CHAMBON-SUR-VOUEIZE

Situés à 65 km au nord ouest de Clermont, Chambon et Evaux sont deux sites d’origine romaine voués au thermalisme. Ils se situent non sur le bassin de l’Allier mais sur la haute vallée du Cher, proche du confluent de la Voueize et de la Tardes. Ce pays figure dans l’histoire comme la petite province de la Combraille et, selon la carte des voies romaines de la Lyonnaise, elles ne se situent pas sur un itinéraire majeur mais au centre d’un ensemble de voies rayonnantes de caractère secondaire. C’est donc bien le thermalisme antique qui fut à l’origine de la romanisation de ces terres ingrates vouées au pastoral.

Chambon ( Cambonum) selon les archéologues du XIX°s. fut, à l’origine, un site satellite d’Evaux les Bains et l’évangélisation du lieu se fit dès la Haute Epoque mais la communauté chrétienne connut des heures difficiles. C’est en 857 que l’abbé Abbon venu de Saint Martial de Limoges fonde une communauté monastique distincte de la paroisse qui prospère lentement mais les donations qui lui sont faites vont constituer un patrimoine foncier qui attise la convoitise des barons locaux. Il faut de constantes interventions des abbés de Saint Martial de Limoges pour la protéger et c’est l’abbé Aimeric qui décide, en 985, de transférer à Chambon les reliques de Ste Valérie qui subit le martyr à Limoges. Dès lors, les pèlerins venus prier sur ce tombeau vont permettre à la communauté d’acquérir prestige et indépendance.

LES ABATTIALES PRIMITIVES

L’abbatiale actuelle de Chambon sur Voueize fut construite sur deux axes distincts, un axe pour les parties est que nous appellerons ensemble oriental formé par l’abside, le transept et ses chapelles orientées ainsi que les deux travées fortes qui suivent. Ces constructions occupent une longueur de 32m sur une largeur de 18m 50 et les reprises diverses et quelque peu désordonnées exécutées sur ce volume nous permettent de penser qu’il s’agit de la première abbatiale importante avec abside et absidioles, difficilement réalisable par la communauté à ses débuts. Au IX°s. il est plus rationnel d’imaginer un sanctuaire rustique du genre primitif rural.

Cet ouvrage basilical avec élévation probablement basée sur des colonnes romaines de récupération doit dater du X°s. vers 950/980 et c’est son achèvement qui lui permit de recevoir les reliques de Sainte Valérie en 985. Les pèlerins allant vers Compostelle et traversant le Massif Central par la Chaussée d’ Agrippa, Lyon/Limoges, seront bientôt nombreux à faire un petit détour pour venir prier sur les reliques de la sainte du Limousin. Quelques décennies plus tard, la basilique primitive devient trop petite pour les grandes occasions et une seconde nef sera établie dans le prolongement de la première mais l’axe choisi est différent. Peut être s’agit-il d’intégrer dans l’ouvrage une tour édifiée sur l’enceinte, à la période où les barons locaux menaçaient la communauté pour acquérir ses biens.

Le nouvel ouvrage fait 39m de long sur 18m 50 de large et doit compter sept travées. Les maçonneries primitives subsistent sur la face nord et les caractères archaïques suggèrent une date précoce du XI°s. soit 1010/1030. Tour de façade et nouvelle nef constituent l’ensemble occidental. Pour être en harmonie avec l’ouvrage est cette nef respecte l’élévation basilicale à trois vaisseaux avec niveau de fenêtres hautes. La plupart des maçonneries d’origine ont disparu mais, à cette époque, les colonnes romaines de récupération sont devenues très rares et le moyen appareil qui règne dans les constructions rend les archivoltes instables et déséquilibrent les fûts de colonne. Ainsi les constructeurs préfèrent-ils les piles carrées, sans chapiteau ou avec de grosses pierres soigneusement sculptées, qui en feront office. Les archivoltes sont réalisées dans la continuité de l’appareillage et les bas côtés non voûtés sont couverts sur charpente, comme la nef centrale.

C’est un ouvrage rustique mais bien fait. Un accident survint sur l’élévation sud, peut être à la suite d’un feu de charpente, et fut reconstruite sur les mêmes fondations, seul l’encadrement des fenêtres change et sera encore agrémenté au XIII°s. L’application de légers contreforts augmente sa stabilité. Nous situerons cette reprise à la fin du XI°s., vers 1060/1080. Cet accident a sans doute ébranlé l’élévation mais la grosse intervention attendra, les parties est requérant des travaux plus urgents. C’est finalement au XII°s. vers 1130/1140, que les archivoltes seront reprises entièrement selon une facture de l’époque avec piles carrées flanquées de quatre colonnes engagées. La nouvelle œuvre est réalisée en grand appareil et l’élévation interne sera de même traitement mais, curieusement, à l’extérieur le moyen appareil primitif demeure. Sans doute le maître d’œuvre a-t-il choisi cette astuce pour maintenir la grande charpente en place et moins perturber les offices. Un projet de voûte d’arêtes sur les bas côtés a justifié l’installation de colonnes engagées, côté externe, sur les déambulatoires nord et sud. Au nord, des contreforts légers avaient déjà été établis lors des travaux de la fin du XI°s.

L’OUVRAGE DE LA PARTIE EST

Au début du XI°, vers 1030/1040, un grand transept avec quatre chapelles orientées est édifié en position orientale sur la vieille nef légère dont la construction remonte au X°s. L’ancien chevet demeure en place ainsi que quelques travées de la nef primitive. Il s’agit, selon le volume réservé dans ce transept d’une abside en hémicycle flanquée de deux absidioles, un ouvrage sans doute dérivé de celui d’Évaux les Bains. Une fois cette campagne du XI°s. achevée, les parties orientales de l’édifice resteront en l’état pour un bon siècle.

C’est au début du XII°s., vers 1110, que naît le projet d’un vaste chevet à grand développement avec abside, déambulatoire et trois chapelles rayonnantes séparées de travées intermédiaires selon le parti roman de l’époque. Pour le respect des surfaces consacrées, la chapelle axiale est établie en lieu et place de l’ancienne abside mais le vieux chevet ne résiste pas aux démolitions préliminaires et le couronnement de la croisée s’écroule vers l’est, détruisant trois travées de la nef existante. La reconstruction de cette partie de l’ouvrage devient donc prioritaire. Il faut reconstruire les travées orientales de la nef primitive mais en puissance et susceptibles d’être voûtées comme il convient à cette époque. Le parti choisi s’inspire des œuvres du Limousin. Les piles sont rectangulaires avec quatre colonnes engagées aux angles et deux autres plus importantes destinées au rouleau inférieur des archivoltes. A la même époque, la nouvelle nef de Saint Eutrope de Saintes est entreprise selon les mêmes caractères et cet ouvrage correspond à trois vaisseaux sous un même comble.

La travée occidentale qui prend contact avec la nouvelle nef est d’un pas de 5m 05 pour une portée de 7m 40 et les archivoltes à double rouleaux sont d’une épaisseur de 1m 50. D’autre part, cette première travée implantée vers 1115, respecte le projet du grand chevet et d’un nouveau transept et les piles orientales en tiennent compte. Vers 1120, les travaux traînent en longueur et la communauté accepte un changement de programme : il suffirait de construire une seconde travée vers l’est pour rejoindre le mur ouest de l’ancien transept et de réexploiter cet ouvrage important. A cette époque, il semblerait que seule la chapelle axiale soit en partie achevée il suffirait donc d’en construire deux autres en contiguë pour que ce nouveau chevet respecte le grand transept et les quatre chapelles existantes. Cette option que nous dirons économique est acceptée vers 1125. Les gains ainsi réalisés sont considérables.

Sur la période qui va de 1120 à 1125, au temps des remises en cause, le maître d’œuvre a établi une voûte en berceau plein cintre sur la première travée déjà construite; achèvement vers 1130/1135. Un puissant doubleau occidental lie cette travée à la nef et ses bases sont jugées suffisantes pour porter un clocher, travaux entrepris vers 1135. La seconde travée qui devait joindre l’ancien transept est mise en attente malgré les fondations sans doute déjà en place. De 1135 à 1150, les deux nouvelles chapelles rayonnantes seront construites ainsi que la partie basse du clocher. Le grand transept est toujours couvert sur charpente et la liaison entre la travée clocher et le chevet demeure en attente.

LA CAMPAGNE D’ACHEVEMENT

Vers 1145/1150, un changement important semble se manifester dans la communauté. Un nouvel abbé, sans doute plus rigoureux avec l’accueil des pèlerins confie le chantier à un maître d’œuvre capable. L’homme a dû travailler sur les chantiers d’Auvergne et demeure un conditionnel de l’arc en plein cintre comme ce fut le cas sur les belles églises romanes du diocèse de Clermont, en voie d’achèvement à cette époque. Il doit achever les parties est de manière homogène et, avant toute chose, démolir les maçonneries subsistantes afin d’éviter la tentation des arrêts opportunistes du chantier.

Il implante les quatre colonnes du sanctuaire; elle sont graciles et porteront sur chapiteaux et tailloirs, cinq arcades en plein cintre à simple rouleaux et de faible épaisseur. En plan elles représentent non un hémicycle mais une fraction de polygone ce qui est rarissime dans l’architecture romane. Les doubleaux qui vont cloisonner le déambulatoire sont de même facture et les voûtes d’arêtes seront ainsi cloisonnées. Dans cette partie de l’ouvrage il est très difficile de trouver trace des raccords avec les chapelles rayonnantes déjà réalisées et certains auteurs ont émis l’hypothèse d’une campagne unique. Nous admettrons simplement celle d’une reprise partielle et notamment l’agrandissement des fenêtres.

En élévation, il faut aligner le cul de four de l’abside sur la voûte en berceau de la travée clocher ce qui limite la hauteur et ne permet pas une composition rationnelle avec niveau de triforium et fenêtres hautes. Les arcatures du sanctuaire seront donc surmontées d’un mur nu où l’on trouve une couronne de quatre petites fenêtres de caractère très rustique qui doivent prendre jour de manière oblique. Leur débouché sera gêné par les restaurations des couvertures d’extrados. L’ensemble porte un cul de four classique clôturé par un doubleau en plein cintre à simple rouleau porté par deux piles carrées flanquées de quatre colonnes engagées. A la base, l’accès au déambulatoire se fait également par des arcs en plein cintre à simple rouleau mais la présence des piles de clôture impose, côté transept, un mince rouleau additif.

L’ouverture du sanctuaire est de 6m 90 à l’axe et la même valeur sur la travée clocher est de 8m 80; le raccordement doit donc se faire en trapèze et le constructeur décide de reprendre les supports occidentaux de la croisée pour établir le raccordement. Ces nouvelles piles occidentales sont établies sur un entraxe de 8m. Sur cette croisée se trouve une très belle coupole intégrée (voir étude technique) et les archivoltes de la travée suivante seront subtilement aménagées pour former le second trapèze. Aujourd’hui nous voyons ces deux travées coiffées d’une voûte en berceau unique et nous proposons de voir là une reprise en sous œuvre.

Ainsi s’achève le chantier est. Nous sommes alors vers 1170/1175 et le vieux transept du début du XI°s. demeure en place avec sa couverture sur charpente. Deux doubleaux aux retombées irrégulières vont assurer son raccord avec la nouvelle œuvre. Le croisillon nord sera ruiné au début du XIII°s et refait en puissance avec une nouvelle tourelle d’escalier. Vers 1180, l’abbaye est rattachée au diocèse de Clermont, sans doute une condition préalablement établie pour le prêt d’un maître d’œuvre hautement qualifié. Enfin, la tour occidentale sera également refaite au XIII°s.


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L'abbaye de Chambon fut fondée en 857 par l'abbé Abbon venu de Saint Martial de Limoges. Dans les décennies qui suivent, un premier sanctuaire est construit sans doute sur l'axe oriental (A). C'est un édifice à trois nefs avec abside et absidioles. En 985, les reliques de Ste. Valérie arrivent de Limoges et les pèlerins deviennent nombreux. Une seconde nef, plus longue, est construite à l'ouest (B). Ses structures sont légères et subsistent en partie sur l'élévation nord (C ). Ensuite, c'est la construction du grand transept. Vers 1135, l'élévation sud est reconstruite (D) et celle du nord renforcée (E) afin d'édifier de nouvelles élévations internes (F). Ceci fait, le maître d'ceuvre se porte sur le chantier est où il achève les chapelles rayonnantes externes (G,H), implante les colonnes du sanctuaire (J) et décide de reprendre les piles orientales de la croisée (K, L). Il préserve le niveau du premier berceau et coiffe la croisée d'une coupole intégrée (M). Sur le sanctuaire le niveau lui impose un cul de four avec fenêtres plongeantes (Ecole d'Auvergne) afin de respecter les combles du déambulatoire. L'ensemble est achevé vers 1165/1170. A la fin du XII° ou au début du XIÏÏ° s. le croisillon nord (N) sera refait avec un nouvel escalier à vis, le précédant (P) datait de la reprise de l'élévation sud, vers 1130. Enfin, une tour (Q) avec degrés intégrés (R ) de la fin du XI°s. flanque le croisillon sud.


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Sur une nef reconstruite vers 1000/1020 (C ) le maître d'œuvre édifie un vaste transept (D) à quatre chapelles orientées (E). Période des travaux 1030/1045. La campagne suivante se situe vers 1100/1110 avec un vaste projet comportant un chevet à grand développement avec déambulatoire (F) ouvrant sur 3 chapelles rayonnantes (G). Le programme prévoit également un nouveau transept (H) mais les travaux préliminaires entraînent la ruine des travées occidentales de la nef. Rapidement reconstruites en puissance (J,K) leur implantation respecte le plan (L) du futur transept (M). Période des travaux 1115/1120.Mais des difficultés surviennent et le programme initial se réduit à trois chapelles contiguës (N) insérées dans le vieux transept, ceci permet de privilégier la nouvelle travée (J) qui sera voûtée en berceau plein cintre contrebutée par des demi berceaux basés sur les élévations (P,Q). Cette travée portera un puissant clocher. Vers 1145, le projet de la seconde travée (K) est mis en cause et, vers 1150 le maître d'œuvre qui vient d'achever la nouvelle élévation de la nef reprend en main îe chantier orienta! où seule la chapelle axiale (R ) est achevée.


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Chambon. Abbatiale. Vue d'ensemble.


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Chambon. La nef du XIe s. Elévation sud.


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Chambon. La nef. Détail de l'élévation sud.


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Chambon. Tour occidentale partie haute et couverture moderne en bardeaux.


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Chambon. Chevet. Vue d'ensemble.


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Chambon. Chevet à trois chapelles rayonnantes contiguës.


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Chambon. Le chevet. Les parties hautes restaurées.