstabilisée par les fondations anciennes sera confortée par une voûte d'arêtes (B) établie sur le bas côté et ceci explique l'originalité du traitement sans rouleau de décharge (C). Cet aménagement peut être daté de la fin du X°s. Les travaux reprendront sur la seconde moitié du Xl°s. avec pour objectif le voûtement des trois vaisseaux. Les arcades de renfort sont plaquées sur l'élévation externe (D), mais les grandes fenêtres du second niveau se révèlent peu favorables aux aménagements projetés. L'ensemble sera démonté et remplacé par une tribune (E) voûtée d'un demi berceau de contrebutement (F) destiné à épauler la voûte de la nef (G). Restaient les grandes voûtes mais les arcades internes du second niveau (H) seront jugées faibles pour porter la charge (J) Elles recevront trois petites arcades en sous œuvre (K).


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Sur le traitement de N.D du Port, nous trouvons quelques arguments en faveur de nos hypothèses. Les archivoltes côté nef (A) sont basés sur des colonnes engagées (B) mais sans rouleau de décharge. En perpendiculaire (C), le doubleau (E) dispose de sa propre colonne (F) mais la voûte d'arêtes s'intègre dans la maçonnerie de l'archivolte (G). Ceci nous suggère une reprise sur une élévation simple (H) celle de la cathédrale d'Etienne II. L'aplomb initial (J) est préservé. En élévation externe, nous voyons que les arcatures du deuxième niveau (K) ne correspondent pas à celles du premier niveau (L). La différence (M) provient d'une alternance des structures supérieures. En coupe (N) l'aplomb des tribunes est également différent (P). Ces observations nous ont suggéré la reprise de l'étage des tribunes sur la cathédrale d'Etienne II et les déséquilibres ainsi obtenus avec la partie basse seront intégralement repris à N.D du Port.